Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF et candidat à l'élection présidentielle de 2007, dans "Nord éclair" du 10 avril 2007, sur son projet de renouveau de la vie politique.

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Média : Nord éclair

Texte intégral

Q - En quoi le traditionnel clivage gauche-droite serait-il aujourd'hui dépassé ?
R - Tout le monde voit bien qu'il est dépassé en tout. Lorsque Nicolas Sarkozy cite Jaurès et Blum et que, de l'autre côté, il prétend que les enfants peuvent être pédophiles de naissance, vous voyez bien qu'il n'y a plus aucun repère. Et, de même, quand Ségolène Royal plonge dans les drapeaux tricolores comme si c'était la solution pour répondre aux interrogations des Français, elle aussi, elle abandonne les repères de la gauche. Tout le monde voit bien qu'en réalité, ils ne savent plus où ils se situent, qu'ils font des coups de communication et que la mise en scène de leur perpétuelle opposition affaiblit le pays. A l'inverse, on vient de vérifier en Allemagne que l'on peut parfaitement faire travailler ensemble des forces de camps différents pour le plus grand bien du pays.
Q - Vous vous êtes insurgé contre les propos de Nicolas Sarkozy qui a estimé dans "Philosophie Magazine" qu'il est enclin à penser que l'on naît pédophile. En quoi ces propos vous apparaissent-ils dangereux ?
R - Est-ce que vous vous rendez compte ce que signifie l'affirmation selon laquelle un bébé est marqué dès sa naissance par le signe de la perversité ou du suicide ? Est-ce que vous vous rendez compte à quel point on en arrive, et de manière assumée ? Pour n'importe quel humaniste, qu'il soit croyant ou non, c'est inadmissible. Parce que la base même de la civilisation que nous avons construite est fondée sur la liberté de l'Homme et la possibilité de se reconstruire.
Q - Lorsque Ségolène Royal invite à mettre le drapeau national aux fenêtres le 14 juillet, que cela vous inspire-t-il ?
R - Je suis un amoureux de la France mais prétendre répondre aujourd'hui à ses problèmes qui sont des problèmes d'éducation, de famille... par l'invocation du drapeau, il y a quelque chose pour le moins de décalé et d'un peu étrange. Comme si c'était dans l'exaltation de la Nation que l'on pouvait retrouver le bien vivre. Ce n'est pas ma façon de voir les choses. Pour retrouver le bien vivre, il faut répondre aux questions qui se posent pour les gens et, en même temps, avoir un Président qui rassemble, qui entraîne les gens à se comprendre et à travailler ensemble. Cela est aussi inquiétant que le fait qu'elle annonce puis retire une idée quasiment chaque jour, comme si elle avait une incertitude sur ce qu'elle dit.
Q - Comment envisagez-vous la place de la France en Europe ?
R - L'Europe, c'est réellement la clé de notre avenir. La crise européenne est un drame pour la France. Nous avons en face de nous des superpuissances comme la Chine ou les Etats-Unis, il faut que nous soyons capables de leur répondre. Il faut que nous soyons capables d'être suffisamment solidaires pour que nous fassions respecter nos droits. Et cela ne peut passer que par l'Europe.
Nous avons au-dessus de nous cette grande crise écologique, la crise du climat. Bien sûr, la France doit donner l'exemple. Mais, en même temps, tout seul nous ne changerons pas l'atmosphère de la planète. Il faut donc que ce soit une volonté européenne qui s'attaque à ces grandes questions. Il en va de même pour l'industrie.
Q - Justement, vous visiterez aujourd'hui les sites Rhodia, Metaleurop et Energyplast, trois entreprises touchées chacune à leur façon par les effets du libéralisme et de la mondialisation. Comment en limiter les effets ?
R - Il nous faut une politique industrielle qui fasse respecter la loyauté de la concurrence et qui conserve à l'Europe un tissu industriel digne de ce nom. Pour cela, il faut évidemment que l'Europe existe et que, par exemple, on exige de nos concurrents qu'ils respectent les mêmes règles environnementales que celles que nous nous imposons. De la même manière, il faut que nous obtenions une parité des monnaies qui soit sérieuse et pas des monnaies sous-évaluées face à un euro géré, lui, de façon sérieuse.
Q - Un mois entre la présidentielle et les législatives pour trouver une majorité, cela n'est-il pas un peu court ?
R - Au contraire, c'est largement suffisant. Les Français ont de la suite dans les idées. En m'élisant, ils me donneront le mandat de trouver une majorité nouvelle. Cette majorité s'adressera à des femmes et des hommes nouveaux, issus des deux camps qui jusqu'à maintenant s'opposaient. Ce que les Allemands ont fait, nous pouvons le faire. En réalité, il y a beaucoup de personnes compétentes, généreuses qui se rendent compte que l'on ne peut plus passer son temps dans les déchirements perpétuels et qu'on est obligé maintenant de s'attaquer ensemble aux principales questions. D'ailleurs, quand vous lisez les programmes, les candidats passent leur temps à se copier les uns sur les autres. Pour redresser le pays, pour s'occuper de la dette, de l'emploi, de l'éducation, de l'exclusion - qui sont quatre grands secteurs d'inquiétude-, il faut être capable de travailler tous ensemble. Et ce, ne serait-ce que pour donner aux Français la garantie que leurs responsables publics sont capables de s'asseoir autour de la table et de discuter pour répondre aux questions de leur vie quotidienne.
Q - Vous dites, si vous êtes élu, vouloir gouverner avec des gens de droite et de gauche de bonne volonté. Certains électeurs sont tentés par votre démarche mais vous estiment trop vague sur ce point. Que leur répondez-vous ?
R - Je leur réponds que les Français parce qu'ils voteront pour les législatives ont les moyens de forcer leurs élus à s'associer à ce mouvement de reconstruction. Ceux qui diront "Oui" seront élus ou réélus, ceux qui diront "Non" ne le seront pas. La clé est entre les mains des Français. C'est aussi simple que cela. Pour ma part, je n'ai aucun doute tant je reçois de messages de responsables importants qui me disent : "Evidemment, si les Français choisissent en ce sens, on viendra."
Q - On vous présente parfois comme le candidat de la "tracteur société" en opposition à la "jet society". Quelles sont, à vos yeux, les dérives de la société française ?
R - Aujourd'hui, il y a une absence complète d'ascenseur social. En France, on a de grandes responsabilités si on a tiré le gros lot à la naissance ou à vingt ans. Autrement, on ne progresse pas. Dans le gouvernement allemand, tous les ministres ont travaillé avant d'entrer dans la vie politique. Plusieurs d'entre eux, dont le n°2 et le n°3, n'ont pas le bac. Le ministre de l'Economie a commencé dans la vie par un apprentissage de meunier, un autre était mécanicien... C'est une société plus équilibrée. Je voudrais qu'en France, ce soit comme cela. Je ne veux pas que l'on soit abonné au pouvoir simplement parce qu'un jour, à vingt ans, on a passé un concours. Je veux que chacun ait sa chance. Et je veux que l'on reconnaisse ceux qui travaillent. Moi, je suis très fier d'avoir eu à travailler de mes mains. C'est important de respecter ceux qui triment, qui prennent des risques et qui pourtant, souvent, ont peur de la fin du mois.
Q - Le taux d'indécis reste très élevé. Qu'avez-vous envie de dire à ceux qui hésitent ?
R - Je trouve que c'est une très bonne nouvelle qu'il y ait beaucoup d'indécis. Cela veut dire qu'au lieu de voter automatiquement, ils vont réfléchir. Et s'ils réfléchissent, je ne doute pas qu'ils choisissent le changement, ce souffle nouveau. On a besoin de faire bouger les lignes et de faire respirer la politique. source http://www.bayrou.fr, le 10 avril 2007