Interview de M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe PS à l'Assemblée nationale, à "France 2" le 3 mai 2007, sur son appréciation du débat télévisé entre les deux candidats à l'élection présidentielle.

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Média : France 2

Texte intégral

R. Sicard.- Vous êtes un des proches de S. Royal, est-ce que vous l'avez vue après le débat ?

R.- Oui, quelques trois quarts d'heure après le débat, lorsqu'elle est venue rencontrer tous ses amis, ses partisans dans un restaurant du 20ème arrondissement.

Q.- Alors dans quel état d'esprit l'avez-vous trouvée après ces deux heures de débat ?

R.- Extrêmement détendue, extrêmement zen, tranquille, comme si, finalement cela avait été un parcours de santé et cela montre à travers ce comportement, je veux dire, physique, psychologique, une grande tranquillité d'esprit, une grande détermination. C'est la preuve d'une grande force et qu'on a d'ailleurs vu tout au long de ce débat. D'une authenticité et aussi d'une vraie légitimité à occuper la fonction présidentielle. Parce que tout le monde disait que cela ne serait pas facile pour elle, etc, alors que cela s'est bien passé pour elle, elle a été très forte.

Q.- Vous avez le sentiment qu'elle a marqué des points dans ce débat ?

R.- Incontestablement et elle a marqué des points dans le sens où elle est vraiment apparue comme une femme d'Etat et c'est ce qu'on attendait, c'est ce qu'on espérait - certains en doutaient - mais hier soir, elle a effectivement montré qu'elle n'avait pas de complexe à avoir. Qu'elle avait tout à fait la capacité de diriger la France et ça c'est très important pour les Français qui veulent choisir le projet, la méthode, mais aussi la personnalité.

Q.- Est-ce que vous avez été surpris par la tonalité du débat, qui a été plutôt vif ?

R.- D'abord c'était un débat de haut niveau, il faut le dire, entre deux candidats que les Français ont choisi pour être à la finale de cette élection présidentielle - mais il y a eu des moments de grande tension.

Q.- Il y en a eu un notamment sur le problème des handicapés.

R.- Oui, mais là, vous savez, je crois que l'indignation de S. Royal est rassurante, parce qu'elle a montré qu'elle ne laisserait rien passer. Elle a des convictions, et là sur ce sujet, elle a beaucoup travaillé, sur le plan Handiscol, vous savez qui a été remis en cause par l'actuel Gouvernement. Et elle ne veut rien laisser passer, cela veut dire qu'elle ne veut pas se laisser entraîner sur uniquement le terrain des paroles et des promesses...

Q.- N. Sarkozy lui reprochait de s'énerver.

R.- Oui, eh bien ça, je pense que lui, il a passé la soirée à se contenir, cela s'est vu, d'ailleurs, il n'était pas très à l'aise, d'habitude il est beaucoup plus pugnace, beaucoup plus combatif. Là, je l'ai trouvé un peu replié sur lui-même, parce qu'il avait tellement peur de lui-même, de sortir de ses gonds, que finalement il était un peu anesthésié.

Q.- Autre débat, le nucléaire ?

R.- Eh bien sur le nucléaire, quand on parle de ces fameux 17 % qu'a évoqué S. Royal, c'est bien 17 % que représente la part du nucléaire dans l'ensemble de la dépense énergétique de la France.

Q.- Elle, elle a dit, 17 % "de l'électricité produite".

R.- Oui, c'est l'ensemble de la production d'énergie, de la consommation énergétique et N. Sarkozy s'est trompé sur la part du nucléaire dans l'électricité. Il s'est trompé aussi sur un sujet qui est très précis, très pointu, concernant notamment l'EPR, puisqu'il a parlé de quatrième génération, alors que l'EPR, c'est la troisième génération et que S. Royal veut qu'on investisse à la fois dans le traitement des déchets nucléaires pour des centrales nucléaires de quatrième génération, sans perdre de temps et le faire maintenant. C'est d'ailleurs, grosso modo la position de N. Hulot.

Q.- l y a eu aussi la question des retraites qui a été un des moments importants de ce débat.

R.- Oui, alors là, je suis extrêmement frappé, parce qu'on dit que N. Sarkozy connaît bien ses dossiers et à chaque fois qu'on a parlé du bilan, je l'ai senti fuyant et mal à l'aise. Sur le dossier des retraites il a dit des choses totalement inexactes. Quand il dit que la loi Fillon, finance les retraites jusqu'en 2020, c'est faux, puisque la loi Fillon elle-même, a prévu en 2008, un rendez-vous obligatoire avec les partenaires sociaux pour faire le point sur le financement qui n'est pas assuré au-delà. Et deuxièmement, il a dit que la question de la pénibilité, l'espérance de vie, en fonction des conditions de travail était réglée, non, la loi Fillon de 2003 a prévu une négociation sur la pénibilité, cette négociation n'a toujours pas abouti - donc c'est un des sujets sur lesquels S. Royal s'est engagée à trancher. Donc, cela fait partie des mises à plat nécessaires de la loi Fillon. Et puis sur les régimes spéciaux, quand N. Sarkozy dit qu'ils vont... il faudra les réformer, dans la négociation, bien entendu pour que tout ça, soit équitable. Mais il a dit qu'en réglant le problème des régimes spéciaux qui ne représentent que 5 % de l'ensemble, on allait financer les petites retraites. Cela ne marche pas, c'est faux, là encore c'est inexact.

Q.- S. Royal, elle, a parlé d'une nouvelle taxe.

R.- Oui, parce qu'elle ne veut pas faire porter aux seuls salariés le poids de la charge du financement des retraites et je crois qu'elle a raison. D'autant plus qu'il s'agit des profits boursiers. Je pense qu'en France c'est vraiment le capital qu'il faut davantage taxer que le travail, c'est un vrai sujet et cela fera partie de ces grandes réformes qu'elle engagera.

Q.- L'objectif de S. Royal dans ce débat c'était quoi finalement ?

R.- Eh bien l'objectif c'était de montrer qu'elle a la stature d'une femme d'Etat et c'est ce qu'elle a démontré, sans aucune difficulté. Elle a l'autorité, elle a la conviction, elle a aussi la détermination, parce que c'est une tâche extrêmement importante. Que ce soit les dossiers nationaux, que cela soit les dossiers européens, les dossiers internationaux, elle n'a absolument pas faibli et je pense qu'elle a rassuré. Il y a ceux qui étaient convaincus, qui l'auront été davantage et puis il y a les hésitants, ceux qui veulent choisir un président ou une présidente de la République et qui n'ont pas encore choisi, qui ont choisi un projet, peut-être, une démarche, une méthode et la méthode démocratique de S. Royal est extrêmement importante et nouvelle par rapport à une conception, j'allais dire traditionnelle, à l'ancienne de la politique de N. Sarkozy. Mais ils veulent choisir aussi une personnalité. Est-ce que la présidente de la République sera capable de diriger la France, de mettre en mouvement la société, de faire avancer, de régler les problèmes et de redonner confiance aux Français, en eux-mêmes ? Eh bien moi je crois que oui, hier soir, elle en a fait une brillante démonstration.

Q.- Est-ce que vous avez le sentiment que ce débat va changer la donne ?

R.- Alors cela jouera sûrement sur le résultat final, je sens d'ailleurs des choses qui bougent. Le grand meeting populaire de Charlety a été un succès énorme, et ce n'était pas la froideur glaciale du discours de N. Sarkozy à Bercy, qui était un discours dur, violent.

Q.- Ce n'est pas l'analyse des gens de l'UMP.

R.- L'UMP, bon, c'est leur affaire, mais moi j'ai été frappé par la chaleur, la fraternité de ce rassemblement populaire, dans la diversité, je dirais de la réalité de la France. Mais en même temps avec une volonté de rassemblement et de réconciliation - alors que du côté de N. Sarkozy, on est toujours comme sur un ring de boxe, on combat, on cogne.

Q.- Ce n'était pas le ca hier soir ?!

R.- Non, justement, je vous l'ai dit, il s'est tellement contenu, mais dans tous ses meetings, dans toutes ses déclarations, il était dans cette logique là. Alors que si on veut réformer la France, on a besoin de la participation des Français, on a besoin de réformer les compromis et S. Royal c'est la France du mouvement, la France du progrès, j'en suis convaincu.

Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 3 mai 2007