Interview de M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l'Etat, porte-parole du gouvernement, à "Europe 1" le 9 mai 2007, sur les réformes envisagées par Nicolas Sarkozy, nouveau président de la République, notamment les réformes fiscales, et sur la polémique concernant le choix d'un yacht comme lieu de repos après l'élection présidentielle.

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M. Tronchot.- Dernier Conseil des ministres donc. Est-ce que, dans ce cadre archi protocolaire du rituel républicain, il peut y avoir une place pour l'émotion ?

R.- Il y en aura forcément, c'est normal d'ailleurs. Cinq années de travail pour ce mandat présidentiel, on a fait beaucoup de choses, et puis c'est un moment sans doute plus personnel, où les uns et les autres se retrouvent pour évoquer à la fois le passé, mais aussi, l'avenir.

Q.- Fin de vie politique étrange, non, tout de même pour J. Chirac, qui voit lui succéder un membre de sa famille politique, qui, pourtant, ne se considère pas comme son héritier ?

R.- Pas étrange, non, pas étrange. Mais en revanche...voilà, c'est la démocratie, ce sont les choses qui continuent. Et puis, en même temps, il y a naturellement, je vous dis, un moment d'émotion aujourd'hui, bien sûr.

Q.- Il paraît qu'il y aura des cadeaux, savez-vous ce que c'est ?

R.- Non.

Q.- Vous avez parlé d'avenir. Le vôtre, quel est-il dans les semaines qui viennent ?

R.- Je ne sais pas. Cela, c'est...le nouveau président de la République va former son équipe, donc, c'est à lui d'apprécier la manière dont il le fera ; il a d'ailleurs fixé un certain nombre de critères très intéressants et importants, notamment, l'idée de la parité entre les hommes et les femmes dans ce Gouvernement, une équipe resserrée, de 15 postes, d'une quinzaine de postes, avec des ministères plus concentrés, je trouve que c'est une bonne chose.

Q.- Vous êtes au Gouvernement depuis cinq ans. Avez-vous envie de continuer ?

R.- Oui, oui, mais je crois que le problème ne se pose pas en ces termes. C'est un honneur de servir son pays. J'ai le privilège d'être ministre du Budget depuis plusieurs années maintenant, et c'est évidemment une tâche passionnante. Mais enfin, pour le reste, c'est la responsabilité et la décision du seul président et du Premier ministre.

Q.- D. de Villepin, déclare dans Le Figaro, ce matin, que c'est dans le bilan de son Gouvernement que s'enracine la victoire de N. Sarkozy. Partagez-vous cette analyse ?

R.- Oui, et en même temps, il faut avoir à l'esprit que la France de 2007 n'est pas la France de 2002. Je me souviens très bien qu'en 2002, l'un des grands sujets, vous vous en souvenez sans doute, c'était la sécurité, la lutte contre l'insécurité ; on sortait d'une période où le Gouvernement de gauche d'ailleurs, avait nié la réalité de cet énorme fléau qu'était l'insécurité. Je ne dis pas du tout que tous les problèmes ont été réglés, loin s'en faut. Mais au moins, il y a vraiment des moyens, il y a des nouvelles législations, et puis il y a surtout des résultats : la délinquance a beaucoup baissé dans notre pays depuis cinq ans. Aujourd'hui, les enjeux ne sont plus tout à fait les mêmes. Nous avons devant nous des défis considérables et sur lesquels les Français attendent des résultats. Je pense en particulier à tout ce qui concerne le pouvoir d'achat, l'emploi, la question naturellement de l'organisation du travail en France, sans oublier le service minimum garanti dans les services publics, et puis bien d'autres sujets sur lesquels N. Sarkozy s'est engagé ; je pense à la question des multirécidivistes, par exemple. Il a été ministre de l'Intérieur, il peut en parler, d'autant plus savamment que dans ces domaines il y a eu des résultats importants.

Q.- Quand D. de Villepin invite N. Sarkozy à "faire bouger les lignes politiques", cela peut vouloir dire quoi ? Est-ce une nouvelle façon de gouverner, d'après vous, de considérer qu'une légitimité, par exemple, issue des urnes, donne un certain nombre de droits d'action et de réformes, éventuellement profondes ?

R.- Non, mais pas des droits d'action, des obligations d'action. Et surtout là. Cette présidentielle est très particulière. Regardez les résultats : c'est un vote d'adhésion, considérable, au premier comme au deuxième tour. Songez que N. Sarkozy fait au premier tour 31 % des voix, c'est-à-dire, l'un des scores les plus importants jamais réalisés par un candidat au premier tour, notamment à droite. Que, au second tour, il gagne très largement, sans ambiguïté, et que cela se fait dans un contexte particulier : l'écroulement du Front national. Ce n'est pas neutre au plan électoral. Je vais vous donner une anecdote très concrète : en 1997, dans ma circonscription, à Meaux, le Front national avait fait 23 %, et c'est ce qui d'ailleurs avait permis à la gauche dans une triangulaire de gagner le siège de député. Dix ans après, le Front national, dans cette même circonscription a fait 9 % ; on est passés de 23 % à 9 %. Il ne faut pas penser que le vote pour le Front national par un certain nombre de Français, c'est un vote d'espérance, pas du tout ! C'était plutôt un vote de désespérance. Du coup, aujourd'hui, il y a un transfert vers N. Sarkozy et ce qu'il représente, et cela, c'est une espérance. Et bien sûr, on a une obligation de résultats.

Q.- Le patron des patrons européens, E.-A. Seillière, était notre invité hier matin. Et la question de savoir, au vu du nombre d'engagements économiques, de promesses de réformes formulés par N. Sarkozy, à quoi pouvait donc ressembler, selon lui, la France dans cinq ans, une fois que les réformes auront été mises en oeuvre, il a eu cette réponse très évasive de dire ! : "Ca ressemblera à une social-démocratie à l'européenne, rien de bien neuf, au fond. Il y aura peut-être eu quelques améliorations sur le marché du travail, mais pas de révolution radicale". Vous, vous avez dit qu'il y aurait quand même beaucoup de nouveautés... Bien sûr. Alors, où penche la balance de l'analyse ?

R.- D'abord, je ne peux pas faire les commentaires de commentaires.

Q.- Non, mais une lecture, c'est une lecture intéressante tout de même.

R.- C'est une lecture, ce n'est évidemment pas du tout l'état d'esprit dans lequel on travaille. En réalité, chacun l'a bien compris, N. Sarkozy a présenté aux Français une vision pour notre pays extraordinairement ambitieuse, originale. Et qui a ceci de particulier que, elle vise à ce que, dans ce projet, chaque Français, chaque Français, a de l'importance. Et c'est cela qui fait la différence.

Q.- Mais alors, qu'est-ce qui va changer radicalement dans ce cas-là ? Radicalement, je dis bien. Les évolutions sont une chose, mais les changements radicaux sont...

R.- Ce qui va changer, c'est qu'un certain nombre de valeurs ont été foulées au pied depuis 30 ou 40 ans, vont être remises en haut du podium. Parce que, ces valeurs correspondent à un pays qui, sur un certain nombre de sujets, s'est pendant longtemps cherché ; une nation, qui s'est beaucoup trop fissurée en silence, à travers les difficultés de l'intégration, à travers : qu'est-ce que cela veut dire d'assumer sa diversité d'origine, mais en même temps, construire une même nation, dans laquelle on vit ensemble, on a la volonté de vivre ensemble et de réussir ? De manière très concrète, cela veut dire effectivement que, par exemple, que l'on puisse gagner plus, gagner plus d'argent, en travaillant plus. Cela veut dire aussi, de faire en sorte, que l'on ait une société du plein emploi, c'est-à-dire que, là, où un certain nombre de pays européens sont à 4 % de chômeurs, on se fixe cet objectif d'être le plus bas possible, de diviser notre chômage par deux. Cela veut dire de la même manière, avoir un regard sur l'impôt qui soit plus moderne. Qu'est-ce que c'est un système fiscal moderne ? J'en parle, si je puis dire en connaissance de cause, en tant que ministre du Budget, c'est un système qui est juste, cela veut dire, que c'est un système dans lequel l'impôt est progressif, plus on est riche, plus on paye, mais pas confiscatoire. Il y a un moment où, à force de vouloir trop surimposer, les gens s'expatrient. Ce n'est pas une solution aujourd'hui.

Q.- Donc, la situation de J. Hallyday, est injuste, pour le dire autrement ?

R.- C'est surtout, qu'elle a donné lieu à des inepties, c'est qu'un certain nombre de gens, extrêmement fortunés, qui ont donc les moyens d'être bien conseillés, s'expatrient. Et donc, du coup, qu'est-ce que cela donne ? Cela donne des gens qui ne payent plus leurs impôts en France. A partir du moment où ils ne paient plus leurs impôts en France, qui doit les payer ? Ce sont les classes moyennes, donc ce sont les classes moyennes qui payent pour les autres.

Q.- Donc, le retour de Johnny est une bonne nouvelle pour la fiscalité nationale et le budget de l'Etat ?

R.- Mais c'est surtout que chaque Français a de l'importance. Il faut arrêter d'opposer les uns aux autres, on a besoin de tout le monde. Et en réalité, cela c'est quelque chose d'important. Quand N. Sarkozy est allé, à plusieurs reprises, voir les Français de l'étranger, à Londres ou aux Etats-Unis, par exemple, ou à Madrid, que leur a-til dit, et notamment aux jeunes français expatriés ? "On a besoin de vous, revenez, on a besoin de vos talents !". On a besoin, je le répète, de tous les Français.

Q.- Donc, dans les changements radicaux, vous mettez assez haut, le sentiment de fierté nationale, dira-t-on. Demain...

R.- Bien sûr.

Q.- Demain 10 mai, N. Sarkozy assiste à la Journée de commémoration de l'esclavage. Est-ce de la repentance ?

R.- Surtout pas.

Q.- Pourquoi, quelle différence ? Il a fustigé la repentance pendant sa campagne.

R.- Parce que...Mais exactement...

Q.- Alors, où est la différence ?

R.- Mais exactement. Eh bien, tout simplement, l'idée que la France et que les Français doivent s'approprier la totalité de notre histoire, à la fois dans ses pages douloureuses, et dans ses pages glorieuses. Et je crois que, de ce point de vue, qu'un président de la République doit aussi assumer la synthèse de cette histoire de France. Cela nous ramène à une question clé, qui est la question de l'identité. Qu'est-ce que c'est être français ? Qu'est-ce que c'est être français dans une Nation où il y a des origines si différentes, des religions si différentes, des traditions qui peuvent venir de situations différentes ? Eh bien la synthèse, c'est le respect.

Q.- La passation de pouvoirs aura lieu le 16 mai prochain, N. Sarkozy avait prévenu qu'il prendrait le large pour "habiter" la fonction de président. Les entourages avaient parlé d'un monastère, il a préféré un yacht. Que pensez-vous de ce choix ?

R.- Je pense que c'est sa décision personnelle, et pour ce qui me concerne, j'ai envie de dire à tous les responsables, notamment, socialistes, mais pas seulement, j'ai vu que Mme Voynet avait fait pareil, leur dire simplement que la campagne électorale est terminée, et que cela vaut peut-être la peine d'arrêter les attaques personnelles. Parce que, après tout, voilà six mois de campagne électorale, très importants, très difficiles, que le nouveau président de la République élu, qui n'est d'ailleurs pas encore en fonction, décide de faire...de prendre deux jours de repos à titre privé, je trouve que cela vaut peut-être la peine de le laisser tranquille. Et les attaques personnelles, vraiment n'ont pas leur place dans tout cela.

Q.- F. Hollande, pose la question : "Qui paye la facture ?". Est-ce la République, monsieur le ministre du Budget ?

R.- Evidemment, non ! Evidemment, non ! Et monsieur Hollande le sait très bien. C'est donc une nouvelle manière de faire des insinuations douteuses, et c'est tout à fait regrettable.

Q.- Qui paye, d'après vous, alors ?

R.- Ecoutez, c'est évidemment à titre tout à fait privé. Je n'ai pas de commentaire à faire. Ce n'est évidemment pas l'Etat ! Enfin, je trouve même...Le seul fait de poser la question, très bien, que monsieur Hollande l'ait posée. Mais il y a derrière cela des insinuations qui sont indignes, je me permets d'insister là-dessus.

Q.- Un président de la République peut avoir des amis riches, pas de honte à cela. Mais comment éviter le conflit d'intérêt ?

R.- Mais tout simplement, en séparant les choses. Alors, cela veut dire quoi ? Cela veut dire, qu'un président de la République ne doit pas absolument, ni rencontrer qui que ce soit, quelle que soit la nature, etc. ? Je vais vous dire, tout cela, à titre personnel, je le regrette, parce que ce n'est pas comme cela que, ce n'est pas cette idée-là que je me fais, du respect des uns et des autres. N. Sarkozy, a été élu par les Français, il a adressé des messages de rassemblement. On est seulement deux jours ou trois jours après, c'est peut-être un moment où on peut respecter les uns et les autres.