Interview de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, dans "L'Express" du 25 février 1999, sur la réforme de la coopération et la nouvelle zone de solidarité prioritaire.

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Texte intégral

Q - La nouvelle zone de solidarité prioritaire (ZSP) de la France compte 53 pays. Dès lors, où est dont la priorité ?
R - On peut préférer, comme certains pays nordiques, concentrer leffort sur quelques Etats. La France, résolue à souvrir à lautre Afrique, anglophone et lusophone, a fait un autre choix. Choix dicté aussi par un souci de cohérence régionale et une réalité historique : notre présence dans lOcéan indien, les Caraïbes et lancienne Indochine. En contrepartie, nous devons faire prévaloir des critères de sélection. La ZSP donne accès aux outils de la coopération française, et non un droit de tirage automatique. Cest une formule flexible, évolutive dans son périmètre.
Q - Pourquoi en avoir écarté le Nigeria qui doit enterrer, avec lélection présidentielle du 27 février, son régime militaire ?
R - Le Nigeria est engagé dans un processus démocratique dont nous espérons la conclusion heureuse. Il a vocation à rejoindre la ZSP.
Q - A linverse Cuba y figure au moment où le régime castriste renforce son arsenal répressif contre les dissidents et les journalistes.
R - Ce qui importe, cest la tendance. Or jobserve des signes positifs quant à lévolution des institutions et de la société cubaines. Il faut, en outre, voir là notre volonté de développer une véritable politique caraïbe entre les départements français et leurs voisins.
Q - Retenu lui aussi, le Cameroun figure au premier rang du palmarès de la corruption établi par Transparency International.
R - Il faut tenir compte dune évidence. Le Cameroun, cest 240 ethnies ou tribus qui coexistent dans une certaine paix. Si notre coopération peut aider ce pays à sengager plus avant dans le respect du droit et la lutte contre la corruption, tant mieux. Pour quil y ait corruption - les Africains nous le rappellent souvent - il faut des corrompus et des corrupteurs. Les auteurs de ce palmarès nignorent sans doute pas que beaucoup dentreprises françaises sont actrices de cette corruption.
Q - Jacques Chirac a longtemps affirmé son hostilité à labsorption de la Coopération par le Quai dOrsay, décidée voilà peu. Que nous vaut ce compromis ?
R - Il arrive même au président de célébrer les mérites de la réforme. Je suis heureux quil ait compris le bien-fondé de notre démarche. Le fait que le ministre délégué demeure linterlocuteur privilégié de hauts responsables africains auxquels Jacques Chirac est attentif a sans doute contribué à son adhésion. Au demeurant, il ne sagit pas dun compromis, mais dune réforme voulue par le gouvernement, accompagnée dun travail dexplication et de conviction.
Q - Sur le terrain, qui fera quoi dorénavant ?
R - La réforme suppose un métissage des compétences, clef de la réussite. Hier, dans chaque pays, vous aviez un ambassadeur qui faisait de la politique, une Mission de coopération qui faisait du développement, un représentant de lAgence française de développement qui finançait les infrastructures et un Poste dexpansion économique dépendant du Commerce extérieur. Quotidiennement, la coordination nétait pas forcément une réalité. On peut espérer que sous la conduite de lambassadeur, chargé de coordonner la présence française, la concertation fonctionnera. Ce qui nous conduira aussi à métisser les responsabilités. Des experts du développement sont appelés à devenir ambassadeurs, et des diplomates, à faire du développement.
Q - On nous a promis cent fois la normalisation des rapports entre la France et lAfrique.
Pourquoi faudrait-il y croire à présent ?
R - Le caractère radical de la réforme signifie un point de non-retour. La meilleure chance de succès, cest le changement de mentalité de nos partenaires. Nos interlocuteurs en Afrique sont aujourdhui nombreux à reconnaître lintérêt pour eux-mêmes dune réforme qui les désenclave. Si lon veut vraiment coopérer dans la transparence, il faut que les Français y adhèrent. Le fait que la coopération fasse désormais lobjet dun débat au Parlement nous sort de la clandestinité. Il faut que notre politique en la matière cesse dêtre, aux yeux de nos concitoyens, étrange et étrangère.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 mars 1999)