Interview de M. Gilles de Robien, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, à Europe 1 le 11 mai 2007, sur le deuxième tour des élections présidentielles de 2007, le ralliement de certains députés de l'UDF à Nicolas Sarkozy et la création du Mouvement Démocrate par François Bayrou.

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Média : Europe 1

Texte intégral


 
 
M. Tronchot.- La politique réserve toujours des surprises, certains tournants sont difficiles à prendre. Celui que F. Bayrou a proposé à l'UDF de prendre est difficile à négocier et provoque une hémorragie dans son camp. Et du coup, vous voilà rejoint par certains qui hier vous considéraient comme un mauvais élève. Cela veut forcément dire que vous avez raison ou simplement que le vent politique dominant vous est, disons aujourd'hui plutôt favorable ?
 
R.- Vous savez, ce n'est pas un tournant qu'a pris F. Bayrou, c'est une précipitation dans un précipice qui est mortelle pour lui et ses amis sur le plan politique, mais surtout qui est tout à fait contraire à l'esprit qui a animé notre grande famille politique depuis 1978, sa fondation par V. Giscard d'Estaing, qui est une grande famille du centre et du centre-droit, avec des valeurs humanistes, libérales, sociales, européennes et qui a toujours utilisé son indépendance pour choisir une alliance loyale avec la droite républicaine. Voilà ce qu'est l'UDF. Et que quelqu'un qui décide de la quitter et de passer, j'allais dire de l'autre côté, c'est-à-dire dans l'opposition quasi systématique, celle qu'on a connue pendant cinq ans, c'est un drame pour lui, c'est un drame pour ses amis. C'est surtout franchement, on va dire une tromperie par rapport aux électeurs qui ont élu cette personne avec des voix du centre et du centre-droit, oui, il y a tromperie !
 
Q.- Il s'est mis lui-même en dehors du centre ?
 
R.- Ah il s'est mis lui-même en dehors de la majorité, c'est très clair. Vous savez que sous la Vème République, si on veut respecter les institutions, il y a une opposition qui doit être elle-même bien sûr respectée - N. Sarkozy a dit qu'il allait même renforcer les droits de l'opposition, par exemple au Parlement, eh bien, ou bien il y a une opposition et on y adhère - ou bien il y a une majorité et on y adhère. Mais être entre les deux et passer encore cinq années à essayer de casser l'élan présidentiel, cela veut dire qu'on est dans l'opposition. Cela n'est pas la vocation de l'UDF.
 
Q.- C'est cela que vous appelez l'ambiguïté du Mouvement démocrate ?
 
R.- Oui, c'est plus qu'une ambiguïté, enfin c'est vraiment un suicide collectif pour celles et ceux qui le suivent.
 
Q.- L'ambiguïté n'est-elle pas tout autant dans le ralliement de certains qui hier n'avaient pas de mots assez durs pour vous et pour N. Sarkozy ?
 
R.- Ecoutez, à tout pécheur, miséricorde ! Ils ont le droit aussi de changer d'avis et de maintenir cette tradition...
 
Q.- La politique c'est parfois changer de convictions ?
 
R.- Mais au premier tour, ils ont soutenu F. Bayrou, c'était leur droit tout à fait légitime. Et au second tour, après que F. Bayrou ait fait cet espèce de danse du ventre avec la gauche, pour montrer qu'en aucun cas il ne voterait N. Sarkozy, donc cela voulait dire que vraiment il souhait la victoire de S. Royal, là mes amis, entre guillemets, politiques, ont dit : "Non, là c'est trop !", et donc c'est un grand bonheur de les voir rejoindre ou de voir cette grande famille centriste, UDF qui se reconstitue après une période mouvementée. Moi c'est un grand bonheur que je vis.
 
Q.- Vous vous dites quoi quand vous les rencontrez ? Vous avez dû les rencontrer durant ces quelques heures "guerrières" ?
 
R.- On se dit tout simplement qu'on est contents de se revoir, on est contents de se retrouver, bienvenue au club et on se retrouve pour maintenir la maison UDF en l'état. Ce n'est pas parce que quelqu'un quitte la famille, ce n'est pas parce que quelqu'un quitte la maison, que la maison ne tiendra pas debout et cette maison elle tiendra debout parce que nous sommes nombreux à vouloir la tenir debout, elle est indispensable à la vie politique française. Cette famille du centre et du centre-droit qui est caractérisée par l'UDF, elle vit dans le coeur de beaucoup de Français. Beaucoup de Français se retrouvent au centre et au centre-droit, ils peuvent compter sur nous et le président de la République élu sait qu'il peut compter sur ce centre, à la fois humaniste, social, libéral et loyal envers la majorité.
 
Q.- En aucun cas vous ne trouvez que F. Bayrou est un résistant, comme il voudrait le... ?
 
R.- Un résistant de quoi ? Un résistant contre tout ! C'est plutôt quelqu'un qui a essayé pendant cinq ans de faire chuter les gouvernements successifs, Raffarin et Villepin, de faire de la critique. Pardonnez-moi, si j'ai une question à vous poser, si je peux me permettre - on va inverser un peu les rôles -, il nous dit qu'il va créer une grande famille politique qui va dire quand les choses sont bien et qui va dire quand les choses sont moins bien. En cinq ans, pouvez-vous me dire LA fois où F. Bayrou a dit UNE chose faite de bien par les gouvernements successifs ?
 
Q.- On imagine bien que je ne vais pas vous répondre...
 
R.- C'est difficile.
 
Q.-...Mais quand F. Bayrou plaide la cause d'un vrai centre en égrenant les sujets qui exigeraient une recherche de consensus plus qu'un affrontement gauche/droite, il fait preuve aussi d'un bon sens que pas mal de Français lui ont reconnu en votant pour lui au premier tour.
 
R.- Oui, parce qu'ils pensaient encore, ces Français, qu'il allait être fidèle à la majorité présidentielle pour les uns, ou qu'il allait opter carrément pour une alliance avec le PS, pour les autres. Il ne fait ni l'un ni l'autre, c'est-à-dire qu'il déçoit tout le monde. Alors oui, vous avez raison de dire qu'il y a beaucoup de choses à réformer dans notre pays et c'est pour ça que le président de la République élu, N. Sarkozy, propose d'élargir sa majorité alors qu'il a déjà eu 53 % des voix, ce qui est franchement un score exceptionnel, il propose d'élargir la majorité présidentielle à des centristes, à des gens de gauche pour prendre en compte le maximum de problèmes et trouver le maximum de solutions, dans un consensus le plus large possible. C'est quand même un formidable appel au rassemblement. Et la France, lorsqu'on est attaché aux valeurs de la France, à la solution des problèmes de la France, nécessite qu'on se rassemble pour permettre non pas seulement à N. Sarkozy de gagner ce quinquennat, de réussir ce quinquennat, de réussir ce quinquennat, mais à la France de gagner.
 
Q.- Aujourd'hui, vous ne reconnaissez à F. Bayrou qu'une ambition présidentielle et rien de plus ?
 
R.- Ecoutez, ça c'est vous qui le dites.
 
Q.- C'est une question.
 
R.- C'est une question, c'est souvent ce que les gens pensent et je suis de ceux-là.
 
Q.- Conformément à une formule inspirée par le nationalisme corse et qui semble faire florès, vous seriez, vous, le représentant de l'UDF "Canal historique", vous avez vocation à être le chef de lette branche loyaliste, ou sarkozyste de l'UDF ?
 
R.- C'est vraiment une question secondaire. Aujourd'hui, notre question, notre concentration d'action, c'est de voir comment on peut garder la maison intacte et comment on peut nous aussi au centre, permettre à des gens qui sont esseulés, orphelins...
 
Q.- Alors comment vous faites, vous créez une filiale de l'UMP ? Vous créez un groupe, vous créez un nouveau parti ?
 
R.- Alors je vais vous le dire, évidement nous allons créer un groupe parlementaire, nous allons présenter des candidats aux élections législatives, nous allons donc tout faire pour pouvoir créer un groupe parlementaire parce qu'une famille politique existe dans son expression parlementaire, nous allons bien sûr parce qu'un groupe parlementaire, existe dans la mesure où il est appuyé par un parti politique, avoir un parti politique du centre et du centre-droit, qui je l'espère bien, sera l'UDF et puis ensuite, nous pourrons ainsi rassurer les millions de citoyennes et de citoyens français qui se reconnaissent dans les valeurs du centre et du centre-droit.
 
Q.- Et ça va porter un nom, ce groupe ?
 
R.- D'abord, on verra bien quel nom ça porte. Moi je tiens dans mon coeur, depuis 1978, le terme UDF. Cela a une grande signification. On verra ensemble s'il faut lui donner une mention particulière : est-ce que c'est l'UDF 2008, est-ce que c'est la Nouvelle UDF une fois encore, est-ce que c'est... De toute façon, c'est l'UDF. Vous savez, l'UDF représente pour les Français quelque chose de très fort, de très riche, de très sensible. Vous imaginez combien il y a de l'affection derrière ces lettres-là, parce qu'il y a tout un passé historique tout à fait prestigieux. Il y a surtout des convictions et des valeurs qui demandent à être défendues.
 
Q.- Est-ce légitime de la part de N. Sarkozy de demander à de futurs députés ou des députés actuels de signer un pacte majoritaire, qui semble les obliger d'une certaine manière ?
 
R.- Ce n'est pas le cas d'adhérer à un pacte majoritaire, c'est-à-dire de se reconnaître dans des valeurs et dans un projet présidentiel, puis ensuite dans un ensemble de mesures législatives qui forment le corps de ce projet présidentiel, c'est légitime de demander à des députés qui veulent s'inscrire dans la majorité présidentielle s'ils partagent ces idées, ces projets et s'ils s'inscrivent dans la majorité présidentielle. Mais il n'y a pas de signature particulière, il y a l'adhésion à une plateforme commune.
 
Q.- Comment fait-on pour que l'UMP future, la majorité future, n'apparaisse pas comme un parti de godillots ?
 
R.- C'est son problème. Evidemment, il y a de l'imagination dans l'UMP, il y a des propositions dans l'UMP. Il pourrait y avoir beaucoup d'initiatives prises par l'UMP mais ces initiatives et ces propositions doivent s'inscrire naturellement dans le cadre du projet présidentiel, puisque c'est ce projet qui a été validé par 53 % de Français. Et ces 53 %, depuis même huit jours, peuvent devenir 55, 56 ou 57 au fur et à mesure que le président de la République nouvellement élu montre très clairement qu'il élargit sa majorité. Au-delà même de ses 53 %, il représente tous les Français.
 
Q.- La discipline de parti [inaud.]
 
R.- La discipline de parti... Naturellement, la motion de censure ne se vote pas quand on est dans la majorité présidentielle, si vous me permettez. Voilà, une motion de censure, on ne vote pas une motion de censure pour renverser un Gouvernement qui est dans la majorité présidentielle. Cela me paraît évident.
 
Q.- Mais on vote nécessairement tout ou partie du budget ?
 
R.- Mais on discute du budget, la concertation doit exister. Moi je suggère même qu'entre le futur groupe UDF centriste et le groupe UMP, il y ait le maximum de concertation permanente de façon à ce qu'on puisse harmoniser nos propositions, qu'on puisse discuter des amendements. Tout cela c'est un foisonnement d'idées qui ne peut qu'apporter de la valeur ajoutée. Vous savez, la diversité il ne faut pas la craindre, il faut la considérer vraiment comme une valeur ajoutée et comme un enrichissement du travail législatif, par exemple au Parlement. C'est pour cela que le groupe centriste doit exister dans la loyauté et dans l'imagination.
 
Q.- On sait que N. Sarkozy, nouveau Président, sera le protecteur des droits du Parlement ?
 
R.- Absolument. Il a même donné des gages, puisqu'il estime, vous l'avez entendu, que la Commission des finances devait être présidée par quelqu'un de l'opposition. C'est vous dire à la fois la confiance qu'il fait dans l'esprit citoyen des élus, qu'ils soient dans la majorité ou dans l'opposition, et en même temps, la transparence qu'il veut dans les travaux parlementaires et dans les documents fournis par le Gouvernement. Donc le travail en commun jusqu'à un certain point et ensuite, les gens se déterminent sur des projets.
 
Q.- Vous espérez aujourd'hui participer au premier gouvernement du quinquennat de monsieur Sarkozy ?
 
R.- Il n'y a aucune espérance, il n'y a que de la volonté d'action.
 
Q.- Et vous comprendriez que d'anciens lieutenants de F. Bayrou trouvent leur place dans le Gouvernement ?
 
R.- Ce n'est pas vraiment mon problème. Je ne suis pas président de la République, je ne suis pas Premier ministre. Par conséquent, c'est à eux à faire leur Gouvernement comme ils l'entendent, pour montrer qu'à la fois il y a de la cohésion et qu'à la fois il y a de l'élargissement vers le centre.
 
Q.- N. Sarkozy n'a pas l'air de souhaiter que quelqu'un lui succède à la tête de l'UMP. Il préférerait une structure collégiale. Cela vous irait ?
 
R.- Mais qu'est-ce qui vous permet de le dire ? Je n'en sais rien. D'abord, "ça m'irait" ! Moi je ne suis de l'UMP.
 
Q.- C'est ce que semble avoir dit R. Dati hier.
 
R.- Peut-être, mais...
 
Q.- A l'UMP, c'est quand même...
 
R.- Moi je ne me mêlerai pas...
 
Q.- Vous ne serez plus dans l'UMP ?
 
R.- Mais je n'ai jamais été dans l'UMP. Je suis à l'UDF.
 
Q.- On peut être dans le groupe Robien et appartenir et au Mouvement démocrate ou pas ?
 
R.- Absolument pas. Là, il ne peut pas y avoir double appartenance : ou bien on est dans le Mouvement démocrate, on s'inscrit dans l'opposition - à moins que le Mouvement démocrate, alors, le jour de sa fondation, de son assemblée constituante, décide de rentrer dans la majorité présidentielle - mais on ne peut pas à la fois être une famille ou un parti politique s'inscrivant résolument dans l'opposition et à la fois dire qu'on s'inscrit dans la majorité présidentielle. Il faut choisir. La double appartenance n'existe pas.
 
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 11 mai 2007