Texte intégral
J.-P. Elkabbach.- Est-ce que vous comprenez l'inquiétude exprimée tout à l'heure par D. Strauss-Kahn à propos d'une majorité qui va pouvoir appliquer ou imposer sa politique, tel que les Français l'ont d'ailleurs voulu et est-ce que vous pensez qu'il faut en effet des contrepouvoirs pour équilibrer les institutions et cette majorité si forte, quelle pourrait devenir arrogante ?
R.- Mais l'arrogance c'est un défaut, c'est un état d'esprit, ce n'est pas un problème institutionnel. Je crois que la grande caractéristique de cette élection c'est que le débat a été long, approfondi, non biaisé, fait dans la clarté, N. Sarkozy a posé je crois l'essentiel des sujets, de notre pays à la fois en terme économique, social, moral, parfois même des sujets, qu'il était de bon ton d'éviter. Vous avez un espèce de refoulement sur un certain nombre de choses, c'était assez courageux, tout le monde n'a pas répondu de la même manière, mais en tous les cas, la réponse a été claire. Et je trouve normal que le Parlement ensuite, permette au président et permette à un Gouvernement d'appliquer, pour l'essentiel, les propositions qu'a fait le candidat Sarkozy en son temps. Alors j'entends déjà la gauche dire, attention, les pouvoirs dans une même main... enfin on est en démocratie, les Français choisiront un Parlement et j'espère de tout coeur que ce Parlement sera en cohérence avec le président.
Q.- En tout cas, il est exceptionnel qu'un pouvoir en place depuis des années gagne une élection, qu'il la gagne sans appel. Est-ce que c'est dû à la clarté du programme d'une droite sans complexe ? Ou au brouillard d'un programme d'une gauche qui était troublé et pas assez clair, comme le disait tout à l'heure Strauss-Kahn ?
R.- Les deux probablement, les deux probablement. Je pense que N. Sarkozy s'était préparé depuis longtemps, avait observé la société française, on sentait une espèce d'inquiétude, la question : vers quoi va notre pays au fond ? Et ça N. Sarkozy l'a bien décelé et a posé les différents sujets. Et en même temps, j'écoutais tout à l'heure Dominique Strauss-Kahn et je préfère que ce soit lui qui le dise, que nous, c'est vrai qu'on ne peut pas vouloir conduire un peuple en n'étant pas clair sur le nucléaire, pas clair sur l'économie, pas clair sur les taxes sur l'emploi, pas clair sur les retraites. Enfin c'est quand même, c'était quand même un peu surprenant.
Q.- Mais comme vous dites, c'est bien que ce soit lui qui l'ait dit. Hier soir, vous disiez que N. Sarkozy est un homme libre, qu'il ne doit rien à personne. Est-ce que vous le disiez avec admiration, avec une pointe de regret ?
R.- Non, non, avec la réalité tout simplement. Je répondais à une question sur le Gouvernement ou mes responsabilités éventuelles. Et je disais, parce que c'est les institutions de la Vème République, le président de la République est élu par le peuple français, à lui pour honorer ses engagements - et là ils sont d'une grande clarté - de bâtir, enfin d'abord d'essayer de faire en sorte d'avoir une majorité au Parlement, et ensuite de constituer une équipe gouvernementale qui lui paraît à lui et à lui seul, la meilleure pour conduire ce changement.
Q.- D'abord est-ce que vous êtes heureux ce matin ? Je dirais pour vous, naturellement pour le pays, pour N. Sarkozy, mais vous ?
R.- J'ai le sentiment que l'ancien ministre donc je suis, je parle parce qu'il y a T. Breton qui est là...je crois qu'à la fois il y a une vraie rupture qui va s'opérer grâce à N. Sarkozy, mais je pense en même temps que si on avait à 12 % de chômage, la situation aurait été néanmoins plus complexe. Je crois qu'on avait plutôt pas mal...
Q.- Ce que vous faisiez l'un et l'autre marchait plutôt, mais...
R.- On a pas mal bossé l'un et l'autre, mais en même temps, mais en même temps, il faut un changement...
Q.- Il faut une accélération...
R.-...une rupture dans le calme, dans la sérénité, mais qui est absolument indispensable.
Q.- Alors selon les sondages BVA ORANGE pour la PQR, la Presse Quotidienne Régionale que j'ai lu tout à l'heure, les deux favoris des Français, pour l'Hôtel Matignon, c'est vous avec 38 % et F. Fillon 17 %. N. Sarkozy, le président choisira, il y a dix jours à attendre. Mais quelles seront les priorités sociales pour cette équipe qui se met en route ?
R.- Ecoutez le président, le prochain président, le 16 mai, va réunir une conférence sociale, le chef du Gouvernement réunira une conférence sociale sur les quatre principaux sujets que vous connaissez, pour saisir les partenaires sociaux de ces quatre points-là et commencer un débat avec le Parlement. Il y aura par ailleurs, un certain nombre de dispositions notamment en matière fiscale qui seront prises avant l'été. Il y en aura dans le domaine pénal, vous le savez, sur les multirécidivistes. Bref, il y a une feuille de route qui est assez, enfin qui est construite, moi, ce qui me frappe beaucoup, c'est...
Q.- Que tout est prêt ?
R.- Oui, le travail a été fait en profondeur, F. Fillon a animé les conventions de l'UMP depuis deux ans déjà. Toutes les six semaines, sur les différents sujets, ça a été construit, ça n'a pas, ce n'est pas de l'improvisation, est ça fait partie de la clarté du débat.
Q.- Qu'est-ce que vous répondez aux syndicats qui disent, attention, comme Force ouvrière, cette équipe va essayer de passer en force ses projets ?
R.- Ecoutez la notion de passer en force, est une notion qui m'est assez étrangère. Les partenaires sociaux sont des acteurs bien entendu du fonctionnement de notre pays, néanmoins ils respectent eux aussi la démocratie politique, ils savent qu'un mandat a été donné et dans la clarté, donc voilà on aura un partenariat qui me paraît de bon aloi.
Q.- Hier M. Hirsch, disait ce qui est pour lui le grand enjeu, vous allez l'entendre et vous nous direz ce que vous en pensez.
R.- M. Hirsch : J'entends dire que la France a du retard sur un certain nombre de pays, ne mettons pas en oeuvre les politiques qu'ont fait un certain nombre de pays dans les années 80. On doit être à l'étape d'après, c'est-à-dire je trouve que le grand, grand enjeu aujourd'hui, c'est est-ce qu'on va continuer avec des politiques qui créent de la pauvreté d'un côté et dans lesquelles on court après pour faire des mécanismes de compensation où on essaie de rattraper les personnes ? Ou est-ce qu'on est capable de les intégrer dans le monde du travail ? Est-ce qu'on est capable de faire que le travail puisse être adapté aux gens difficultés ? Est-ce qu'on est capable aujourd'hui de ne pas attendre, d'être dans un pays de propriétaires et s'adresser aux locataires ? On a effectivement en matière d'emploi, en matière de logement, en matière d'insertion, en matière d'intégration, toute une série de chantier sur lesquels on sait qu'il y a des pistes qui peuvent être mises en oeuvre et là moi, si j'ai une crainte... Mais on tient le même discours à la droite et à la gauche, on tient le même discours, à tous les pouvoirs, s'il y a une crainte et c'est qu'à un moment que les positions dogmatiques, je dirais presque les slogans électoraux l'emportent sur un certain nombre de réalités, donc faites confiance à un certain nombre d'acteurs pour mettre en oeuvre vite, vite, vite, ce dont on a besoin.
Q.- C'était M. Hirsch, J.-L. Borloo, et T. Breton.
J.-L. Borloo : Oui, alors je partage absolument, 25 ans où on a accumulé des dispositifs épars, certains du département l'autre de la ville, l'agglomération, l'Etat, bref, un système complètement éclaté, qui est un système de réparation par différentes filières et non pas d'inclusion réelle, définitive et puissante dans l'emploi. M. Hirsch a proposé qu'on expérimente dans sept départements français un nouveau dispositif, le revenu de solidarité active, un contrat d'insertion unique, pour vraiment accompagner vers l'emploi. Moi, je souhaite de tout coeur qu'on puisse travailler avec lui, vraiment de tout coeur. Lui et un certain nombre d'autres associations, mais particulièrement lui, parce qu'il a été à la fois un très grand techno, dans le bon sens du terme et un grand président d'association, c'est-à-dire...
Q.- EMMAÜS ?
R.- Eh oui, EMMAÜS et je souhaite qu'il puisse nous aider fortement, en tous les cas je lui fais une promesse, je n'oublierais jamais ce qu'on s'est dit, il n'y a encore pas très, très longtemps dans mon bureau.
Q.- A propos de ?
R.- Ce sujet-là.
Q.- Bon très bien, et vous continuerez là où vous êtes à la Cohésion sociale ou ça s'appellera autrement ou vous irez à l'Education vous ?
R.- Mais écoutez, c'est au président de la République et au président seul, je vous l'ai dit, de constituer l'équipe qu'il souhaite devoir constituer.
Q.- T. Breton, on va reparler d'économie. La plupart des décisions à prendre, internationales, européennes, et même françaises, passent par l'économie, dans quel état nous sommes aujourd'hui ?
R.- T. Breton : D'abord la situation économique est nettement meilleure que ce qu'elle a été il y a 2 ou 3 ans, c'est un fait, est-ce que c'est suffisant ? Certainement pas. Je serai cet après-midi à Bruxelles, nous avons notre réunion hebdomadaire avec mes collègues ministres des Finances, membres de l'Eurogroupe, j'indiquerai que la croissance de la France sera revue à la hausse, très certainement au premier trimestre et au second trimestre. Je l'attends, en effet, plutôt dans la fourchette haute de nos estimations, peut-être même au-delà, souvenez-vous que la fourchette du Gouvernement était comprise entre 2 et 2,5%, en rythme annualisé, je pense qu'on est plutôt, sur le premier et sur le deuxième trimestre, entre 2,5 et 3. Donc oui, la situation est meilleure, et c'est ce qu'a dit J.-L. Borloo, un travail immense a été fait, c'est vrai qu'on ne fait pas baisser de plus de 2 points le chômage comme ça, c'est vrai qu'on ne remet pas la France sur les rails comme ça, c'est vrai qu'il y a tout un travail qui a été réalisé.
Q.- C'est par modestie que vous ne parlez pas de la dette, parce que vous aviez placé la dette au coeur des débats avec le rapport Pébereau et on ne l'a pas oublié. Est-ce qu'elle ne va pas tomber à la trappe parce qu'il y a d'autres urgences ?
R.- Certainement pas, la dette est-là pour nous rappeler tous les jours le prix et le prix de 30 années où nous avons vécu au dessus de nos moyens, eh bien ceci c'est terminé. Je l'ai dit moi-même il y a 2 ans, N. Sarkozy n'a cessé de le répéter, pendant toute sa campagne, les Français l'ont compris, on ne pourra plus revenir en arrière. J'entendais tout à l'heure D. Strauss-Kahn, il y a un élément - bien entendu, peut-il dire autre chose que ce qu'il a dit - il a le courage le dire, il faut le reconnaître - mais peut-il dire autre chose que ce qu'il a dit ? A savoir qu'il faut des contrepouvoirs, bien sûr que la gauche va le dire, sauf que nos institutions, désormais, celles qui ont été voulues par la droite, par le centre, par la gauche, c'est que nous élisons d'abord un président de la République, nous élisons ensuite, et pour 5 ans, une chambre et un Parlement. Et pourquoi on a fait ça dans ce sens, précisément pour donner au président élu les moyens d'agir. Ces moyens, on les connaît...
Q.- Ça, ça va être la bataille des législatives. Est-ce que vous allez vous présenter, vous, aux élections, au passage ?
R.- Non, je suis jusqu'au dernier jour, je l'ai dit, je serai à ma tâche à Bercy, et puis après on verra bien. Comme l'a dit J.-L. Borloo, le reste, en ce qui concerne des hommes engagés dans l'action publique comme nous, le reste ça appartient au président et ça appartiendra au Premier ministre qu'il désignera.
Q.- Est-ce que vous avez retenu également, dans ce que disait tout à l'heure D. Strauss-Kahn, qu'il fallait plus de clarté dans les programmes et les idées du PS à propos de la mondialisation, du nucléaire, de toute cette rénovation qui est nécessaire aujourd'hui pour la gauche ?
R.- C'est une évidence. D. Strauss-Kahn a dit que tous les grands pays européens qui nous entourent, les grandes gauches des pays européens, ont fait leur aggiornamento, sauf la gauche française, c'est une réalité. Moi je le dis, on a besoin - et nous qui sommes dans la majorité, J.-L. Borloo et moi-même - nous le disons ensemble - on a besoin d'avoir une gauche moderne. Peut-être qu'aujourd'hui les Français - et moi je m'en réjouis - ont vu que la modernité elle était de notre côté, pour autant il ne faut pas oublier toutes celles et tous ceux qui pensent autrement, mais voyez-vous, la France est solidement ancrée dans l'Europe, c'est notre force, c'est notre chance. Ça veut dire que désormais on ne peut plus vraiment beaucoup varier les caps d'un quinquennat à un autre. Bien sûr il y a des options sur lesquelles on peut se positionner, mais le cap est pris - c'est ce que j'ai voulu dire aux Françaises et aux Français, lorsque j'ai souhaité mettre la dette au coeur du débat. Cette dette nous rappelle les réalités, eh bien moi je me réjouis que les Français l'aient entendu et qu'ils aient demandé à N. Sarkozy de préparer l'avenir et notamment en soldant ce passé-là.
Q.- Est-ce que vous pensez, que cette élection et l'élan démocratique, la participation massive, civique, des Français à l'élection, peut avoir des conséquences ou des effets sur la croissance ?
R.- C'est une évidence. Je serai sans doute le 16 au G7, ce sera le tout dernier G7 de ce quinquennat, et je représenterai la France, croyez-moi, j'ai déjà parlé avec mes homologues depuis hier soir, ils voient cette victoire de N. Sarkozy comme une bonne nouvelle parce qu'au-delà de l'ingérence politique, et ils ne rentrent pas dedans, c'est une bonne nouvelle parce que c'est la clarté, c'est visible, c'est lisible, et en économie on a besoin de lisibilité. On peut être pour des options, on peut être contre, ce qui est important c'est que ce soit clair. N. Sarkozy a exprimé un programme politique très clair, il a dit qu'il le réaliserait...
Q.- Dans cet esprit, en 2008 c'est quel type de croissance, si ça marche ?
R.- Ecoutez, là je ne vais pas faire de prévisions, moi je me bats, et je l'ai dit, je l'ai écrit dans un livre, je me bats pour une croissance de la France qui devrait se situer entre 3 et 4%, est-ce que cela viendra en 2008, est-ce que cela viendra en 2009 ? Je ne peux pas vous le dire ce matin, ce qui est certain c'est que dès que les mesures que N. Sarkozy a annoncé, seront mises sur pied, et il a indiqué qu'il souhaitait le faire très vite, c'est évident que remettre le travail au centre de tout, redonner l'envie, le goût du travail - vous savez, dans une économie qui est de plus en plus "tertiairisée", c'est comme ça qu'on crée la croissance.
Q.- Il y a un certain nombre de dossiers prioritaires, probablement à Bercy, est-ce que vous mettez la fusion Suez/ Gaz de France, qui est en route, parmi ces dossiers ? Est-ce qu'elle aura lieu ?
R.- Vous savez, maintenant elle appartient aux actionnaires, ce sont les actionnaires qui décideront, le Gouvernement a pris ses responsabilités, la majorité a pris ses responsabilités, en votant une loi qui permet d'avancer, maintenant je l'ai toujours dit, la balle est dans le camp des actionnaires, c'est eux qui décideront, il faut respecter ces temps différents.
Q.- Et l'Etat, qu'est-ce qu'il dira ?
R.- L'Etat votera, bien entendu, comme le feront les actionnaires, mais maintenant c'est les actionnaires.
Q.- A partir du 1er juillet le marché de l'énergie sera ouvert à la concurrence, est-ce que nous serons prêts ?
R.- Bien sûr qu'on sera prêt, on a tout fait pour ça et on sera prêt.
Q.- Et à votre avis quelles sont les premières réformes à engager, là, comme ça, en priorité ?
R.- Vous savez, elles sont très claires, le fait qu'on puisse travailler plus en gagnant plus, la détaxation des heures supplémentaires, ce sont des réformes très importantes pour libérer le travail.
Q.- Le sarkozysme, on l'a entendu, et on l'entend encore avec vos déclarations J.-L. Borloo et vous T. Breton, c'est plus de liberté, d'effort, de travail, de concurrence, peut-être un peu moins d'Etat, est-ce que c'est le tout libéral appliqué à l'économie française ?
R.- Certainement pas, et je crois que N. Sarkozy a été très clair là-dessus, je crois pouvoir dire que, et J.-L. Borloo, et moi-même, on se retrouve bien dans le non au tout libéral.
Q.- C'est ça J.-L. Borloo ?
R.- J.-L. Borloo : Oui, ce débat a presque deux siècles passés ou de l'après guerre, la vraie question c'est la mise en marche des ressources humaines d'un pays, c'est ça la question, ce n'est pas du tout d'Etat ou pas d'Etat, c'est au bon endroit là où il faut qu'il soit efficace, qu'il soit protecteur quand il doit l'être, tendre la main quand il doit le faire, probablement un peu moins bureaucratique et performant, mais c'est la gestion des ressources humaines privées et publiques de notre pays, c'est ça le grand enjeu, les grands pays qui gagnent sont des pays qui mobilisent leurs ressources humaines, qui forment 100% d'une génération, voilà nos enjeux.
Q.- Et ça commence le 17 ou le 18 mai ? Si on vous écoute.
R.- J.-L. Borloo : Ça commence le 17 mai et ça commencera de manière plus ample, de manière parlementaire, après les élections législatives, car les Français vont à nouveau s'exprimer.
Q.- Merci à vous deux, J.-L. Borloo, T. Breton.
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 7 mai 2007