Interview de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, dans "Les Echos" du 27 avril 2007, sur l'élection présidentielle 2007, le dialogue social et les libertés syndicales.

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Les Échos. Le 1er Mai tombe entre les deux tours de la présidentielle. Partagez-vous le mot d'ordre de Bernard Thibault, qui appelle implicitement à en faire une journée de mobilisation contre Nicolas Sarkozy ?
François Chérèque. Non. La CFDT ne veut pas entrer dans une démarche de mobilisation contre tel ou tel candidat. Depuis un quart de siècle, nous refusons toute expression partisane dans le cadre des élections. C'est ce qui explique, d'ailleurs, pourquoi je manifesterai à Metz, la CFDT d'Île-de-France s'abstenant de participer à des manifestations dans un contexte de campagne électorale.
Les Échos. Le discours du candidat UMP sur l'identité nationale ne justifie pas une mobilisation comme celle de 2002 contre Jean-Marie Le Pen ?
François Chérèque. Nous ne confondons pas l'UMP et le Front national. Cela enlèverait tout crédit à notre initiative de 2002. À l'époque, il s'agissait de défendre la démocratie. Cela ne nous empêche pas d'avoir certaines inquiétudes sur les propos tenus par Nicolas Sarkozy sur l'identité nationale, la répression de la délinquance ou la génétique. Nous souhaitons qu'il précise ses propos avant le 6 mai.
Les Échos. Vous ne partagez pas non plus la crainte de la CGT d'une remise en cause des libertés syndicales ?
François Chérèque. Je ne me positionne pas par rapport à la CGT mais au nom de la CFDT. Il existe une loi, votée en janvier 2007, qui engage tout gouvernement à passer par la négociation avant de légiférer. Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal se sont engagés à la respecter. Quel que soit le président élu, nous demanderons la mise en place d'un agenda social, sous la forme d'un sommet dès le mois de juin. Il permettra de définir ce qui est de la responsabilité des partenaires sociaux, ce qui est de la responsabilité de l'État et ce qui est de la responsabilité commune. Nous nous réjouissons d'un retour au débat politique. Si nous voulons que cela continue, il faut que les syndicats prennent leurs responsabilités en faisant fonctionner la démocratie sociale.
Les Échos. Les syndicats en sont-ils capables, compte tenu de leur faible représentativité ?
François Chérèque. Si nous n'en sommes pas capables, il faudra arrêter de se plaindre des politiques qui nous empêchent de négocier. Nous avons mis en place des groupes de travail avec le patronat sur la sécurisation des parcours professionnels, les contrats de travail et l'assurance-chômage. Nous en ferons le bilan le 14 mai. Il y aura ensuite une réunion avec l'ensemble des leaders syndicaux. C'est à ce moment-là que nous pourrons évaluer notre capacité à avancer sur les sujets importants, et l'engagement réel des uns et des autres.
Les Échos. Peut-il y avoir un risque de troisième tour social si Nicolas Sarkozy accède à l'Élysée ?
François Chérèque. Le principe du troisième tour social, c'est de contester dans la rue le résultat des urnes. C'est une démarche antidémocratique. Le taux de participation a été de 85 % au premier tour. Nous allons avoir un président ou une présidente qui aura reçu la légitimité du suffrage universel. C'est la démocratie qui aura gagné et nous respecterons la démocratie.
Les Échos. Cela ne donne-t-il pas une légitimité au président de la République de légiférer sans votre accord ?
François Chérèque. Ce serait une démarche plébiscitaire et référendaire. Or une élection présidentielle n'est pas un référendum sur l'ensemble des mesures proposées par le candidat lors de sa campagne. La capacité de bien réformer vient autant du contenu des réformes que de la méthode choisie pour les mettre en oeuvre. Attention : la reconnaissance de tel ou tel candidat par les urnes n'empêchera pas forcément un épisode comme le CPE. C'est pourquoi j'insiste sur la nécessité d'avoir, dès le mois de juin, un sommet de méthode sociale. Je rappelle que, à chaque fois qu'un gouvernement a voulu mettre en oeuvre deux réformes en même temps, il en a fait échouer une et rendu l'autre difficile.
Les Échos. Voyez-vous dans l'émergence d'une force centriste une modernisation de la politique française ?
François Chérèque. Je vois que, pour la première fois, au deuxième tour, nous avons deux candidats qui reconnaissent l'économie de marché. La candidate socialiste dit clairement que les entreprises ne doivent pas se sentir coupables de faire des bénéfices. Et tous les candidats qui avaient soutenu le « non » au référendum ont été laminés. La question est donc maintenant : comment réguler cette économie de marché ? C'est cela qui recentre le débat politique.
Les Échos. Prenez-vous au mot Ségolène Royal lorsqu'elle promet, si elle est élue, de suspendre le plan social d'Airbus ?
François Chérèque. On se retrouve dans la même situation à l'égard d'Airbus que vis-à-vis de Danone en 2002. Tous les candidats étaient venus dire aux salariés de Danone combien leur patron était malveillant et puis, après les élections, tout cela a été vite oublié. La suspension de Power 8 nous va bien, si c'est pour reconnaître qu'Airbus a besoin d'un autre plan. Car la situation d'Airbus n'est pas facile.
Les Échos. Que pensez-vous du sondage publié récemment par Liaisons sociales qui met en évidence un déplacement vers le centre des sympathisants de la CFDT ?
François Chérèque. Il n'est pas étonnant qu'un syndicat comme la CFDT qui a l'ambition de représenter tous les salariés soit à l'image de l'électorat en général. Cela fait déjà quelque temps que les sympathisants de la CFDT se recentrent sur les partis de gouvernement et qu'ils laissent peu de place aux extrêmes.
Les Échos. La « finale » de la présidentielle traduit un choix entre deux grandes politiques économiques : une politique de l'offre défendue par Nicolas Sarkozy, une politique de la demande soutenue par Ségolène Royal. Selon vous, de quoi la France a-t-elle besoin aujourd'hui ?
François Chérèque. Des deux. Personne ne peut dire que les salariés n'ont pas besoin de pouvoir d'achat. C'est une revendication constante de la CFDT depuis 2005. Cela dit, pour redistribuer de la richesse, il faut la créer. L'économie française doit retrouver le chemin de l'emploi et du développement. Elle n'y parviendra pas seule. Il lui faudra aussi s'appuyer sur la relance des politiques européennes, thématique trop absente de cette campagne.
Les Échos. Pourtant, il est question de compétitivité fiscale...
François Chérèque. C'est bien de s'interroger sur le poids des charges et des impôts, mais on ne peut pas aborder ces problèmes sans s'interroger sur le rôle de l'État, les missions qu'on veut lui voir jouer, en termes de cohésion sociale, de garant des libertés publiques, d'éducation et de culture. Voilà le débat qu'il faut avoir dans cette dernière semaine de campagne. Les candidats se sont largement exprimés sur les revendications des salariés. Ils doivent maintenant nous dire comment ils y répondent. Nous attendons des candidats qu'ils soient autre chose que des « superdélégués du personnel ».
Les Échos. Est-ce une bonne idée à vos yeux d'expérimenter la TVA sociale ?
François Chérèque. Il faut cesser de traiter la fiscalité par appartements. La TVA sociale doit s'inscrire dans une cohérence fiscale, sinon elle ne fera que renforcer un peu plus l'impôt proportionnel au détriment de l'impôt progressif.
Les Échos. Comme la CSG, que vous avez soutenue !
François Chérèque. Cela n'a rien à voir. Le principe de la CSG, instaurée pour financer notamment l'assurance-maladie, c'est que chacun paie en fonction de ses revenus et est soigné en fonction de ses besoins. La CSG, c'est la garantie que chacun reste dans le système collectif de protection sociale. La TVA sociale, c'est l'inverse : ce sont les hauts salaires qui paieront proportionnellement moins et les bas salaires qui paieront plus car ils consomment l'essentiel de leur budget et n'ont pas la capacité d'épargner.
Les Échos. Vous vous êtes rapproché de Bernard Thibault pour tenter d'imposer une réforme de la représentativité. Face à un gouvernement de droite, la CGT ne risque-t-elle pas de retrouver une position contestataire classique qui l'éloigne à nouveau de la CFDT ?
François Chérèque. Nous sommes allés suffisamment loin dans cette volonté de réforme pour résister aux pressions. Nous avons pris l'engagement, y compris personnel, d'aller jusqu'au bout sur ce sujet-là. Donner à tous les salariés la capacité de voter pour le syndicat de son choix est un élément fondamental dans l'évolution de la démocratie sociale. Le principe d'élections professionnelles dans l'entreprise est maintenant soutenu par le Medef. La seule à ne pas s'être exprimée, c'est Ségolène Royal. Je souhaite qu'elle nous dise pourquoi elle ne soutient pas la position commune de la CFDT et de la CGT.
Les Échos. Nicolas Sarkozy s'engage à mettre en place une garantie de service minimum dans les services publics dès cet été. Sa démarche vous convient-elle ?
François Chérèque. Il nous dit de négocier mais en fixant à l'avance le résultat et le calendrier ! Cette méthode ne nous convient pas. La négociation doit se faire au cas par cas, dans chaque entreprise publique. À la RATP, les syndicats ont fait leurs preuves en mettant en place un système d'alerte sociale pour éviter les conflits. Bizarrement, c'est dans la période où il y a le moins de grèves dans le service public que l'on en parle le plus.
Propos recueillis par Etienne Lefebvre, Jean-Francis Pécresse et Lucie Robequain source http://www.cfdt.fr, le 2 mai 2007