Déclaration de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, sur les enjeux des élections législatives de 2007 et son appel au vote pour le parti socialiste, Bordeaux le 23 mai 2007.

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Circonstance : Meeting électoral à Bordeaux, le 23 mai 2007

Texte intégral

Chers Amis,
J'ai plusieurs raisons fortes d'être parmi vous, en tant que Premier secrétaire, à Bordeaux. La première est pour saluer le résultat de Ségolène Royal au second tour de l'élection présidentielle en Gironde. Si tous les départements français avaient fait aussi bien, cela aurait un autre visage, convenons-en ! La deuxième est que nous sommes pris par l'esprit de conquête. Si nous sommes rassemblés ce soir, ce n'est pas simplement pour garder nos 5 circonscriptions -même s'il faut se battre pour les garder-, mais c'est aussi pour en conquérir d'autres car, il y en a d'autres, en Gironde, à gagner. Et, si j'en cite une parmi d'autres -il ne faut pas y voir malice-, c'est bien parce que nous voulons, au-delà de la parité, limiter le cumul des mandats ; il nous paraît très important que Michèle Delaunay puisse être la prochaine députée de Bordeaux. Nous ne voulons pas de mal à Alain Juppé, mais nous voulons tout simplement qu'il ne soit pas trop accaparé : maire de bordeaux depuis peu, Ministre du développement durable... tout un programme ! Et maintenant, candidat député. Non ! Nous allons y mettre bon ordre, un ordre juste, et ce sera Michèle Delaunay qui vous représentera.
Je viens ici, au-delà de Bordeaux et de la Gironde, lancer un double appel à tous les Français qui se sont exprimés -et de quelle façon- au second tour de l'élection présidentielle, qui ont espéré, qui ont cru en la victoire de Ségolène Royal : il faut de nouveau venir voter aux élections législatives des 10 et 17 juin ; il faut que la mobilisation soit forte. Je sais que nous avons pu éprouver de la déception, de la colère, de la frustration parce que nous méritions sûrement d'accéder à la Présidence de la République. Nous avons été fiers dans cette campagne d'être ainsi partie prenante, mobilisés autour de Ségolène Royal. Mais, en même temps, nous ne referons pas l'élection présidentielle dans les élections législatives. Ce n'est pas le troisième tour. L'enjeu est différent. Nous avons un nouveau Président de la République. Nous avons maintenant à élire une Assemblée nationale et, dans nos institutions, c'est la majorité à l'Assemblée nationale qui détermine et forme la politique de la France. Donc, selon nos votes dans les 577 circonscriptions, selon le nombre de députés de gauche ou de droite, nous aurons une politique de gauche ou une politique de droite. Nous ne voulons pas empiéter sur les responsabilités du Chef de l'Etat ; nous les respectons. Nous sommes soucieux de la légitimité qui sort du suffrage ; mais, en même temps, un autre vote vient : il faudra le respecter.
L'enjeu de ces élections, c'est aussi de juger une majorité sortante. On finirait par l'oublier : depuis 2002, c'est bien la droite qui est au pouvoir. Elle nous ferait croire que Nicolas Sarkozy est une alternance ! C'est un changement ! NON. Changement de personnage, sans doute, de style, sûrement, de méthode, peut-être. Mais, c'est la même politique, d'une autre façon, qui va maintenant être appliquée si nous ne lui faisons pas barrage. Il faut donc d'abord juger, à travers les élections législatives, ceux qui ont dirigé le pays -et notamment ceux qui ont voté les lois et qui sont majoritaires depuis 2002. Le bilan de l'équipe sortante, de la majorité sortante doit être aussi jugé. Ce serait tout de même trop simple que ces députés sortants, ici en Gironde ou ailleurs, viennent nous dire qu'ils vont inventer une nouvelle politique, alors même qu'ils ont pendant 5 ans -François Fillon en étant d'ailleurs l'un des maîtres d'oeuvre- fait voter des lois sur les retraites, sur l'assurance maladie, sur le droit du travail, sur le dialogue social ou plus exactement le non dialogue. Ils les ont fait voter ces lois et nous pouvons les juger aujourd'hui !
Le bilan, c'est aussi des chiffres : la croissance ? Elle est l'une des plus faibles d'Europe depuis 2002 ! Le chômage ? Il est l'un des plus élevés de la zone euro depuis 2002 et il ne baisse que dans les statistiques, et encore quand on ne les manipule pas ou quand on ne les renvoie pas à après les élections ! Le déficit public ? C'est l'un des plus élevés d'Europe ! Celui de la Sécurité Sociale ? Il représente 90 milliards cumulés depuis 2002 ! Le déficit commercial ? C'est un record dans notre histoire : 30 milliards d'euros -jamais les exportations n'ont été aussi fragiles et les importations si élevées ! Et que dire du pouvoir d'achat en berne depuis 2002 ! Dois-je ajouter les questions de sécurité qui n'ont pas été réglées, les violences urbaines qui apparaissent à chaque crispation de notre vie publique... Voilà le bilan dont cette majorité doit rendre compte.
Plutôt que de cela, ils veulent comme occulter la période des cinq années qui viennent de s'écouler. C'est François Fillon qui dit que, finalement, Jacques Chirac n'a rien fait pendant son mandat, sauf les réformes de F. Fillon. C'est tout de même un peu injuste pour J. Chirac, convenons-en. Même si je ne suis pas là pour le défendre ! Ils ne peuvent pas dire qu'ils représentent une rupture, puisque ce sont les mêmes qui sont au gouvernement ; ce sont les mêmes candidats qui sont souvent sortants dans les circonscriptions qui se présentent au suffrage.
Il faut donc être clair, il faut être cohérent. D'abord pour ceux qui ont voté Ségolène Royal à l'élection présidentielle : il faut venir voter pour les candidates et les candidats socialistes aux élections législatives. Et même celles et ceux qui n'ont pas voté Ségolène Royal au second tour, nous devons leur donner des raisons, circonscription par circonscription, parce que c'est notre rôle, de faire confiance aux députés de gauche.
L'enjeu est grave, l'enjeu est important pour notre pays. Il faut prendre les élections au niveau qui convient. Tout est fait, en ce moment, pour décourager le vote, tout est fait pour déconsidérer l'enjeu en nous expliquant que, finalement, il faut faire comme pour l'élection présidentielle. Tout est fait pour dévaluer l'adversaire : la gauche a perdu l'élection présidentielle, la gauche perdra donc les élections législatives ! C'est normal. NON ! Nous ne sommes pas d'accord avec ce plan. Nous considérons que nous avons le respect du suffrage, qu'il y a là un enjeu qui est celui de l'avenir de notre pays et que nous avons, de nouveau, à proposer des orientations qui peuvent donner de l'espoir, du sens, de la création de richesses parce qu'il faut de la croissance si l'on veut la répartir. Il faut de l'emploi car il ne s'agit pas de travailler plus, mais de travailler tous. Il faut des entreprises performantes, capables d'exporter, capable aussi d'embaucher. Il faut une fiscalité qui soit incitative pour celles et ceux qui préparent l'avenir et en même temps plus juste par rapport à celles et ceux qui vivent de la rente.
Voilà pourquoi, nous devons dans cette campagne faire valoir nos idées, nos réflexions, nos propositions. On prétend que nous n'avons pas d'idées à donner. Nous leur dirons autant de fois qu'il est nécessaire que lorsque des Français sont convoqués à une élection, ils sont libres de déterminer leur avenir. C'est à nous de leur donner l'horizon, le sens, la perspective.
Je veux aussi mettre nos compatriotes en garde. Ils ne sont pas obligés d'attendre 2012. Il y a là le dernier rendez-vous électoral avant 2012. Je le dis à tous ceux qui sont tentés par le découragement, la résignation ou par le fatalisme. Puisque « 5 ans, c'est long ! », ils ont donc l'occasion, là, dans trois semaines, dès le premier tour, de pouvoir corriger, de pouvoir influencer, de pouvoir voter avant qu'il ne soit trop tard. C'est le dernier rendez-vous démocratique avant cinq ans. Il est vrai qu'après ce rendez-vous, même s'il y aura les élections municipales, cantonales et plus tard régionales et européennes, il n'y aura pas de rendez-vous national avant 2012. Il faut le dire à tous ceux qui s'interrogent sur le temps que cela va prendre d'avoir la droite au pouvoir. Ils peuvent dès maintenant empêcher la droite d'avoir tous les pouvoirs dans notre pays. Voilà l'enjeu.
Nous sommes à un moment crucial de notre République où le pouvoir en place veut tous les pouvoirs. Nous sommes sans doute dans une forme dévoyée de la présidentialisation du régime. Jamais un homme n'a revendiqué autant de pouvoirs que Nicolas Sarkozy. Il ne veut pas simplement être Président. Il veut tout. Il a d'ailleurs choisi un Premier ministre qui lui permet aussi d'être Premier ministre. Mais, il veut aussi être Ministre, Ministre de tout, régenté tout, s'occuper de tout. Et il a une conception qui est un exercice plus que jamais solitaire, clanique du pouvoir, sans contrepartie, sans contre-pouvoir. Rien ne doit lui résister. Il doit décider de tout : de la nomination du dernier sous-préfet ou du premier ambassadeur... Tout doit lui revenir. Et, c'est comme cela qu'il a conçu y compris « l'Etat UMP » : pas besoin d'un président de l'UMP après lui, il sera aussi président de l'UMP.
Il ne veut pas simplement exercer ses activités de Président de la République -il en a la légitimité. Il considère qu'il n'y a plus de domaines réservés ; il y a des domaines exclusifs pour lui. Pas de domaines partagés, tout lui revient. Il veut bien sûr avoir la maîtrise du Sénat -c'est fait et depuis longtemps-, du Conseil constitutionnel -il lui est acquis-, le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel chargé du pluralisme n'a pas de composition pluraliste lui-même ; Nicolas Sarkozy est capable de nommer à tous les emplois civils et militaires. Mais, ce n'est pas suffisant. Il veut aussi pouvoir nommer dans les groupements de presse et il envoie son chef de cabinet s'occuper de TF1. Mais ceci ne constitue pas en soi un changement ! Peut-être ! Mais il veut s'en assurer. Et que dire des pressions qui s'exercent dans d'autres groupes. Tout simplement parce que, pour eux, il existe une confusion des genres : le pouvoir politique, le pouvoir économique, le pouvoir financier, le pouvoir médiatique... Tout est confondu, tout revient vers les mêmes. On ne sait pas d'ailleurs qui tient qui, si ce sont les puissances d'argent qui tiennent ceux qui, aujourd'hui, dirigent ou si c'est le Président de la République qui essaye de contrôler ces puissances. Ce que l'on sait, cependant, c'est qu'ils portent, les uns les autres, les mêmes intérêts.
Il leur faudrait maintenant une Assemblée nationale à leur dévotion ! Ils y mettent d'ailleurs tous les moyens. D'abord parce qu'ils considèrent que le pouvoir est leur propriété. Le pouvoir est à eux. La gauche n'y vient que par effraction, presque par inadvertance, mais jamais par légitimité. Le pouvoir, pour eux, est à droite, toujours à droite. Il est donc leur propriété.
Il faut aussi qu'ils aient des instances qui soient dans le pouvoir. Le siège de campagne de l'UMP est désormais à Matignon : hier François Fillon tenait meeting dans les jardins de Matignon entouré des candidats de l'UMP. Il paraîtrait même que ce serait à l'Elysée que se situerait le siège de l'UMP... C'est possible. Et que Nicolas Sarkozy va même, pour ces élections législatives tenir meeting. Pour être bien sûr qu'il aura ce qu'il attend du suffrage, c'est-à-dire une majorité à sa dévotion, à sa main, une majorité soumise.
Voilà donc l'enjeu pour ce pouvoir : tout s'achète, tout se prend, tout est marchand. Les étiquettes politiques, cela s'arrache ! Les itinéraires, cela s'oublie ! Les réseaux, cela se prend ! Les amitiés, cela se capte ! Les consciences, cela s'achète ! C'est comme cela qu'ils ont constitué leur gouvernement, non pas un gouvernement d'ouverture, mais un gouvernement d'aventures individuelles ! L'objectif d'aujourd'hui, chacun doit le comprendre, est que Nicolas Sarkozy veut voir les mains libres, disposer de l'ensemble des leviers, dominer, soumettre, revendiquer légalement les pleins pouvoirs. Il y a donc danger pour l'équilibre de la République, pour le pluralisme des idées et même pour la cohésion sociale et nationale.
C'est donc le sens de notre campagne pour les élections législatives. C'est le premier enjeu : la France a besoin, à l'Assemblée nationale, de toutes ses forces, de toutes ses familles, de toutes ses sensibilités. Et la France a besoin de la gauche à l'Assemblée nationale. Majoritaire, si elle le peut ; dans l'opposition, si elle le doit. Mais, la gauche doit être forte à l'Assemblée nationale, non pas pour elle-même, mais pour agir et pour protéger les Français.
Nous sommes entrés, depuis le 6 mai 2007, dans une période un peu particulière, tout entière fondée sur la communication, voire même sur un plan de communication :
Le premier stade de ce plan est de rassurer avant les élections législatives. Nicolas Sarkozy nous dit donc, une nouvelle fois, qu'il a changé. Il l'avait dit au début de la campagne. Nous avions des doutes. Nous avions raison. Ensuite, il était le candidat de la droite décomplexée, celle qui voulait la rupture, celle qui voulait en terminer avec l'esprit de 1968 et peut-être même plus loin encore, celle qui revendiquait tous les suffrages, et même ceux venant de l'extrême droite -d'ailleurs ils sont venus.
Maintenant, devenu Président de la République, il nous dit encore, avant les élections législatives, qu'il a changé. Il n'est plus aussi de droite et il commencerait même à avoir quelques complexes... Ce qui, pour le connaître, me paraît exagéré. Il nous fait assaut de civilité, de rassemblement, d'amabilité ; il vient même se poser en gardien de nos mémoires et Guy Moquet -belle et tragique figure du communisme- arrive là comme référence à un gouvernement et un Président de la République qui n'ont jamais été aussi conservateurs depuis la Libération !
Et il s'agit aussi de montrer qu'il n'est pas celui que l'on a prétendu qu'il était... et qu'il disait lui-même être ! En effet, nous n'avons rien caricaturé ; nous n'avons pas inventé le « Ministère de l'Identité nationale et de l'Immigration », il est en place. Nous n'avons pas affirmé qu'il était le tenant d'une droite qui s'assumait comme telle... C'est lui qui le disait. C'est d'ailleurs toujours le cas.
Le deuxième stade de ce plan est de, après vouloir rassurer, humaniser avant les élections législatives. Il est humain. Il va manger dans les cantines ; il va même visiter un hôpital ; il rassemble des associations écologistes à l'Elysée, associations qu'il n'avait d'ailleurs jamais rencontré jusque-là, accompagné du candidat concurrent de Michèle Delaunay (c'est ainsi qu'il faut le nommer aujourd'hui).
Cette stratégie vise tout simplement à dire aux Français qu'il n'y aurait pas de risque, qu'il n'y aurait pas de danger, que tout ce ferait finalement sans rupture, sans casse, sans brutalité et qu'il faudrait avoir confiance. Mais, c'est après que tout va se produire.
Le troisième stade est de maquiller, en annonçant des intentions belles et bonnes : par exemple le travail. Mais qui peut être contre le travail ?! L'hôpital, mais qui peut être contre l'hôpital ?! L'effort, la récompense de l'effort, mais nous sommes tous favorables à cette récompense du mérite. Mais, il ne s'agit que de donner des intentions. On annonce un paquet fiscal pour l'été, sans nous en dire exactement la teneur, même si on sait déjà que c'est un bon paquet pour quelques-uns et assez lourd pour ceux qui le paieront, c'est-à-dire pour le plus grand nombre. On nous parle de réforme de l'université en juillet, sans nous dire exactement laquelle. On nous dit qu'il y aura le service minimum, sans nous dire que cela pourrait tout simplement remettre en cause le droit de grève. On nous dit que l'on va faire un contrat unique de travail, sans nous dire que ce sera sans doute la généralisation du CNE ou du CPE.
Quand on se trouve donc devant cette stratégie qui vise à adoucir, à humaniser, à maquiller, il est de notre devoir d'alerter les Français et de leur dire que ce qui est, là, en cause, c'est une préparation de décisions qui viendront après les élections législatives. Ils ne perdront pas de temps. Le rôle dans la préparation de cette campagne pour les élections législatives est de dire la vérité aux Français. Attention, le risque est là et il porte à la fois sur le pacte social sur lequel notre société est fondée et sur le pacte républicain.
Face à cette menace, face à cet enjeu, le Parti socialiste est la seule force en présence, la seule force qui peut à la fois en capacité d'agir et en capacité de protéger.
Je sais que beaucoup de nos concitoyens ont été déçus le 6 mai dernier, tant l'espoir fut grand. Je sais que beaucoup ont été désarçonnés par des comportements individuels, venus parfois de nos rangs. Je sais que beaucoup ont été irrités par le retour de débats qui n'avaient pas lieu d'être en cette période, mais qui auront leur place après les élections législatives. Je sais aussi que les électeurs de gauche sont inquiets et qu'ils nous demandent d'être au rendez-vous.
Nous y serons si vous le voulez bien, si vous vous engagez, si vous vous mobilisez dans cette campagne. Nous avons un devoir qui dépasse même notre engagement. C'est trop important pour le pays, trop grave que d'avoir un pouvoir qui voudrait tout démanteler, tout destructurer, tout déconstruire dans le pacte social, dans le pacte républicain. On nous dira que c'est pour la compétitivité des entreprises, la belle affaire ! On nous dira que c'est pour les performances de l'économie française, où en est-elle ! On nous dira que c'est pour la mobilité, la flexibilité, et on découvrira que c'est une société de précarité que l'on nous prépare à vivre.
C'est ce destin-là qu'il nous faut refuser. C'est cette fatalité-là qu'il faut par ce vote récuser. Et c'est l'espoir d'une autre société, celle dont nous sommes porteurs, qu'il faut maintenant qu'il est possible de construire.
C'est à nous de donner du sens, de l'utilité du vote. C'est ce qu'il nous faut faire tout au long de ces trois semaines : montrer à chacun qu'il est non seulement nécessaire, mais utile de voter. Non pas voter pour nous pour nous permettre de continuer notre combat. Les Français nous regardent, mais peuvent douter de nos intentions.
Il faut dire aux Français que par le vote socialiste, ce sont eux qui peuvent se protéger et agir.
Car, c'est un choix de politiques qui va se décider au moment des élections législatives. Deux conceptions de la sortie de crise, celle que nous traversons depuis trop longtemps : la sortie individuelle que proposent Nicolas Sarkozy et l'équipe Fillon qui consiste, pour l'Etat, non plus à jouer son rôle de régulateur, mais à laisser chacun libre de décider de sa vie. C'est le ressort de l'individualisme qui est, dans cette conception, le fondement même de la politique. C'est de dire à chacun qu'on les laisse libre de se débrouiller tout seul. De devenir propriétaires s'ils le peuvent de leur logement, de travailler plus pour avoir davantage de pouvoir d'achat, de souscrire à des assurances personnelles pour garantir leur protection sociale, de choisir leur école pour assurer l'avenir de leurs enfants, d'aller dans les universités y compris privées s'ils veulent qu'ils aient un diplôme... Voilà ! Il leur faut oublier les autres, ils ne comptent plus. Ce qui compte, c'est eux. Le rôle de l'Etat, dans cette perspective, c'est de donner à ceux qui ont déjà beaucoup les moyens de réussir leur vie. Et les autres ?
Nous devons proposer une sortie collective qui n'empêche pas, bien sûr, la réussite personnelle ; elle doit, bien au contraire, en assurer l'épanouissement ; qui n'empêche pas la récompense du mérite, parce que c'est le fondement d'une société organisée ; qui pose des droits, mais qui impose des devoirs. Cette société doit faire en sorte que la réussite de chacun ne se fasse pas au détriment de la réussite de tous. La réussite de chacun doit s'ajouter à la réussite d'autres pour faire le destin commun.
Voilà le sens de l'action politique que nous devons proposer. Non pas je ne sais quelle forme de redistribution générale oubliant la production ; non pas je ne sais quel égalitarisme, mais la capacité que nous avons à proposer une école de l'excellence, une protection sociale fondée sur la responsabilité mais aussi l'égalité de tous, une conception du travail où nous sommes -les uns les autres- en capacité d'en retrouver un quand on l'a perdu.
Il faut donc montrer les oppositions entre ces deux projets :
Sur le travail : Les heures supplémentaires doivent être, pour la droite, la seule façon de pouvoir disposer d'un pouvoir d'achat supplémentaire. Il n'y aurait donc, face à une reprise de la production, qu'à donner des heures supplémentaires... tant pis pour ceux qui attendent un emploi, tant pis pour les chômeurs, tant pis pour les jeunes, tant pis pour les temps partiels... Ils n'ont qu'à travailler plus.
Mais si l'on détaxe des charges les heures supplémentaires, c'est en quelque sorte reconnaître la légalité du « travail au noir ». En définitive, il y aurait du travail qui serait fait par des salariés en dispense de toute charge, de toute cotisation, de tout impôt. Comment le « travail normal » peut-il donc trouver sa place ? Quelle société prépare-t-on si l'on instaure la concurrence entre ceux qui ont un travail et ceux qui n'en ont pas ?
Le grand enjeu donc n'est pas d'empêcher les uns et les autres de travailler davantage, mais de permettre à tous ceux qui aspirent à travailler de pouvoir entrer sur le marché du travail et dans l'entreprise.
Voilà pourquoi le travail pour tous est, pour nous, la perspective.
On nous parle de Contrat de travail unique, forme générale du CNE. Qu'avons-nous à opposer à cela ? Nous opposons une conception de la sécurité sociale professionnelle où il est possible effectivement de perdre à un moment son emploi mais, à tout instant, avec un accompagnement individuel, une formation, un reclassement et le retour vers l'emploi. C'est-à-dire un service public de l'emploi qui joue pleinement son rôle.
De la même manière, nous devons faire en sorte que les cotisations sociales soient plus faibles pour les salariés nouvellement embauchés que pour précisément celles et ceux qui recourent aux heures supplémentaires.
Sur la santé : la proposition de la droite est claire, c'est la « franchise » santé. Au début, d'ailleurs, personne n'avait bien compris ce que représentait cette question de la franchise. Maintenant, cela s'éclaircit. Et d'ailleurs, méfiez-vous en, car cette francise n'est pas sincère. Martin Hirsch a fini d'ailleurs, lui-même, par en découvrir le sens. La « franchise santé », c'est tout simplement que des familles ne pourront plus bénéficier d'une couverture par la Sécurité sociale sur les premiers soins. Comme aujourd'hui, les dépenses de santé progressent rapidement -le Premier ministre en a d'ailleurs fait l'aveu et le constat-, cela veut dire que dans les prochains jours, une procédure d'alerte va être déclenchée et la franchise (ou les franchises) va être instaurée. Cela aboutira à des déremboursements généralisés pas pour les catégories les plus pauvres qui peuvent bénéficier de la couverture maladie universelle, mais pour l'ensemble des Français.
Qu'opposons-nous à cette politique de santé qui aboutit à renvoyer les assurés sociaux vers les couvertures individuelles ? Nous prônons une politique de prévention, une politique de coordination des professionnels de santé et une priorité à l'hôpital public. Tout l'enjeu des prochaines années est de savoir qui pourra accéder aux soins et qui ne le pourra plus. Nous sommes déjà dans une société où la médecine est à plusieurs vitesses, où pour les plus modestes -et pas simplement pour les plus modestes- il faut attendre plusieurs mois pour accéder à un spécialiste.
Sur le logement : Pour la droite, c'est simple. Pour avoir un logement, il faut l'acheter. Et l'on nous aidera à l'acheter par la déductibilité des intérêts de votre impôt sur le revenu. Pour tous ceux qui n'ont pas la « chance » de payer l'impôt sur le revenu, c'est une solution introuvable. Et, pour les autres, est-il si simple d'accéder à l'emprunt ? Est-ce si facile quand on n'a pas de revenu stable d'acquérir un logement ? La réponse de la droite est là encore simple : il suffit d'attendre l'héritage des parents ou des grands-parents en franchise d'impôt bien sûr ! Pour devenir propriétaire, maintenant, il faut être riche ou bien portant ou avoir déjà un patrimoine et un revenu élevé.
Nous devons opposer une autre politique qui ne consiste pas uniquement à élever le nombre de logements sociaux (120 000 par an), mais qui est aussi de faire un plan d'accession à la propriété pour tous, et notamment par des prêts à taux zéro.
Sur l'Education : aujourd'hui même, Xavier Darcos annonçait la quasi-suppression de la carte scolaire. Nous disons, face à ce projet, qu'il faut redessiner, redécouper, revoir la carte scolaire, certes, qu'il faut permettre le libre choix de l'établissement dans un périmètre donné, mais aussi la mixité sociale. Il faut aussi une politique d'éducation qui fasse l'accompagnement scolaire gratuit, la pré scolarisation au plus tôt, à deux ans, et faire en sorte d'avoir un véritable plan pour les universités. Quant à la réforme des universités dont on veut nous parler aujourd'hui, il consiste à permettre à chaque université d'avoir des diplômes qui ne seraient plus des diplômes nationaux. Ce serait la fin de l'égalité sur le territoire dans l'accès aux qualifications.
Deux modèles d'éducation différents, deux modèles de santé différents, deux modèles de travail différents, deux modèles d'équité fiscale.
Que nous propose-t-on d'ailleurs ? Le bouclier fiscal à 50 %, c'est-à-dire la suppression de l'impôt sur la fortune, l'abandon de toute fiscalité sur les successions, aujourd'hui exonérée pour 75 % des successions dans notre pays, elle serait portée à 95 % -en clair pour ceux qui ont les plus gros patrimoines !
Et, comme il faudra payer tout cela et le reste, on augmentera la TVA. Ils l'ont déjà trouvée : La TVA SOCIALE. Sociale, oui, puisque tout le monde l'a paiera ! Voilà le sens pour eux de l'équité fiscale.
Face à ce modèle-là, nous devons proposer un modèle qui n'est pas l'augmentation des prélèvements obligatoires car l'impôt doit être juste mais maîtrisé, et qu'il doit financer d'abord des services collectifs. Notre rôle est donc de proposer une réforme fiscale.
Vous avez donc là le choix entre deux politiques. Tout domaine relève du Parlement : le vote d'une loi de finance, les politiques de logement, les politiques d'éducation, la santé publique et même le droit du travail. Voilà le sens qu'il faut donner à notre campagne.
CONCLUSION
Dans ce moment, la droite est animée d'un esprit de revanche. On le voit bien. Elle a attendu cet instant où elle pense que tout est permis. En 2002, dans une certaine mesure, Jacques Chirac avait gagné, surtout parce qu'il était contre l'extrême droite. Il avait donc gagné parce que nous avions même voté pour lui pour écarter l'extrême droite. Ce n'était donc pas une victoire qui leur permettait d'aller aussi loin qu'ils l'auraient voulu dans leurs intentions.
En 1995, Jacques Chirac avait gagné, mais aussi contre Balladur (il le trouvait d'ailleurs à l'époque plus à droite que lui). C'était une victoire qui s'était faite entre la droite et la droite, même si Lionel Jospin avait figuré au second tour et de belle manière. Il ne pouvait pourtant pas faire, au lendemain de cette victoire, faire la politique qu'il avait combattue (et déjà soutenue par Nicolas Sarkozy). Il n'a pas su très bien comment faire, il a nommé Alain Juppé et la dissolution est intervenue deux ans après. Je ne sais d'ailleurs si le retour d'Alain Juppé au gouvernement nous annonce, pour dans deux ans, une nouvelle dissolution de l'Assemblée nationale, mais comme il y a des élections législatives, inutile d'attendre une hypothétique dissolution dans deux ans, votons tout de suite pour les candidats de gauche.
Ce qu'ils n'ont pas pu faire en 1995, ce qu'ils n'ont pas osé faire en 2002, en 2007 ils se sentent mandatés par le suffrage pour le réaliser. Ils pensent donc que le moment est enfin venu de prendre la revanche sur la gauche, sur François Mitterrand qui était venu en 1981 occuper un pouvoir qui n'était de fait pas prévu pour lui. Prendre aussi la revanche sur la politique de Lionel Jospin, venu après une dissolution manquée. Il ne s'agit d'ailleurs pas pour eux de prendre la revanche uniquement sur la politique de F. Mitterrand ou de L. Jospin, mais d'aller encore plus loin : prendre la revanche sur Mai 68, prendre la revanche sur le programme du Conseil national de la Résistance et plus loin encore si c'est nécessaire ! Ils remonteront le temps parce qu'ils veulent en terminer avec le modèle français, en terminer avec le pacte, le modèle social tant il est pour eux devenu insupportable ce surplus de syndicats, d'Etat, de lois, de gauche. Parce qu'ils veulent aussi régler le compte de la gauche.
Il suffit de regarder la manière dont ils en parlent. Nous aurions, paraît-il, perdu la bataille idéologique, comme si la droite l'avait gagnée, comme si le pays -qui a voté majoritairement pour Nicolas Sarkozy- était devenu pour autant libéral. Ils se trompent. C'est plus complexe. Pour une part, il aspire à l'ordre ; il est d'ailleurs quelques fois capté par la droite à tort et attire des catégories électorales qui ne devraient pas voter à droite et qui pourtant le font. Le pays sans doute a été abusé par un discours ; cela peut arriver. Mais, pour autant, la France telle qu'elle est aujourd'hui n'est pas devenue libérale, soumise au modèle anglo-saxon, américaine. Nicolas Sarkozy se trompe. Il croit que la société est devenue comme les autres, banale, perdant son exception ; il croit que l'on peut faire n'importe quoi en France comme si nous étions dans une société de l'argent. Je ne le crois pas. Il y a des règles, des principes ; il y a des forces en France qui permettent d'avoir une société, ce que nous sommes, soucieuse de l'égalité, des libertés et aussi de la laïcité.
Si nous voulons éviter, et je le veux pour mon pays, les confrontations, les conflits, une forme de révolte qui peut toujours surgir ; si nous voulons éviter les tumultes, du désordre, une mobilisation pas toujours heureuse, c'est maintenant qu'il faut voter.
Tous ceux qui nous disent qu'après tout, rien n'est si grave ; nous passerons cette épreuve électorale puis nous ferons de grandes manifestations s'ils touchent à nos droits fondamentaux se trompent. Il vaut mieux d'abord voter que de manifester. Il sera bien temps de le faire ensuite.
Face à cet esprit de revanche, la gauche doit être animée de l'esprit de responsabilité. Nous devons être utiles à nos concitoyens. La France, en ce moment, a besoin de la gauche, a besoin d'équilibre, de garanties, de mouvement -celui que nous représentons-, a besoin d'imagination, a besoin d'innovation, d'esprit de conquête -celui que nous portons également.
Nous ne sommes pas là simplement pour résister, pour empêcher, pour contester. Nous devons être, dans cette future assemblée, une gauche qui sans doute protège, mais qui propose. Nous devons être les garants de la cohésion.
Nous avons promu dans la campagne une conception de la justice et de l'ordre ; une conception aussi de la société capable de créer des richesses, mais aussi d'être en situation de mieux les répartir, de poser des droits et des devoirs et de faire en sorte que nos mécanismes de distribution aillent bien là où ils sont espérés et attendus.
Si nous sommes conscients de nos responsabilités, nous sommes devant un défi. Il n'est pas mince car il peut y avoir un sentiment d'abandon, de doute par rapport à l'avenir.
Si nous voulons relever le défi, nous devons y aller franchement. Il faut le faire avec fierté. Il ne faut pas aller dans cette élection avec le seul souci de garder, de conserver. Il faut le faire avec esprit de conquête. Soyez fiers d'être de gauche, d'être socialistes dans cette France d'aujourd'hui. 17 millions de nos concitoyens ont donné le même message que nous. Beaucoup doutent de ce que peut faire Nicolas Sarkozy ; beaucoup savent ce qu'il est capable de faire et pas dans le meilleur des sens.
Nous devons donc relever ce défi. Pas pour nous-mêmes, mais pour la France. Nous sommes la seule force capable d'offrir une solution aux Français. Il sera bien temps de refonder ensemble la gauche après les élections législatives, de rénover autant qu'il sera possible le Parti socialiste, d'attirer de nouveaux citoyens à venir vers nous pour prendre leur part du redressement espéré. Il faudra renouveler autant qu'il est possible tout en gardant ce qui fait les références, les principes de notre action. Se moderniser autant qu'il le faudra, rester fidèles à nous-mêmes en même temps, fiers de notre histoire.
Je me consacrerai pleinement, avec vous, jusqu'au dernier moment à la préparation des élections législatives parce que c'est à partir de ces élections, de ce socle que nous donnerons les Françaix, que nous pourrons construire.
Je construirai avec vous la gauche de demain. Mais, aujourd'hui, il faut bâtir avec les Français non pas des murs pour résister, mais des murs d'espérance, des murs qui nous placerons haut les uns et les autres. Et, plus nous serons haut, plus à l'Assemblée nationale il y aura des députés de gauche et plus la France sera équilibrée, représentée.
Faites en sorte de partir dans cette campagne avec courage -sans doute, avec conviction -vous l'avez, mais avec ambition. Tout est possible avant un scrutin. Rien ne peut nous être interdit à condition d'avoir confiance en nous et de servir les Français.
Je sais qu'à Bordeaux, vous avez confiance en vous et que vous voulez servir les Français.