Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF-Mouvement Démocrate, à RTL le 30 mai 2007, sur son combat pour les élections législatives et sa critique de la politique gouvernemenale en matière de dette publique.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

C. Hondelatte : Notre invité aussi a eu un petit peu de mal à reconnaître la défaite dans l'entre deux tours.
 
 
J.-M. Aphatie.- Il s'agit de F. Bayrou, président du MoDem, qui a dit ceci il y a deux jours : "La traversée du désert, je croyais l'avoir déjà faite, je n'imaginais pas qu'après le désert il y avait encore le désert"... Bonjour, F. Bayrou. Vous êtes avec nous à Pau d'où vous menez votre campagne des élections législatives. Le président de la République, lui, hier soir, était au Havre où il animait un meeting. Etes-vous choqué par cette intervention de N. Sarkozy dans la campagne des élections législatives ?
 
R.- Non, "choqué" est un mot fort. Pour moi, je pense que le président de la République devrait être pour les Français un signe de rassemblement et non pas un signe d'opposition d'un camp contre l'autre. Je pense que le président de la République devrait être, pour tous les Français, quelles que soient leur opinion, un recours ; en tout cas, quelqu'un dont ils puissent considérer qu'ils peuvent faire appel à lui. N. Sarkozy a choisi une autre attitude qui est l'attitude d'un chef de camp à la recherche d'une victoire électorale. Je ne pense pas qu'il avait besoin de cela pour obtenir la victoire électorale ; mais bon, c'est son choix.
 
Q.- Il a dit, hier soir, qu'il tiendrait ses promesses, et notamment sur ces fameux intérêts déductibles des emprunts. Tous les emprunts seront concernés. C'est bien de tenir ses promesses, F. Bayrou ?
 
R.- C'est bien de tenir ses promesses. Il se rapproche de la promesse qui était la sienne, parce qu'il ne faut pas oublier non plus que sera plafonné le montant de ces déductions. Il avait évoqué une déduction complète, et puis là, ce sera, vous savez bien, 20% des intérêts des emprunts. Mais disons que c'est en tout cas plus proche de sa promesse que ce qui avait été annoncé, il y a quelques jours, par le ministre E. Woerth qui avait dit que ce serait seulement les emprunts à partir du 6 mai. Et donc, de ce point de vue, c'est bien. Sur le fond, est-ce que cette mesure est une bonne mesure ? J'ai entendu sur votre antenne, aux alentours de 7 heures, un expert que vous aviez invité et qui indiquait ce que tout le monde sait dans le monde du logement : c'est une mesure qui va faire monter encore les prix du logement. Alors, disons que c'est bien de tenir ses promesses, et espérons qu'elles seront bien inspirées.
 
Q.- C'est bien d'écouter RTL, F. Bayrou !
 
R.- Je le fais avec soin.
 
Q.- C'est dur pour vous, ces jours-ci ?
 
R.- Je ne dis pas ça comme cela. C'est un combat et c'est un combat qui n'est pas facile parce que vous le savez, la loi électorale est une loi absolument injuste, qui est une loi de représentation des majorités et non pas une loi de représentation équitable des Français. Or, c'est bien d'une loi de représentation équitable des Français dont on aurait besoin pour que les débats aient lieu à l'Assemblée nationale, pour qu'on puisse au nom des Français réfléchir aux conséquences des décisions qui vont être prises. Il y en a plusieurs qui sont évoquées, vous le savez bien : les franchises en matière de Sécurité sociale, ces sommes qui ne seront ni remboursées, ni remboursables et qui vont évidemment créer un obstacle entre les Français les moins favorisés, ceux qui ont des situations les plus difficiles et la santé. Et puis, la carte scolaire, dont on sait bien qu'elle risque de provoquer comme conséquences d'avoir des établissements de premier choix, puis des établissements de deuxième et de troisième choix ; ce qui n'est vraiment pas ce qu'on espérait pour l'Education nationale.
 
Q.- Selon vos prévisions, le MoDem pourrait avoir combien de députés à l'issue de ces élections législatives ?
 
R.- Ah, je n'en ai aucune idée. Je ferai pas de pronostics chiffrés. Vous savez que c'est une très difficile élection. L'UDF et le Mouvement Démocrate présentent des candidats dans la plupart des circonscriptions françaises mais vous le savez bien, c'est un mode de scrutin qui est fait pour laminer ce qui n'est pas les deux grands partis. Or, on a besoin de pluralisme.
 
Q.- On dit qu'il pourrait y avoir un, deux, trois députés du MoDem ?
 
R.- Ecoutez, ne faites pas vous-même les élections avant qu'elles n'aient lieu ! Et surtout cela mérite qu'on laisse aux Français le choix. Mais je vais prendre un exemple pour montrer qu'il y a des positions qui ne seront défendues que par nous, ce mouvement du centre. Vous savez que le Gouvernement a annoncé - ce qui est une stupéfaction pour moi, je dois vous le dire -, le Gouvernement a annoncé qu'il allait mettre entre parenthèses la lutte contre le déficit et la dette.
 
Q.- Une pause dans la baisse des déficits.
 
R.- C'est de la mise entre parenthèses. Et cette mise entre parenthèses, évidemment, elle est nuisible, me semble-t-il, avec certitude, aux intérêts de la France. Et plus encore, cette mise entre parenthèses, elle ne sera évidemment discutée par personne puisque c'est la doctrine classique du Parti socialiste que la dette et le déficit sont moins importants pour un pays. Eh bien, nous, nous pensons, au contraire, qu'il faut qu'il y ait à l'Assemblée nationale des élus capables de monter à la tribune, de regarder le Gouvernement dans les yeux, de ne pas être intimidé et de dire : Voilà, des décisions que vous êtes en train de prendre sont des décisions qui vont fragiliser l'avenir national. Ce débat-là, il ne peut pas se faire s'il n'y a que deux formations politiques à l'Assemblée nationale. On a besoin de pluralisme. C'est ce pluralisme que nous portons.
 
Q.- Hier, c'est le nouveau centre que dirige H. Morin, le nouveau ministre de la Défense, qui s'est lancé. Est-ce que vous craignez cette concurrence, F. Bayrou ?
 
R.- (rires ... )
 
Q.- Ca vous fait rire ?
 
R.- Il y a dans cette appellation, comment dirais-je, deux abus de langage : ce n'est pas "nouveau" parce que se rallier au pouvoir alors qu'il vient d'être élu, alors qu'on le critiquait la veille en termes extrêmement virulents, c'est pas "nouveau", c'est très ancien, hélas même un peu archaïque. Et c'est pas le "centre", parce que la définition du centre, c'est qu'il est indépendant et capable de travailler avec les autres grands courants démocratiques du pays. Et donc, un centre qui n'est que d'un seul côté, ça n'est pas un centre.
 
Q.- Il y a moins d'un mois, Hervé Morin, c'était votre ami, F. Bayrou ?
 
R.- Oui.
 
Q.- C'est quoi aujourd'hui ?
 
R.- Non, je ne veux pas mettre les choses sur un plan personnel et je ne veux pas faire des remarques blessantes.
 
Q.- Vous êtes blessé ?
 
R.- J'ai, en effet, un jugement sur ce qui est arrivé mais je ne veux pas mettre la politique à ce niveau-là. Il se trouve que j'ai de la politique une idée qui fait qu'on ne la fait pas plonger, qu'au contraire, on la tire vers le haut. Et donc, vous ne me trouverez pas à faire plonger la politique.
 
Q.- On se moque beaucoup d'H. Morin ces jours-ci. Plusieurs membres de sa famille se présentent aux élections législatives : un de ses chauffeurs, sa secrétaire aussi. Et lui, pour se défendre, il dit : eh bien c'est fréquent dans les partis politiques ce genre de candidatures un petit peu pas très sérieuses. Qu'est-ce que vous en pensez ?
 
R.- Je ne sais pas dans quel parti c'est fréquent. Ce n'est pas, en tout cas, l'habitude ni la pratique dans le nôtre.
 
Q.- Et là, quand vous voyez ce qui se passe dans ce Nouveau Centre ?
 
R.- N'essayez pas de me tirer vers le bas, je n'irai pas.
 
Q.- Je n'essaie pas de vous tirer le bas ! J'essaie de vous faire commenter l'actualité, F. Bayrou.
 
R.- Voilà, je n'irai pas.
 
Q.- C'est l'actualité qui n'est pas très haute !
 
R.- Le commentaire de l'actualité... Oui, c'est vrai que l'actualité n'est pas très haute. Mais le grand enjeu de cette élection, c'est qu'il puisse y avoir à l'Assemblée nationale des députés d'un mouvement politique libre, capables...
 
Q.- Ca, vous l'avez déjà dit.
 
R.- Non, ça je ne l'ai pas dit.
 
Q.- Ah bon, d'accord !
 
R.-... capables de dire "Oui" quand les choses vont dans le bon sens, et capables de dire "Non" quand, au contraire, elles sont mal inspirées. Or, comme vous savez, l'UMP vote toujours "Oui", le Parti socialiste vote toujours "non". Eh bien, ces députés libres, c'est un besoin pour les citoyens français. C'est eux qui les défendront, les représenteront, seront leur avocat à l'Assemblée nationale.
 
Q.- Si vous avez écouté RTL, hier, vous avez appris que V. Lang avait rejoint le Mouvement des Démocrates. La fille de J. Lang, ça a dû vous faire plaisir, F. Bayrou !
 
R.- Eh bien, c'est une bonne nouvelle. Je trouve ça très bien. On voit bien que des générations nouvelles sont, en effet, en train d'aller vers un mouvement politique nouveau par dizaines de milliers, comme vous le savez. J'ai vu, hier soir, des déclarations. Cohn Bendit était dans la région parisienne et il a déclaré que "le Parti socialiste était complètement dépassé, qu'il y avait aujourd'hui des générations nouvelles qui attendaient des réponses différentes". Je suis persuadé qu'une partie de la Gauche, une partie de la Droite, du Centre et des Ecologistes ont envie de bâtir cet espace politique nouveau. Et d'ailleurs, ils le montrent tous les jours.
 
Q.- Bon, voilà. F. Bayrou dans le désert ; mais dans le désert à Pau, c'est assez vert quand même. Bonne journée.
 
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 30 mai 2007