Interview de M. Alain Juppé, ministre de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables, à BFM le 22 mai 2007, sur la réalisation d'économies d'énergie pour avoir une croissance durable et sur la production d'énergie nucléaire pour lutter contre l'effet de serre.

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Média : BFM

Texte intégral

S. Soumier.- A. Juppé est avec nous maintenant. Bonjour monsieur Juppé... La nouvelle croissance écologique et la place des entreprises, monsieur Juppé ?
 
R.- J'aime bien cette expression de « croissance écologique. » Je ne crois pas que la décroissance soit envisageable, ni pour des raisons économiques, ni pour des raisons morales, quand on voit combien la pauvreté est encore présente à travers la planète. Il faut donc que le combat pour le développement durable soit la source d'une nouvelle croissance. Regardez tous les nouveaux produits qui arrivent sur le marché, notamment dans la construction : les panneaux solaires, les panneaux photovoltaïques, les citernes de recyclage de l'eau pluviale, les puits canadiens, les nouveaux matériaux... Donc dans ce secteur en particulier, il y a bien une nouvelle forme de croissance qui est en train de se préparer.
 
Q.- Donc, pour être clair, A. Juppé, il n'est pas question de se restreindre ou de se rationner. On nous dit parfois que c'est ça aujourd'hui ?
 
R.- Attendez, il faut économiser, il faut économiser. Je crois à la croissance mais à condition de faire décroître les gaspillages et la surexploitation des ressources naturelles. Prenez l'énergie par exemple, je crois que l'une des principales solutions c'est une meilleure efficacité énergétique et des économies. Si vous isolez les maisons existantes, par exemple, vous arrivez à économiser jusqu'à 25 ou 30 % de votre consommation d'énergie. Donc il va falloir bien sûr, économiser.
 
Q.- Il va falloir économiser sans se restreindre. Est-ce que ça passe par de nouvelles taxes, A. Juppé ?
 
R.- On peut utiliser la fiscalité dans deux sens. Dans un premier sens, pour taxer ceux qui polluent, et dans un deuxième sens, pour détaxer au contraire ceux qui ont des comportements vertueux, je pense à tout ce que je disais sur les économies d'énergie. Et il faut qu'au total il n'y ait pas d'augmentation bien sûr des prélèvements obligatoires.
 
Q.- Vous comprenez que les entreprises s'inquiètent un peu, quand elles entendent « il faut taxer ceux qui polluent. » C'est-à-dire qu'elles ont l'impression aujourd'hui d'être les seules à faire des efforts pour essayer d'améliorer l'environnement et notamment l'industrie, A. Juppé ?
 
R.- Je ne le crois pas du tout, je crois que la principale source de gaz à effet de serre, les principales émissions de gaz à effet de serre, ne viennent pas de l'industrie aujourd'hui, elles viennent des transports et elles viennent de la construction précisément. Quant aux entreprises, je suis frappé de voir la révolution des mentalités qui est en train de s'opérer en leur sein. Elles ont bien conscience qu'elles ont une responsabilité en matière de développement durable. Il ne s'agit pas de les taxer de manière aveugle, nous allons discuter. Vous savez que si nous avons retenu cette expression de « Grenelle », c'est précisément parce que nous voulons négocier, négocier avec les associations, les ONG, mais négocier aussi avec les syndicats, négocier avec les entreprises, négocier avec les collectivités territoriales qui ont un rôle très important à jouer dans ce domaine, parce que ça se passe dans les villes, ça se passe dans les départements et dans les régions.
 
Q.- Mais je vais me permettre d'insister quand même sur l'industrie. Aujourd'hui, notamment, il y a des quotas qui ont été négociés à Bruxelles, par le précédent Gouvernement - quotas d'émission de CO², évidemment - qui sont vécus comme assez restrictifs par l'industrie française qui dit qu'elle doit se battre sur des marchés mondiaux face à des concurrents qui eux n'ont pas de tels quotas. Qu'est-ce que vous pouvez leur dire, A. Juppé ?
 
R.- Il y a d'abord une décision européenne : moins 20 % d'ici 2020, donc vous voyez bien que la France n'est pas seule et qu'en terme de compétitivité européenne, tout le monde est placé sur le même pied. En revanche, vous avez tout à fait raison, il y a un problème avec l'extérieur. Et vous savez que c'est une des grandes propositions de N. Sarkozy pendant sa campagne : comment corriger cette inégalité, qui fait que nous recevons sur notre sol des produits qui sont fabriqués dans des conditions qui ne prennent absolument pas en compte le développement durable. Je pense bien sûr à ce qui se passe en Chine ou ailleurs. D'où l'idée d'une taxe carbone, ce n'est pas évident à négocier, parce que beaucoup de nos partenaires ne sont pas encore dans cette disposition d'esprit, mais c'est un beau défi.
 
Q.- Oui, mais alors dites donc ! Un sacré défi quand même, on peut le dire, ce matin, sur BFM, A. Juppé. Cela paraît totalement infaisable en l'état. Il faut s'unir au niveau européen, pour ensuite aller le négocier devant l'OMC, c'est ça ?
 
R.- Il y a des choses qui paraissent infaisables, surtout quand on ne les tente pas. Je pourrais vous citer beaucoup d'exemples d'initiatives prises par la France ou par d'autres, qui au départ paraissaient infaisables et qui finalement se sont réalisées. Prenez un petit exemple qui ne porte pas sur des sommes considérables mais qui est quand même très symbolique : la taxe sur les transports aériens pour alimenter un fonds international de lutte contre le SIDA. Ça marche.
 
Q.- L'énergie justement, vous en avez dit un mot. Est-ce que le nucléaire aujourd'hui est une solution pour lutter contre les émissions de gaz à effet de serre et faut-il développer cette solution, si c'en est une ?
 
R.- C'est une des solutions, nous l'avons dit, le président de la République l'a dit, je l'ai redit. Si la France aujourd'hui est un des pays qui émet le moins de gaz à effet de serre, c'est précisément parce qu'elle a fait, il y a 20 ou 30 ans, le choix de l'énergie électronucléaire. Et ce choix il reste pertinent pour les prochaines décennies. C'est la raison pour laquelle la mise en route, la mise en chantier de l'EPR de Flamanville, qui a été décidé par le précédent Gouvernement, sera poursuivi. Et je tiens bien à insister sur ce point. Ce n'est pas la seule solution, c'est un des éléments d'une politique énergétique globale. Les deux autres volets d'une vraie politique énergétique, c'est d'abord le développement des énergies renouvelables, bien entendu, l'éolien, le solaire, l'utilisation de la biomasse etc. et pour moi, c'est presque l'essentiel - parce que c'est là, qu'il y a une marge de manoeuvre de 25 à 30 % dans nos consommations - les économies d'énergie et la recherche d'efficacité énergétique, non seulement en ce qui concerne la construction, je l'évoquais tout à l'heure, mais par exemple pour les transports. Il faut se fixer comme objectif d'ici quelques années, de ne plus avoir dans nos villes de véhicules sales, polluants. Il nous faut des véhicules propres.
 
Q.- Ce n'est pas la seule solution, A. Juppé, mais est-ce que... - je suis désolé de vouloir exiger de vous, cette précision, enfin je n'exige rien d'ailleurs, de vous demander cette précision - mais est-ce que c'est la principale solution aujourd'hui ? Aujourd'hui, vous avez des grands groupes énergétiques qui peuvent encore se poser la question de savoir s'ils doivent investir massivement dans le nucléaire, s'ils seront suivis et soutenus par les pouvoirs politiques à travers l'Europe. Vous, vous avez une partie de la réponse en France ?
 
R.- Vous avez raison de me poser la question, la réponse est tout à fait claire : oui, nous pensons que l'énergie électronucléaire reste un élément important dans notre dispositif pour les prochaines décennies. Vous connaissez aujourd'hui la part nucléaire dans la production d'électricité en France, on n'est pas loin de 78 %, si j'ai bien les chiffres en tête. On doit évoluer. Notre objectif c'est de porter les énergies renouvelables aux alentours de 20 %. Je pense qu'il y a 20 à 25 % de marges de manoeuvre dans les économies et dans l'efficacité énergétique. Donc la part du nucléaire a vocation à se réduire, ça c'est clair. Mais elle restera importante à vue d'homme.
 
Q.- J'ai une petite question politique quand même, A. Juppé...
 
R.- Volontiers.
 
Q.- Parce que vous apparaissez comme le symbole d'un changement de régime et la disparition du Premier ministre. On ne voit pas A. Juppé aller en référer au Premier ministre pour prendre des décisions importantes ? On a l'impression que vous irez directement voir N. Sarkozy, le président de la République ?
 
R.- Vous vous trompez. J'étais hier dans le bureau du Premier ministre et je lui ai rendu compte de tout ce qui s'est passé hier, nous avons eu une journée formidable. Le dialogue avec les ONG a été très franc, on n'est pas d'accord sur tout, c'est bien clair, mais on s'est parlé et elles ont considéré que c'était la première fois qu'on avait un dialogue aussi franc. L'après-midi, nous avons vu des experts, des scientifiques, des spécialistes du climat, j'ai parlé de tout cela avec F. Fillon. Vous savez, moi, je suis un être simple et discipliné : il y a une hiérarchie, il y a un président de la République, il y a un Premier ministre, et je travaille selon leurs orientations.
 
Q.- Et il n'est pas question de la bousculer aujourd'hui. Les super ministres n'amèneront pas une nouvelle forme de République ?
 
R.- Pas moi en tout cas.
 
Q.- Merci beaucoup, A. Juppé. Quel enthousiasme dites donc !
 
R.- Ah ! Oui, je suis très enthousiaste, parce que j'avais envie de faire ça, c'est un défi, celui d'inventer quelque chose de nouveau. J'ai bien conscience des difficultés, parce que vous avez évoqué quelques sujets difficiles, il y en a beaucoup d'autres. Voilà on a la flamme et le punch.
 
Q.- Merci A. Juppé, d'avoir été ce matin sur BFM.
 
R.- Merci.
 
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 22 mai 2007