Interview de M. Xavier Darcos, ministre de l'éducation nationale, sur la suppression de la carte scolaire et le temps de travail des enseignants.

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Média : France Inter

Texte intégral

N. Demorand.- Une question pratique, est-ce que les parents vont pouvoir dans les jours qui viennent inscrire leurs enfants dans l'établissement de leur choix ?
 
R.- C'est ce qu'ils pourront faire à moyen terme. C'est une liberté nouvelle que le président de la République veut leur accorder. Mais évidemment, on ne va pas pouvoir tout faire d'un coup. Les établissements ont déjà préparé leur rentrée, on ne peut pas pousser les murs. Mais dans le principe, ceux qui demandent des dérogations, ceux qui les ont demandées, les verront examiner attentivement et dans toute la mesure du possible, nous leur donnerons satisfaction.
 
Q.- Donc là, c'est à très court terme, pour le mois de septembre, pas pour tout le monde, mais pour ceux qui le souhaitent. Dans quel cas ? Dans quel contexte ? Il y a beaucoup de questions pratiques sur la réforme de la carte scolaire. On ne sait pas trop comment cela va se jouer. Prenons, voilà une famille qui veut changer d'établissement scolaire, comment peut-elle faire ?
 
R.- Les règles sont simples, nous voulons accorder l'autorisation aux familles de choisir leur établissement scolaire. Mais nous ne pouvons pas le faire tout d'un coup, puisque je le répète, les élèves sont déjà dans les établissements. Si subitement il y avait des demandes considérables sur le même lycée, par exemple, comment ferait-on ? Donc il faut que nous commencions à ouvrir cette liberté, mais en commençant par fixer quelques règles pour l'instant ou en tous les cas donner des règles claires. Car le grand inconvénient du système actuel, c'est qu'évidemment les gens contournent la carte scolaire, mais ne contournent la carte scolaire que ceux qui ont les moyens de le faire, les gens informés, les journalistes par exemple, les professeurs, les cadres supérieurs...
 
Q.- Il paraît qu'il y a beaucoup de journalistes, parmi ceux qui échappent à la carte scolaire.
 
R.- Absolument, les gens qui ont des relations, mais ceux qui n'en ont pas, les gens modestes, évidemment, eux, ils la subissent. Donc, ce que nous voulons, tout de suite, c'est mettre clairement des critères qui soient compréhensibles par tous. Il faut que nous commencions à montrer que cette liberté s'ouvre mais qu'il faut des critères, des critères lisibles, reconnus par tous et qui soient valables pour tout le monde.
 
Q.- Mais vous n'êtes pas aujourd'hui en mesure de nous donner le mode d'emploi pour les familles qui nous écoutent et qui veulent faire jouer en septembre 2007, cette nouvelle liberté ?
 
R.- Je viens de vous le dire, elles peuvent demander des dérogations. Simplement, on ne pourra vraisemblablement pas toutes les accorder. Nous avons fixé quelques critères, par exemple, on va privilégier les élèves boursiers, les élèves boursiers sociaux, les élèves boursiers au mérite, on va privilégier la correction de l'absurdité, il y a des gens qui habitent au numéro 20, d'autres qui habitent au 21 et qui, du coup, n'ont pas le même établissement. On va essayer d'encourager le regroupement de fratrie et puis tout simplement, on va examiner les demandes de bonne foi qui viennent des familles, et tant qu'on pourra le faire, on le fera...
 
Q.- Et ça partout en France ? Bien entendu. Ou des zones d'expérimentation sont prévues ? Est-ce qu'il y aura une carte de l'échappement à la carte scolaire ?
 
R.- Non, vous savez bien, disons les choses quand même clairement, il faut dédramatiser cette affaire. Pour ce qui est l'école primaire, la carte scolaire fonctionne dans les écoles primaires, ce sont les maires qui le gèrent et le gèrent très bien, il n'y a pratiquement aucun problème. Pour ce qui est de l'immense majorité des départements, des départements ruraux en particulier, pour les collèges et les lycées, les choses se passent très bien. Cela se pose surtout dans les très grandes villes où il y a des quartiers très contrastés. Donc ce n'est pas toute la population scolaire, ce ne sont pas les 10 millions d'élèves qui, subitement, vont être lancés dans un immense marché scolaire. Cela se pose dans des endroits où il y a des quartiers contrastés et où, évidemment, il y a des stratégies d'évitement de tel ou tel établissement. Donc nous devons fixer des règles claires, et petit à petit ouvrir cette liberté à tous, de sorte qu'à l'horizon de deux ans, disons de trois ans, cette liberté soit totale et que chacun aille dans l'établissement qu'il veut.
 
Q.- Il va y avoir fuite de certains établissements, embouteillages dans d'autres, est-ce qu'on va fermer des classes dans les premiers et en ouvrir dans les seconds ?
 
R.- Ne nous voilons pas la face, c'est déjà le cas. Vous sauriez dire vous-même, comme tous ceux qui nous entendent, des établissements difficiles où on n'a pas tellement envie d'aller et où vous pourriez me dire des établissements d'excellence où on se bat pour aller en utilisant toutes les dérogations les plus opaques, les plus injustes possibles. Donc ce que nous souhaitons, c'est que ces établissements qui risquent de perdre des élèves, que pour autant ils ne perdent pas de moyens. Ainsi nous allons renverser une sorte de logique de la fatalité : les établissements qui ont de grandes difficultés, qui ont en même temps un public très hétérogène, parfois pas très facile à gérer sur le plan scolaire et donc, s'ils perdent des élèves, nous leur maintiendrons leurs moyens. Et d'ailleurs, je dirais, ce raisonnement me parait pervers. Voilà un jeune élève ou une jeune élève d'un collège de banlieue, d'un collège difficile, ce sont souvent, en particulier, les jeunes filles issues de l'immigration maghrébine qui veulent réussir scolairement, comme l'a montré si bien R. Dati, cette jeune fille-là, à quel motif lui dirais-je : eh bien, non, vous voulez partir dans un lycée de centre-ville, vous voulez un établissement différent, eh bien non, vous n'y avez pas droit.
 
Q.- Mais elle aura une place garantie, Place du Panthéon, cette élève ou pas, au lycée Henri IV ?
 
R.- Mais pourquoi pas !
 
Q.- Comment ça va fonctionner ? Je vous pose des questions pratiques et concrètes parce que c'est important de le savoir. Est-ce qu'elle aura un droit nouveau, comment les choses...
 
R.- Je viens de vous dire, que si elle est boursière, ce qui est vraisemblablement le cas, en tous les cas, elle sera privilégiée. Ne citez pas toujours le lycée Henri IV et le lycée Legrand qui sont deux lycées très spéciaux et qui, d'ailleurs, échappent déjà à la carte scolaire, puisqu'ils ont un recrutement national. Il n'y a pas que ces deux lycées à Paris tout de même.
 
Q.- Est-ce que les murs autour de ces établissements ghettos ne vont pas encore élevés par la suppression de la carte scolaire ?
 
R.- Non, moi, je crois que c'est exactement le contraire. D'abord parce que nous avons deux garanties. La première, c'est que ces établissements qui vont perdre des élèves, nous allons les soutenir plus encore et puis surtout, parce qu'on ne règlera pas la question des établissements sensibles, des établissements difficiles, uniquement à partir d'eux. Ces établissements sont inscrits dans des quartiers, ils sont inscrits dans un ensemble urbain qu'il faut traiter. On a l'impression que tout se passe à l'école, mais cela se passe dans le quartier. Or vous le savez, le président de la République et le Premier ministre, F. Fillon, ont annoncé un vaste "plan Marshall" des banlieues, on va agir sur les banlieues. Et donc l'école qui est dans ces quartiers difficiles, elle aussi, bénéficiera sans aucun doute d'aides nouvelles. Donc il ne faut pas croire que la question de l'établissement sensible se règle séparément d'un ensemble qui est la rénovation urbaine, le travail social qui se fait tout autour.
 
Q.- Est-ce que vous n'avez pas peur d'instaurer le chacun pour soi et une sorte d'immense jungle scolaire, là où la République essayait pourtant, avec des problèmes, on le sait, mais de mettre de l'ordre et de l'égalité ?
 
R.- C'est ce qui se passe aujourd'hui. Est-ce que le système est égal franchement ? Est-ce que le système est égal ? Non seulement il est inégal, il est injuste, il est inique, mais de surcroît il est opaque. Les dérogations, elles sont beaucoup plus nombreuses, que le public ne sait, parce que les gens...
 
Q.- Quelle proportion d'échappement à la carte scolaire ?
 
R.- En gros, il y a 10 % de dérogations accordées que nous connaissons, et il y en a à peu près autant que nous ne connaissons pas. Le coup de téléphone au chef d'établissement, les gens qui s'arrangent pour louer un studio de bonne, les adresses falsifiées des parents ou des grands-parents ou des parrains...
 
Q.- Mais est-ce qu'il faut jeter le bébé avec l'eau du bain, pour 10 % d'échappement un peu flou et pistonné ?
 
R.- Bien entendu que non, mais la République, l'école républicaine, doit fixer la même règle pour tous. Il n'y a pas une règle pour les cadres supérieurs et une règle pour les ouvriers fraiseurs. Il y a dans la République, une même règle pour tous. Le fait que la carte scolaire soit aujourd'hui détournée par divers moyens, fait que ce système est en soi injuste. Donner les règles, ouvrir largement cette liberté nouvelle, en évitant que quand même s'exerce le poids de la fatalité sur les établissements difficiles, c'est une décision républicaine. Mais bien entendu, bien entendu, il faudra que nous demandions aux chefs d'établissements, en particulier dans les lycées qui sont les plus demandés, de faire en sorte qu'il y ait un petit peu de diversité géographique et sociale dans leurs élèves, dans les élèves qu'ils accueillent, notamment en classe de Seconde. Comme ça se fait déjà d'ailleurs par certaines conventions, il y a certains lycées qui ont passé des conventions avec des établissements de ZEP. Comme l'a fait d'une autre manière Sciences Po avec des lycées de banlieue, de sorte de créer une sorte d'appel d'air pour ces élèves-là qui le souhaitent...
 
Q.- Ça s'appellera encore "l'Education nationale" ?
 
R.- Mais c'est précisément ce que je suis en train de définir, la Nation se met d'accord pour fixer des règles qui sont transparentes, qui sont valables pour tous, et qui permet à quelque élève que ce soit d'avoir les mêmes droits. Est-ce que ce n'est pas ça l'école nationale ?
 
Q.- Alors sur votre bureau, également les fameux décrets Robien sur le temps de travail des enseignants ; abrogés, pas abrogés où en est-on ? C'est mobilisé, il y a de la tension chez les enseignants sur ce sujet où en est-on exactement ?
 
R.- N. Sarkozy a répété plusieurs fois pendant la campagne, que ce qu'il souhaitait, c'était non pas avoir plus de fonctionnaires, mais des fonctionnaires mieux rémunérés, mieux payés. J'ai fait la tournée des syndicats, nous avons beaucoup parlé, nous avons examiné l'ensemble de ces sujets, le président de la République les recevra à son tour, ainsi que les parents d'ailleurs. Il recevra l'ensemble des représentants de la communauté éducative et ensuite, c'est lui qui annoncera les décisions que nous devons prendre.
 
Q.- Mais c'est N. Sarkozy le ministre de l'Education ?
 
R.- Non, mais il est tout à fait normal que le président de la République, qui s'est beaucoup engagé pendant cette campagne, voit les représentants de la communauté et - évidemment, je serais présent -, et comme il l'a dit lui-même, les regarde dans les yeux et leur dise la manière dont il voit les choses.
 
Q.- Mais vous êtes ministre ou conseiller pour l'Education de N. Sarkozy ?
 
R.- Ne cherchez pas à mettre un coin entre ministre, un Premier ministre et un président de la République. Il est tout à fait normal que j'ai préparé le dossier, que j'ai rencontré les syndicats et je trouve que c'est une chance pour moi, au contraire, que ce dossier que nous avons travaillé ensemble puisse être pris finalement à sa conclusion par le président de la République. C'est un signe de considération de la part du Président vis-à-vis de la communauté éducative. Et non seulement, je ne trouve pas ça désagréable, mais je trouve ça très honorable.
 
Q.- "Voussoyer", est-ce que le verbe sera conjugué à la rentrée dans les classes ?
 
R.- On a fait une histoire sur cela, je n'ai parlé que par accident de ce sujet. J'ai simplement rappelé que pour que le professeur continue à la fois d'entretenir des relations de confiance, mais aussi d'autorité, il fallait que le respect s'installe entre lui et les élèves. Le vouvoiement peut en faire partie, mais enfin ce n'est pas toute une affaire tout de même.
 
Q.- "Vouvoyer" ou que "voussoyer", est-ce que le décret précisera quel est le bon mot ?
 
R.- Je crois que les deux mots sont possibles.
 
 
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 31 mai 2007