Interview de M. Hervé Morin, ministre de la défense et membre du Nouveau centre, dans "Le Télégramme de Brest" du 1er juin 2006, sur l'appartenance du Nouveau centre à la majorité présidentielle, son autonomie par rapport à l'UMP et sur les raisons de la rupture avec François Bayrou.

Prononcé le 1er juin 2007

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Média : Le Télégramme de Brest - Télégramme de Brest

Texte intégral

Q - Vous êtes désormais nombreux à vous réclamer du centre. Où se situe cette formation centrale dont on a du mal à cerner la circonférence ?
R - Il existe aujourd'hui un centre qui a décidé de se placer dans une démarche constructive. Elle consiste à ne pas considérer que la période 2007/2012 serait seulement une parenthèse dans la perspective de la prochaine élection présidentielle. Ce nouveau centre considère que, quand la maison brûle, quand notre pays est en grande difficulté, on ne peut pas refuser de participer à la construction d'une nouvelle France et contribuer de la sorte à la résolution de nos problèmes. C'est précisément ce centre-là que nous souhaitons incarner.
Q - Ce nouveau centre disposera-t-il d'une véritable marge d'autonomie par rapport à Nicolas Sarkozy et à l'UMP ?
R - Nous reprenons le flambeau de l'UDF. Le nouveau centre sera fidèle à la nouvelle majorité présidentielle, fidèle à l'engagement qui a été le nôtre de soutenir Nicolas Sarkozy au second tour de l'élection présidentielle. Mais cette fidélité ne nous empêchera pas d'user de notre liberté de parole et d'exprimer nos convictions. Nicolas Sarkozy ne nous demande pas de penser la même chose. Il ne nous demande pas de renoncer à nos idées. Il nous demande une obligation de loyauté. C'est la moindre des choses.
Q - Mais, en quoi serez-vous autonomes, et pas seulement les supplétifs de l'UMP ?
R - François Bayrou nous avait expliqué que nous serions obligés de signer un engagement et que ce papier nous lierait pieds et poings à l'occasion de chaque vote. On ne nous à rien demandé de la sorte.
On nous a aussi expliqué que nous n'aurions jamais un groupe parlementaire. Si les Français confirment dans les urnes ce qu'indiquent les sondages, nous aurons bien notre groupe à l'Assemblée nationale. Dès lors, nous bénéficieront du financement réservé aux formations politiques. Cela nous permettra de renforcer notre autonomie. Nous aurons une véritable expression à l'Assemblée nationale. Nous serons ainsi en mesure de constituer la force de centre-droit dont la France a besoin.
Q - Comment avez-vous vécu la rupture avec François Bayrou, dont vous avez été si proche ?
R - L'explication ne relève pas du complot, contrairement à la rumeur que l'on entend. Pour être absolument clair, je n'ai pas eu la moindre conversation avec aucun membre de l'équipe de Nicolas Sarkozy lors des dernières années précédant l'élection.
Le problème est que la démarche et les choix stratégiques de François Bayrou n'ont jamais fait l'objet d'aucune discussion, ni d'aucune délibération au sein des instances de l'UDF. Il me semble pourtant que lorsque l'on décide d'engager une famille politique dans une direction, que nous avons considérée comme aventureuse, la moindre des choses est de faire entériner cette ligne politique par la majorité de son parti.
Nous avons eu un deuxième point de désaccord avec François Bayrou. Au soir du premier tour de l'élection présidentielle, après avoir obtenu un très beau résultat, auquel nous avons notre part, François Bayrou a joué, sans le dire, le jeu de la candidate socialiste.
Tout cela explique cette rupture entre François Bayrou et les élus qui l'ont soutenu sans état d'âme jusqu'au premier tour de l'élection présidentielle.
Q - Cette rupture avec François Bayrou engendre-t-elle chez vous du regret ou même de la peine ?
R - Bien sûr, cela engendre de la peine. Mais après la peine, on se dit qu'il faut reconstruire quelque chose. La vie reprend son cours. Après ces jours de doute et de peine, on repart au combat.
Q - En renonçant à l'existence d'un centre indépendant puissant (sur la base des 18, 5 % obtenus par François Bayrou au premier tour de la présidentielle), ne ratez-vous pas l'occasion historique de casser le face à face gauche/droite que vous aviez dénoncé au cours de la campagne présidentielle ?
R - Constituer un centre puissant et indépendant, cela ne veut pas dire construire une force politique où l'on resterait seul. Ce serait une erreur de penser que la liberté ne peut s'épanouir que dans l'isolement et dans la solitude. La liberté, cela signifie, au contraire, que l'on a la capacité de pouvoir contracter et la liberté de s'associer. C'est parce que nous sommes libres, parce que nous avons cette autonomie, que nous sommes en mesure de pouvoir passer des contrats solides et sérieux. Notre désaccord avec François Bayrou tient au fait qu'au lendemain du premier tour de la présidentielle, il a considéré que pour être libre, il fallait rester seul sur sa montagne.
Q - Votre nouvelle formation politique, le Nouveau centre, présente un peu plus de 80 candidats aux législatives. Parmi ceux-ci on trouve beaucoup de membres de votre famille et certains de vos collaborateurs. Est-ce bien raisonnable ?
R - Ces personnes sont des citoyens. Ils agissent en toute liberté. Ils ont le droit d'avoir des convictions. Ils se présentent pour contribuer à faire émerger une force politique nouvelle. Ceux qui leur dénient le droit d'être candidat considèrent que la candidature devrait être réservée à une élite. J'ajoute, concernant les candidatures de collaborateurs de personnalités politiques, que ce type d'engagement est assez naturel et habituel. Personne ne reproche au directeur de cabinet de François Hollande de se porter candidat contre François Fillon dans la Sarthe. Et personne ne reproche à tous les collaborateurs de personnalités politiques - ce fut mon cas - d'avoir été un jour candidat aux élections législatives.
Je remarque enfin que tous les partis font la même chose. Pour bénéficier des subventions publiques, il faut présenter un nombre suffisant de candidats. Pour ne prendre que l'exemple de ma propre circonscription, sur 14 candidats, 6 d'entre eux devront se munir d'une carte Michelin pour savoir où se situent Bernay et Pont-Audemer.
Q - Comme ministre de la Défense, vous allez gérer une partie du domaine réservé du président de la République. Quelle sera votre degré d'autonomie dans votre nouvelle fonction ?
R - Il sera le même que celui de tous mes prédécesseurs à ce poste. Le ministre de la Défense ne peut ignorer qu'en vertu de la Constitution, le président de la République est le chef des armées. À partir de cela, mon autonomie est la même que celle de tous les ministres (quelles que soient leurs attributions). La différence entre le ministre de la Défense et les autres membres du gouvernement est qu'il a, naturellement, une relation plus directe encore avec le président de la République.
Q - Ministre de la Défense, vous devrez vous prononcer sur la construction d'un deuxième porte-avion. Où en est votre réflexion sur ce sujet ?
R - Notre priorité - et, sur ces questions je me réfère aux déclarations du président de la République durant sa campagne électorale - est de procéder à une analyse des risques et des menaces afin de mener à bien une réflexion stratégique qui permette ensuite de déterminer les missions de nos armées, leur format et leurs capacités. À l'issue de cette réflexion stratégique nous serons probablement amenés à proposer une nouvelle loi de programmation militaire dans laquelle s'inscriront éventuellement de nouveaux programmes parmi lesquels évidemment la question de la construction d'un deuxième porte-avions se posera.
Propos recueillis par Philippe Reinhardsource http://www.le-nouveaucentre.org, le 5 juin 2007