Texte intégral
Emmanuel Kessler : Alors d'abord les heures sups sans charge ni impôt, les cadres aussi qui vont pouvoir en bénéficier. Vous êtes le président de la CFE-CGC. Est-ce que vous accueillez favorablement cette annonce de Françoise FILLON un peu surprise hier soir ?
Bernard van Craeynest : Oui dans la mesure où lors des deux rencontres que nous avons eues avec le nouveau chef de l'Etat le 14 et le 25 mai dernier nous l'avons sensibilisé sur le problème particulier des salariés qui sont rémunérés en forfait jour. Ils sont plus d'un million dans ce pays, il n'y a pas que les cadres. Depuis les assouplissements de 2003 et 2005, tous les salariés itinérants qui jouissent d'une grande autonomie ont pour la plupart été basculés en forfait jour...
EK : C'est-à-dire que pour ceux-là on ne peut pas parler d'heures supplémentaires...
BVC : Par définition...
EK : C'est ça, voilà, comme pour les cadres effectivement où on compte à la journée...
BVC : Puisque le référentiel du temps de travail n'est pas l'heure mais le jour.
EK : Donc vous dites la déclaration de François FILLON hier il n'y a pas de raison que les cadres ne bénéficient pas de cette mesure aussi, c'est une bonne nouvelle...
BVC : Oui, sauf que maintenant il faut voir comment nous allons mettre ça en pratique parce que ce n'est pas si simple. Ce que j'avais souligné auprès de Nicolas SARKOZY comme de François FILLON, Xavier BERTRAND et Jean-Louis BORLOO c'est que la durée maximale légale en jours est de 218 jours par an et c'est un plafond, un plafond au même titre que les 48 heures hebdomadaires. Et quand on sait que les personnes en forfait jour travaillent en moyenne 215 jours, et en plus au moins 2.000 heures par an quand on sait que la durée légale est de 1.607 heures, on voit qu'on n'est pas dans le travailler plus pour gagner plus mais plutôt comment payer convenablement des personnes qui travaillent déjà beaucoup.
EK : Alors justement là c'est intéressant de dire au fond on va pouvoir sous forme de jours supplémentaires rémunérer davantage sans charge, sans impôt, les cadres...
BVC : Le problème c'est des jours supplémentaires, on ne peut pas aller au-delà de 218...
EK : On ne peut pas ?
BVC : Eh non, et en plus...
EK : Vous dites on est déjà un peu au maximum là, on est déjà aux taquets sur les cadres...
BVC : Exactement, exactement.
EK : C'est difficile de dire à un cadre de travailler plus, c'est ça que vous êtes en train de nous dire ?
BVC : On a ce plafond de 218 heures (sic), il faut bien voir que l'objet de la réforme voulue par le gouvernement c'est plutôt une loi fiscale pour justement défiscaliser les heures supplémentaires. Si on touche au temps de travail, on entre dans le cadre de la loi du 31 janvier dernier sur la modernisation du dialogue social et là le gouvernement doit saisir les partenaires sociaux pour débattre là-dessus.
EK : De toute façon, il est en train de le faire, ça c'est quand même le point positif...
BVC : Oui mais a priori pas sur ce thème. Donc pour celles et ceux qui sont en dessous de 218 jours et qui encore une fois travaillent déjà énormément, on peut imaginer qu'ils se fassent payer le delta entre le nombre de jours qu'ils travaillent, 210, 212, et les 218 mais il faut quand même bien avoir conscience du fait que ces personnes qui sont pour la plupart du temps stressées, qui ont des conditions de travail difficiles, qui sont déjà 30 ou 35 % au-dessus du temps de travail de leurs collègues, n'ont pas spécialement envie de travailler plus.
EK : Oui. Alors il y a certains d vos collègues d'autres syndicats qui disent que ça risque de remettre en cause les RTT pour les cadres...
BVC : Exactement, exactement, puisque par définition on leur a octroyé des jours de réduction du temps de travail, et encore pas à tous et pas au même niveau, si on rogne sur ces jours de réduction du temps de travail alors que dans le contexte actuel ils peuvent travailler, je vous le rappelle, jusqu'à 13 heures par jour, parce que la loi AUBRY II de janvier 2000 a éliminé le plafond quotidien de 10 heures.
EK : D'accord, mais est-ce que finalement ce n'est pas bien de dire aussi aux cadres « si vous avez envie de travailler plus - peut-être pas tous, vous êtes en train de dire tous n'ont pas envie - vous allez pouvoir le faire et gagner plus », est-ce que ce n'est pas bien d'envoyer ce message ?
BVC : C'est bien, il reste à voir dans quelles conditions on va pouvoir le faire de manière encore une fois à ce qu'ils puissent réellement gagner plus sachant que vous évoquiez les exonérations de charges, ça c'est un autre problème, je vous rappelle qu'en ce qui concerne l'assurance-chômage et les retraites complémentaires c'est du ressort des partenaires sociaux et non pas du domaine législatif.
EK : Et vous avez une idée de ce qu'un cadre pourrait espérer comme gain salarial si ça se débloquait un petit peu dans le sens de ?
BVC : Ce que l'on espère surtout c'est faire comprendre au gouvernement que là on est vraiment dans une logique où on remet complètement en cause les 35 heures. Le forfait jour est venu des 35 heures, donc il faut peut-être se poser la question de voir comment on peut mieux encadrer ce forfait jour et comment on peut faire en sorte que les 25 % de cadres qui sont rémunérés en dessous du plafond de la Sécurité sociale alors qu'ils travaillent déjà énormément puissent effectivement gagner plus.
EK : Vous êtes en train de dire que finalement la loi sur les 35 heures est en train d'être remise en cause.
BVC : C'est le moins que l'on puisse dire...
EK : ...on ne peut pas avoir le statu quo. Finalement vous êtes plutôt content de la façon dont se noue le dialogue avec Nicolas SARKOZY, un dialogue direct d'ailleurs ?
BVC : C'est le moins que l'on puisse dire, oui, effectivement, ce que j'ai pu constater...
EK : Vous êtes séduit par Nicolas SARKOZY ?
BVC : Je suis heureux de le voir prendre des problèmes à bras le corps et pouvoir dialoguer directement avec lui parce que j'avais beaucoup dialoguer avec ses conseillers pendant la campagne électorale mais je me suis aperçu le 14 mai dernier que je lui faisais découvrir des subtilités du forfait jour. Donc on a toujours intérêt à avoir des remontées directes du terrain.
EK : Et il en a saisi toutes les facettes ?
BVC : Apparemment et de ce point de vue-là il m'a dit effectivement s'il y a un problème il faut que ça s'applique à tout le monde...
EK : Donc pour vous en terme de rapports sociaux c'est bien d'avoir un président qui s'engage que certains appellent l'hyper président, celui qui va aux rencontres même des syndicats, de tout le monde ?
BVC : C'est bien qu'il prenne la température du terrain et qu'il ne s'isole pas dans une tour d'ivoire.
EK : Votre interlocuteur ministériel sera plus Xavier BERTRAND, le ministre du Travail, que Jean-Louis BORLOO, le ministre de l'Emploi. Ce redécoupage, un peu nouveau dans l'organisation de l'Etat, vous le trouvez efficace ?
BVC : Ça nous jugerons dans les faits, la CFE-CGC s'est étonnée d'ailleurs le 18 mai dernier lors de l'annonce du gouvernement qu'il n'y ait pas par exemple un ministre de l'Industrie. Il semblerait que ça soit plutôt dans le champ de Jean-Louis BORLOO que je vais rencontrer d'ailleurs mardi pour parler de ce problème des heures supplémentaires. J'ai rencontré Xavier BERTRAND avant-hier pour évoquer les autres sujets, sur le contrat de travail, sur le service minimum, etc., l'essentiel c'est que nous ayons des interlocuteurs efficaces et qui fassent avancer les dossiers.
EK : Juste d'un mot, le contrat de travail, vous êtes prêt à aller vers ce contrat unique prôné par Nicolas SARKOZY pendant la campagne ?
BVC : Nous avons fait un gros travail entre partenaires sociaux depuis six mois, le bilan en a été tiré, on doit se voir prochainement pour voir comment entamer une négociation sur le sujet. On peut envisager d'aller vers le contrat de travail à deux conditions, d'une part qu'on tienne compte d'un certain nombre de particularités de mode de travail, je pense à la saisonnalité, l'intérim a sa raison d'être, et puis aussi le fait que dans l'esprit, dans la logique de Nicolas SARKOZY qui est de dire on va avoir des droits qui vont aller croissants en fonction de l'ancienneté, il faut qu'on traite le problème de la transférabilité des droits d'une entreprise à l'autre ou d'une branche à l'autre pour qu'il n'ait pas...
EK : Pour garder ses acquis...
BVC : Pour qu'on n'ait pas encore une fois deux catégories de salariés, celles et ceux qui acquièrent des droits parce qu'ils ont la chance d'être dans une grande entreprise où ils peuvent rester longtemps et puis les autres qui voguent de petits boulots en petits boulots et qui n'acquièrent jamais ces droits en question. Source http://www.cfecgc.org, le 8 juin 2007