Interview d'Hervé Morin, ministre de la défense, à France Inter le 25 juin 2007, sur le rôle futur des militaires français dans le maintien de la paix au Darfour, leurs actions au Liban et en Afghanistan et sur les efforts en faveur de la défense.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Inter

Texte intégral

 
N. Demorand.- Vous rencontrez tout à l'heure la secrétaire d'Etat américaine, C. Rice, qui est à Paris pour la Conférence sur le Darfour. Elle a demandé hier au régime de Khartoum d'arrêter de tergiverser sur la Force ONU-Union africaine, qui doit se déployer sur place, qu'on appelle "la Force hybride". A-t-on une idée de la date à laquelle elle pourra se déployer ?
 
R.- On n'a pas d'idée précise encore, on espère que ce sera au plus tard au début de l'année prochaine. Ce qu'il faut, c'est absolument assurer la sécurité à la fois de la zone tchadienne - ce que nous allons faire - et ensuite, faire en sorte que le gouvernement ou le Président Béchir accepte l'idée que l'on mette en place des Forces qui permettent d'assurer la stabilité et la sécurité des camps. Donc, il y a déjà un premier pas qui a été fait avec le pont aérien que la France a engagé. Il y a des discussions au niveau européen qui ont été engagées pour faire en sorte qu'il y ait une Force qui stabilise la zone tchadienne, qui assure la sécurité des camps, qui assure en quelque sorte à ces populations la sécurité à la fois alimentaire et la sécurité tout court sur la partie tchadienne. Et il faut qu'ensuite, on apporte tout notre soutien et qu'on mette toute notre pression pour que cette Force hybride puisse se mettre en place sur la zone soudanaise.
 
Q.- Quel type de Force engagera la France ?
 
R.- Le président de la République a clairement indiqué que, d'une part, sur la zone tchadienne, on était tout à fait en mesure de faire la colonne vertébrale de cette Force. On est en train de consulter les capitales européennes, j'ai moi-même vu la plupart des ministres de la Défense européens, un certain nombre ont indiqué qu'ils étaient intéressés par la démarche...
 
Q.- Les soldats français seront-ils les plus nombreux ?
 
R.- Probablement, mais j'allais dire c'est assez fréquent. Et puis, on a un avantage, c'est que nous avons des forces pré positionnées au Tchad, notamment à Abéché, qui facilitent le travail.
 
Q.- La France aura-t-elle le commandement de cette Force hybride ?
 
R.- On n'en est pas là, donc cela je ne peux pas vous le dire.
 
Q.- Cette mission peut durer combien de temps ?
 
R.- C'est tout le problème de toutes les opérations extérieures que l'on mène, c'est que l'on sait quand elles démarrent, on ne sait jamais exactement quand elles se terminent. Ce qu'il faut, c'est essayer à la fois d'apporter la sécurité et d'arriver vers un compromis politique qui permette d'assurer la pérennité des choses.
 
Q.- En tout cas, cinq Casques bleus espagnols ont été tués hier au Liban, dans un attentat. Ce qui rappelle que ces Forces d'interposition sont bien aussi sur des théâtres de guerre et que les risques sont très grands ?
 
R.- Oui, oui, c'est terrible. D'abord, je voudrais adresser mon affection aux Espagnols, qui ont perdu quand même cinq de leurs hommes ! Deux, savoir qu'on est dans une zone, là, d'instabilité absolue, et où l'ensemble des hommes de la Finul qui sont chargés d'assurer la stabilité et la sécurité de cette région sont sous la menace permanente, en effet. Alors, on ne sait pas d'où cela vient, c'est toujours la même question. Le Hezbollah a condamné cet attentat. Reste à savoir un peu dans quelles conditions tout cela a été mené.
 
Q.- Est-ce qu'au programme de votre entretien avec C. Rice, il y aura aussi la durée de la présence française en Afghanistan aux côtés des Américains ?
 
R.- Sur l'Afghanistan, le président de la République et B. Kouchner ont déjà indiqué clairement quelle était la position française. La première, c'est que, pour l'instant, il n'est pas question pour nous de partir ; nous souhaitons rester aussi longtemps que cela est nécessaire pour assurer à terme la stabilité et la sécurité de l'Afghanistan. Ce que nous disons, c'est que nous n'avons pas vocation à rester éternellement en Afghanistan. Ce que nous disons, c'est qu'il faut faire en sorte que l'on mette en place les moyens pour que les Afghans prennent eux-mêmes en main leur destin. Et donc, nous avons indiqué que nous resterions le temps nécessaire pour faire en sorte que les institutions afghanes prennent leur pays en main...
 
Q.- Cela veut dire combien de temps ?
 
R.- Cela, si vous êtes capable de me le dire, tant mieux, quoi ! Et deuxième point, puisque nous souhaitons que l'Afghanistan et que le régime puisse s'installer, nous allons renforcer ce que l'on appelle "les omelettes" (phon), c'est-à-dire, des forces d'encadrement et de formation, qui vont encadrer et former l'armée afghane, et donc nous allons renforcer notre présence de 150 à 200 hommes.
 
Q.- Le nerf de la guerre c'est l'argent. Vous avez demandé une opération vérité sur les dépenses de votre ministère. Visiblement, la situation n'est pas rose. Qu'est-ce qui dysfonctionne, et où vous faut-il faire des économies ?
 
R.- Non, non, ce n'est pas qu'elle n'est pas rose, ce n'est pas comme cela qu'il faut aborder la question. Il y a eu un effort considérable qui a été engagé grâce au président de la République précédent, grâce à J. Chirac. La situation de nos forces était absolument calamiteuse en 2002 - je n'évoquerai pas des niveaux de disponibilité du matériel en 2002, mais on avait eu un abandon très clair de l'effort d'équipement militaire entre 1997 et 2002. J. Chirac a redressé la barre, on a un niveau de disponibilité du matériel, qui n'est pas encore très satisfaisant mais qui est nettement supérieur à ce qu'il était...
 
Q.- Bon, mais pour 2007-2012, c'est pas réglé ?
 
R.- Attendez, attendez, laissez-moi finir. Deuxième point, on a lancé tout une série de programmes et d'équipements. Alors, il y a la période amont, qui est l'étude, la recherche, les études, le développement ; et puis après, on arrive à la période la plus lourde financièrement, qui est la période des livraisons. Et donc, on a une multitude, quoi une multitude, beaucoup de programmes, qui arrivent à cette période, qui est la période la plus coûteuse. On a le Tigre, le NH 90, on a le Rafale qui arrive dans les forces. Bref, on a toute une série... Il y a les efforts que l'on continue à faire en matière de dissuasion, il y a les sous-marins nucléaires d'attaque...
 
Q.- Il y en a combien ?
 
R.- (Rires) Il y en a six... Nucléaires d'attaque, je ne parle pas des SNLE.
 
Q.- Oui, ceux-là, il y en a quatre, on l'a appris... Et vous aussi d'ailleurs, hein ?
 
R.- Mais moi je le savais.
 
Q.- Déjà ?
 
R.- Oui, oui, parce que...Bon. Et donc, le président de la République nous a demandés quoi ? Il nous a dit : il faut un état des lieux précis, une opération vérité, que l'on sache exactement où on va. Et il est vrai que...
 
Q.- Et les coupes claires, là, sur la période ?
 
R.- Sur la période 2008-2013, qui est celle de la prochaine loi de programmation militaire, on voit qu'il y a un effort qui semble aujourd'hui impossible à faire sur l'équipement de nos forces, puisque, grosso modo, sur la prochaine loi de programmation militaire, si on trace un trait, on est autour de 40 % d'effort budgétaire. Et donc on voit bien que, sauf si la France retrouve une croissance absolument considérable, ça sera assez difficile à mener.
 
Q.- Y aura-t-il, ou non, un deuxième porte-avions ?
 
R.- C'est la sempiternelle question que l'on me pose tous les deux jours. Donc, je vais y répondre. Très clairement, si on est cohérents avec nous-mêmes, il faut un second porte-avions. Le président de la République l'a dit durant la campagne électorale, et donc, très clairement, l'exercice auquel nous nous livrons, dont vous me parlez, s'effectue avec l'idée que nous aurons un second porte-avions.
 
Q.- Donc, c'est acté.
 
R.- C'est, disons "acté", oui...
 
Q.- Alors pourquoi "disons acté" ? C'est "acté" oui ou non ?!
 
R.- Oui, oui. Si on est cohérents avec nous-mêmes, dès lors qu'on a décidé de maintenir un groupe aéronaval et d'avoir une capacité de projection de puissance sur la mer à tout moment, il faut un second porte-avions, c'est la volonté du président de la République.
 
Q.- Et qu'est-ce qui fera qu'il n'y en a pas, puisque vous venez de formuler une hypothèse ?
 
R.- Non, non...
 
Q.- C'est, si vous êtes incohérents avec vous-même... qu'il n'y en aura pas ?
 
R.- Donc on peut se dire qu'a priori, nous aurons un second porte-avions, en effet.
 
Q.- Un certain nombre en tout cas, de députés au Parlement, pour le Nouveau Centre, un certain nombre de ministres également. Où vit aujourd'hui l'UDF, l'ex-UDF, au MoDem ou au Nouveau Centre ?
 
R.- Je crois qu'il y a deux chemins qui se sont séparés au soir du premier tour de la présidentielle : il y a ceux qui ont considéré qu'on s'engageait dans une démarche solitaire, et puis il y a ceux qui ont dit : on veut participer à la construction. Et qu'en considérant qu'être libre, ce n'était pas forcément être seul. Et donc, voilà...
 
Q.- Et vous êtes libres ?
 
R.- Oui, on est libres, on a un parti politique, avec des moyens financiers, on a un groupe parlementaire. Nous espérons qu'on arrivera à faire un groupe parlementaire aussi, pourquoi pas un jour, au Sénat. Et notre idée est simple, c'est de reconstruire ce Centre cendre-droit qui était l'UDF.
 
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 25 juin 2007