Interview de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l'emploi, à "RTL" le 29 juin 2007, sur les chiffres du chômage, la conduite de la politique économique, la concertation dans les entreprises, et sur la règle interdisant de diriger une entreprise après 65 ans.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

J.-M. Aphatie.- Bonjour, C. Lagarde.
 
R.- Bonjour...
 
Q.- Pour la première fois depuis vingt-cinq ans, le chômage est donc repassé en France sous la barre des 2 millions de chômeurs. C'est une bonne nouvelle. Mais ça veut dire aussi que depuis vingt-cinq ans en France, on vit avec un chômage de masse. Cette période est-elle en train de se terminer ou bien sommes-nous seulement en face d'une embellie ?
 
R.- Ce n'est pas une embellie parce que ça dure déjà depuis février 2005, cette espèce de mouvement continu de descente du chômage. Là, c'est le meilleur chiffre depuis 1982-83 ; et clairement, le seuil de 2 millions de chômeurs, c'est un peu un seuil symbolique. Passer en-dessous, c'est un encouragement très clair à renforcer l'action.
 
Q.- Ca va se poursuivre ?
 
R.- Les chiffres que nous avons aujourd'hui sur les perspectives de croissance, sur les perspectives de créations d'emplois, nous le confirment.
 
Q.- Nous faisons moins bien, nous allons moins vite que les Allemands, par exemple. C'est tout de même un souci, non ?
 
R.- Les Allemands sont à peu près au même taux de chômage que nous actuellement. Ils ont fait un effort de redressement.
 
Q.- Ca baisse plus vite chez eux.
 
R.- Ca baisse plus vite. Ils ont fait un effort de redressement considérable. Ils ont fait un effort d'austérité, aussi et ils sont très fortement tirés par leurs exportations. C'est vraiment dans ce sens-là que nous devons remettre en marche la machine économique française.
 
Q.- Cà, c'est l'austérité chez nous, on ne connaît pas. Vingt-neuf déficits budgétaires consécutifs. L'austérité, c'est un mot qu'on ne connaît pas en France ?
 
R.- Je pense que le mot auquel il faut que nous nous habituions, c'est le mot "effort" ; et je crois qu'on peut tout à fait associer à l'effort, le plaisir. C'est dans ce sens-là que nous allons engager le pays par la voie fiscale notamment, très bientôt.
 
Q.- Restons français : l'effort avec le plaisir ! L'OCDE dans une note, mercredi, dit ceci : "Il demeure nécessaire de réformer en France les pratiques rigides du marché du travail si l'on veut vaincre le chômage". Faut-il suivre le conseil de l'OCDE : réformer les pratiques rigides du marché du travail, C. Lagarde ?
 
R.- Le président de la République m'a demandé d'examiner toutes les rigidités, tous les obstacles à la fluidité de l'économie. Il est indispensable que grâce à la concurrence, grâce à la souplesse, dans le cadre d'une sécurité renforcée néanmoins, nous puissions accélérer le rythme de la croissance française. On veut aller chercher un point de croissance supplémentaire. Ce n'est pas une surprise. Aujourd'hui, nous sommes à peu près un point en-dessous de la plupart des pays équivalents européens. Il faut aller chercher ce point de croissance. Et pour ce faire, tous les moyens sont bons.
 
Q.- La politique économique doit être réglée. Il faut quelqu'un qui la dirige. Savez-vous combien il y a eu de ministres de l'Economie et des Finances, en douze ans, C. Lagarde ?
 
R.- Douze.
 
Q.- Douze, ce n'est pas bon signe, quand même çà. G. Brown est resté dix ans ministre de l'Economie en Angleterre.
 
R.- Ecoutez, la longévité britannique est certainement un mérite, et je ne pense pas que nous ayons à rougir de ce que nous faisons en France. On le fait par des moyens différents. Ecoutez, on va essayer de durer.
 
Q.- Voyez, c'est un poste exposé et difficile quand même. Il y a des nuages qui s'annoncent. On annonce une possible hausse des produits alimentaires. De l'inflation est attendue dans les prochains mois puisque le prix des matières premières agricoles a beaucoup augmenté. Est-ce un souci pour vous, cette inflation annoncée sur les produits alimentaires, C. Lagarde ?
 
R.- Cela pose deux questions. D'abord, vous savez qu'on essaie de préserver, d'augmenter le pouvoir d'achat des Français. Clairement le secteur des biens de consommation, et en particulier les produits alimentaires sont un secteur qu'on va surveiller de très près. Et dans le cadre de la nouvelle Loi Galland qui sera sur le chantier du secrétaire d'Etat, L. Chatel, qui travaille avec moi, clairement nous allons être très attentifs, et en particulier la distribution, la grande distribution notamment, devra être très attentive à la manière dont elle répercute les hausses des matières premières. Ca, nous y ferons attention et les marges arrière, en particulier, seront examinées de très près. Premier problème. Deuxième problème, c'est un problème de fond. C'est celui, en particulier, de la valeur de l'agro alimentaire, de la valeur des produits agricoles. On s'aperçoit aujourd'hui que les terres agricoles se raréfient, que les produits agricoles se raréfient tout simplement parce qu'on les destine à d'autres choses, comme par exemple l'énergie : c'est le cas du maïs, c'est le cas du colza, c'est le cas d'un certain nombre de cultures. Donc, il y a certainement une question de gestion des ressources alimentaires sur laquelle au niveau européen et au niveau mondial, on doit se pencher. J'ajoute à ce propos que l'Europe n'est pas mal positionnée grâce notamment à la Politique agricole commune.
 
Q.- Mais à part surveiller les prix et les étiquettes, vous avez les moyens d'empêcher que ceci augmente trop dans les rayons ?
 
R.- Vous savez, grâce à la loi Galland, on a fait en sorte que les marges arrières, en particulier, ne soient pas répercutées aux prix des consommateurs. Par la voie réglementaire, on peut tout à fait prescrire un certain nombre de comportements et éviter des dérapages abusifs.
 
Q.- Donc, vous le ferez. Vous serez une ministre de l'Economie interventionniste ?
 
R.- On sera très attentifs, très attentifs. Interventionniste : c'est beaucoup dire. Je vais vous citer un exemple intéressant. Dans le domaine de l'électricité, par exemple, hier, le Conseil de la concurrence a enjoint à Electricité de France de vendre son électricité moins chère. Et on s'aperçoit que dans le cadre d'un marché qui s'ouvre, une bonne autorité de régulation est en mesure d'influer justement sur les prix.
 
Q.- On parle d'inflation possible, donc d'un pouvoir d'achat qui serait rogné. Ca tombe juste au moment où vous avez décidé de ne pas donner de coup de pouce au Smic. On ne va pas vous reprocher cette décision, C. Lagarde ?
 
R.- D'abord, je ne décide pas le coup de pouce au Smic. Et le Smic a augmenté, je le rappelle, de 2,1%, ce qui n'est pas mal.
 
Q.- C'est l'inflation.
 
R.- Vous savez, l'augmentation du Smic, ça pose le problème de l'écrasement des salaires qui se trouvent très légèrement au-dessus du Smic. Moi, je crois que dans ce domaine-là, il faut impérativement que le patronat, les organisations syndicales discutent ensemble des grilles de salaires et de l'augmentation des salaires. C'est par la négociation, dans la concertation et au sein des entreprises, que ces choses-là se décident le mieux.
 
Q.- Vous avez donc fait sensation, hier, en défendant G. Roux qui, à 68 ans, se voit interdit par la Ligue de Football professionnel d'entraîner le club de Lens. Vous avez critiqué cette décision et vous avez dit : "ces limites d'âge, ces espèces de barres fatidiques, il faut y réfléchir pour les supprimer". Est-ce que ça vaut aussi pour les entreprises d'Etat puisque depuis une loi de 1984, on ne peut pas diriger une entreprise d'Etat quand on a plus de 65 ans ?
 
R.- Moi, je pense que la France ne peut pas faire l'économie de son talent. Les Français ont du talent, la France a des talents extraordinaires. J'ai suffisamment vécu à l'étranger pour le savoir. On ne peut pas se priver des talents et pour ce faire, il n'y a pas de raison que des gens qui aient plus d'un certain âge et qui ont du talent, et qui sont sollicités par l'entreprise ou par le club au sein du club duquel ils vont opérer, ne puissent pas le faire. S'il y a des règles qui prévoient leur exclusion, peut-être faut-il revoir les règles ! Il ne s'agit pas de les violer, bien sûr. Je suis juriste, je n'encouragerai jamais à cela...
 
Q.- Y compris pour l'Etat ? Il faut revenir sur cette règle qui empêche de diriger une entreprise à plus de 65 ans ?
 
R.- Je reviens au principe : lorsqu'il y a des talents, il faut les mettre au service de la France, au service des collectivités, au service des entreprises. C'est une des raisons pour lesquelles on a envie d'ailleurs de faire revenir de talentueux Français de l'étranger y compris par des moyens fiscaux.
 
Q.- Et donc, il faut retoucher la loi pour l'Etat ?
 
R.- Il faut, chaque fois, que les talents sont disponibles, prévoir les dispositions pour les faire revenir ou pour les faire s'épanouir au sein des entreprises.
 
Q.- J'ai lu que vous ne vouliez pas qu'on vous appelle "Madame LA ministre" mais "Madame LE ministre", c'est vrai ?
 
R.- C'est exact. Oui.
 
Q.- Pourquoi ?
 
R.- Pour des raisons grammaticales, et parce que ma mère qui est agrégée de grammaire, m'avait toujours dit que si j'étais un jour ministre, "il ne faudrait pas que je sois Madame La... mais Madame Le".
 
Q.- Ah ! Elle pensait déjà que vous pouviez être ministre, votre mère ? Ah dis donc, bravo ! Pour finir, on a juste lu dans la presse, ces propos de N. Sarkozy devant des journalistes : "Si C. Lagarde écoute mes conseils, elle explosera", au bon sens du terme ! C'est quoi les conseils que vous a donnés N. Sarkozy ?
 
R.- Je les reçois au quotidien, régulièrement... Je les observe et j'ai le plaisir, cet après-midi, d'être avec lui à Lyon ; donc, j'écouterai comme toujours ses conseils qui sont avisés.
 
Q.- Mais là, vous ne répondez pas à ma question. Vous avez déjà du métier ! Vous ne voulez pas répondre à la question ? Vous ne voulez pas dire : quels conseils ?
 
R.- Mais je vous ai répondu.
 
Q.- Non.
 
R.- C'est un apprentissage permanent, la vie.
 
Q.- Bon, elle n'a pas répondu "Madame LE ministre". Merci.