Texte intégral
Monsieur le Premier ministre
Au cours des campagnes présidentielle et législatives, nous avons exprimé deux conceptions très différentes de ce nouveau cycle qui s'ouvre pour la France. Au jour où vous confirmez l'ensemble de vos choix devant la représentation nationale, il me paraît important de rappeler les grands clivages qui nous séparent et qui motivent le refus du groupe socialiste, radical et citoyen de vous accorder sa confiance.
Nous vous refusons la confiance d'abord parce que vous êtes l'héritier d'une majorité qui depuis cinq ans a précipité le pays dans un déclin que vous prétendez aujourd'hui guérir. Le tableau des difficultés que vous avez dressé est une forme d'auto réquisitoire de la politique que vous et vos amis avez menée. Vous dîtes en avoir tiré les leçons et promettez une forme de « révolution tranquille » qui va changer la face du pays.
Il est vrai que le style impétueux, la communication permanente, la composition habile de votre gouvernement, donnent à ce nouveau quinquennat l'allure d'une « présidence galopante » qui tranche avec l'inertie de ces dernières années. Il est vrai aussi que l'affirmation décomplexée de vos idées sort des faux semblants de vos prédécesseurs et favorise la qualité du débat républicain.
Mais au-delà du style, force est de constater qu'il y a plus de continuité que de rupture dans le programme que vous avez exposé. La revalorisation du travail, la libération des heures supplémentaires, la politique de l'offre, la refondation sociale, le non remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant en retraite, la remise à niveau des universités, le recul des violences et de l'insécurité figuraient dans la déclaration de politique générale de M. Raffarin ici même en 2002.
Pourquoi ce qui a provoqué l'échec de votre prédécesseur ferait votre réussite ? Comment les mêmes idées, les mêmes députés, les mêmes ministres feraient-ils mieux d'une législature à l'autre ?
Et c'est le deuxième motif pour vous refuser la confiance. Votre discours de vérité continue de se heurter à la contradiction entre les valeurs et les objectifs que vous proclamez et la réalité des actes que vous engagez. Où est la valorisation du travail quand votre paquet fiscal consiste prioritairement à réduire l'imposition des rentiers et des héritiers. Que veut dire la récompense de l'effort quand la seule manière d'augmenter son salaire est de faire des heures supplémentaires qui dépendent du bon vouloir...du seul chef d'entreprise. Que signifie la sécurisation professionnelle quand le contrat unique semble se limiter à l'assouplissement des conditions de séparation entre le salarié et l'employeur. Prenez garde que le « choc fiscal » n'engendre pas un traumatisme social.
Votre nouvelle hiérarchie de valeurs comporte trop de manques et de confusions. Assimiler la solidarité à de l'assistanat, comme vous le faites, érige non seulement nos compatriotes les plus fragiles en boucs émissaires d'une crise dont ils sont les premières victimes, mais conduit à individualiser la protection sociale. La franchise médicale qui tend à remplacer la carte vitale par la carte bleue en est un des symboles. De la même manière votre révisionnisme historique qui consiste à imputer tous les maux de notre école au « relativisme » et à « l'égalitarisme » de mai 68 conduit à votre projet de disparition de la carte scolaire et des ZEP, à la mise en concurrence des établissements et au risque d'une aggravation de la sélection sociale.
Nous sommes là au coeur des grands débats de société entre la droite et la gauche. Affirmer, comme vous le faites, que s'oppose le changement et l'immobilisme est aussi fallacieux que simpliste. C'est parce que nous défendons une protection sociale égalitaire et universelle que nous opposons une réforme en profondeur de notre système de santé à votre logique comptable. C'est parce que nous voulons promouvoir une société de la connaissance tout au long de la vie que nous jugeons réducteur votre projet de loi d'autonomie des universités.
Ce que nous contestons, ce n'est pas votre volonté d'appliquer vos engagements électoraux. Ce n'est pas votre légitimité à le faire. Nos compatriotes ont choisi en toute clarté. Ce que nous contestons, c'est la philosophie et la finalité de votre projet. C'est son caractère profondément inégalitaire et individualiste. C'est son penchant centralisateur et autoritaire, « le président décide, les Français exécutent ».
Comment octroyer la confiance à un gouvernement dessaisi de ses pouvoirs. Le cabinet fantôme, ce n'est pas nous les socialistes qui l'avons institué, c'est le président de la République. C'est lui qui fait tout, qui négocie tout, qui régente tout. Je ne crois pas que cette concentration des pouvoirs soit temporaire, le temps que s'enclenche les réformes. Elle est la pierre angulaire de la conception institutionnelle de M. Sarkozy. C'est son droit. Mais quand on change l'article 20 de la Constitution qui stipule que « le gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation », on ne fait pas selon son bon plaisir. On demande le vote du peuple ou du Congrès.
Dans ce cadre, les aménagements parlementaires souhaitables mais insuffisants que vous proposez, ne sont pas de nature à donner son équilibre à ce régime présidentiel qui ne dit pas son nom. Il faut sortir du corset dans lequel l'exécutif enserre le Parlement. L'équilibre des pouvoirs c'est aussi une démocratie sociale responsabilisée, c'est une démocratie territoriale clarifiée avec des compétences et des ressources garanties. Parce que les Français l'ont voulu ainsi, il vous faudra tenir compte de la voix et des propositions de l'opposition.
C'est le dernier terme de mon propos, Monsieur le Premier ministre.
La rénovation du pays ne peut être l'oeuvre d'un homme seul. Elle s'ancrera tout autant dans la qualité de nos débats dans cet hémicycle, dans la confrontation des projets et des propositions. C'est à cette hauteur là que mon groupe se situera. Nous récusons toute idée d'opposition mécanique. Nous construirons une opposition intelligible qui sera intransigeante sur ses valeurs et ses convictions mais qui proposera toujours des alternatives et des contre-propositions. Comme nous l'avons fait lors de la dernière législature, contre la guerre en Irak ou pour la loi sur les signes religieux à l'école, nous saurons tendre la main chaque fois que nous pourrons consolider le pacte républicain. Mais nous aurons une égale détermination pour combattre tout ce qui y porte atteinte.
Le programme que vous avez présenté ne nous donne pas cette assurance. C'est pourquoi les députés socialistes, radicaux et citoyens ne vous voteront pas la confiance.
Au cours des campagnes présidentielle et législatives, nous avons exprimé deux conceptions très différentes de ce nouveau cycle qui s'ouvre pour la France. Au jour où vous confirmez l'ensemble de vos choix devant la représentation nationale, il me paraît important de rappeler les grands clivages qui nous séparent et qui motivent le refus du groupe socialiste, radical et citoyen de vous accorder sa confiance.
Nous vous refusons la confiance d'abord parce que vous êtes l'héritier d'une majorité qui depuis cinq ans a précipité le pays dans un déclin que vous prétendez aujourd'hui guérir. Le tableau des difficultés que vous avez dressé est une forme d'auto réquisitoire de la politique que vous et vos amis avez menée. Vous dîtes en avoir tiré les leçons et promettez une forme de « révolution tranquille » qui va changer la face du pays.
Il est vrai que le style impétueux, la communication permanente, la composition habile de votre gouvernement, donnent à ce nouveau quinquennat l'allure d'une « présidence galopante » qui tranche avec l'inertie de ces dernières années. Il est vrai aussi que l'affirmation décomplexée de vos idées sort des faux semblants de vos prédécesseurs et favorise la qualité du débat républicain.
Mais au-delà du style, force est de constater qu'il y a plus de continuité que de rupture dans le programme que vous avez exposé. La revalorisation du travail, la libération des heures supplémentaires, la politique de l'offre, la refondation sociale, le non remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant en retraite, la remise à niveau des universités, le recul des violences et de l'insécurité figuraient dans la déclaration de politique générale de M. Raffarin ici même en 2002.
Pourquoi ce qui a provoqué l'échec de votre prédécesseur ferait votre réussite ? Comment les mêmes idées, les mêmes députés, les mêmes ministres feraient-ils mieux d'une législature à l'autre ?
Et c'est le deuxième motif pour vous refuser la confiance. Votre discours de vérité continue de se heurter à la contradiction entre les valeurs et les objectifs que vous proclamez et la réalité des actes que vous engagez. Où est la valorisation du travail quand votre paquet fiscal consiste prioritairement à réduire l'imposition des rentiers et des héritiers. Que veut dire la récompense de l'effort quand la seule manière d'augmenter son salaire est de faire des heures supplémentaires qui dépendent du bon vouloir...du seul chef d'entreprise. Que signifie la sécurisation professionnelle quand le contrat unique semble se limiter à l'assouplissement des conditions de séparation entre le salarié et l'employeur. Prenez garde que le « choc fiscal » n'engendre pas un traumatisme social.
Votre nouvelle hiérarchie de valeurs comporte trop de manques et de confusions. Assimiler la solidarité à de l'assistanat, comme vous le faites, érige non seulement nos compatriotes les plus fragiles en boucs émissaires d'une crise dont ils sont les premières victimes, mais conduit à individualiser la protection sociale. La franchise médicale qui tend à remplacer la carte vitale par la carte bleue en est un des symboles. De la même manière votre révisionnisme historique qui consiste à imputer tous les maux de notre école au « relativisme » et à « l'égalitarisme » de mai 68 conduit à votre projet de disparition de la carte scolaire et des ZEP, à la mise en concurrence des établissements et au risque d'une aggravation de la sélection sociale.
Nous sommes là au coeur des grands débats de société entre la droite et la gauche. Affirmer, comme vous le faites, que s'oppose le changement et l'immobilisme est aussi fallacieux que simpliste. C'est parce que nous défendons une protection sociale égalitaire et universelle que nous opposons une réforme en profondeur de notre système de santé à votre logique comptable. C'est parce que nous voulons promouvoir une société de la connaissance tout au long de la vie que nous jugeons réducteur votre projet de loi d'autonomie des universités.
Ce que nous contestons, ce n'est pas votre volonté d'appliquer vos engagements électoraux. Ce n'est pas votre légitimité à le faire. Nos compatriotes ont choisi en toute clarté. Ce que nous contestons, c'est la philosophie et la finalité de votre projet. C'est son caractère profondément inégalitaire et individualiste. C'est son penchant centralisateur et autoritaire, « le président décide, les Français exécutent ».
Comment octroyer la confiance à un gouvernement dessaisi de ses pouvoirs. Le cabinet fantôme, ce n'est pas nous les socialistes qui l'avons institué, c'est le président de la République. C'est lui qui fait tout, qui négocie tout, qui régente tout. Je ne crois pas que cette concentration des pouvoirs soit temporaire, le temps que s'enclenche les réformes. Elle est la pierre angulaire de la conception institutionnelle de M. Sarkozy. C'est son droit. Mais quand on change l'article 20 de la Constitution qui stipule que « le gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation », on ne fait pas selon son bon plaisir. On demande le vote du peuple ou du Congrès.
Dans ce cadre, les aménagements parlementaires souhaitables mais insuffisants que vous proposez, ne sont pas de nature à donner son équilibre à ce régime présidentiel qui ne dit pas son nom. Il faut sortir du corset dans lequel l'exécutif enserre le Parlement. L'équilibre des pouvoirs c'est aussi une démocratie sociale responsabilisée, c'est une démocratie territoriale clarifiée avec des compétences et des ressources garanties. Parce que les Français l'ont voulu ainsi, il vous faudra tenir compte de la voix et des propositions de l'opposition.
C'est le dernier terme de mon propos, Monsieur le Premier ministre.
La rénovation du pays ne peut être l'oeuvre d'un homme seul. Elle s'ancrera tout autant dans la qualité de nos débats dans cet hémicycle, dans la confrontation des projets et des propositions. C'est à cette hauteur là que mon groupe se situera. Nous récusons toute idée d'opposition mécanique. Nous construirons une opposition intelligible qui sera intransigeante sur ses valeurs et ses convictions mais qui proposera toujours des alternatives et des contre-propositions. Comme nous l'avons fait lors de la dernière législature, contre la guerre en Irak ou pour la loi sur les signes religieux à l'école, nous saurons tendre la main chaque fois que nous pourrons consolider le pacte républicain. Mais nous aurons une égale détermination pour combattre tout ce qui y porte atteinte.
Le programme que vous avez présenté ne nous donne pas cette assurance. C'est pourquoi les députés socialistes, radicaux et citoyens ne vous voteront pas la confiance.