Entretien de M. Hervé Morin, ministre de la défense, dans "Valeurs actuelles" du 13 juillet 2007, notamment sur la promotion sociale dans les armées, les équipements militaires, le budget militaire et sur l'industrie d'armement.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Valeurs actuelles

Texte intégral

Ce poste, vous en aviez rêvé ?
Oui. C'est l'un des ministères les plus lourds, par l'histoire, la densité des sujets, par ses enjeux diplomatiques et industriels. C'est aussi un domaine dans lequel nous sommes parmi les meilleurs au monde, où il faut savoir être à la hauteur des 430 000 personnes qui servent cette maison.
Pourquoi votre ministère est-il relégué du troisième au douzième rang protocolaire ?
De grands ministres de la Défense se sont eux aussi retrouvés assez loin. Par exemple Pierre Messmer, neuvième, ou Charles Hernu, quatorzième.
Ils avaient une légitimité forte dans ce domaine...
La seule légitimité est d'être nommé par le président de la République, chef des armées.
Et d'avoir déjà travaillé sur ces questions !
Je le revendique. J'ai été administrateur à la commission de la Défense de l'Assemblée nationale où j'ai rédigé des rapports parlementaires. J'ai été conseiller technique chargé des relations avec le Parlement au cabinet de François Léotard, alors ministre de la Défense. Nous avons fait la loi de programmation de 1994. Je me suis occupé des affaires domaniales et de plans de restructuration, de questions d'environnement. J'ai une vision transverse des questions de Défense et je n'avais jamais perdu la main. Honnêtement, je dirais que mon background est plus important que celui de la plupart des ministres nommés à cette fonction.
Pourquoi cette détermination en faveur de la promotion des plus défavorisés dans les armées?
Je souhaite que, quel que soit le milieu d'origine, tous les jeunes Français puissent de nouveau accéder aux grandes écoles civiles et militaires de la République.
Parlez-vous des "minorités visibles" ?
Non. Je ne veux pas de discrimination positive façon Sciences-Po. Je préfère le système de tutorat adopté par l'Essec. Mon projet s'adresse à tous ceux qui sont issus de milieux modestes, des banlieues sensibles ou de la campagne. Jamais Polytechnique n'a intégré si peu de jeunes issus de milieux défavorisés. J'ai demandé un point exact de la situation pour septembre. Nous fixerons un plan en décembre pour le mettre en oeuvre à la rentrée 2008. Je souhaite également mettre en place une meilleure gestion prévisionnelle des ressources pour la reconversion de nos personnels, avec des contrats d'objectifs, en collaboration avec de grands groupes privés, comme Accor, Suez, Renault, Mory et d'autres entreprises de logistique.
Vous héritez d'un outil de Défense en bon état mais les difficultés vont commencer....
Le diagnostic-vérité réalisé que je livrerai la semaine prochaine à Nicolas Sarkozy et à François Fillon est sans langue de bois. Il doit leur permettre d'avoir l'idée la plus précise possible de la situation. Sur cette base, nous pourrons engager la suite des travaux.
Que ressort-il de cet audit ?
Nous remplissons le contrat opérationnel mais nous sommes en limite de capacité, notamment pour le transport aérien, les hélicoptères, et nous avons des faiblesses comme, par exemple, les drones. Nous avons surtout devant nous une "bosse budgétaire" due au renouvellement de l'essentiel des grands équipements militaires. Elle représente environ 40 % d'augmentation des crédits militaires sur la prochaine loi de programmation, soit 6 milliards d'euros.
Comment faire ?
Mon souci majeur est que les armées demeurent opérationnelles. Je souhaite que l'effort de rattrapage fait entre 2003 et 2007 continue. C'est notre devoir. Tout repose sur trois hypothèses : la croissance, qui peut apporter des ressources supplémentaires à la Défense et permettre de tenir notre effort autour de 2 % du produit intérieur brut ; une vraie revue des programmes ; notre capacité à faire des économies.
Comment y arriver ?
Il y a encore des redondances, des doublons, des structures sur lesquels il faut s'interroger. Prenons un seul exemple que l'on pourrait considérer comme anecdotique mais révélateur de la multitude d'économies que nous pourrions effectuer : les gardes statiques des gendarmes. La direction de la gendarmerie estime que l'on peut récupérer de 400 à 500 postes. C'est énorme quand on sait que la loi de programmation de sécurité intérieure en prévoit 1 400 de plus. Il faut aussi évaluer les fonctions qui peuvent passer du militaire au civil, revoir nos implantations régionales, prévoir des mesures d'externalisation.
Et un "peignage des économies"....
Quinze jours après mon arrivée, j'ai mis en place un comité chargé des économies, coprésidé par le Contrôle général des armées et par une personnalité extérieure, le préfet François Lépine. J'ai proposé à deux anciens grands patrons, Jean-Martin Folz et Bertrand Collomb, d'y participer ainsi qu'à quelques spécialistes des gains de productivité.
Des "cost killers" ?
Des opérationnels qui, dans leurs entreprises, étaient notamment chargés des achats et qui savent ce que c'est de réaliser des économies.
Leur agenda ?
Je leur ai donné jusqu'à la fin de l'année. Cet exercice doit me permettre de dégager des ressources pour améliorer la condition militaire et financer des programmes.
Que signifie votre "revue des programmes" ?
Il s'agit d'examiner nos besoins en fonction du contrat opérationnel attribué aux armées, après la rédaction du livre blanc, début 2008, qui évaluera les risques, les menaces, analysera notre place dans les alliances et en déduira les missions de nos armées et les moyens dont elles ont besoin.
Dont le second porte-avions ?
Nous travaillons dans la perspective de le réaliser avec les Britanniques. Je ferai le point samedi avec mon homologue, Desmond Browne, sur leur volonté de poursuivre la coopération. Mais le second porte-avions n'est pas remis en question.
Et s'ils veulent arrêter ?
Nous verrons bien. Ce serait un souci de plus car ce programme de 2,5 milliards d'euros peut-être allégé de quelques centaines de millions par la coopération industrielle avec les Britanniques.
Y aura-t-il d'autres ajustements ?
Oui, et ils seront d'autant plus faciles à faire que nous aurons la possibilité de mieux exporter. D'où, pour moi, la nécessité absolue de mettre en place un plan stratégique d'exportations. Nous devons faire la même chose que pour Airbus ou nos centrales nucléaires. Le monde entier réarme, sauf l'Europe, mais, sur ce marché dynamique, les commandes à l'industrie française sont en baisse, passées de 7 à 5 milliards d'euros en rythme annuel.
Que souhaitez-vous faire ?
Les industriels doivent continuer à fabriquer les meilleurs produits et l'État doit savoir s'engager. Il faut réviser nos procédures, trop lentes, tisser des relations plus fortes entre les armées et les décideurs des pays acheteurs, créer des liens personnels entre responsables politiques français et étrangers, ce que font très bien les Américains.
Acceptez-vous ce travail de VRP ?
Oui, je le ferai sans complexe. Quand on a une industrie de cette valeur, portée par tout un pays pendant des décennies, qui emploie 350 000 salariés directs et indirects, c'est un devoir de l'aider.

Source http://www.defense.gouv.fr, le 16 juillet 2007