Interview de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales, à La Chaîne Info le 12 juillet 2007, sur une réforme des institutions, la menace terroriste, la sécurité routière et l'affaire Clearstream.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

Q- N. Sarkozy dévoile ce soir à Epinal les grandes lignes des réformes qu'il souhaite pour les institutions. En tant que gaulliste, vous êtes inquiète, impatiente ou enthousiaste ?
R- Ni inquiète, ni impatiente. Le discours viendra en son temps. Enthousiaste, nous verrons après ce qu'aura dit le président de la République.
Q- Vous n'êtes pas pour une révolution institutionnelle ?
R- Non. D'ailleurs, je ne crois pas non plus que ce soit le cas du président de la République. Le Président a fait dire, directement, qu'il ne s'agissait pas de créer une VIème République, mais qu'il s'agissait d'adapter nos institutions aux évolutions de la société. La Constitution de 1958 a prouvé qu'elle était capable de s'adapter aux personnalités comme aux circonstances. C'est vrai que les différents Présidents que nous avons eus ont été extrêmement différents, de caractères très différents. Ils ont eu, d'ailleurs, aussi une conception finalement du fonctionnement des institutions assez différentes. Et puis, les choses se sont bien passées. En même temps, nous avons connu des soubresauts très importants : nous avons connu des soubresauts politiques, des alternances. Tout ceci c'est bien passé. Il n'y a que dans notre pays qu'on change finalement de Constitution aussi souvent. Un grand pays comme les Etats-Unis a la même Constitution depuis maintenant deux siècles.
Q- Le Président peut parler devant les députés. Est-ce que ce n'est pas le mettre en péril ? Est-ce que ce n'est pas l'exposer excessivement ?
R- Non, juridiquement non, dès lors que vous n'avez pas de vote sur la déclaration du Président, l'équilibre institutionnel demeure le même. Et de ce point de vue, effectivement, on revient à ce que je vous disais, c'est-à-dire, finalement, une grande souplesse des institutions. Ceci dit, il y a des choses qui, tout naturellement, ont besoin d'être adaptées. Vous savez, en 1958, on faisait par exemple beaucoup moins de lois qu'on en fait aujourd'hui. A partir de ce moment-là, le fait d'avoir inscrit le nombre de commissions à l'Assemblée Nationale et au Sénat dans la Constitution a empêché de prendre en compte ce travail supplémentaire extrêmement important, et donc dire - puisque c'est probablement l'un des éléments qui interviendra - que l'on va permettre d'avoir davantage de commissions, et donc un travaille des députés qui soit plus étalé, plus réparti entre ces différentes commissions, c'est aussi leur permettre de faire un travail de fond, et peut-être d'ailleurs, d'avoir une certaine accélération du travail parlementaire. Les séances de nuit, comme on en voit de temps en temps jusqu'à 3 heures ou 4 heures du matin, c'est pas non plus les meilleures conditions pour travailler.
Q- Vous êtes solidaire de J. Lang qui devrait participer à cette commission et qui est brocardé, chahuté par ses camarades ?
R- Là, nous ne parlons pas de la même chose. Pour l'instant, je vous parlais des commissions permanentes de l'Assemblée Nationale. Il y aura effectivement, une commission de réforme. C'est ce qui est prévu, après que le président de la République ait à Epinal donné les grandes lignes. Moi, je pense qu'il est très important d'avoir des personnalités de sensibilités différentes, je veux dire de
sensibilités partisanes, mais aussi d'ailleurs sans doute de sensibilités institutionnelles différentes, si l'on veut avoir des propositions, qui puissent refléter les différents points de vue. De toute façon, ce qui est important aussi c'est que ce sont les Français, puisque ce sont leurs institutions qui seront amenées à se prononcer.
Q- Vous souhaitez un référendum ?
R- Je ne sais pas si c'est un référendum ou si c'est une réforme constitutionnelle. A partir du moment où les lignes principales de la Constitution ne sont pas remises en cause, il est évident que cela peut-être aussi le Congrès, c'est-à-dire ceux qui ont été délégués par les Français pour les représenter, députés et sénateurs, et qui tranchent
en la matière.
Q- Confirmez-vous qu'un rapport de la DST remis le 2 juillet lie le risque terroriste en France à notre présence militaire en Afghanistan ?
R- Je crois qu'il y a un risque terroriste en France, c'est certain, je le dis, d'ailleurs depuis plusieurs années. Il est en France comme il l'est dans la plupart des grands pays occidentaux. Je vous dirais même, comme il est dans la plupart des pays. Parce que, nous voyons depuis quelques années et en particulier depuis 2001, que le terrorisme peut frapper n'importe où et à n'importe quel moment. Cela été New York, Londres ou Madrid, cela a été des attentats déjoués en Allemagne ou en Italie. Mais nous avons vu aussi Karachi, nous avons vu aussi le Maroc, la Tunisie, l'Algérie, encore récemment. Le terrorisme c'est un phénomène avec lequel on peut vivre. Dans les pays visés par le terrorisme, la France est, c'est vrai aussi, un des pays leaders, parce que c'est un grand pays, parce que c'est un pays de liberté, parce que c'est un pays ouvert, parce que c'est un pays qui défend les droits de l'homme, qui défend une certaine conception des rapports entre l'homme et la femme. Nous sommes visés, nous ne sommes pas, je dirais, plus visés que d'autres, mais nous sommes visés ce qui doit nous amener à une certaine vigilance.
Q- Et cette vigilance peut s'incarner par des caméras en nombre, installés ? Il est inévitable d'aller vers une France Big Brother pour se protéger ?
R- Non. N'exagérons pas non plus en la matière. Il ne s'agit pas de faire une France Big Brother, où tout le monde serait sous surveillance. Il s'agit de prendre, d'une façon extrêmement pragmatique et mesurée aux risques, et surtout mesurée aux besoins d'assurer la sécurité des Français face au terrorisme, un certain nombre de mesures. Ce que nous avons vu à Londres, récemment, c'est que le fait d'avoir des caméras installés à certains endroits, a permis très vite à la fois de découvrir le deuxième véhicule, et d'identifier également les auteurs de ces différents attentats ou tentatives d'attentats. Je crois que c'est là un élément important. Et pour ma part, effectivement, ce que je veux, c'est pouvoir mieux assurer la sécurité des Français, et d'ailleurs ensuite, mieux élucider un certain nombre des violences qui peuvent être portées, en utilisant les moyens technologiques les plus modernes. Donc, il y a par exemple le repérage électronique des plaques d'immatriculation de véhicules, il y a aussi la vidéo surveillance, il y a l'utilisation des fichiers génétiques ou d'empreintes digitales. Tout ceci, ce sont des modalités de haute technologie, qui nous permettent d'être plus efficaces dans la protection des Français.
Q- Les élus syndicaux d'air France ne veulent plus que les expulsions se fassent grâce aux avions d'air France, expulsions parfois agitées. Vous allez revenir aux charters ?
R- Je crois que, là aussi, il faut être très pragmatique. Il faut savoir ce que l'on veut et il faut voir comment on le met en oeuvre de la meilleure façon. D'ailleurs, c'est un problème qui ne se pose pas simplement au niveau français, c'est un problème qui existe au niveau européen, et il y a, et il y aura de plus en plus de coopération européenne en la matière.
Q- Certains conducteurs vendent sur Internet leurs points de permis de conduire. Alors que tout le monde part en vacances, que comptez-vous faire pour lutter contre ce trafic ?
R- Comme cela a été dit, c'est effectivement une infraction d'agir de cette façon et il y aura bien entendu un certain nombre de poursuites. Je veux rappeler, là aussi, une chose : c'est que quand on prend des mesures, c'est essentiellement pour protéger. Il faut bien voir qu'en l'espace de quelques années, nous avons économisé plus de vies, finalement, et plus de blessures que nous en aurions eues si nous n'avions rien fait. Et je crois que chaque vie gagnée c'est un apport pour tous, c'est une famille qui n'est pas détruite. Alors, à ce moment-là, je pense qu'il faut aussi que les uns et les autres soient raisonnables. Le système du permis à points et des retraits de points, c'est un système qui apporte déjà un assouplissement par rapport à d'autres choses. Et vous le savez, je viens de mettre en ligne, depuis la semaine dernière, une information qui est ouverte à chacun, qui lui permet à tout moment de voir où il en est de son nombre de points. Je pense que, là aussi, c'est quelque chose qui va dans le sens de la transparence et en même temps de l'efficacité.
Q- Et si les juges de l'affaire Clearstream vous convoquent à nouveau, répondrez-vous à leurs questions, ou bien direz-vous : non, non, j'étais ministre, cela relève de la Cour de justice, je ne veux pas vous répondre ?
R- Dans ce dossier, je rappellerai une chose : c'est que moi j'ai toujours essayé d'aider au maximum la justice, et de lui ouvrir toutes les facultés pour savoir ce qui s'est passé. J'ai autorisé des perquisitions, j'ai déclassifié au-delà ce qu'avait dit d'ailleurs la commission du secret défense, des documents classés "secret défense". J'ai témoigné sur des documents quand on me l'a demandé, et, bien entendu, s'il y a des faits nouveaux sur lesquels les juges souhaitent encore entendre mon témoignage, bien entendu, je le ferai. Et je vais vous dire une chose : c'est que je le ferai d'autant plus que je suis très intéressée à savoir ce qu'il en est de cette affaire, puisque j'ai été visée par l'intermédiaire de mon conjoint, dont le nom a figuré effectivement parmi les personnes visées, et donc j'ai toutes les raisons de souhaiter savoir réellement quelle est la vérité. Ceci dit, donc je suis prête effectivement à témoigner, si les juges me le demandent sur des faits nouveaux. Aujourd'hui, ce n'est pas le cas.
Q- Dans les notes du Général Rondot, il est écrit : "le 11 mai 2004, je réfère à M. Alliot-Marie de tout (inaud...) sur cette affaire". Vous vous en souvenez ?
R- J'ai déjà dit que non, puisque si j'ai reçu le Général Rondot, que je voyais d'ailleurs assez rarement à cette époque, je l'ai reçu pour qu'il me parle notamment de la poursuite des criminels de guerre en Bosnie. Il m'a parlé effectivement des enquêtes qu'il faisait sur des personnels de la Défense, et uniquement sur des personnels de la Défense, à ce moment-là, en me faisant part d'un certain nombre de ses doutes mais en me demandant à pouvoir continuer à enquêter. Et d'ailleurs, il y a quelque chose qui est assez curieux et contradictoire : comment le Général Rondot aurait-il pu me donner une telle indication à ce moment-là, quand, plus tard, il va m'écrire, que ce soit en juillet ou que ce soit en octobre, pour dire qu'il y a des rumeurs qui courent sur un corbeau, mais que l'on n'a aucune certitude à ce moment-là. Donc, il se contredit dans ses déclarations.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 12 juillet 2007