Conférence de presse de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur la situation dans les Balkans et sur le travail du Groupe de contact pour faire avancer les négociations sur l'"autonomie substantielle" au Kosovo, Paris le 28 janvier 1999.

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Circonstance : Séminaire des ambassadeurs français et italiens dans les Balkans, en présence de M. Lamberto Dini, ministre italien des affaires étrangères, à Paris les 27 et 28 janvier 1999

Texte intégral


M. Lamberto Dini et moi-même sommes venus conclure ce matin, ce séminaire des ambassadeurs français et italiens dans les Balkans qui s'est tenu mercredi et ce jeudi sur un certain nombre de questions concernant les Balkans. Je rends hommage à l'important travail préparatoire. Dans chaque table ronde, il y avait des introductions, des rapporteurs et des intervenants de bonne qualité. Après avec les comptes rendus faits par les deux secrétaires généraux, je tiens à dire tout de suite que ce séminaire a confirmé l'idée générale que nous avons à propos des rapports franco-italiens : les convergences sont extrêmement nombreuses, exceptionnellement nombreuses - je dirai même - sur la plupart des grands sujets de politique internationale et de politique européenne.
Certes, quand nous sommes dans des négociations du type de l'Agenda 2000, il y a des points sur lesquels nos intérêts s'accordent et d'autres où ils ne s'accordent pas automatiquement mais, c'est normal, c'est ainsi entre tous les pays. Quand on parle des grandes questions internationales du moment, il y a une proximité d'analyses, une convergence de sensibilités, des visions d'avenir qui sont très proches, très complémentaires, et nous sommes déterminés à utiliser de façon constructive cette situation. Nous l'avions dit, Lamberto Dini et moi-même dans un séminaire qui nous avait réuni à Venise l'an dernier, et nous avions déjà fait ce constat. A partir de ces convergences, il faut mener plus d'actions communes. Ce séminaire est une étape dans cette direction nous avons regardé, à propos des Balkans, cela ne pouvait hélas pas mieux tomber puisque nous sommes par ailleurs au coeur d'une actualité difficile et tragique. Il ne faut pas non plus repenser qu'au Kossovo, les Balkans, c'est plus large, il ne faut pas être obnubilé par la crise immédiate même si nous y consacrons tous nos efforts comme nous le ferons encore demain matin à Londres ; il faut aussi penser à l'ensemble. Nous avons réfléchi à ce que la France et l'Italie peuvent faire ensemble par rapport à chaque problème, par rapport à chaque pays, sur un plan bilatéral coordonné mais aussi, au sein de l'Union européenne pour donner à la politique de l'Union européenne par rapport aux Balkans, plus de force, plus de clarté, plus d'équilibre dans certains cas, et qu'elle s'inscrive dans une vraie stratégie d'avenir de l'Union européenne par rapport à cette région du monde. Je rappellerai ce qui a été beaucoup répété, qui est donc en train de devenir un slogan, mais qu'il a beaucoup de contenu, l'idée à long terme est d'européaniser les Balkans pour que cette partie de l'Europe. Ce qui, géographiquement, fait partie de l'Europe, en fasse un jour complètement partie sur le plan démocratique, politique, sur le plan du développement, sur le plan des sociétés, des idées, de la culture. C'est naturellement ce que nous souhaitons.
Nous avons à nouveau constaté que la France et l'Italie pouvaient faire beaucoup sur ce plan. A cet égard, c'est une bonne méthode de mettre ensemble, pendant deux journées de travail, sur des sujets préparés à l'avance, les ambassadeurs des deux pays dans une région stratégique comme celle-là. Cela avait été fait il y a quelques années, par d'autres que nous, sur la question de la Méditerranée. Nous le referons. Mais avant la prochaine réunion d'ambassadeurs, à propos d'une région ou d'un problème que nous n'avons pas encore choisi, nous avons demandé aux deux secrétaires généraux de nous faire un bilan, à l'automne prochain, des actions, du travail en commun et des convergences dans l'esprit de poursuivre en progressant.
Voilà ce que je peux dire sur ce séminaire.
Q - J'aurais voulu vous poser une question sur la situation au Kossovo et le travail du Groupe de contact, pouvez-vous nous expliquer la séance prévue demain entre les différents pays membres de ce Groupe de contact ?
R - Je vais ajouter un mot tout en étant tout à fait d'accord avec ce qu'a dit Lamberto Dini. Cela fait maintenant un certain temps que nous disons que la situation au Kossovo est intolérable, mais ce qui est également intolérable, ce sont les actions, les pratiques qui sont menées par certains groupes, de part et d'autres pour empêcher des négociations sérieuses pouvant aboutir à une solution politique comme nous le recherchons. Ce n'est plus possible, il faut sortir de ce blocage. C'est le sens des efforts diplomatiques intenses qui ont été menés ces derniers jours pour aboutir à une vraie politique homogène, commune et cohérente de la communauté internationale, les Européens, les Américains, les Russes, ce que le Groupe de contact incarne. Il faut qu'il y ait une action convergente, menée depuis le Conseil de sécurité, le Groupe de contact que je citais, l'Union européenne, l'OSCE. Tous ces organismes doivent aller dans la même direction car nous avons besoin d'exercer un maximum de pressions sur ceux qui, de part et d'autres, s'arqueboutent pour empêcher cette solution politique. Nous sommes arrivés à un accord sur ce scénario et sur cette politique qui a permis l'avertissement solennel de la part de l'OTAN dont parlait Lamberto Dini. Le Groupe de contact demain matin à Londres qui sera le moment décisif, qui va nous donner l'occasion d'adresser ce que l'on peut appeler une injonction solennelle aux deux parties à conclure dans les délais les plus rapides, des négociations sur le statut proposé. C'est le Groupe de contact de demain qui définira où, comment et selon quel calendrier. C'est pour cela que nous nous réunissons demain matin. Il n'est que temps que les dirigeants ou les leaders politiques de part et d'autres dans ce conflit, pensent aux peuples qui sont derrière et qui aspirent à la paix.
Q - On parle de plus en plus d'un scénario " type Dayton " . Accepterez-vous, comme à Dayton, d'être tenu à l'écart, vous les Européens, et de laisser les Américains mener la danse. Deuxièmement, on parle énormément de garanties internationales pour faire respecter un accord de paix. Dans ce cas, la France et l'Italie sont-elles prêtes à mettre des hommes sur le terrain ?
R - Il faut se méfier des comparaisons car même s'il y a des points communs dans les tragédies dans cette région, il y a également des points de différences. On ne peut pas comparer exactement le problème de la Bosnie et celui de Kossovo. Les problèmes n'étant pas exactement les mêmes, les solutions ne peuvent pas être tout à fait les mêmes, et les méthodes ne sont pas tout à fait les mêmes non plus. Dans l'affaire du Kossovo il y a, depuis le début, unité des vues en ce qui concerne les grands pays représentés au sein du Groupe de contact, on ne trouvait pas du tout l'équivalent des différences conceptuelles qui avaient existé il y a quelques années à propos de la Bosnie. Cela ne suffit pas pour régler les problèmes comme par enchantement, naturellement, mais enfin, c'est quand même une condition importante.
Aujourd'hui, je n'envisage pas une seule seconde la mise à l'écart de l'Europe, sous la forme de l'Union en tant que telle ou sous la forme des pays européens qui sont très actifs depuis le début au sein du Groupe de contact et qui ont apporté une part décisive à la détermination de cette stratégie et à la gestion des différents problèmes que l'on a rencontrés. Vous avez déjà une partie de la réponse dans ce qui a été fait depuis le début, dans l'activité, le rôle et le sens des responsabilités du Groupe de contact et dans la façon dont a été géré le risque de catastrophe humanitaire à l'automne dernier. S'il est vrai qu'à tel ou tel moment, c'est tel ou tel envoyé américain - qui d'ailleurs à bien travaillé - qui a présenté tel ou tel projet ou telle ou telle solution ou qui a reçu tel ou tel engagement, cela a été fait à chaque fois au nom du Groupe de contact, après des réunions du Groupe de contact, après des échanges entre nous pour déterminer des solutions. C'est encore le cas aujourd'hui puisque les grands principes que nous mettons sur la table et que nous allons remettre sur la table pour permettre une solution, sont des principes élaborés à l'intérieur et par un échange entre les six pays du Groupe. Dans la réalité de la gestion de cette crise du Kossovo, vous avez jusqu'à maintenant, une très grande partie de la réponse à votre question. Nous avons bien l'intention de continuer de cette façon.
Q - (inaudible)
R - Vous vous placez dans l'hypothèse d'un accord. La France serait naturellement prête à prendre ses responsabilités, pour participer avec tous les autres pays concernés, à la consolidation de cet accord et à en garantir la mise en oeuvre.
Q - Comment peut-on obtenir cet accord si la partie albanaise n'exige que l'indépendance complète et pas l'autonomie ?
R - S'il n'y avait pas de divergences, il n'y aurait pas de problème. Si nous sommes obligés de s'en occuper avec tellement d'efforts que vous pouvez suivre pas à pas, c'est qu'il y a un vrai problème avec des vraies divergences, un véritable antagonisme non seulement sur le terrain mais aussi de principe. C'est précisément pour cela qu'il faut rassembler tous les éléments, tous les pays disponibles, toutes les capacités de pressions pour faire comprendre à Belgrade que la situation actuelle est intolérable et qu'une autonomie substantielle est indispensable pour trouver une solution et faire comprendre de la même façon à ceux des Albanais qui ne veulent entendre parler que d'indépendance que c'est une revendication qu'aucun gouvernement au monde ne soutient parce qu'elle comporte un potentiel de dangers, de déstabilisation pour l'ensemble de la région qui a déjà des problèmes extrêmement difficiles à gérer et que par conséquent, personne le les suivra sur ce terrain. C'est pour cela que nous avons cherché, avec une justesse politique à trouver des solutions qui permettent de désamorcer ce drame d'aujourd'hui, d'organiser la coexistence des Serbes et des Albanais du Kossovo sur des bases différentes pour contribuer à la stabilisation de la situation dans les Balkans. Nous essayons.
Dans votre question, vous rappelez pourquoi le problème est tellement difficile, c'est pour cela que nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir.
Q - Ce ne sera pas le premier avertissement que l'on donnera à M. Milosevic, pourquoi pensez-vous qu'il obtempérera ?
R - L'avertissement s'adresse aux deux parties. Je le souligne parce que nous l'avons dit tous les deux et on a posé la question que d'un seul côté. L'avertissement s'adresse aux deux côtés, non pas que tous les responsables de part et d'autres soient tous hostiles à la négociation, mais parce que nous savons que du côté yougoslave comme du côté des Albanais du Kossovo, il y a des résistances fortes sur la solution politique que nous mettons en avant et des résistances très fortes sur le principe même de la négociation. Notre tâche immédiate est précisément de crédibiliser ces pressions de part et d'autres. C'est le but des réunions que nous avons organisées, auxquelles nous participons, à l'OTAN, au Groupe de contact ; c'est aussi le rôle du Conseil de sécurité. Je pense que c'est l'unanimité de la communauté internationale et la précision dans les menaces ou dans les actions envisagées ou les mesures de rétorsion envisagées qui, au total, donnent un crédit politique à la démarche dans laquelle nous sommes.
Q - Envisagez-vous des frappes sur les Kossovars ?
R - J'ajoute que d'une part, vous aurez noté que le général Doman, au nom de l'OTAN, a adressé cette mise en garde et cette menace aux deux parties. Je dirai ensuite que c'est un sujet important et sur lequel nous avons beaucoup parlé, encore au Groupe de contact ces derniers jours précisément pour crédibiliser cette démarche.
Q - Avez-vous remarqué une certaine coopération de l'Albanie ces dernières heures ?
R - J'ai parlé d'unanimité à propos de ce qui a été décidé jusqu'à maintenant. Je ne peux pas m'engager à propos de tel ou tel autre pays en dehors du mien sur ce qu'il faudrait éventuellement décider plus tard. Je pense que nous verrons demain à Londres, en présence de M. Ivanov qui est d'ailleurs à Paris cet après-midi. Nous verrons que les Russes sont vraiment partie prenante de cette stratégie, ils ne sont pas partie prenante des décisions prises à l'Otan mais ils prennent acte, comme cela leur ait déjà arrivé par le passé, des avertissements lancés par l'OTAN et ils sont parties prenantes de façon active aux décisions du Groupe de contact.
Sur cette stratégie de forcing diplomatique - comme on l'a dit ces derniers jours - les Russes sont un des éléments importants du Groupe de contact et nous estimons que c'est très important qu'ils le soient. Je rappelle que tout le travail fait ces dernières années en Bosnie et à travers les accords de Dayton n'aurait pas pu être réalisé et poursuivi si la Russie n'avait pas joué le jeu. Cela continue à être ainsi et le Groupe de contact exprime cela précisément. C'est pour cela que tous les ordres de missions sont importants et qu'il est une formation toute particulière, les Européens, les Américains, les Russes, il doit continuer à indiquer la ligne politique.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr)