Texte intégral
A. Caron.- Depuis février dernier, tout le monde ou presque connaît E. Besson, contrairement à ce qu'affirmait S. Royal à l'époque. Il fut le premier des socialistes à claquer la porte et à rejoindre N. Sarkozy. Une attitude beaucoup critiquée à l'époque, mais beaucoup imitée depuis. Aujourd'hui, dans la nouvelle équipe gouvernementale, il donne son expertise en matière économique. Les conclusions qu'il tire aujourd'hui sont-elles les mêmes que celles qui défendaient lorsqu'il était au PS ? On le demande tout de suite à E. Besson, le secrétaire d'Etat chargé de la Prospective et de l'Evaluation des politiques publiques. Il est notre invité ce matin. E. Besson, bonjour, merci d'être avec nous. Tout d'abord, j'aimerais préciser un petit peu vos fonctions dans ce nouveau Gouvernement, parce que le titre n'est pas forcément très clair. Vous êtes donc secrétaire d'Etat chargé de la Prospective et de l'Evaluation des politiques publiques. Concrètement, ça consiste en quoi ?
R.- La prospective c'est d'essayer de réfléchir à ce que sont les réformes qu'il faut faire maintenant pour que notre pays aille mieux dans cinq ans, dans dix ans ; c'est de réfléchir à toutes les conséquences prévisibles d'un certain nombre de phénomènes. Par exemple, le vieillissement. Il est déjà inscrit dans notre démographie ; quelles conséquences aura-t-il, etc. ? Ca, c'est toute la dimension prospective. Vous savez, la France a été longtemps pionnière en la matière, ça s'appelait le Commissariat général au Plan, maintenant ça s'appelle le Conseil d'analyse stratégique, c'est prévoir l'avenir. L'évaluation des politiques publiques c'est simplement vérifier que l'argent public est bien dépensé et qu'il produit ses effets au sens où il rend le service au public qui est attendu. C'est ce que le Gouvernement à la demande du Président de la République a lancé, cette grande révision générale des politiques publiques que nous menons actuellement. Et puis, par ailleurs...
Q.-... Travail que vous pouvez peut-être même faire en partenariat avec la Cour des Comptes parfois ?
R.- Parfois, absolument, puisque la Cour des Comptes a sur certains aspects un rôle éminent à jouer. Et puis, il y a à côté de ce coeur de métier, la prospective et l'évaluation des politiques publiques, des missions ponctuelles que le Premier ministre peut me confier. Il y en a une actuellement que je mène sur ce qu'on appelle la TVA sociale ; il y en a une autre qui m'a été demandée sur la Journée de solidarité, que dans le grand public on appelle le lundi de Pentecôte. C'est-à-dire qu'il me demande de travailler sur des sujets qui sont importants économiquement mais qui sont à la frontière évidemment de l'économie et de la politique en permanence.
Q.- Très bien, eh bien comme ça c'est clarifié. La TVA sociale, justement, on va en reparler dans quelques instants. D'abord j'aimerais avoir votre sentiment sur le dernier chiffre du chômage qui vient de tomber puisque le taux de chômage a officiellement baissé de 1,2 % en juin. Est-ce que vous croyez à ces nouveaux chiffres, parce qu'en 2005 vous déclariez : « Le Gouvernement persévère dans sa volonté de baisser le chômage par ordonnance avec un mélange de stages, de radiations administratives et de créations d'emplois aidés » ; vous parliez d'une « irréalité de la baisse du chômage » ?
R.- Oui, c'était à l'époque d'un plan très précis. Sur la tendance, elle est incontestable. Le Premier ministre a demandé d'ailleurs qu'il y ait une vérification des chiffres pour que le baromètre ne soit plus jamais contesté, que ce soit bien quelque chose qui mette d'accord tout le monde. Mais sur la tendance, qu'elle soit légèrement plus haute ou légèrement plus basse ne change rien à la courbe : oui, le chômage est en train de baisser actuellement en France.
Q.- Et est-ce que, selon vous, c'est la cause d'une politique ou d'une conjoncture ?
R.- Les deux. Lorsque la croissance est bonne, ce qu'elle est plutôt actuellement, lorsque par ailleurs il y a un certain nombre de mesures dites structurelles d'incitation au retour de travail qui ont été prises, ça produit ces effets. Et puis, il y a, dernièrement, une croissance mondiale, reconnaissons-le, qui est forte. Tout ça contribue à cette baisse du chômage.
Q.- Ce que vous dites c'est une manière un peu de saluer le travail qui a été fait depuis un an, depuis deux ans, dans le précédent Gouvernement.
R.- Vous savez, lorsque vous êtes en démocratie, vous avez beau critiquer le Gouvernement en place, qui est la vocation de l'opposition - ce n'est pas seulement un jeu de rôle, c'est la vocation d'une opposition d'être un aiguillon ; moi je trouve normal actuellement que le Parti socialiste joue ce rôle d'aiguillon et de critique. Ben oui, vous critiquez, et puis à la fin, vous pouvez reconnaître un certain nombre d'éléments. Mais vous avez raison sur un point quand même, je vais être honnête, je ne ferai plus jamais de la politique de façon aussi caricaturale que j'ai pu en faire à certains moments, lorsque désireux de prouver à tout prix que le Gouvernement avait tort, j'ai moi-même, je le reconnais, poussé trop loin le bouchon sur un certain nombre de sujets. J'en ai tiré les leçons et dans le rôle qui est le mien aujourd'hui, et si à l'avenir je devais un jour me retrouver de nouveau dans l'opposition, je ne ferai plus de la politique comme dans le passé, vous avez raison.
Q.- Vous parlez peut-être d'opposition aveugle à ce moment-là, un dénigrement systématique de ce qui pouvait être fait ?
R.- Non, pas "aveugle", systématique, effectivement, désireuse de montrer systématiquement que ce que fait un Gouvernement est mauvais. Et lorsque que vous êtes dans une logique de groupe, vous pouvez vous retrouver dans cette situation. Je l'ai fait, je ne le ferai plus.
Q.- Ce qui est quand même un petit peu curieux, en ce qui vous concerne, c'est que surtout votre expertise en matière économique qui était importante au Parti socialiste, et à l'époque vous défendiez, vous critiquiez des thèses en fonction de vos convictions profondes. Et c'est vrai que lorsqu'on regarde ce qui est fait aujourd'hui, dans le paquet fiscal par exemple, beaucoup de ce que proposait, puisque c'était des propositions de N. Sarkozy à l'époque lorsqu'il était simplement candidat, beaucoup de ce qui était proposé par le candidat UMP, eh ben ne vous satisfaisaient pas.
R.- Oui !
Q.- Et j'ai retrouvé des passages, on ne va peut-être pas perdre le temps de les citer, mais des passages très précis où vous critiquez les droits de succession...
R.- ... oui, oui, je me souviens très bien.
Q.- Vous vous trompiez à l'époque ?
R.- Non, je crois qu'il y a un diagnostic à faire sur la situation. Si on était en économie fermée, je pense qu'il y a beaucoup de choses que disait le Parti socialiste et que je disais que je continuerais à dire aujourd'hui. La différence c'est qu'en économie ouverte, les capitaux peuvent s'en aller : c'est vrai pour les entreprises, c'est vrai pour les grandes fortunes, et vous pouvez avoir des fuites du travail le plus qualifié. En clair, si vous augmentez très fortement l'impôt sur le revenu, les gens peuvent choisir d'aller à Bruxelles, à Genève ou à Londres. Donc, toute la réflexion, et ça nous conduira, j'imagine, à la TVA sociale, c'est d'essayer de réfléchir comment en économie ouverte et modernisée, vous pouvez essayer d'avoir une économie compétitive et un haut niveau de protection sociale ; quels sont les impôts qui continuent de poursuivre les mêmes objectifs tout en permettant une compétitivité de l'économie. Et c'est une question qui traverse tous les grands pays européens et qui, d'ailleurs, si vous me le permettez d'un mot, pose un problème aux grands partis de gouvernement. Le clivage droite/gauche, ce n'est pas seulement en France, il est de plus en plus difficile à repérer dans tous les grands pays européens parce que les marges de manoeuvre de gouvernement se réduisent et qu'au fond les solutions, vous les trouvez dans l'Angleterre de Blair comme dans les pays nordiques, suédois, danois, etc. comme en France.
Q.- Puisque vous parlez de la TVA sociale, on va s'arrêter un instant sur ce sujet. Est-ce que vous pensez, comme beaucoup de socialistes, que la TVA est un impôt injuste ?
R.- Non, c'est un impôt proportionnel. Et qui dit proportionnel ne dit pas mécaniquement injuste. S'il s'agit de dire "il n'est pas progressif", c'est vrai. Mais il n'est pas pour autant injuste, la CSG créée par M. Rocard apparaît aujourd'hui comme l'impôt le plus juste en France. Or, c'est un impôt proportionnel. Par ailleurs, ça pose la question de ce que les experts appellent la "redistributivité du système fiscal", c'est-à-dire comment vous créez de la redistribution. Ça n'est pas l'objet de la TVA mais la TVA n'est pas injuste d'autant que si vous êtes riche, si vous consommez beaucoup, vous payez mécaniquement beaucoup de TVA.
Q.- Le pôle de recherche de l'EDHEC vient de conduire une étude qui montre justement que la TVA sociale ça ne marche pas forcément, que ça risque peut-être de mener à une augmentation des prix, etc. Vous, concrètement, vous en êtes où dans votre réflexion ? Est-ce que ça va se faire, selon vous, ou pas, la TVA sociale, sachant que c'est quand même le voeu de N. Sarkozy ?
R.- N. Sarkozy a demandé à ce que nous en discutions à partir de la fin de ce mois d'août. Je leur ai donné, hier, au Premier ministre et au Président de la République, mes premières conclusions et l'observation justement de ce qui s'est fait au Danemark et en Allemagne.
Q.- Justement, vos premières conclusions quelles sont-elles ?
R.- Les premières conclusions c'est d'abord de montrer qu'au Danemark, par exemple, ça ne fait pas débat, la protection sociale est financée pour l'essentiel par la TVA et non par des cotisations assises sur le salaire. Avec une idée simple : c'est que si vous ponctionnez sur le salaire vous pénalisez l'emploi. En Allemagne, ils ont une expérience d'augmentation de trois points de la TVA qui s'est très bien passée, avec une inflation faible, inférieure à 1 %. Il y a la réponse à ce que vous disiez, cette étude je ne la connais, je la lirai, mais sur le fond, si vous augmentez la TVA d'une part et que vous baissez d'autre part les cotisations sociales des employeurs, donc leur prix de revient, il n'y a à priori aucune raison que les prix augmentent. Donc, pour le grand public ça ne doit normalement rien changer.
Q.- Donc, je dois comprendre que pour l'instant, vous y êtes plutôt favorable.
R.- Je trouve qu'il y a des éléments extrêmement intéressants sur le fond, sur les principes. Après il y a des questions d'opportunité : est-ce que c'est adapté à la situation française, est-ce qu'il peut y avoir un consensus politique sur cette question ? Ce sont des questions qui relèvent directement du Président de la République et du Premier ministre.
Q.- Il nous reste deux minutes pour deux questions, on va essayer de faire vite. Aujourd'hui, F. Fillon réunit ses ministres en séminaire gouvernemental pour discuter, justement, des choix budgétaires de 2008 avec notamment ce projet de supprimer 40.000 postes de fonctionnaires. Est-ce que vous confirmez ce chiffre ?
R.- Non, je ne confirme aucun chiffre puisque les arbitrages doivent être rendus, que, en tendance le Président de la République avait dit en campagne ce que serait sa méthode de réduction des effectifs de l'Etat et il n'avait pas caché que ça s'appliquerait à tous les ministères. Les arbitrages seront rendus aujourd'hui, je n'ai rien à dire à ce stade.
Q.- Est-ce que vous pensez réellement possible que la France puisse ramener le budget de l'Etat à l'équilibre en 2010 comme le demande, comme le souhaite Bruxelles ?
R.- 2010, 2012, vous savez qu'il y a eu le débat, en tout cas...
Q.-... Bruxelles dit 2010 !
R.- Oui, bien sûr.
Q.- N. Sarkozy dit 2012.
R.- Mais, comment dire, il ne s'agit pas de dire une date et d'adopter la méthode Coué. Ce sera le résultat de quoi ? D'une croissance forte, il faut la...
Q.-... oui, mais est-ce que concrètement vous jugez que c'est possible ?
R.- Mais oui, bien sûr que c'est possible.
Q.- Pour 2010 ?
R.- Dès que la croissance est forte non seulement vous réduisez les déficits mais vous pouvez aller vers l'excédent. Donc il faut installer la croissance, maîtriser les dépenses et régler la question des dépenses structurelles des comptes sociaux. Cela fait beaucoup mais c'est un objectif qui n'est pas hors d'atteinte.
Q.- Enfin, E. Besson, j'aimerais qu'on revienne un petit peu sur ce qui s'est passé en février. A l'époque vous avez été assez décrié...
R.- C'est de l'histoire ancienne, vous savez.
Q.- C'est de l'histoire ancienne, mais depuis il y a quand même pas mal de choses qui se sont passées. Vous avez été rejoint autour de N. Sarkozy par pas mal de vos anciens collègues socialistes. Comment vous jugez cette ouverture aujourd'hui ? Vous pensez que vous avez ouvert une brèche ?
R.- Je pense que c'est une expérience extrêmement intéressante, c'est pour ça qu'avec des amis, j'ai créé un club de réflexion engagé dans l'action, dans la majorité présidentielle - lesprogressistes.fr, comme on a décidé de s'appeler - qui essaie de montrer quoi ? Que N. Sarkozy a eu un pari extraordinaire, qui est essayer de dire que pour le mouvement, pour la réforme, il lui fallait élargir le socle sur lequel il s'appuyait, il était assis, et essayer de mener des réformes pendant plusieurs années visant à concilier la compétitivité et la protection sociale.
Q.- Mais est-ce que concrètement ces personnes qui sont, certains diraient débauchés, en tout cas qui viennent du Parti socialiste, de la gauche, ont vraiment un rôle à jouer et peuvent s'exprimer aujourd'hui et peuvent influer su la politique qui est menée ?
R.- Il y a deux choses distinctes. Il y a lorsqu'il y a des mesures prises ce qu'on appelle la solidarité gouvernementale : quand vous faites partie d'une équipe, vous défendez sa politique, vous pouvez avoir de temps en temps des réserves ou des états d'âme mais la règle du jeu collectif c'est de défendre ce que défend l'équipe à laquelle vous appartenez. Et puis, il y a des débats internes et le Président de la République comme le Premier ministre en organisent très régulièrement. Et dans ces instances, nous nous exprimons comme nous devons le faire. Moi, je ne sens aucune censure, aucune difficulté à le faire, chaque fois que cela nous est proposé. Mais globalement, il n'y a pas de surprise, le Gouvernement est en train de faire très exactement ce que le Président de la République avait promis en campagne électorale.
Q.- Donc, la gauche n'influe pas ?
R.- Mais c'est pas la gauche n'influe pas, lorsque nous sommes allées les uns et les autres, à un stade différent, chronologique, nous savions ce qu'était le projet de N. Sarkozy, donc si nous avions souscrit, c'est que nous l'avons accepté. Moi, je le connaissais d'autant plus que j'y avais travaillé avant, donc je ne peux pas faire semblant d'être surpris.
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 31 juillet 2007
R.- La prospective c'est d'essayer de réfléchir à ce que sont les réformes qu'il faut faire maintenant pour que notre pays aille mieux dans cinq ans, dans dix ans ; c'est de réfléchir à toutes les conséquences prévisibles d'un certain nombre de phénomènes. Par exemple, le vieillissement. Il est déjà inscrit dans notre démographie ; quelles conséquences aura-t-il, etc. ? Ca, c'est toute la dimension prospective. Vous savez, la France a été longtemps pionnière en la matière, ça s'appelait le Commissariat général au Plan, maintenant ça s'appelle le Conseil d'analyse stratégique, c'est prévoir l'avenir. L'évaluation des politiques publiques c'est simplement vérifier que l'argent public est bien dépensé et qu'il produit ses effets au sens où il rend le service au public qui est attendu. C'est ce que le Gouvernement à la demande du Président de la République a lancé, cette grande révision générale des politiques publiques que nous menons actuellement. Et puis, par ailleurs...
Q.-... Travail que vous pouvez peut-être même faire en partenariat avec la Cour des Comptes parfois ?
R.- Parfois, absolument, puisque la Cour des Comptes a sur certains aspects un rôle éminent à jouer. Et puis, il y a à côté de ce coeur de métier, la prospective et l'évaluation des politiques publiques, des missions ponctuelles que le Premier ministre peut me confier. Il y en a une actuellement que je mène sur ce qu'on appelle la TVA sociale ; il y en a une autre qui m'a été demandée sur la Journée de solidarité, que dans le grand public on appelle le lundi de Pentecôte. C'est-à-dire qu'il me demande de travailler sur des sujets qui sont importants économiquement mais qui sont à la frontière évidemment de l'économie et de la politique en permanence.
Q.- Très bien, eh bien comme ça c'est clarifié. La TVA sociale, justement, on va en reparler dans quelques instants. D'abord j'aimerais avoir votre sentiment sur le dernier chiffre du chômage qui vient de tomber puisque le taux de chômage a officiellement baissé de 1,2 % en juin. Est-ce que vous croyez à ces nouveaux chiffres, parce qu'en 2005 vous déclariez : « Le Gouvernement persévère dans sa volonté de baisser le chômage par ordonnance avec un mélange de stages, de radiations administratives et de créations d'emplois aidés » ; vous parliez d'une « irréalité de la baisse du chômage » ?
R.- Oui, c'était à l'époque d'un plan très précis. Sur la tendance, elle est incontestable. Le Premier ministre a demandé d'ailleurs qu'il y ait une vérification des chiffres pour que le baromètre ne soit plus jamais contesté, que ce soit bien quelque chose qui mette d'accord tout le monde. Mais sur la tendance, qu'elle soit légèrement plus haute ou légèrement plus basse ne change rien à la courbe : oui, le chômage est en train de baisser actuellement en France.
Q.- Et est-ce que, selon vous, c'est la cause d'une politique ou d'une conjoncture ?
R.- Les deux. Lorsque la croissance est bonne, ce qu'elle est plutôt actuellement, lorsque par ailleurs il y a un certain nombre de mesures dites structurelles d'incitation au retour de travail qui ont été prises, ça produit ces effets. Et puis, il y a, dernièrement, une croissance mondiale, reconnaissons-le, qui est forte. Tout ça contribue à cette baisse du chômage.
Q.- Ce que vous dites c'est une manière un peu de saluer le travail qui a été fait depuis un an, depuis deux ans, dans le précédent Gouvernement.
R.- Vous savez, lorsque vous êtes en démocratie, vous avez beau critiquer le Gouvernement en place, qui est la vocation de l'opposition - ce n'est pas seulement un jeu de rôle, c'est la vocation d'une opposition d'être un aiguillon ; moi je trouve normal actuellement que le Parti socialiste joue ce rôle d'aiguillon et de critique. Ben oui, vous critiquez, et puis à la fin, vous pouvez reconnaître un certain nombre d'éléments. Mais vous avez raison sur un point quand même, je vais être honnête, je ne ferai plus jamais de la politique de façon aussi caricaturale que j'ai pu en faire à certains moments, lorsque désireux de prouver à tout prix que le Gouvernement avait tort, j'ai moi-même, je le reconnais, poussé trop loin le bouchon sur un certain nombre de sujets. J'en ai tiré les leçons et dans le rôle qui est le mien aujourd'hui, et si à l'avenir je devais un jour me retrouver de nouveau dans l'opposition, je ne ferai plus de la politique comme dans le passé, vous avez raison.
Q.- Vous parlez peut-être d'opposition aveugle à ce moment-là, un dénigrement systématique de ce qui pouvait être fait ?
R.- Non, pas "aveugle", systématique, effectivement, désireuse de montrer systématiquement que ce que fait un Gouvernement est mauvais. Et lorsque que vous êtes dans une logique de groupe, vous pouvez vous retrouver dans cette situation. Je l'ai fait, je ne le ferai plus.
Q.- Ce qui est quand même un petit peu curieux, en ce qui vous concerne, c'est que surtout votre expertise en matière économique qui était importante au Parti socialiste, et à l'époque vous défendiez, vous critiquiez des thèses en fonction de vos convictions profondes. Et c'est vrai que lorsqu'on regarde ce qui est fait aujourd'hui, dans le paquet fiscal par exemple, beaucoup de ce que proposait, puisque c'était des propositions de N. Sarkozy à l'époque lorsqu'il était simplement candidat, beaucoup de ce qui était proposé par le candidat UMP, eh ben ne vous satisfaisaient pas.
R.- Oui !
Q.- Et j'ai retrouvé des passages, on ne va peut-être pas perdre le temps de les citer, mais des passages très précis où vous critiquez les droits de succession...
R.- ... oui, oui, je me souviens très bien.
Q.- Vous vous trompiez à l'époque ?
R.- Non, je crois qu'il y a un diagnostic à faire sur la situation. Si on était en économie fermée, je pense qu'il y a beaucoup de choses que disait le Parti socialiste et que je disais que je continuerais à dire aujourd'hui. La différence c'est qu'en économie ouverte, les capitaux peuvent s'en aller : c'est vrai pour les entreprises, c'est vrai pour les grandes fortunes, et vous pouvez avoir des fuites du travail le plus qualifié. En clair, si vous augmentez très fortement l'impôt sur le revenu, les gens peuvent choisir d'aller à Bruxelles, à Genève ou à Londres. Donc, toute la réflexion, et ça nous conduira, j'imagine, à la TVA sociale, c'est d'essayer de réfléchir comment en économie ouverte et modernisée, vous pouvez essayer d'avoir une économie compétitive et un haut niveau de protection sociale ; quels sont les impôts qui continuent de poursuivre les mêmes objectifs tout en permettant une compétitivité de l'économie. Et c'est une question qui traverse tous les grands pays européens et qui, d'ailleurs, si vous me le permettez d'un mot, pose un problème aux grands partis de gouvernement. Le clivage droite/gauche, ce n'est pas seulement en France, il est de plus en plus difficile à repérer dans tous les grands pays européens parce que les marges de manoeuvre de gouvernement se réduisent et qu'au fond les solutions, vous les trouvez dans l'Angleterre de Blair comme dans les pays nordiques, suédois, danois, etc. comme en France.
Q.- Puisque vous parlez de la TVA sociale, on va s'arrêter un instant sur ce sujet. Est-ce que vous pensez, comme beaucoup de socialistes, que la TVA est un impôt injuste ?
R.- Non, c'est un impôt proportionnel. Et qui dit proportionnel ne dit pas mécaniquement injuste. S'il s'agit de dire "il n'est pas progressif", c'est vrai. Mais il n'est pas pour autant injuste, la CSG créée par M. Rocard apparaît aujourd'hui comme l'impôt le plus juste en France. Or, c'est un impôt proportionnel. Par ailleurs, ça pose la question de ce que les experts appellent la "redistributivité du système fiscal", c'est-à-dire comment vous créez de la redistribution. Ça n'est pas l'objet de la TVA mais la TVA n'est pas injuste d'autant que si vous êtes riche, si vous consommez beaucoup, vous payez mécaniquement beaucoup de TVA.
Q.- Le pôle de recherche de l'EDHEC vient de conduire une étude qui montre justement que la TVA sociale ça ne marche pas forcément, que ça risque peut-être de mener à une augmentation des prix, etc. Vous, concrètement, vous en êtes où dans votre réflexion ? Est-ce que ça va se faire, selon vous, ou pas, la TVA sociale, sachant que c'est quand même le voeu de N. Sarkozy ?
R.- N. Sarkozy a demandé à ce que nous en discutions à partir de la fin de ce mois d'août. Je leur ai donné, hier, au Premier ministre et au Président de la République, mes premières conclusions et l'observation justement de ce qui s'est fait au Danemark et en Allemagne.
Q.- Justement, vos premières conclusions quelles sont-elles ?
R.- Les premières conclusions c'est d'abord de montrer qu'au Danemark, par exemple, ça ne fait pas débat, la protection sociale est financée pour l'essentiel par la TVA et non par des cotisations assises sur le salaire. Avec une idée simple : c'est que si vous ponctionnez sur le salaire vous pénalisez l'emploi. En Allemagne, ils ont une expérience d'augmentation de trois points de la TVA qui s'est très bien passée, avec une inflation faible, inférieure à 1 %. Il y a la réponse à ce que vous disiez, cette étude je ne la connais, je la lirai, mais sur le fond, si vous augmentez la TVA d'une part et que vous baissez d'autre part les cotisations sociales des employeurs, donc leur prix de revient, il n'y a à priori aucune raison que les prix augmentent. Donc, pour le grand public ça ne doit normalement rien changer.
Q.- Donc, je dois comprendre que pour l'instant, vous y êtes plutôt favorable.
R.- Je trouve qu'il y a des éléments extrêmement intéressants sur le fond, sur les principes. Après il y a des questions d'opportunité : est-ce que c'est adapté à la situation française, est-ce qu'il peut y avoir un consensus politique sur cette question ? Ce sont des questions qui relèvent directement du Président de la République et du Premier ministre.
Q.- Il nous reste deux minutes pour deux questions, on va essayer de faire vite. Aujourd'hui, F. Fillon réunit ses ministres en séminaire gouvernemental pour discuter, justement, des choix budgétaires de 2008 avec notamment ce projet de supprimer 40.000 postes de fonctionnaires. Est-ce que vous confirmez ce chiffre ?
R.- Non, je ne confirme aucun chiffre puisque les arbitrages doivent être rendus, que, en tendance le Président de la République avait dit en campagne ce que serait sa méthode de réduction des effectifs de l'Etat et il n'avait pas caché que ça s'appliquerait à tous les ministères. Les arbitrages seront rendus aujourd'hui, je n'ai rien à dire à ce stade.
Q.- Est-ce que vous pensez réellement possible que la France puisse ramener le budget de l'Etat à l'équilibre en 2010 comme le demande, comme le souhaite Bruxelles ?
R.- 2010, 2012, vous savez qu'il y a eu le débat, en tout cas...
Q.-... Bruxelles dit 2010 !
R.- Oui, bien sûr.
Q.- N. Sarkozy dit 2012.
R.- Mais, comment dire, il ne s'agit pas de dire une date et d'adopter la méthode Coué. Ce sera le résultat de quoi ? D'une croissance forte, il faut la...
Q.-... oui, mais est-ce que concrètement vous jugez que c'est possible ?
R.- Mais oui, bien sûr que c'est possible.
Q.- Pour 2010 ?
R.- Dès que la croissance est forte non seulement vous réduisez les déficits mais vous pouvez aller vers l'excédent. Donc il faut installer la croissance, maîtriser les dépenses et régler la question des dépenses structurelles des comptes sociaux. Cela fait beaucoup mais c'est un objectif qui n'est pas hors d'atteinte.
Q.- Enfin, E. Besson, j'aimerais qu'on revienne un petit peu sur ce qui s'est passé en février. A l'époque vous avez été assez décrié...
R.- C'est de l'histoire ancienne, vous savez.
Q.- C'est de l'histoire ancienne, mais depuis il y a quand même pas mal de choses qui se sont passées. Vous avez été rejoint autour de N. Sarkozy par pas mal de vos anciens collègues socialistes. Comment vous jugez cette ouverture aujourd'hui ? Vous pensez que vous avez ouvert une brèche ?
R.- Je pense que c'est une expérience extrêmement intéressante, c'est pour ça qu'avec des amis, j'ai créé un club de réflexion engagé dans l'action, dans la majorité présidentielle - lesprogressistes.fr, comme on a décidé de s'appeler - qui essaie de montrer quoi ? Que N. Sarkozy a eu un pari extraordinaire, qui est essayer de dire que pour le mouvement, pour la réforme, il lui fallait élargir le socle sur lequel il s'appuyait, il était assis, et essayer de mener des réformes pendant plusieurs années visant à concilier la compétitivité et la protection sociale.
Q.- Mais est-ce que concrètement ces personnes qui sont, certains diraient débauchés, en tout cas qui viennent du Parti socialiste, de la gauche, ont vraiment un rôle à jouer et peuvent s'exprimer aujourd'hui et peuvent influer su la politique qui est menée ?
R.- Il y a deux choses distinctes. Il y a lorsqu'il y a des mesures prises ce qu'on appelle la solidarité gouvernementale : quand vous faites partie d'une équipe, vous défendez sa politique, vous pouvez avoir de temps en temps des réserves ou des états d'âme mais la règle du jeu collectif c'est de défendre ce que défend l'équipe à laquelle vous appartenez. Et puis, il y a des débats internes et le Président de la République comme le Premier ministre en organisent très régulièrement. Et dans ces instances, nous nous exprimons comme nous devons le faire. Moi, je ne sens aucune censure, aucune difficulté à le faire, chaque fois que cela nous est proposé. Mais globalement, il n'y a pas de surprise, le Gouvernement est en train de faire très exactement ce que le Président de la République avait promis en campagne électorale.
Q.- Donc, la gauche n'influe pas ?
R.- Mais c'est pas la gauche n'influe pas, lorsque nous sommes allées les uns et les autres, à un stade différent, chronologique, nous savions ce qu'était le projet de N. Sarkozy, donc si nous avions souscrit, c'est que nous l'avons accepté. Moi, je le connaissais d'autant plus que j'y avais travaillé avant, donc je ne peux pas faire semblant d'être surpris.
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 31 juillet 2007