Conférence de presse de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur l'avenir du Kosovo, la crise de l'influence américaine et le rôle de l'Union européenne au Moyen-Orient, la position française sur l'adhésion de la Turquie à l'UE, et le projet d'Union méditerranéenne, Bucarest le 4 septembre 2007.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Voyage de Bernard Kouchner en Roumanie les 3 et 4 septembre 2007

Texte intégral

Q - Vous parliez tout à l'heure de la menace qui pèse sur l'Europe à cause du désaccord sur le Kosovo. Comment pensez-vous que l'Europe puisse éviter cette menace ? Et une deuxième question pour le même sujet, comment espérez-vous convaincre les Russes, qui affirmaient hier que le Kosovo est une "ligne rouge" dans le même dossier?
R - Laissez-moi d'abord vous dire combien je suis heureux d'être chez vous, en Roumanie, combien je ressens une fois de plus la solidité, la force des liens qui unissent nos deux pays. Je remercie mon ami Adrian Cioroianu de m'avoir invité à parler devant la Conférence des ambassadeurs. L'Europe n'évitera le piège que par son unité. C'est l'unité de l'Europe sur ce problème difficile du Kosovo qui est la solution, quelle que soit la réponse apportée par les Serbes comme par les Albanais du Kosovo. La Troïka, en ce moment, négocie à nouveau - après les 14 mois de négociations de M. Martti Ahtisaari et de son équipe -, vous l'avez vu, à Vienne la semaine dernière, à Londres dans quelques jours.
Donc nous avons - c'est la France qui l'a demandé - un délai supplémentaire pour que le dialogue reprenne. Le dialogue a repris, nous espérons qu'il pourra se conclure de manière positive avec un accord des deux parties. Et quelle que soit la réponse, c'est l'unité de l'Europe qui doit être maintenue. Parce que ce serait véritablement une défaite pour la PESC que d'être séparé entre ceux qui reconnaissent un Kosovo indépendant et ceux qui ne le reconnaissent pas. Il faut maintenir cette unité, c'est beaucoup plus précieux encore que le sort du Kosovo. Et là nous sommes tous d'accord et nous allons travailler, nos 27 pays vont se rencontrer, pour soutenir une position, non pas forcément celle de la Russie, qui a parlé un peu fort hier, ou celle des Etats-Unis, qui ont l'air très déterminés. Il y aura une position européenne. Ne nous laissons pas impressionner par les "lignes rouges". On en a tous brandis mais elles sont destinées à être souples et dépassées.
Q - Et de la Roumanie, qu'est-ce que vous attendez ?
R - J'attends, et je l'ai dit avec beaucoup de clarté, qu'avec son expérience, avec ses problèmes nationaux, avec ses problèmes qui existent aussi à l'intérieur de la Roumanie, elle puisse nous apporter des éléments de réponse dont nous tiendrons compte. Nous nous rencontrons avec Adrian assez souvent, nous nous rencontrerons la semaine prochaine pendant deux jours à Porto. Le Kosovo est à l'ordre du jour.
Q - Il y a de nouvelles solutions pour le Kosovo. La division entre les Serbes et les Albanais, cela veut dire la mort de la région. Une division du Kosovo lui-même, c'est une autre variante possible...
R - Ca, ça s'appelle la partition du Kosovo, et il n'est même pas question d'en parler.
Q - C'est la position de la France ?
R - C'est la position de l'Europe. Nous ne parlons pas de la partition, c'est la position de l'ambassadeur Ischinger qui représente l'Union européenne dans la Troïka, c'est la position des Etats-Unis, c'est la position de la Russie aussi. Le Kosovo, nous en parlons pour son avenir. Alors, ne parlons pas de partition.
Q - Vous avez parlé d'une crise de l'influence américaine au Moyen-Orient. Est-ce que vous envisagez une offensive diplomatique de l'Union européenne, est-ce que vous avez évoqué ce sujet avec M. le ministre Cioroianu ?
R -Ce n'est pas une crise. Il y a de l'influence américaine, heureusement parfois, malheureusement parfois aussi. Nous avons parlé du Moyen-Orient et des problèmes qui concernent surtout l'Irak, parce que j'en reviens. Et il y a en Irak, à mon avis, la nécessité de tourner la page de l'intervention américaine. Maintenant, il y a un problème irakien, dans un endroit très dangereux. Nous avons en même temps les communautés, les religions, les pouvoirs politiques extérieurs, à proximité d'un pays très important qui s'appelle l'Iran. Avec les problèmes que nous connaissons.
Donc, il me semble qu'il faut absolument que l'Union européenne s'investisse pour permettre la mise en oeuvre de la résolution des Nations unies qui a été votée le 10 août et qui permettrait, sans envoyer les soldats en Irak -car il n'est pas question d'envoyer des soldats en Irak- de travailler avec les Américains qui y sont encore pour un temps que j'espère court, et avec le gouvernement irakien. Cette résolution des Nations unies doit être mise en oeuvre, à mon avis, en particulier par l'Europe, pour que la société civile irakienne comprenne qu'elle n'est pas seule, que nous voulons que cette crise, dangereuse pour le monde entier, dangereuse pour le Moyen-Orient, puisse se régler. J'espère que c'est une position qui sera comprise.
Au Liban maintenant, il y a un peu d'espoir, avec une élection présidentielle qui doit se dérouler entre septembre et novembre. J'espère qu'il n'y aura pas d'obstacle, qu'il n'y aura pas d'assassinats et d'interventions extérieures. Là aussi nous devrons travailler, certes avec nos amis américains, mais il y a une position de l'Europe qui doit être entendue.
Q - Il y a une différence de nuance entre la Turquie vue par le candidat Sarkozy et la candidature de la Turquie à l'Union européenne vue par le président Sarkozy. Est-ce que vous pouvez nous donner quelques explications là-dessus ?
R - Le président Sarkozy se souvient très bien des paroles du candidat Sarkozy, mais il n'a pas la même responsabilité. Comme je suis ministre des Affaires étrangères nommé par le président Sarkozy - pour lequel je n'ai pas voté, et donc il y a une petite divergence entre nous à ce propos - je dois me rapporter à la position du président de la République française.
Il pense toujours que la Turquie n'a pas sa place dans l'Union européenne, mais il ne fera en aucun cas obstacle à la poursuite des discussions sur l'élargissement de l'Union entre cette Union et la Turquie.
Sur les 35 chapitres à ouvrir, comme le président l'a dit la semaine dernière, dans un discours remarquable d'ailleurs, et remarqué, à la Conférence des ambassadeurs, il ne fera pas obstacle à l'ouverture des 30 chapitres qui sont compatibles avec l'association.
Donc, nous avons du temps, cela prendra des années, c'est une perspective très intéressante. Il y aura des conditions très nettes : Droits de l'Homme, place de la religion et respect de la religion des autres. Il y aura beaucoup de conditions, mais le dialogue se poursuivra. Voilà donc la position du président de la République. Mais il demeure fermement hostile à l'entrée de la Turquie.
Q - Doit-on aller vers un partenariat renforcé ?
R - C'est ce que pense la France. La France n'est pas seule en Europe, mais nous avons aussi un mécanisme constitutionnel qui fait que chaque élargissement de l'Union devrait être approuvé par un référendum dans notre pays, ce qui pourrait constituer un obstacle. C'est très important, il faut réfléchir à cela aussi.
Q - Quelle est dans votre opinion sur la contribution que la Roumanie peut apporter au projet d'Union méditerranéenne que la France soutient ?
R - Une contribution très importante, qu'elle a déjà apportée, puisque le ministre roumain des Affaires étrangères était présent à la réunion des dix ministres convoqués par la Slovénie, qui présidera l'Union européenne après le Portugal. Nous nous sommes réunis pour parler de cela en particulier, il y a un mois. La Bulgarie et la Roumanie ne font pas partie des pays qui ont des débouchés sur la mer Méditerranée, mais ils font partie de cette région et nous avons tenu à les inviter.
Il y aura aussi d'autres pays qui seront probablement associés, comme le Portugal qui n'a d'ailleurs pas non plus d'accès direct à la Méditerranée. Cette idée doit être ajustée. C'est une idée très ambitieuse qui ne s'oppose pas, ni à la politique de voisinage, que j'approuve, de Mme Ferrero-Waldner, ni au processus de Barcelone, que nous approuvons et auquel nous avons participé. Nous voulons simplement que cela passe par des projets, des projets qui soient surtout privés, avec de grandes entreprises, mais pas seulement, des projets qui de part et d'autre de la Méditerranée puissent être mis en oeuvre immédiatement. Nous voulons, pour être très court, une construction qui serait entre l'Union européenne, les pays du Sud de la Méditerranée, et l'Union africaine qui est en train de naître et qui se manifeste déjà fortement pour le Darfour. Il existe un pont à construire entre ces différents ensembles, qui serait l'Union méditerranéenne. Cette Union consisterait surtout à jeter ce pont entre deux cultures, celle occidentale et la culture arabe ou africaine. Voilà l'idée.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 septembre 2007