Interview de M. Xavier Darcos, ministre de l'éducation nationale, à La Chaîne Info le 5 septembre 2007, sur la lettre adressée aux enseignants, la réussite scolaire, les surcharges horaires des élèves de lycée, le sport à l'école et l'intégration scolaire des enfants handicapés.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

Q- N. Sarkozy envoie donc sa lettre aux éducateurs, 879.000 destinataires environ, pour un coût de 500.000 euros. N'est-ce pas un peu cher pour une opération de communication et pour jouer à
J. Ferry ?
R- C'est près d'un million de personnes qui vont recevoir cette lettre. 500.000 euros, cela veut dire 50 centimes d'euro par professeur. Je trouve vraiment que les professeurs de France méritent qu'on dépense 50 centimes d'euro chacun pour leur envoyer une lettre. Le président de la République, leur dire, sa confiance et ses objectifs, c'est vraiment peu de chose.
Q- A quand un mail pour tous les profs, avec une adresse et... ?
R- Cela existe déjà, mais je pense que la volonté du président de la République c'est d'adresser une lettre personnelle, c'est de faire un acte de confiance vis-à-vis des enseignants, de leur dire ce que la nation attend d'eux. Et je trouve que l'idée d'envoyer une lettre, privée en quelque sorte, est symbolique et beaucoup plus forte.
Q- Le Président affirme chercher l'équilibre entre la transmission des savoirs et l'épanouissement des personnalités, entre culture et nature, comme il le dit. Mais enfin, quand on regarde le contenu
précis de son discours, on penche vers le classicisme : c'est la revanche contre Mai 68, ça continue ?
R- Non, pas vraiment parce que... Evidemment, le président de la République rappelle la transmission, l'autorité, la fonction stabilisatrice de l'école dans la nation. Mais aussi, il insiste beaucoup sur la confiance dans les enseignants, sur la liberté des méthodes, il fixe une ligne d'horizon, il fixe des grands objectifs, ce que la nation attend de son école, sans chercher à faire pression sur les personnels au titre des méthodes ou des contenus.
Q- Alors, quand il dit : "Le creuset de l'identité nationale c'est l'école", ne politise-t-il pas l'école ?
R- Mais écoutez, C. Barbier ! Le matin, moi quand j'amène mon petit garçon à l'école, que je le laisse, là, pour la journée, toute la semaine, et pendant pratiquement dix mois par an, je fais un acte de confiance extraordinaire à l'école, et je laisse une responsabilité à ces personnes extraordinaires. Et beaucoup plus que lorsque je vais, je ne sais pas, demander un service à un plombier, même si c'est une profession tout à fait honorable. Mais tout de même, c'est un autre acte que de confier une génération à des professeurs. Et en conséquence, je trouve qu'il est tout à fait normal que le président de la République considère que c'est une mission, c'est une fonction qui n'est pas comparable avec les autres, et que cela mérite qu'il y ait un face à face, les yeux dans les yeux, si je puis dire, entre le président de la République, le chef de l'Etat et ces professeurs.
Q- "Donner le maximum à chacun plutôt que le minimum à tous", écrit le Président, cela veut-il dire que vous allez en finir avec le collège unique ?
R- Je crois que le collège unique est aujourd'hui totalement dépassé. Nous savons que pour tous les élèves, ce qui compte pour eux, c'est d'être réactif, c'est d'accompagner individuellement leur parcours et non pas de faire, selon un formatage absurde et universel, le même enseignement pour tous, au même moment. Mais je dois dire que le collège unique a déjà très sensiblement évolué sous l'influence, tout simplement, des réalités du terrain.
Q- Alors, pour s'adapter à chacun, le Président est très clair : il ne faut pas passer au niveau supérieur, au collège, au lycée, si on n'en pas le niveau. Est-ce que le retour de la sélection à ces étapes-là, et qu'allez-vous faire des recalés ?
R- Non, ce que dit le président de la République c'est qu'il n'est pas dans l'intérêt des jeunes de rentrer, par exemple, au collège, sans pouvoir bénéficier de l'enseignement du collège, et qu'en conséquence, il faut faire en sorte que ces élèves qui y rentrent aient les fondamentaux.
Q- Que fait-on s'ils ne les ont pas ?
R- Nous allons nous occuper d'eux plus spécialement. Vous savez que le Haut Conseil nous a rappelés à l'ordre à l'égard de l'école primaire. Je souhaite que, en fin du troisième cycle de l'école primaire, c'est-à-dire, en CM2, la dernière année de l'école primaire, nous ayons, là, les dispositifs de vérification, de remédiation, avec des dédoublements, avec des petits groupes de travail que nous pourrons prendre séparément, pour faire en sorte que les élèves qui rentrent en 6ème ne soient pas dans cette difficulté. Ce n'est que 15 % qui sont en très grande difficulté, 25 en difficulté moyenne, il ne faut pas non plus noircir le tableau, mais il faut, à nouveau, un grand projet pour l'école primaire, je l'annoncerai d'ici la fin du mois d'octobre.
Q- Compte tenu de son coût et compte tenu aussi du fait qu'on a tendance à donner de plus en plus facilement, ne faut-il pas supprimer le bac, comme le réclame J.-R. Pitte, qui préside Paris IV à La Sorbonne ?
R- Non, J.-R. Pitte, dit que le bac est facile à passer pour ceux qui le passent, admettons, mais en tous les cas, je rappelle qu'il y a plus d'un tiers d'une génération en âge d'avoir le baccalauréat qui ne l'a pas. Il y a 65 % de jeunes Français qui ont le baccalauréat, seulement. Donc, arrêtons de considérer que le baccalauréat est distribué à tout le monde, qu'il ne sert à rien, ce n'est pas vrai. Nous avons besoin de faire monter encore le nombre de bacheliers. Simplement, ce qu'il faut peut-être faire monter aussi c'est le niveau peut-être. C'est de cela qu'il faut que nous préoccupions.
Q- Alors, quand le Gouvernement nous dit "il faut moins d'heures de cours pour les élèves", ce n'est pas seulement par souci d'épargner les têtes blondes et de leur faire des journées plus calmes, c'est aussi pour économiser des postes ? Une heure de cours, dit-on, c'est 4.000 postes de moins ?
R- Non, excusez-moi de le dire, C. Barbier, vous vous trompez. Ce qui a été démontré dans les dernières années, c'est que l'injection massive de moyens et de personnes, finalement, n'avait pas d'efficacité, perceptible en tout cas, sur le système éducatif. Voilà 30 ans que nous ajoutons des postes, sans cesse, que nous ajoutons des heures, des options, des possibilités diverses d'enseignement, que nos élèves de lycées ont parfois ont parfois entre 35 et 40 heures de cours par semaine, alors que les statistiques montrent que nous restons tout à fait dans une petite moyenne dans les résultats comparés avec les pays de même développement que nous. Donc, il n'est pas avéré que l'injection massive d'horaires, la surcharge des élèves, soient de nature à les faire
progresser.
Q- Mais moins de cours, c'est quand même moins de postes ?
R- Ce n'est pas ainsi que nous raisonnons. Et puis, de toute façon, on va en parler des postes puisque toujours on en parle. On me dit : alors, moins 11.000 postes, c'est une catastrophe ! Moins 0,8 %. Mais...
Q- Vous dites, vous, que c'est dérisoire. Le mot est fort quand même !
R- Ecoutez, on va raisonner à l'inverse. Si on avait ajouté + 0,8%, si on avait ajouté 11.000 postes, pensez-vous vraiment que, à la rentrée 2008, subitement, tout irait mieux, tout serait réglé ? ! Cela fait 30 ans que j'entends, par exemple, M. Aschieri, m'expliquer qu'il faut rajouter des postes, rajouter des postes !. Cela fait 30 ans qu'il nous dit cela ! Et il me dit : "mais, M. Darcos, vous vous trompez de vouloir supprimer". Alors, si je me trompe, depuis trois mois, lui se trompe depuis 30 ans, parce que cela 30 ans qu'on en rajoute systématiquement ! On a augmenté de 80 % notre budget, nos effectifs en 30 ans. Est-ce que vraiment nous avons augmenté de 80 % l'efficacité du système éducatif ? Tout le monde comprendra que c'est moi qui ai raison.
Q- Si les élèves ont moins d'heures de cours, cela fera plus d'orphelins de 16 heures, comme disait le candidat Sarkozy, c'est-à-dire, d'enfants laissés à eux-mêmes, à la rue, à la fin des cours ?
R- Bien au contraire, puisque, précisément, nous mettons en place pour eux, et dès cette rentrée, dans tous les collèges "Ambition Réussite", quatre fois par semaine, deux heures d'accompagnement éducatif, d'aide aux devoirs, d'activités culturelles, et surtout et aussi, d'activités sportives, de sorte que tous les enfants soient égaux vis-à-vis de l'école, parce que l'un des facteurs d'inégalité, le principal presque, c'est le fait d'avoir une famille qui vous accompagne dans votre progrès scolaire, dans votre travail scolaire.
Q- Est-ce que vous allez commencer les négociations pour instaurer à terme le service minimum à l'école ?
R- J'ai déjà dit que la fonction publique de l'Education nationale, c'est la fonction publique tout court, et que c'est un projet de campagne, une promesse de campagne. Je sui ici pour accomplir le projet du président de la République, N. Sarkozy. Et la question du service minimum doit être évoquée. Chez nous, elle se pose essentiellement en termes de maintien de l'accueil, évidemment.
Q- Les fédérations d'enseignants, les syndicats se réunissent la semaine prochaine. Craignez-vous une grève ?
R- Tous les ministres de l'Education nationale peuvent imaginer qu'ils vont croiser quelques grèves dans leur carrière, quelle que soit sa durée et sa longueur. Je crois que nous n'en sommes plus là. Voyez ce que le président de la République dit aux enseignants : il propose que le grand projet politique de la nation s'appuie sur un grand projet éducatif. Arrêtons ces défilés, ces protestations, ce vocabulaire un peu démodé. Quand on parle de "la saignée", "la logique néolibérale"... Tout ceci n'a aucun sens par rapport à ce que je suis, et à ce que veut le président de la République, que j'accomplirai. Revenons tout simplement aux réalités.
Q- Vous avez tenté de contrôler le prix de 30 fournitures scolaires en cette rentrée. Cela a-t-il marché, allez-vous continuer à suivre les prix de ces fournitures tout du long de l'année, et est-ce qu'en 2008, vous élargirez votre réforme ?
R- Bien entendu, cela a marché. Nous nous y sommes pris un peu tard, je le reconnais, parce que nous avons été alertés tardivement par des fédérations de consommateurs et par les familles. Mais alors, là, je vais m'y prendre différemment pour la rentrée prochaine, je veux allonger cette liste, qui a très bien fonctionné, qui a permis à des familles d'acheter des choses essentielles à bas prix. Mais il faut ajouter les cartables, il faut ajouter des fournitures supplémentaires. Et donc, dès la fin de ce trimestre, j'aurai rencontré, avec les fédérations de parents d'élèves, la grande distribution, pour que nous fassions une liste un peu plus longue, un peu plus conséquente, et qui, elle, sera connue beaucoup plus tôt des familles.
Q- Vous allez distribuer dans les heures qui viennent 14.000 places de rugby pour la Coupe du monde...
R- Oui.
Q- ... à des jeunes et à des enseignants. Le Président, a rappelé que la place du sport à l'école devait croître. N'est-ce pas aussi une manière de transformer l'école en espace ludique au détriment du travail ?
R- Non, surtout pas, parce qu'il faut que les enfants réussissent dans quelque domaine, et pour beaucoup de nos enfants, qui ont du mal à l'école, dans les matières théoriques, il faut aussi qu'ils réussissent, qu'ils se défoncent et qu'ils gagnent. Et l'esprit du sport, l'esprit d'équipe, l'esprit de conquête, l'esprit de fraternité, la règle, l'arbitre, et tout simplement, le dépassement de soi, c'est un acte éducatif majeur. Voilà pourquoi nous augmentons, dès cette rentrée, d'une heure l'éducation physique et sportive dans le primaire, et voilà pourquoi, dans le cadre des études surveillées, nous allons doubler le temps que les enfants passent à l'école, et pas seulement avec les 14.000 places que la Fédération française de rugby va distribuer à nos élèves.
Q- En cette rentrée, accent a été mis sur l'accueil des élèves handicapés à l'école...
R- Oui.
Q- Combien restent néanmoins sur le carreau, on dit 15.000 ?
R- Je ne crois pas, parce que nous avons identifié le nombre de demandes, telles que nous avons pu les connaître, au début du mois d'août. Donc, nous sommes quand même très très près de l'analyse réelle des besoins. On nous dit que nous allons accueillir - que nous accueillons en ce moment - 38.000 élèves handicapés par rapport aux 28.000 de l'année dernière, c'est 10.000 de plus. Nous avons créé 2.700 auxiliaires de vie scolaire, c'est-à-dire 1 pour 3,5, pour 4, comme c'est la règle pour cette rentrée. Donc, je ne suis pas très inquiet à ce sujet. Je pense que, pour les handicapés comme pour tout le monde, la rentrée s'est bien passée.
Q- Le 22 octobre, les enseignants doivent lire la lire la lettre de G. Môquet. Ceux qui refuseront de le faire seront sanctionnés ?
R- Mais personne ne refusera de...
Q- Cela peut arriver.
R- Non, je connais les enseignants, personne ne refusera d'accompagner les élèves dans une réflexion sur ce qui a été la Seconde Guerre mondiale, dans une réflexion sur ce qui est le courage de la jeunesse, l'héroïsme, puisque nous avons créé un petit document, avec des textes très variés, qui permettent de réfléchir à ce que signifie l'idée qu'un jeune homme de 17 ans accepte de mourir pour ce à quoi il croit. C'est là un acte éducatif, c'est aussi quelque chose de fondateur pour l'école. Et je suis certain que tous les professeurs y participeront.Source: premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 5 septembre 2007