Interview de M. Jean-Luc Mélenchon, ministre délégué à l'enseignement professionnel, dans "Animation et Education" de janvier 2001, sur la formation professionnelle, notamment dans l'enseignement professionnel, l'émergence de nouveaux métiers et le partenariat avec les entreprises.

Prononcé le 1er janvier 2001

Intervenant(s) : 

Média : Animation et éducation

Texte intégral

La période de croissance radicalement nouvelle qui s'amorce induit une forte demande des entreprises en terme de main-d'uvre qualifiée. Cette demande est une chance pour les jeunes mais représente, aussi, un véritable enjeu éducatif pour l'Éducation nationale et, particulièrement, l'enseignement professionnel.
Comment relever ce défi ? Réponse du Ministre délégué à l'Enseignement professionnel.
Animation et Éducation : En quoi la formation professionnelle a-t-elle évolué ces dernières années ?
L'enseignement professionnel s'est toujours montré réactif. C'est ainsi qu'il a pu s'adapter, y compris dans la période de crise et de chômage de masse que nous venons de traverser. Nous avons bénéficié de multiples ouvertures, notamment en offrant l'accès à un second niveau de qualification, mais encore et surtout en multipliant les innovations : la création des baccalauréats professionnels marque en cela une étape importante. N'oublions pas que le dernier doublement du nombre de bacheliers est en grande partie redevable à la création de ce nouveau diplôme. Et il a entraîné avec lui l'évolution de l'ensemble des formations et qualifications du second degré : le développement des périodes de formation en entreprise comme l'installation du contrôle continu en cours de formation, dont la validation se fait en association avec des professionnels, ont bénéficié à tous les élèves préparant des diplômes professionnels. Autre innovation majeure, plus récente, qui répond au même souci d'accroître l'offre de formation professionnelle et de répondre plus justement aux besoins du pays : le développement de la professionnalisation dans le supérieur. Nous avons pallié le manque de formation professionnelle au niveau II avec la création à la rentrée 2000 de 195 licences professionnelles.
Aujourd'hui le nouveau défi à l'Éducation Nationale est de taille. Nous connaissons en effet une période de croissance radicalement nouvelle. Le temps du chômage de masse s'éloigne et un formidable aspirateur à emploi s'est mis en place. Au point que nombre d'entreprises connaissent des pénuries de main d'uvre qualifiée, à tous les niveaux de l'emploi. Ce doit être une chance pour les jeunes qui s'engagent dans la voie des métiers. Et il faut bien le comprendre comme tel. C'est pourquoi l'hémorragie des effectifs que nous rencontrons encore cette année - 30 960 élèves en moins à la rentrée ! - doit être enrayée. Résoudre ce paradoxe est un enjeu majeur. Un enjeu éducatif, mais encore et surtout un enjeu économique. Le pays a besoin de cette main d'uvre formée et qualifiée pour accompagner la croissance. Il faut le dire. Car pour l'essentiel nous nous heurtons à des représentations erronées de ces filières, à l'image dégradée que la société porte sur le travail technique et professionnel.
Animation et Éducation : On parle souvent " d'orientation par défaut " lorsqu'un jeune choisit une formation professionnelle. Quelles sont les actions et à quel niveau votre Ministère souhaite-t-il développer pour réagir à cet état de fait ou de pensée ?
Il faut en finir avec cette idée " d'orientation par défaut ". Le jeune doit pouvoir choisir la filière qui lui sied le mieux. Mais c'est également la mission de l'enseignement professionnel de service public d'accueillir tous les publics, selon la même logique d'émancipation personnelle et professionnelle. Pour cela il importe d'accroître la lisibilité des filières professionnelles, d'indiquer clairement les métiers auxquels elles conduisent. De la sorte, les jeunes pourront intérioriser l'utilité sociale du métier qui leur est enseigné, et avoir réellement la possibilité de se construire. Ainsi tous les diplômes professionnels et technologiques vont être classés d'après la nomenclature des métiers. Pour ne citer qu'un exemple, le CAP de " préparateur de produits carnés " sera plus clairement désigné comme le CAP de boucher qu'il est. Nous voulons par divers moyens donner à tous la possibilité de réussir leur orientation. C'est le sens de ma proposition d'organiser un " entretien de plan de carrière " à 15 ans, soit un an avant la fin de sa scolarité obligatoire. C'est un entretien, ou plus justement une série d'entretiens, qui doit aider le jeune à réfléchir à son avenir scolaire et professionnel et à le construire. Il lui permettra de se situer, de trouver des solutions, d'envisager la suite de ses études ou son insertion en disposant de toutes les informations nécessaires comme de l'aide, du conseil et du suivi de professionnels avertis. Les expérimentations que nous menons cette année dans cinq académies (Lille, Toulouse, Aix-Marseille, Orléans-Tours et Amiens) sont prometteuses. Mais cette question de l'orientation ne peut être correctement et honnêtement posée que si, en même temps, l'offre de l'enseignement professionnel est valorisée par ses propres performances. C'est affaire de moyens. Sans doute. Le budget du gouvernement y pourvoit vigoureusement avec un milliard de dépenses nouvelles. Mais c'est aussi et prioritairement une question d'aménagement qualitatif du système où l'innovation pédagogique et de généralisation des expériences réussies sont les priorités.
Animation et Éducation : Quels sont ou seront les nouveaux métiers qui nécessiteront une formation professionnelle ? Quelles passerelles seront mises en place ?
Nul ne peut présager de l'avenir ! Mais il est vrai qu'on peut identifier un certain nombre de secteurs en développement - je pense en particulier à la haute technologie ou aux services à la personne. De même la recomposition des métiers nécessite des formations croisées : ainsi les technico-commerciaux sont de plus en plus nécessaires. En réalité, tous les métiers sont de " nouveaux métiers ". Tous les métiers connaissent des évolutions et bénéficient des innovations technologiques. Il apparaît clairement que les métiers d'aujourd'hui sont de véritables sciences pratiques qui intègrent une exigence forte de savoirs fondamentaux et technologiques. Pour répondre à cette exigence, nous devons accroître la fluidité de la voie des métiers en jouant la complémentarité entre la filière professionnelle et la filière technologique. Dans le second degré, je tiens à développer les classes d'adaptation, mais aussi à faire jouer aux diplômes de multiples fonctions (insertion, ou palier d'étude) en variant la durée selon l'objectif poursuivi : on peut envisager d'accentuer la dimension professionnelle d'un BEP en 2 ans par un CAP en 1 an ; de même après un bac technologique il doit être possible de passer un bac pro en 1 an. Il importe encore de faciliter la poursuite d'études dans le supérieur. En particulier, il serait souhaitable de créer un sas préparatoire, interface entre le bac pro et l'enseignement supérieur. D'un point de vue plus général, cela revient à multiplier les actions concrètes pour favoriser les synergies entre la filière professionnelle et la filière technologique. Nous avons pour ce faire un appui majeur que nous voulons développer : le lycée des métiers ; autour d'un métier ou d'un ensemble de métiers connexes il propose l'ensemble des qualifications requises pour y accéder. Cette offre de formation à tous les niveaux doit être également une offre de formation pour tous : élèves en formation initiale comme adultes en formation continue. Car les deux vont de pair : une solide formation initiale constitue un socle pour accéder à la formation continue. La modernisation des procédures de validation des acquis professionnels va accroître ce lien. Nous pouvons en être fiers. La France est le seul pays en Europe à disposer de la totalité de ces dispositifs de formation, et à pouvoir ainsi s'adresser à chacun à tous les moments de sa vie scolaire ou professionnelle.
Animation et Éducation : Quels sont la place et le rôle des entreprises au sein des formations professionnelles organisées par l'Éducation Nationale ?
Les relations de partenariat avec les entreprises sont très anciennes, et ont toujours été beaucoup plus riches qu'on veut bien le croire. On reproche souvent à l'Éducation Nationale de ne pas répondre aux qualifications demandées par les entreprises C'est oublier que les référentiels de tous les diplômes sont élaborés de concert par tous les partenaires, du monde éducatif et du monde professionnel, dans le cadre des commissions professionnelles consultatives (CPC), ce qui permet de garantir leur crédibilité. Plus encore, on ne peut concevoir de formation professionnelle sans un étroit partenariat avec les entreprises, les branches. N'oublions pas que nos jeunes sont accueillis plusieurs semaines par an dans les entreprises pour des périodes de formation sur site de production. Nous sommes d'ailleurs en train d'élaborer un protocole d'accord-cadre sur les périodes de formation en entreprise pour en assurer ce bon déroulement et une utilisation pédagogique optimale. Ainsi elles pourront mieux encore participer de l'acquisition de connaissances et compétences et trouver la place qui doit être la leur dans la formation des jeunes par la mise en uvre des savoirs en action. Plus généralement, le partenariat avec les entreprises doit pouvoir bénéficier à tous les acteurs de la voie des métiers. C'est pourquoi l'Éducation Nationale multiplie les conventions avec entreprises et branches dans de multiples domaines : information/orientation, transferts de technologie, échanges de personnels, validation des acquis professionnels, insertion professionnelle des aides-éducateurs En outre, nous allons multiplier les périodes de formation dans les entreprises européennes pour favoriser la mobilité et la maîtrise d'autres approches technologiques.
Propos recueillis par Yves Potel.

(source http://www.enseignement-professionnel.gouv.fr, le 17 janvier 2001)