Interview de M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat chargé des transports, à "La Chaîne Info" le 31 octobre 2007, sur les négociations entre le gouvernement et les syndicats concernant la réforme des régimes spéciaux après la grève des transports publics, la grève à Air France et la concurrence entre les compagnies aériennes.

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Q- Négociation cruciale aujourd'hui entre les syndicats et le Gouvernement. Votre pronostic : irons-nous, notamment à la SNCF et à la RATP, vers une grande journée, ou plusieurs, de grève à la mi-novembre ?
R- Le dialogue se poursuit de deux manières : X. Bertrand continue de recevoir les organisations syndicales ; dans les grandes entreprises de transport - je pense à la SNCF et à la RATP -, le dialogue se poursuit entre les directions et les syndicats. Voilà. Ce que nous souhaitons maintenant, c'est que, bien sûr, nous mettions en application la réforme que nous avons décidé de mener, la réforme des régimes spéciaux, mais qu'en même temps, entreprise par entreprise, on en négocie les conditions, le déroulement, le calendrier, la méthode. Et c'est ce qui continue de se faire. Je souhaite que tout cela aboutisse positivement.
Q- On négocie, mais en même temps, on sait que les syndicats envisagent le 13 novembre ou alors le 20 novembre, pour faire une manifestation de force collective avec les fonctionnaires.
R- Oui, mais il y a déjà des avancées. Regardez, à la SNCF, les conducteurs, le syndicat autonome, la FGAAC, a déjà conclu un accord avec la direction et un certain nombre de conditions. Donc, il faut bien voir qu'il y a tout un brouhaha, mais qu'il y a en même temps des négociations très concrètes, entreprise par entreprise, qui se déroulent actuellement. Et je le répète, je souhaite que nous puissions nous dispenser de grève. Il faut bien voir qu'une journée comme celle que la SNCF a vécue, un peu reconductible, c'est plusieurs dizaines de millions d'euros. La SNCF, pour rester dans ce cas, c'est une très belle entreprise, mais c'est une entreprise dont le redressement, qu'avait entamé L. Gallois, reste encore fragile. Donc il faut faire très attention à ces entreprises.
Q- Quand A.-M. Idrac propose d'étendre aux autres métiers ce qu'elle a négocié rapidement avec les autonomes, avec les conducteurs, c'est une bonne idée ou, au contraire, ça va annuler les effets positifs comptables de la réforme ?
R- La négociation, c'est l'affaire des chefs d'entreprise, A.-M. Idrac à la
SNCF, P. Mongin à la RATP, d'autres encore, sont les patrons de leur
entreprise, ils ont une feuille de route dictée par le Gouvernement,
puisque nous sommes dans des entreprises publiques, mais c'est à eux
d'adapter leurs dispositifs aux spécificités de leur entreprise.
Q- La négociation, c'est aussi l'affaire du président de la République ; il est allé rencontrer les cheminots la semaine dernière. Il propose que l'on passe pour tous à quarante années, ça, il ne veut pas transiger. En revanche, il a dit que la décote - c'est-à-dire, on touche moins de retraite si on est parti avant ses quarante années de cotisations - ne serait appliquée qu'aux nouveaux entrants à la SNCF ; c'est une bonne idée ?
R- Moi, ce qui m'a frappé la semaine dernière, c'est d'abord cette rencontre. D'abord, cela fait vingt-cinq ans qu'un chef de l'Etat n'était pas entré, en dehors d'une inauguration de ligne, etc., dans un établissement de la SNCF. Et le président de la République, à 8 heures du matin, devant les 2.000 cheminots au centre d'entretien du (inaud.), c'est un événement ! Dialogue parfois franc...
Q- Ça met l'huile sur le feu quand même !
R- Non. Moi, si vous voulez, j'ai entendu la réaction des gens, j'ai entendu la réaction de cheminots que je connais, et que j'ai vus dans le train cette semaine, qui m'ont dit : "chapeau, on n'est pas d'accord avec lui, mais c'est courageux, il vient parler avec nous". Et dans l'opinion publique, je l'ai vécu chez moi, en Charente-Maritime - je l'ai dit au Président d'ailleurs -, une adhésion au courage et à la spontanéité du dialogue avec le Président. Maintenant, sur la négociation, le Président a lancé un certain nombre d'idées, c'est X. Bertrand qui est aux commandes.
Q- Vous-même, dans la connaissance du milieu des transports, l'idée que les nouveaux embauchés auraient un traitement différent, mais que ceux qui sont déjà là seraient traités de la même manière jusqu'à la fin de leur carrière, c'est une bonne idée ?
R- Je ne vais pas me prononcer, pour une raison très simple, c'est qu'un seul ministre mène cette négociation, c'est le ministre du Travail, et c'est bien normal. Deuxièmement, les conditions sont différentes. Vous savez que, déjà depuis un certain nombre d'années - on l'a vécu dans l'affaire d'Air France -, il y a dans les grandes entreprises, publiques ou privées, des conditions différentes pour les nouveaux embauchés, les anciens, etc., Tout ça fait partie d'une discussion. Ce que je répète, c'est que cette grève a été extrêmement désagréable pour nos concitoyens, mauvaise pour les entreprises considérées, parce qu'elles ont perdu de l'argent, elles ont peut-être aussi parfois, dans certains cas, perdu des clients, et qu'il faut tout faire pour que le dialogue social aboutisse, et que nous mettions en place, naturellement, comme nous le souhaitons, la réforme des régimes spéciaux dans les meilleurs délais, et ensuite, chaque entreprise fait sa construction sociale à l'intérieur de l'entreprise.
Q- Est-ce que vous jouez sur la division des syndicats, entre les jusqu'au-boutistes et les modérés ?
R- Vous savez, ce n'est pas vraiment le cas. Regardez la CGT, à la SNCF, avait décidé de faire une grève carrée, elle l'a fait, et parfois, la CGT n'est pas considérée à la SNCF comme le syndicat le plus modéré, mais elle a eu une attitude constructive le jour de la grève. D'autres syndicats ont eu d'autres comportements. Ce que je pense vraiment, c'est qu'il faut savoir que ces entreprises sont en concurrence. Regardez la SNCF, elle est le premier transporteur de fret ferroviaire en France, mais elle a cinq concurrents, qui prennent des parts de marché. La SNCF est aussi en concurrence sur un certain nombre de relations ; dans quelques années, il y aura des TGV, d'autres opérateurs de la SNCF sur des parcours internationaux. Donc il faut faire quand même très attention à ne pas perdre nos parts de marché, parce que nos parts de marché perdues, c'est de l'emploi pour les travailleurs français qui disparaît.
Q- Grève aussi virulente, la semaine dernière à Air France. Est-ce que vous surveillerez les négociations qui se sont ouvertes afin que les passagers ne revivent pas à Noël ce qu'ils ont vécu à la Toussaint ?
R- Air France, c'est un cas différent. Nous parlions tout à l'heure d'entreprises publiques, là nous sommes dans une entreprise privée, même si l'Etat reste un actionnaire très minoritaire à l'intérieur d' Air
France.
Q- Et le service est public...
R- On n'est pas dans le service public, puisque, à part sur certaines destinations sur lesquelles il y a des obligations de service public, certaines destinations, des départements d'Outre-mer ou certaines liaisons intérieures françaises, où il y a ce qu'on appelle "des obligations de service public", le reste, c'est complètement ouvert à la concurrence. Vous pouvez aller en Espagne avec Air France, avec la compagnie espagnole, avec des low costs, etc., pour prendre l'exemple de l'Espagne. Donc dans le cas d' Air France, là encore, le dialogue doit se faire dans l'entreprise. Ce que j'ai constaté la semaine dernière, c'est qu'il y a eu un effet de surprise, on a eu le sentiment, à un moment, que la direction n'avait pas ressenti l'importance de ce qui allait se passer, et que les syndicats n'ont pas été très sympathiques - c'est le moins qu'on puisse dire, et je suis gentil en disant ça -, avec les Français, en prenant les familles qui partaient pour les vacances de Toussaint, toutes dans la même zone cette année, en plein week-end, là encore sans prévenir.
Q- Vous êtes resté "les bras ballants", dit F. Hollande.
R- Vous savez, monsieur Hollande, il pratique la politique du langage ; lui, il est resté les bras ballants devant un micro en disant que le Gouvernement ne bougeait pas. Le Gouvernement a été aux commandes pendant tout le week-end, à la fois en dialoguant avec l'entreprise Air France pour bien voir comment les choses se passaient, en demandant sans arrêt à Air France de faire de l'information, et je reconnais que ce n'est pas simple. Prenons l'exemple d'un avion de l'aéroport de Roissy et d'Orly : vous attendez un avion, vous faites la queue, et puis Air France s'est aperçu une heure avant que l'équipage ne s'est pas présenté en totalité. Donc vous avez fait la queue, vous avez enregistré et votre vol est annulé. Grosse colère compréhensible du passager ; difficulté, dans l'état actuel de la législation et du dispositif d'alarme sociale pour Air France de savoir quel sera l'équipage. Donc il y a quelque chose à regarder.
Q- Justement, bougeons la législation, appliquons le service minimum au transport aérien et Air France !
R- Le service minimum, tel qu'il a été voté par le Parlement, tel qu'il entrera en service le 1er janvier, il concerne les transports de proximité, transport ferroviaire, transport de bus, de métro, de tram, etc., il ne s'applique pas aux entreprises, maritimes ou aériennes...
Q- On pourra l'étendre, on peut y réfléchir...
R- Mais rien n'empêche qu'il y ait au sein de l'entreprise Air France un dispositif d'alarme sociale mieux adapté, comme il existait déjà dans certaines entreprises publiques, avant même la loi sur le service minimum, pour éviter ce décalage, et que l'entreprise connaisse, par exemple, 48 heures à l'avance les personnels qui feront grève, et qu'elle puisse organiser ses vols et informer les passagers. Ce qui est inacceptable dans une société moderne, c'est les familles perdues, sans information. Air France a fait tout son boulot, le personnel au sol a été admirable, mais il y a eu beaucoup de gens qui ont vécu malheureusement, ce week-end, très mal.
Q- Le Conseil des ministres se tient en Corse aujourd'hui ; est-ce que le service minimum pourra aussi être appliqué à cette proximité qui est le "continent" corse ?
R- Alors là, si vous voulez, cela fait l'objet de débats au Parlement, le trafic entre la métropole et l'Outre-mer, le trafic entre la Bretagne et les îles bretonnes ou normandes, le trafic entre le continent et le département corse, les départements corses ; pour l'instant, ce n'est pas dans le service minimum. Mais il a été demandé par les parlementaires au Gouvernement - et nous allons en parler avec X. Bertrand - d'avoir des contacts pendant les mois à venir avec les entreprises en cause pour voir comment nous pouvons améliorer les choses.
Q- Les low costs, pour la desserte aérienne de la Corse, c'est une bonne idée ; le Président a proposé, ça a mis les compagnies officielles en grève...
R- Vous savez, les low costs, c'est la concurrence. Dans ma région, en Poitou-Charentes, nous avons des dizaines de milliers de touristes anglais tous les jours, qui arrivent, qui achètent des maisons, qui vivent chez nous, grâce au low cost, et l'inverse, des gens de chez nous qui partent là-bas...
Q- Donc c'est bon pour la Corse ?
R- Les low costs, c'est bon pour la Corse, c'est bon pour la France, c'est bon pour les consommateurs, c'est bon pour tout le monde, et personne ne doit craindre la concurrence. Air France, la Société Corse- Méditerranée font un très bon travail, comme elles font un très bon travail, elles n'ont pas à craindre la concurrence.
Q- Dans l'affaire de "l'Arche de Zoé", le Gouvernement a-t-il décidé d'abandonner les Français à la justice tchadienne ou faut-il les ramener en France ?
R- Le Premier ministre hier s'est exprimé avec beaucoup de clarté, F. Fillon, à l'Assemblée nationale, R. Yade également, en disant qu'il y avait naturellement la justice tchadienne, et puis qu'il y avait ce que la France ferait pour ses compatriotes. Le Premier ministre a très bien fait comprendre le message de compassion vis-à-vis de nos compatriotes.
Q- Faut-il accepter la médiation que propose le colonel Kadhafi ?
R- Je ne suis pas en charge des Affaires étrangères, c'est à B. Kouchner de vous répondre ou au président de la République.
Q- Est-ce que le gouvernement n'a pas fait preuve de beaucoup de légèreté en laissant l'organisation humanitaire partir, en laissant l'armée l'aider sur place ?
R- Vous savez, moi, je ne suis pas aux commandes dans ce dossier, je m'informe comme vous à travers la presse, les dépêches d'agences, ou ce qui a été dit hier au Parlement...
Q- Il y a eu des ratés quand même...
R- Non, j'ai l'impression, si vous voulez, que c'était des gens de bonne volonté, et puis, peut-être, racontaient-ils - peut-être, je n'en sais rien - des choses inexactes, en particulier qu'ils allaient faire de l'aide pour les enfants du Darfour, et donc il était légitime à ce moment-là, que dans les centaines de demandes d'aide - H. Morin l'a dit ce matin sur Europe 1 - qui arrivent à l'armée française pour transporter les gens au Tchad - parce que là, seule l'armée française est en mesure, par ses Transall, de faire du transport -, il était compréhensible que l'armée française laisse des gens venant aider les enfants monter dans les avions. On ne peut pas vérifier la réalité de chaque organisation humanitaire sur le terrain.
Q- Pourquoi y a-t-il cet état de malaise parmi les parlementaires UMP dans les liens avec l'exécutif ?
R- Moi, je ne le ressens pas de la sorte. Si vous voulez, la majorité a été bien élue, un peu moins bien peut-être que nous l'aurions souhaité, parce qu'entre les deux tours, les choses ont été un peu plus complexes que nous le pensions. Elle prépare, elle vote des réformes souhaitées par le président de la République. Elle a vécu une semaine dernière formidable, regardez le succès du "Grenelle de l'Environnement", le discours du président de la République avec A. Gore et monsieur Barroso, le succès du voyage du président de la République au Maroc...
Q- Et pourtant, ça grogne...
R- Les choses vont bien. On approche aussi d'élections, la plupart des collègues parlementaires sont candidats aux élections municipales, aux élections cantonales, il y a toujours dans ces cas-là une petite fébrilité. Mais je peux vous dire que le travail se fait, que l'UMP fonctionne bien autour de P. Devedjian et J.-P. Raffarin, et qu'il faut donner de la vie à l'UMP, parce qu'un grand parti majoritaire, quand on est au gouvernement, il faut le faire vivre, et c'est ce que font ses dirigeants.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 31 octobre 2007