Tribune de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, parue dans des journaux asiatiques, The Point, le Jakarta Post et le Bangkok Post, le 29 octobre 2007 à Singapour, intitulée "Birmanie : le statu quo n'est plus possible".

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Circonstance : Tournée en Asie (Singapour, Thaïlande et Chine) de Bernard Kouchner du 29 octobre au 1er novembre 2007 consacrée à la crise en Birmanie

Texte intégral

La tragédie birmane vient de connaître un nouvel épisode. Les manifestations pacifiques du peuple birman ont montré qu'il avait soif d'évolutions et de changements. Mais une nouvelle fois, le régime militaire est resté sourd à ses aspirations démocratiques. Une nouvelle fois, des hommes et des femmes de ce pays ont été tués, brutalisés et emprisonnés pour leurs idées et pour avoir réclamé de vivre dans la dignité.
La communauté internationale a unanimement condamné ces répressions. L'Union européenne a adopté de nouvelles sanctions afin que la junte subissent les conséquences de ses actes. Le Conseil des droits de l'Homme s'est prononcé à l'unanimité contre la répression. Enfin, le Conseil de sécurité des Nations unies a exigé la libération des prisonniers politiques et l'engagement d'un dialogue avec l'opposition. La mission de bons offices de M. Gambari, émissaire personnel du Secrétaire général des Nations unies, recueille ainsi le soutien de la communauté internationale tout entière. Toutes ces réactions sont salutaires.
Mais nous pensons avant tout au peuple birman. Il ne doit pas être pénalisé deux fois : payant déjà cher d'être soumis à un régime indifférent à ses souffrances, il ne devrait pas se voir, sous l'effet des sanctions internationales, privé de toute possibilité de contacts avec l'étranger. Depuis 1962, le pouvoir militaire veut le couper du monde. Ne l'y aidons pas.
Il est ainsi indispensable que le rapporteur des Nations unies pour la situation des Droits de l'Homme en Birmanie, M. Sergio Pinheiro, se rende sur place afin de faire toute la lumière sur les violations des Droits de l'Homme.
Depuis 1962, la population birmane n'est pas seulement privée de démocratie ; elle l'est aussi de développement économique, alors que ses voisins connaissent des taux de croissance élevés. Je suis donc convaincu qu'il faut agir contre ceux qui profitent indûment des richesses birmanes et exportent illégalement son bois, ses pierres précieuses, ses ressources halieutiques. Pour tarir ces flux de la honte tout en préservant les intérêts du peuple birman, nous avons besoin de ceux qui, en Asie, sont les premiers partenaires commerciaux de la junte.
L'Union européenne a tenu compte de cette exigence. En imposant de nouvelles sanctions, elle a réaffirmé que celles-ci seraient allégées voire suspendues en fonction de l'évolution de la situation politique et des résultats de la mission de M. Gambari. C'est à la junte d'assumer désormais ses responsabilités.
Je viens aujourd'hui en Asie du Sud-Est pour dire aux voisins de la Birmanie qu'il n'y aura pas de progrès dans ce pays sans leur intervention et leur concours. Certes les Nations unies se sont mobilisées pour qu'un large processus de réconciliation nationale soit lancé. Mais l'ONU n'y parviendra pas seule. La capacité de dialogue de la Chine et des pays de l'ASEAN avec la junte birmane est irremplaçable. Nous avons apprécié la fermeté avec laquelle la Chine et l'ASEAN se sont exprimées depuis le début des événements. Elle témoigne que toutes les initiatives internationales peuvent converger pour rechercher les solutions politiques les plus adaptées aux intérêts du peuple birman.
Aussi nécessaires soient-elles, celles-ci devront tenir compte de l'histoire et de la société birmanes : la place des minorités ethniques, le rôle de l'armée, perçue par certains comme un facteur de stabilité, le processus de démocratisation lui-même, parfois considéré comme source de désordre, ce que dément l'évolution de nombreux pays d'Asie du Sud-Est. Je connais toute la complexité de la Birmanie, de son histoire et de sa civilisation. Mais reconnaître cette complexité ne doit pas être un prétexte pour l'inaction.
Les échanges de vues que j'aurai au cours de mon séjour seront particulièrement précieux. J'en attends beaucoup, persuadé que les efforts de la France, de ses partenaires européens et de nos amis asiatiques réussiront à sortir le peuple birman de l'impasse politique dans laquelle il survit.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 octobre 2007