Texte intégral
Q - Vous avez parlé d'un groupe de travail qui intégrerait les pays voisins de la Birmanie ainsi que les pays de l'Union européenne, qui travaillerait sur l'idée d'incitation positive. Qu'est-ce que ce serait exactement que ce groupe de travail ?
R - N'allons pas trop vite. J'en ai parlé. Ce n'est pas fait. Nous l'avons qualifié plutôt des "Amis d'Ibrahim Gambari". Vous savez la situation était fragile. Nous avons la chance, les Birmans ont la chance, d'avoir avec eux pour un temps, cet envoyé spécial du Secrétaire général des Nations unies. Ibrahim Gambari est un homme formidable, déterminé. Nous voulons maintenir sa présence. Rêvons qu'il devienne un représentant non pas permanent mais qu'il soit en permanence à la disposition des Birmans. Il faut trouver la méthode. Cette idée d'un groupe d'amis me paraît une des pistes qui pourrait être acceptée. Alors nous allons voir. J'en ai parlé à Singapour. J'en ai parlé ici en Thaïlande. J'en parlerai en Chine. J'en parlerai à mon retour aux pays de l'Union européenne. Nous allons voir. C'est une des pistes pour ne pas se contenter des sanctions. Nous, nous sommes partisans des sanctions. Le président de la République l'a dit. Il y avait des sanctions européennes qui ont été renforcées. Mais un certain nombre de pays ici ne sont pas partisan de ces sanctions pour de multiples raisons et aussi parce qu'ils ne croient pas à leur efficacité.
Entre ces pays qui croient - nous-mêmes - aux sanctions et qui les imposent, y compris sur Total, et les pays qui veulent trouver une autre voie, travaillons ensemble. C'est l'idée de ce que David Miliband et moi-même, dans un article commun, avons appelé "sanctions et plus". Plus c'est quoi ? Ce serait une façon d'être auprès des gens et, en même temps, peut-être à la faveur de quelques succès, s'il y a des succès politiques, c'est-à-dire des succès en direction du dialogue et en particulier avec Mme Aung San Suu Kyi. Nous pourrions développer également cette idée d'aide directe, avec des modalités qu'il faudra travailler, on ne donne pas l'aide ou le prêt au gouvernement birman, bien entendu.
Q - Il est question aussi d'un fonds d'assistance à la Birmanie. Quelle est l'idée derrière ce fonds et, concrètement, comment ce fonds fonctionnerait-il ?
R - C'est ce que je viens de vous dire. Ce fond est un Trust Fund. Il y en a eu. J'en ai utilisé au Kosovo, dans d'autres missions. Ce serait une option. Et il faut en étudier la légalité à l'intérieur d'un pays souverain. Ce serait une manière d'être plus proche des Birmans et d'essayer de répondre à un certain nombre de besoins, dans le domaine de l'éducation, de la santé, du développement. Cela ferait partie d'une opération dialogue, là aussi je peux l'appeler comme ça, que nous essayons de mettre sur pied, qui pourrait se traduire, en tout cas se traduira sans notre aide, nous qui sommes très loin, je pense, au moment de la réunion de l'ASEAN, c'est-à-dire fin novembre à Singapour. Et c'est à eux de voir comment on proposerait au gouvernement birman qui existe d'ouvrir ce dialogue nécessaire, et avec Mme Aung San Suu Kyi, qui est la meilleure et la plus belle représentante de l'opposition.
Q - Pensez-vous qu'à peine un mois après un terrible massacre des moines birmans par le régime militaire birman, ce soit le bon moment de proposer une assistance à la Birmanie ?
R - Ce n'est jamais le bon moment, il ne fallait pas attendre le massacre, vous comprenez. Pourquoi les gens ont réagi ? Parce qu'il y a des images, et ils vont l'oublier parce qu'il n'y a plus d'images. Il faut faire très attention à cela. Je ne dis pas que ce sera immédiat mais je pense qu'il faut y penser et, éventuellement, si tout le monde est d'accord, si un certain nombre de gens sont d'accord, le proposer. Vous savez si on se fiait uniquement à la répression, alors on ne proposerait jamais rien. Nous n'avons pas les moyens de faire chuter le régime, et d'ailleurs personne ne veut ce qu'on appelle un "regime change". On veut l'ouvrir et Mme Aung San Suu Kyi elle-même dit : "je travaillerai avec les militaires". Il faut donc changer de l'intérieur par le dialogue. Est-ce que c'est trop tôt ? Peut-être. Est-ce que c'est trop tard ? Toujours.
Q - Quelles mesures concrètes ou quels signes concrets de la part de la junte pourraient ouvrir la voie à cette assistance et à ces mesures positives ?
R - Ce n'est pas à moi de dire cela, c'est aux pays voisins. Je parle de l'ASEAN, bien sûr, mais il faut parler de la Chine, il faut parler de l'Inde, c'est indispensable. Je crois que, d'abord, ce sera ouvrir de nouveau les portes à Ibrahim Gambari, lui permettre d'être là quand il le souhaite, d'aller et venir, d'être une présence de l'ONU, permanente, si je peux avec précaution avancer ce mot et ensuite que le dialogue qui est à peine commencé, à peine amorcé, continue. Mme Aung San Suu Kyi a rencontré le général Aung Kyi, ce n'est pas grand chose, mais enfin c'est un petit signe. Il faut se contenter de petits signes, et parfois de petites surprises pour arriver beaucoup plus rarement à des changements.
Q - Une approche de la Birmanie basée uniquement sur des sanctions, d'après vous, est une mauvaise approche ?
R - Non ce n'est pas une mauvaise approche, mais c'est insuffisant apparemment puisque cela a déjà été fait, même si on renforce des sanctions... Vous savez l'histoire des sanctions aux Nations unies est une histoire très controversée. On sait que cette option a fonctionné en Afrique du sud. Le reste franchement a souvent été contre-productif.
Q - L'une des principales sources financières de la junte, ce sont les revenus du gaz. La compagnie française Total est impliquée comme opérateur dans l'exploitation d'un champ gazier. Quand on parle de sanctions ciblées, est-ce que vous ne pensez pas que, par exemple, le retrait de Total serait une sanction ciblée qui affecterait directement la junte, mais n'affecterait pas la population birmane ?
R - Cela veut dire que l'on s'en irait et que les Chinois prendraient notre place. Cela veut dire que l'on s'en irait et que les généraux, avec d'autres sociétés qui sont prêtes à le faire, prendraient notre place. Est-ce que ce serait une bonne opération ? Je vous réponds avec franchise : non. Nous avons, le président de la République l'a annoncé, dit que les mesures frapperaient : plus d'investissements nouveaux, y compris Moge, la filiale birmane de Total et Total. Nous ne sommes pas suspects. Mais franchement ne soyons pas naïfs. Cette situation se passe dans tous les cas. Il faut être sûr, comme cela s'est passé plusieurs fois avec des entreprises en Birmanie, que les autres ne viennent pas immédiatement vous remplacer. Certains pensent que c'est entièrement efficace. Je relève avec intérêt ces propositions même si je suis sceptique. Si tout le monde se retirait, ce serait excellent. On couperait là l'argent, la source d'argent des généraux. Ce serait certainement une bonne chose. Est-ce que c'est possible ? Je n'en sais rien. En tout cas pour le moment les mesures frappent Total également et vous savez qu'il y a d'autres mesures que l'Union européenne avance, c'est-à-dire le gel des commerces sur les bois précieux, sur le bois en général de Birmanie, et puis également sur les minéraux et sur les pierres précieuses. Nous l'appliquons.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 novembre 2007