Texte intégral
Q - Tout à l'heure, J.-M. Ayrault disait, lors de la première séance des Questions d'actualité au Gouvernement : "l'état de grâce est terminé, F. Fillon a mauvaise mine, le Gouvernement et le pouvoir actuel est rattrapé par la réalité économique et ça ne va pas bien".
R - D'abord, ce qui me surprend toujours, mais bon, il paraît que c'est le jeu de l'opposition, quelque part, on a l'impression que ça ferait presque plaisir à J.-M. Ayrault si le pays allait mal, parce que ça lui permettrait de dire que le Gouvernement va mal. Je trouve ça un peu triste.
Q - On a connu la droite dans la même position quand la gauche est arrivée au pouvoir en 1981.
R - Et j'aurais dit exactement de la même manière, que c'était un peu triste. Aujourd'hui, quel est l'état d'esprit du Gouvernement ? Ce n'est pas de dire qu'on est dans un état de grâce, dont le but serait de le prolonger. L'état de grâce, c'est-à-dire qu'on serait bien dans les sondages...
Q - Est-ce qu'il est terminé ?
R - L'état de grâce, il n'y en a jamais eu. Il n'y en a jamais eu pour une raison, c'est qu'à mon avis, c'est un concept complètement daté. Le lendemain de l'élection présidentielle, les électeurs commencent à nous demander des comptes et des résultats.
Q - C'est pour ça que le Président Sarkozy passe de 61 à 55 dans le dernier sondage ?
R - Juste, si je peux me permettre, une anecdote. C'était je crois il y a quinze jours : il y avait deux sondages ; il y en avait un où le Président gagnait trois points, il y en avait un autre où le Président perdait trois points. Ce qui m'a beaucoup amusé au cours de cette semaine, c'est qu'on ne m'a interrogé sur le sondage où il perdait trois points. J'ai envie de dire : "un tout petit peu de sérénité, on gère sur le long terme". A côté de ça, les sondages, c'est important, parce que ça donne une sensibilité par rapport à l'opinion, mais on est là pour faire le boulot de fond. Si vous me permettez, pour bien comprendre ce que cela veut dire ; un réflexe, par exemple, pour nous, cela aurait pu être de dire : il va y avoir les élections municipales, on met toutes les réformes au frigidaire, on met la carte judiciaire au frigidaire, on met la réforme des régimes spéciaux au frigidaire pour, surtout, ne pas prendre de risque et préserver ce fameux état de grâce. Ce n'est pas notre état d'esprit.
Q - Ça, c'est qu'a fait J. Chirac à plusieurs, deux fois - il a été deux fois président et ça ne lui a pas réussi vraiment.
R - Eh bien, c'est bien ce qu'on pense. Et ce qu'on pense, c'est que si jamais ne rien faire et vouloir prolonger l'état de grâce, c'était un gage de popularité, il y a beaucoup de gouvernements qui par le passé seraient encore au zénith.
Q - Je disais qu'on allait prendre les problèmes dans l'ordre. Cette ouverture, qui est vécue par beaucoup de gens comme une ouverture des ambitions finalement, est-ce qu'elle va continuer sur ce registre là ou est-ce que ça pourrait être une véritable ouverture politique ?
R - Je voudrais essayer... parce que le plus simple, c'est de prendre des exemples concrets. Prenons deux exemples concrets, M. Hirsch et F. Amara. M. Hirsch, ancien président d'Emmaüs, plutôt sensibilité de gauche ; F. Amara, que je connais un peu parce qu'on est de la même région, qui était investie sur Clermont et sur les quartiers. Dans les deux cas, on a des personnalités qui sont des personnalités d'ouverture, parce qu'elles viennent effectivement de la gauche.
Q - Et cette ouverture là, elle va continuer ?
R - Pourquoi est-ce que c'est intéressant à travers des cas comme M. Hirsch et F. Amara. Ce sont des gens qui sont ultra-compétents dans leur domaine. On allait dire à M. Hirsch : "désolé, nous, on a un projet, mais comme tu es de gauche, ton avis ne nous intéresse pas".
Q - Il y a peut-être des gens à l'UMP qui revendiquent la même compétence ?
R - Si ce n'est que, par exemple... moi, en plus, cette question de l'ouverture me tient très à coeur ; j'ai fait parti et je suis sans doute le seul député UMP à l'époque a avoir travaillé avec M. Hirsch, qui m'avait dit : "viens travailler avec moi, mettons de côté nos idéologies politiques et bossons sur comment faire en sorte que quelqu'un qui est au RMI et qui reprend un job gagne de l'argent". On a travaillé ensemble pendant six mois et on s'est aperçu que sur un sujet concret, on était capables d'avancer de façon positive. Ça, c'est de la vraie ouverture.
Q - Je pense que les gens le comprennent, mais la question fondamentale aujourd'hui, c'est de savoir si pour N. Sarkozy ce n'est pas devenu contre productif d'envisager d'embaucher des gens comme J. Lang ou C. Allègre ? C'est-à-dire est-ce qu'une certaine forme d'ouverture passe dans le pays et trop d'ouverture ne passe plus ?
R - La seule question, le sujet, ce n'est pas de débaucher telle personnalité du PS ou telle personnalité venant de tel horizon. C'est de dire qu'on est là pour essayer de faire la meilleure équipe, avec les gens qui sont compétents dans leur domaine. On n'a pas pris F. Amara parce qu'elle était de gauche, on l'a pris parce que cela fait plusieurs années qu'elle bosse dans les quartiers et qu'elle connaît le terrain. Si on a proposé à M. Hirsch, c'est pourquoi ? Tout simplement parce que c'est le meilleur dans son domaine, sur les questions de RMI.
Q - Et en quoi Lang et Allègre sont les meilleurs dans leur domaine, puisqu'on parle d'eux toute la journée dans les couloirs de l'Assemblée aujourd'hui ?
R - Moi, en tout cas, je trouve que c'est le genre de rumeurs qu'il faut manier avec prudence. J. Lang, c'est quelqu'un qui est compétent dans son domaine ; C. Allègre en matière d'Education nationale, il a quand même aussi pas mal apporté.
Q - C'est sûr qu'il y avait beaucoup de monde dans la rue...
R - J'ai envie de dire une chose après l'autre. Un point qui me semble le plus important quand même, c'est que, au-delà des personnalités, le but, c'est de mener l'ouverture, mais en le menant sur un projet qui soit clair. On n'est pas là pour diluer le projet du président de la République ; le projet du président de la République, cela reste celui du contrat qu'on a noué au moment de l'élection présidentielle.
Q - Et l'ouverture continuera jusqu'à la fin du quinquennat, comme il l'a dit aujourd'hui finalement ?
R - Le but, ce n'est pas d'ouvrir pour faire des prises chez l'ennemi ; le but, c'est d'ouvrir pour ramener les gens qui sont les plus compétents dans leur domaine et prendre un peu de hauteur par rapport aux clivages politiciens habituels.
Intervention de Paul, un auditeur : (...) Les gens comme monsieur Kouchner ou monsieur J. Lang sont des gens ambitieux, qui pensent plus à leur poste. Quand on s'aperçoit pendant la campagne de Mme S. Royal, les critiques de monsieur J. Lang contre Monsieur Sarkozy, et quand on pense qu'il va accepter un poste pour faire la même politique que lui, je veux dire qu'il a vendu son âme.
Q - C'est intéressant de constater que les auditeurs d'Europe 1, finalement, alors que les questions sociales, les questions économiques, qui sont brûlantes - c'est la rentrée parlementaire - ils reviennent tout le temps sur cette question d'ouverture. Vous lui répondez si vous le voulez.
R - Alors, ce que je vais essayer de répondre à Paul. Effectivement, si faire l'ouverture, c'est sacrifier ses idées, il ne faut pas la faire. C'est-à-dire que ce qui est clair, c'est qu'on ne sacrifie rien sur le projet et sur le fond de ce qu'on veut mener. Vous prenez quelqu'un comme J.-P. Jouyet, c'est quelqu'un d'hyper compétent dans le domaine européen. Ce qui est intéressant, c'est que précisément ces gens-là, en faisant le pari d'entrer dans le Gouvernement de N. Sarkozy, ils ont pris des risques. Ce n'est pas de l'ambition, au contraire. C'est-à-dire que M. Hirsch, qui était président d'Emmaüs, il prend des risques par rapport aux personnes qu'il connaît. Mais quel est son raisonnement ? Son raisonnement c'est de dire : "Moi, plutôt qu'être pendant cinq ans dans une opposition négative, je préfère dire chiche, je rentre dans le Gouvernement, et on essaye ensemble de faire bouger les choses". Moi, je trouve cela plutôt courageux.
Q - Une question directe, L. Wauquiez : il y a quelques instants, chez nos confrères de LCI, D. de Villepin disait : les tests ADN, ils n'ont pas de place en France.
R - Oui. Cela m'amuse de devoir faire les commentaires non stop sur les interventions du Premier ministre, de l'ex Premier ministre, monsieur de Villepin. Juste un truc sur les tests ADN...
Q - Il n'est pas le seul. Il y a C. Pasqua qui a émis des doutes, J.-P. Raffarin...
R - Bien sûr, il y a un sujet de débat. Je voudrais juste un minimum le dépassionner, pour que tout le monde comprenne de quoi il s'agit. Le but aujourd'hui de la France, et c'est notre choix, c'est de faire en sorte qu'on puisse mieux maîtriser la politique d'immigration. Sur la question du regroupement familial, on sait que dans quasiment 30 à 40 % des cas, il y a de la fraude, c'est-à-dire que des gens disent : "on appartient à telle famille, on est dans la même famille", pour pouvoir entrer tous ensemble en France, alors que dans 30 à 40 %, il y a des fraudes ou, disons, on trompe un peu le système. Ce système-là de test ADN a été adopté dans une majorité de pays au sein de l'Union européenne. Et notamment dans les pays nordiques qui sont hyper vigilants et attentifs sur toutes les questions d'éthique, notamment en raison de leur histoire. Et, ce qui a été proposé, qui est un amendement parlementaire, c'est de proposer un test ADN volontaire. C'est-à-dire qu'un étranger qui souhaite rentrer en France et prouver, pour aller plus vite, son rattachement à telle famille, peut proposer d'avoir un test ADN.
Q - Sauf que ce n'est pas sûr qu'il y ait une majorité de sénateurs, que pour l'instant, B. Hortefeux a présenté aujourd'hui une nouvelle version de l'amendement, et que là aussi, en commission, ce n'est pas passé brutalement. Donc, il y a une opposition. Vous défendez, j'allais dire vigoureusement, cet aspect-là, mais les gens n'en veulent pas. Un, l'évêque de Saint-Denis, en direct dans le journal tout à l'heure dit qu'il n'en est pas question. Enfin, ils en font une question de principe. Ils n'en veulent pas.
R - Si je peux me permettre, ce qui est intéressant, c'est quoi ? C'est que précisément, si je peux rebondir sur ce que disait une de vos auditrices qui disait : "moi je n'aime pas la pensée unique". Eh bien, elle a raison. Et sur ce test ADN, qu'est-ce qui est intéressant ?
Q - Il faut passer en force ?
R - Non, pas du tout.
Q - Et si l'opinion... Demain, dans Charlie Hebdo, une grande pétition relayée par Libération...
R - Oui, enfin ! Charlie Hebdo, ça n'a jamais été la majorité de l'opinion publique, si vous me le permettez. Donc, juste, qu'est-ce que je veux dire ? C'est un amendement qui a été déposé par un député, ce n'est pas un projet du Gouvernement. Il fait l'objet d'un débat dans lequel il y a effectivement des députés qui sont pour, des députés qui sont contre, des sénateurs qui sont pour, des sénateurs qui sont contre, y compris au sein de notre majorité. Eh bien, tant mieux. Cela fait du débat, cela permet d'en discuter.
Q - Mais vous n'êtes pas en train d'essayer de passer en force ?
R - Pas du tout. Regardez, la preuve c'est que, qu'est-ce qu'a fait B. Hortefeux, et là-dessus, il a été très pragmatique ? Il a dit : "d'abord réfléchissons, faisons de l'expérimentation". Ensuite, il a dit : "peut-être qu'il faut un juge judiciaire pour pouvoir mieux surveiller la façon dont cela se passe". Donc, on est au contraire sur un terrain de débat très dépassionné. Ce que moi je n'aime pas, ce sont les pétitions de principe. De grâce, pas de pétition de principe, pas de grands panneaux ; du politiquement correct...
Q - Beaucoup de gens disent que c'est ce qui fait quand même la grandeur de la France, de sa tradition.
R - Ok, d'accord. Et alors, le Danemark ? La Suède ? Ce sont des pays qui sont des nains en matière de démocratie et des droits de l'Homme ? Je ne crois pas forcément. Ce sont des pays qui bien souvent ont été plus à l'avance que nous sur les questions de droits de l'Homme. Donc, ne faisons pas des pétitions de principe un peu idéologiques, essayons d'être pragmatiques et concrets. Mais là où je suis d'accord, pas de passage en force, on discute.
Q - P. Bruel est avec nous... Je voudrais vous demander, comme ça à chaud, cette histoire d'ADN...
P. Bruel (chanteur et comédien) : C'est un sujet qui touche à quelque chose d'éthique, qui, pour l'instant, ne peut pas être admissible en ces termes et de la façon suivante. [...] Mais en l'occurrence, pour me résumer, ça va au Sénat, ça va dans le mur au Sénat, donc ça va revenir ; le texte va être revu, ils vont retravailler, tout le monde va retravailler, et puis on verra ce qu'ils re-proposent. Mais en tout cas, une chose est sûre : c'est, éthiquement, une notion extrêmement difficile à intégrer, parce que vous devez absolument en mesurer les dérives.
Q - Vous répondez très brièvement, et on met un terme à cette partie de l'émission...
R - Je vais juste répondre très brièvement. Je suis originaire d'une commune, le Chambon-sur-Lignon, où ces questions de Résistance, on sait ce que cela veut dire, parce que c'est une commune qui a pris, au risque de la vie de ses habitants, le risque d'accueillir pendant la Guerre, et de sauver 1.000 enfants juifs, qui ont été cachés dans les fermes en ce moment-là. Et il y a un point que je n'aime pas, c'est que quand on invoque trop les questions de la guerre à tire-larigot, pour un oui ou pour un non, on finit par atténuer la charge symbolique et l'alerte que cela doit donner comme vigilance au niveau de nos concitoyens. Et je pense que P. Bruel a cent pour cent raison, de dire : "Attention aux assimilations un peu rapides".
P. Bruel : Mais attention, encore une fois, aux dérives que peut provoquer cette histoire d'ADN. Voilà. Les dérives que ça peut provoquer sont énormes, d'autant plus que c'est interdit aux Français...
R - Non, non, non... Je dis ça, c'est moi qui ai allumé l'incendie.
P. Bruel : Je veux dire, tu nous lances sur un sujet... On en reparlera.
R - Le pompier incendiaire...
source http://www.porte-parole.gouv.fr, le 8 novembre 2007