Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, à La Chaîne Info le 23 février 1999, sur le bilan de la conférence de Rambouillet sur le Kosovo, l'annonce d'une nouvelle réunion le 15 mars et sur les négociations sur le financement de l'Union européenne et la politique agricole commune.

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Texte intégral

ENTRETIEN DU MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES, M. HUBERT VEDRINE, AVEC "LCI" (Paris le 23 février 1999)
Q - Vous êtes le ministre des Affaires étrangères français et vous arrivez à linstant de Rambouillet où se tenait la conférence entre Kossovars et Serbes sur les pourparlers, les négociations de paix entre les deux parties. Merci donc darriver immédiatement de Rambouillet puisque cétait un enjeu majeur pour la paix dans la région et pour la paix en Europe. Néanmoins, jai envie de dire, cette conférence est terminée sur un accord verbal. Le mot consensus est prononcé mais pas le mot accord. On a limpression quil ny a rien de signé, rien de fixe. Vous vous donnez rendez-vous pour le 15 mars prochain. Cest un semi-échec ?
R - Je crois quil faut se dire que le problème du Kossovo est vraiment compliqué. Il faut le comparer à dautres problèmes très compliqués quon connaît sur la planète - par exemple, prenez la question du Proche-Orient -. Au Kossovo, il ny avait aucun processus de solution en vue. Il ny avait que la désespérance, la haine mutuelle, la méfiance, les actes de violence, les provocations, les attentats, la répression. Aucune perspective. On ne pouvait même pas se demander si le processus de paix allait reprendre ou être consolidé. Il ny en avait pas. Je crois que la grande différence après Rambouillet, cest que nous avons enclenché un processus.
Q - Vous restez très modeste, je vois.
R - Cest quand même important. Je crois que nous y sommes parvenus parce quil y a eu un effort exceptionnellement convergent des Etats-Unis, de quatre grands pays européens, - eux-mêmes en liaison constante avec les autres Européens - et les Russes. Trois négociateurs un Américain, un Européen, un Russe, ont travaillé vraiment darrache-pied . Cest cette pression presque sans équivalent qui a fini par faire bouger les protagonistes, mais évidemment, on na pas laccord détaillé complet. Mais, cest un processus. A partir de là, - excusez-moi lexpression - on ne va plus les lâcher. On va faire en sorte quils franchissent les étapes à partir des principes de base quils ont acceptés aujourdhui, cette autonomie substantielle que nous voulions comme solution pour le Kossovo, que les Serbes refusaient dans son principe et que les Albanais refusaient parce quils voulaient beaucoup plus. A partir de là, on va travailler et consolider. Mais, il y a une différence énorme. On a une suite, un travail...
Q - Vous avez un rendez-vous. En fait, vous avez commencé et vous avez rendez-vous avec eux pour quils rendent des comptes.
R - Ils ont un rendez-vous. Noubliez pas quavant Rambouillet, personne ne pensait quon puisse ne serait-ce que les réunir. On disait : «Mais, ils ne vont pas venir, et sils viennent, ils vont partir au bout de deux jours «On les a convoqués à Rambouillet.
Q - Mais, est-ce quils vont revenir dans ce cadre, le 15 mars ? Est-ce que vous êtes sûr quil y aura une suite ?
R - Je ne suis sûr de rien, je ne peux pas être sûr de quoi que ce soit. Cest comme si on parlait du processus de paix au Proche-Orient. De quoi peut-on être sûr ?
Ce sont les Balkans. Tout le monde sait ce que cela veut dire par rapport à tout ce siècle. Nous avons plus progressé en quinze jours sur le Kossovo quen quinze ans, si ce nest plus. Alors, on nest pas sûr de cette étape. Cela veut dire quil faut rester concentrés, mobilisés. Les Albanais du Kossovo, sinterrogent, ils ont donné un accord de principe, mais disent en même temps :
« Nous voulons consulter notre base ». Ils ne renoncent pas à leur espérance de référendum - ce qui veut dire dindépendance - que le Groupe de contact naccepte pas et na pas mis dans son projet. Les Serbes se demandent si au delà de lautonomie, on nest pas en train de leur arracher beaucoup plus encore sur le Kossovo, pour aller vers une indépendance...
Q - Et qui continuent de refuser une présence armée de lOTAN sur leur territoire.
R - Ils refusent une présence armée en disant que cest quelque chose quasiment identitaire pour la Yougoslavie qui a vaincu les armées nazies, expulsé les armées soviétiques. A chaque fois, on a à faire des mentalités qui sont complètement verrouillées. Je ne mets pas les deux choses sur le même plan naturellement parce que sil ny avait pas eu la politique serbe pendant des années, les Kossovars ne seraient pas bien sur devenus jusquau-boutiste. Mais, il y a une mentalité qui est bloquée, qui est verrouillée. Notre travail est dessayer de les sortir de cet enfermement, de leur parler. A cet égard, je crois que Rambouillet laissera des traces sur un plan psychologique et politique. Ils ont parlé au monde extérieur, ils ont entendu, ils ont discuté, ne serait-ce que par médiateur interposé. Il sest vraiment passé quelque chose.
Q - Mais sur le fond, quest-ce qui a bougé ? Pas grand-chose puisque jai envie de dire.
R - Le principe fondamental, cest lautonomie. Belgrade refusait absolument lautonomie. On dit cela avait existé. Mais précisément elle avait existé et avait conduit à des conséquences telles que Belgrade avait décidé dy mettre un terme et lavait supprimée en 89. Il ne voulait pas en entendre parler une seconde. Maintenant, il y a un accord, il y a une lettre, disant : « nous acceptons lautonomie du Kossovo », et simplement ils discutent sur un certain nombre dapplications, ils en acceptent dautres. Il y a un projet daccord qui a été élaboré par le Groupe de contact, la discussion et notamment la finalisation, la signature, les conditions de mises en oeuvre qui sont essentielles, bien sûr ne sont pas bouclées. Cest pour cela que nous avons reconvoqué pour une suite, à partir du 15 mars. Mais ils ont accepté le principe quils récusaient absolument sous toutes ces formes juste avant. Et les autres aussi.
Q - Donc eux ont bougé. Les Albanais quont-ils reconnu. Ils acceptent la force armée, puisque quelle est censée les protéger, mais en revanche ils espèrent toujours un référendum. Ils sont donc en contradiction avec le projet du Groupe de contact.
R - Les sacrifices que nous demandons de part et dautre, pour bâtir un compromis qui est la seule façon intelligente et moderne de sortir de cela, ne sont pas les mêmes. Du côté des Albanais du Kossovo, nous leur disons : « on ne peut pas soutenir votre demande de référendum parce que cela déstabilisera toute la région par effet de contagion, par rapport à la communauté albanaise des pays voisins. Il y a dautres problèmes ailleurs qui exploseraient si on a recours à ce principe. Dans lEurope moderne, il faut sublimer cette question. Il faut avoir une autonomie véritable qui vous apportera, - croyez-nous , vous ne le croyez pas aujourdhui, mais vous le verrez après - des satisfactions considérables sur beaucoup de plans : politique, économique, la vie de tous les jours, surtout sil y a lindispensable volet sécurité. » On leur demande donc un renoncement politique et philosophique qui est au centre de leur engagement, de leur lutte. Dautre part, on demande à lUCK, cette organisation de résistance, que beaucoup appellent terroristes.
Q - Les extrémistes, ce sont les extrémistes les plus indépendantistes.
R - (...) On demande à lUCK, on exige de lUCK quelle accepte dêtre désarmée.
Q - Elle ne la pas accepté aujourdhui ?
R - Pas encore. Mais pour quelle soit désarmée, il faut une force militaire internationale présente sur place celle de lOTAN qui peut être complétée par dautres dispositifs qui restent à élaborer, permettant par exemple à la Russie de jouer un rôle...
Q - Oui, justement parce que vous parlez...
R - Les autres nont pas accepté... On est entré - cest vraiment le terme - dans le processus. On a posé les fondations, ils ont le socle dun accord, on a les grands principes - cette autonomie substantielle -, mais après à chaque pas, on va retomber sur les blocages, les difficultés. Il y aura même des retours en arrière, mais nous resterons obstinément là derrière à pousser les choses.
Q - Vous parliez justement de la présence armée, mais vous dites aussi dans le communiqué de fin de conférence, « présence civile et militaire ». Cest déjà une concession aux Serbes de dire, une présence qui serait civile et militaire.
R - Non. Ce nest pas du tout une concession à qui que ce soit. Il y a deux tâches différentes. Il y a une tâche civile qui est dans le prolongement de la Mission de vérification actuelle chapeautée par lOSCE, actuellement au Kossovo, un travail pour organiser la nouvelle police, pour la former, pour préparer les futures élections et pour faire en sorte que la vie civile se développe heureusement, quon bâtisse une nouvelle démocratie au Kossovo. Voilà cest le volet civil. Le volet militaire, cest la sécurité, linterposition, le désarmement des milices. Ce sont deux choses distinctes.
Q - Ce sera toujours lOTAN qui devrait lexécuter, qui devrait chapeauter cette force militaire.
R - Toujours. Attention, il ne sagit pas dorganiser les choses pour toujours. On parle dun accord intérimaire pour trois ans au terme duquel, on verra à travers une rencontre internationale quelle est la suite à donner. Il peut se passer beaucoup de choses en trois ans. Donc, on verra. Le temps est un élément central parce que cest un élément rassurant pour les Albanais du Kossovo ; en même temps, cest le moins acceptable pour le régime yougoslave. On peut imaginer une combinaison dans le temps que nous avons maintenant parce que les Albanais du Kossovo ont demandé à consulter leur propre base : il leur fallait une quinzaine de jours.
On peut imaginer des combinaisons avec lOTAN, ce quon appelle le partenariat OTAN-Russie. La Russie peut jouer un rôle qui lui permettrait dêtre présente. Cela pourrait débloquer certaines choses. Il peut y avoir un rôle de lOSCE. Il y a plusieurs organisations quon peut utiliser en complément. Il faut que le temps soit un élément clé pour des raisons defficacité, pour des raisons de crédibilité par rapport à la partie kossovare qui a besoin - et on la comprend - dêtre rassurée. Mais en même temps, il faut que cette partie soit capable de faire un effort sur elle-même et de se transformer en une force politique.
Q - Justement quand on a commencé cette conférence et depuis des semaines, lorsquon parle du Kossovo et notamment aussi évidemment après le massacre de Racak, les Serbes étaient présentés comme les grands fauteurs de trouble et les grands responsables de la situation. A la sortie de cette conférence de Rambouillet, on se rend compte tout dun coup, des blocages du côté des Albanais et notamment du côté de lUCK. Cela na pas été un peu la surprise de cette conférence ?
R - Cela dépend pour qui.
Q - Pas pour vous. Vous les trouviez déjà sectaires ?
R - Ce nest pas une question de qualificatif. Je lavais déjà dit à la première réunion du Groupe de contact à Londres en mars 98, quon aurait des problèmes sérieux de ce côté-là aussi. Il est vrai que les dirigeants yougoslaves portent le poids de ce qui sest passé depuis la désintégration de la Yougoslavie, depuis une dizaine dannées, de toutes les exactions qui ont été commises en Croatie, en Bosnie et aussi au Kossovo. Il y a une lecture internationale consistant à considérer que tous les problèmes viennent uniquement de Belgrade. Je ne dis pas quil ny a pas de problème. Cest un problème central et, on le voit bien, extrêmement difficile à surmonter. Du coup, cela a masqué le fait que du côté des Albanais du Kossovo, il y avait une extrême division entre monsieur Rugova qui est une figure magnifique.
Q - Qui est un modéré.
R - Oui. Cest un homme extraordinaire qui a animé depuis des années une résistance passive et tranquille, mais qui justement na pas donné de résultats. Les jeunes se sont donc radicalisés. Il y a une branche armée qui est une branche dans certains cas, politique, dans dautres cas, terroriste et la réunion a mis en évidence des tensions extrêmes entre les deux. La très grande surprise de Mme Albright, - cest même pour cela quelle est restée quasiment 36 heures à essayer de faire évoluer ce point - cest que samedi, elle sattendait à voir une délégation kossovare coopérative (ils acceptaient laccord, cétait un progrès énorme pour eux) et elle est tombée sur des jusquau-boutistes qui disaient : « On ne peut pas accepter laccord politique sil ny a pas noir et blanc, le référendum au bout de trois ans ». Ce que le Groupe de contact naccepte pas parce que cela déstabiliserait le Monténégro, lAlbanie, la Macédoine et ce serait un exemple détestable pour lensemble de la région. Elle nest pas du tout restée, - comme je lai lu à droite à gauche - pour prendre la négociation en mains. Dans, cette négociation, on sest vraiment cordonné tout le temps et chaque ministre a fait ce pour quoi il était le mieux placé à un moment donné. Cest pour cela quon a vu les uns, les autres, pas forcément les même ou en même temps.
Q - Je voudrais revenir sur lUCK. Vous avez dit à la fin du communiqué de la conférence : « Finalement, on demande à toutes les parties de respecter le cessez-le-feu dici la grande réunion du 15 mars « . Or, on voit quil y a de graves incidents tous les jours, tous les instants et qui sont parfois dus aux Serbes, parfois dus à lUCK. Comment allez-vous pouvoir contrôler ce respect du cessez-le-feu ? Quest-ce que qui va changer entre Rambouillet, avant et aujourdhui ?
R - Nous sommes animés par lidée de faire tout ce que lon peut. Mais, on ne peut pas faire de miracle, on ne peut pas transformer comme par magie des situations qui sont des situations daffrontement depuis des années.
Q - Donc, vous êtes résigné au fait que cela peut continuer.
R - Je ne suis résigné à rien. Cest un terme que je nemploie jamais. Je ne suis résigné à rien, sinon je ne ferais pas ce métier. Simplement, il faut avancer avec obstination, ténacité, savoir quil faut franchir beaucoup détapes avant davoir consolidé les réponses. Et les mentalités ne sont pas prêtes à cela. Il y a donc un travail de pression. Vous avez vu cette pression internationale sur les deux parties, cette concentration à Rambouillet. Les ministres, les négociateurs, le très grand nombre de pays qui étaient daccord.
Q - Milosevic a claqué la porte à Christopher Hill il y a trois jours à Belgrade. Il y a la pression, mais il y a bonne résistance aussi de la part des Serbes.
R - Oui, de part et dautre. Sinon on se mettrait daccord en une heure et sils avaient été prêts à se mettre daccord en une heure, on naurait même pas besoin de conférence parce quil ny aurait pas eu ce problème. Il aurait été résolu par des procédés modernes depuis longtemps. On sait tout cela. Cest en connaissance de cause quon se concentre comme on le fait. Il y a des résistances : Milosevic, les résistances de la base kossovare, ceci, cela. Notre problème, cest de savoir comment poursuivre, comment maintenir cette pression, comment persévérer. En maintenant un calendrier, en maintenant des convocations, en mettant en avant des dates, en restant totalement unis au sein du Groupe de contact - Etats-Unis, Europe, Russie, cela fait quand même du poids si vous additionnez tout - en rappelant que les dispositions prises par lOTAN à lautomne dernier, dans le contexte des accords Milosevic-Holbrooke représentant dailleurs le Groupe de contact à lépoque, qui sont toujours valables.
Q - Cest-à-dire que les forces sont prêtes et quon est prêt à frapper ?
R - Les préparations techniques et les dispositions de décision ont été mis en place pour pouvoir réagir sil le fallait.
Q - Concrètement, si le cessez-le-feu est rompu de façon brutale, pendant les quinze jours, trois semaines qui séparent de la conférence, y aura-t-il une frappe militaire de lOTAN ? Y aura-t-il une réaction militaire du Groupe de contact ?
R - La question des frappes dépend de la responsabilité. Chaque fois, que jai été questionné sur ce point, jai toujours dit que cela dépendent des conditions de léchec ou de la violence. Qui provoque quoi ? Parfois, il est difficile de démêler lenchaînement des causes et des conséquences. Mais, si on est devant un cas clair de responsabilité yougoslave et serbe, ils doivent savoir quils sont tout à fait exposés, comme ils le sont depuis octobre. Les autres aussi dailleurs, comme aucune des deux parties ne la respecté complètement, on la rappelé solennellement aujourdhui.
Q - Je vous donne en un mot un petit peu les réactions : ce soir M. Gerhard Schröder se dit persuadé dune issue pacifique et Jacques Chirac à linstant affirme que la voie de la raison a commencé à prévaloir et salue le travail accompli par les ministres, et par cette conférence de Rambouillet. Diriez-vous aujourdhui que la diplomatie européenne a marqué des points, quon a eu limpression dune politique étrangère commune européenne dans cette affaire ?
R - Je dirais plus exactement que les pays européens du Groupe de contact - Grande-Bretagne, France, Allemagne, Italie - ont imprimé leur marque à cette politique qui a été réélaborée sur le Kossovo depuis quelques semaines. Ils ont réussi à y intégrer les différents éléments allant de la menace militaire jusquà la suggestion juridico-politique dun accord, et le travail diplomatique. Cela a une tonalité européenne, mais je ne dirais pas que cest purement européen parce que la grande force du Groupe de contact est précisément davoir réussi à faire converger le travail des Américains, des Européens, des Russes. Et cela est inestimable dans le contexte mondial actuel.
Q - Vous savez quon a dit, « Madeleine Albright est arrivée, elle a pris en main la négociation, comme si finalement Serbes et Kossovars, nacceptaient de faire des concessions quaux Américains, nétaient que rassurés par les Américains enfin quils navaient pas suffisamment confiance en lEurope ».
R - Je crois que cest un contresens. Cest dailleurs pas du tout du tout comme cela que la presse américaine a interprété les choses et notamment le fait que Mme Albright est restée trente six heures de plus. Dautre part, cest tout simplement faux parce quil y a eu une noria de ministres, depuis le début, à commencer par Robin Cook et moi-même, mais aussi les autres, que samedi dernier tout le monde était là du matin au soir et quil y a eu toutes sortes dinterventions par téléphone, par les représentants des pays dEurope. Les principaux collaborateurs de tous les ministres étaient là tout le temps, les trois négociateurs étaient un Américain, un Européen, - qui est Autrichien - et un Russe.
Q - Ce nétait pas « Hyper Madeleine » sur le front du Kossovo comme il parait quelle
sappelle elle-même quand elle vous téléphone, elle dit « allo, cest Hyper Madeleine »
parce que vous dites « hyper puissance » pour lAmérique
R - Cest un surnom amical quelle sest donnée. Elle me la dit une fois, ce nest pas moi qui lait raconté...
Q - Non je lai entendu, je vous demande de me le confirmer.
R - Cétait plutôt une interprétation amicale de la chose. En tout cas il y a eu dans cette affaire de Rambouillet une combinaison, disons une répartition des rôles mais en parfaite coordination. A certains moments il est apparu que cétait plutôt tel ministre que tel autre qui était le mieux placé pour aller faire évoluer les Serbes, les Kossovars, ou lensemble ou pour parler aux négociateurs. On a vraiment fonctionné comme une équipe. Pourquoi Mme Albright a dû concentrer ses efforts sur Rambouillet ce week-end ? Parce que il y avait ce problème de résistance, imprévu, sur ce point-là en tout cas, des Kossovars et que les Américains aux yeux de tous avaient des arguments plus spécifiques par rapport aux Kossovars, ce qui naurait pas été le cas de lautre côté.
Q - Ce nest pas un peu trop optimiste ?
R - Sur la méthode non. Ce nest pas trop optimiste parce que cest un formidable exemple. Il y a des tas de sujets sur lesquels on peut avoir des désaccords avec les Américains ou avec les Allemands sur lAgenda 2000. Là, vous avez un exemple inverse dans lequel les Américains, les Allemands, les Français, les Britanniques etc... ont vraiment travaillé ensemble et on a mis en avant selon les jours celui qui était le mieux placé pour être efficace. Cest formidable dans ce monde tellement compliqué, avec ses cent quatre-vingt pays et ses problèmes quon ne sait pas souvent par quel bout attraper. Je crois que cest formidable sur le plan méthodologique et jespère que cela donnera des exemples et quon pourra avoir une expression française renforcée par une cohésion européenne, mais complétée aussi par une cohérence dactions avec les Etats-Unis et la Russie.
Q - Un merveilleux monde, où tout le monde sentend et donc tout le monde travaille ensemble.
R - Mais non ! Je parle de méthode. Il y a le Proche-Orient, il y a lIraq, il y a lIran, il y a les Grands lacs, il y a le Kossovo...
Q - Oui ce nest pas réglé.
R - ... il y a le Cambodge, il y a lAfghanistan, il y a mille choses. Je vous parle de la méthode, entre les grands pays.
Q - Et sur le plan intérieur français, je vois Jacques Chirac qui se félicite que la voie de la raison a commencé à prévaloir dans laffaire du Kossovo. Est-ce que limpulsion du président a été dominante ? Est-ce que vous, représentant Lionel Jospin, étiez maître doeuvre ? Comment cela cest passé ?
R - Je crois que la ligne générale sur laffaire du Kossovo était donnée par la ligne du Groupe de contact - excusez moi dy revenir - qui se réunit depuis mars 98. Cest vraiment dans ce groupe qua été élaborée, après des discussions approfondies, la ligne de solutions. Cest là où on a dit le « statu quo est devenu intolérable, mais on ne peut pas aller jusquà lindépendance pour des tas de raisons déquilibre »...
Q - Que vous nous avez expliquées.
R - ...et des précédents dangereux. Cest là où on a arrêté autonomie substantielle et puis on a ensuite approfondi.
Sur le plan français, chaque fois quil y a eu à prendre des décisions sur le Kossovo, ou chaque fois quil a fallu que jinforme des développements parce que cela bougeait vite, il y a eu un certain nombre de réunions autour du président de la République avec le Premier ministre, avec le ministre de la Défense. Nous avons fait un point exact des choses, nous avons réfléchi sur les options, notamment en ce qui concerne notre participation à léventuelle force militaire qui est le complément indispensable de laccord que nous devons encore finaliser. Cela sest passé en parfaite entente, constamment.
En ce qui me concerne, jai naturellement informé régulièrement, le président de la République et le Premier ministre, des déroulements des choses et des choix devant lesquels nous risquions dêtre. Parce que jusquà la dernière minute aujourdhui nous ne savions pas si nous étions devant des difficultés des deux côtés, ou en accord des deux côtés, ou devant un refus serbe, ou un refus albanais. Cétait vraiment dune complexité extrême et en même temps très fluide. En tout cas sur le plan franco-français tout, cela a été - je crois - parfaitement huilé.
Q - Cela a mieux fonctionné alors que sur lAgenda 2000 ou la Politique agricole commune .
R - Pourquoi vous dites cela ?
Q - Philippe Vasseur, député, ancien ministre de lAgriculture, a critiqué Jean Glavany, en disant que le gouvernement voulait faire porter au président le chapeau de léchec de la réforme de la PAC et il a laissé entendre quil y avait des désaccords entre le gouvernement et le président.
R - Franchement je ne sais absolument pas pourquoi il dit cela, ni dans quel contexte et avec quelle arrière-pensée. Ce nest pas du tout comme cela que cela se présente. La PAC fait partie que la négociation dite Agenda 2000, et les quinze pays de lEurope essaient de se mettre daccord sur la façon dont on va financer lEurope de 2000 à 2006. Dans ce financement il y a le financement agricole puisque la Politique agricole commune est lélément majeur, de loin, du budget de lEurope. On discute. Il faut ladapter. On sait bien quil faut ladapter, mais comment ? Comment moderniser cette PAC qui est très coûteuse ? Nous refusons, nous Français, et avec une entente complète puisque cela se passe dans le même genre de réunion que celle dont je vous ai parlé sur le Kossovo, sauf quil ny a pas les mêmes participants, il y a le ministre de lEconomie et des Finances, le ministre de lAgriculture... On fait le point de la situation car on négocie sur ce sujet tout le temps. A Luxembourg il y avait une réunion lundi après-midi, ensuite il y a le Conseil agricole où jétais toute la semaine, ensuite il y a une réunion à la fin de la semaine où il y a le Président et le Premier ministre.
Nous voyons quà lheure actuelle cette question de la contribution excessive que doit payer lAllemagne nest approchée que sur la base dune solution que nous ne pouvons pas accepter, parce quelle entraînerait le détricotage - si je puis me permettre - de toutes les politiques européennes communes...
Cela consisterait à introduire un morceau de cofinancement, cest-à-dire en réalité de financement national de la PAC. Mais au fil des années, la facilité sera daugmenter le financement national, de le faire au détriment de la Politique agricole mais aussi sur les autres (aménagements du territoire etc...). Quand viendra lélargissement, qui va être un choc, nécessaire, historiquement nécessaire mais quand même un choc financier, les politiques communes risquent de disparaître et avec elles le principe de solidarité, qui fait toute la différence entre une vague zone commerciale de libre échange et une véritable Europe avec des politiques communes.
Q - Et là dessus le président Chirac est tout à fait daccord, il est contre le cofinancement, il est contre... ?
R - Absolument, je ne sais pas du tout à partir de quoi M. Vasseur sest exprimé.
Q - Il envisage donc comme vous un échec de ces négociations sur la Politique agricole commune et éventuellement un échec sur lAgenda 2000 alors ?
R - Echec est un mot que jéconomise. On négocie jusquau jour où on aboutit. Simplement je ne crois pas, pas plus que le président, pas plus que le Premier ministre, pas plus que Jean Glavany, ou les autres membres du gouvernement concernés que lon puisse aboutir dans cette affaire sur la base des propositions présentées par la présidence allemande centrées sur le cofinancement. Nous avons dit une chose simple, on trouvera laccord sur le financement de lEurope si tous les pays y mettent du leur, et si on met à contribution toutes les politiques. Cest-à-dire si on fait un peu déconomie intelligente sur toutes les politiques. On veut bien faire des économies - cest déjà un sacrifice pour nous - mais il faut que les autres en fassent sur les politiques qui leur bénéficient. Voilà ce quon a dit, cest très simple. La proposition quon nous présente nest pas du tout fondée là dessus,.
Q - Mais cela veut dire que vous êtes prêt à un conflit qui peut durer avec les Allemands, les Allemands sociaux-démocrates de M. Schröder amis politiques du gouvernement Jospin.
R - Dans la relation entre la France et lAllemagne il y a toujours eu simultanément des sujets daccords et des sujets de désaccords. Jai formidablement bien travaillé avec M. Fischer, membre du Groupe de contact, dans laffaire du Kossovo, dont nous venons de parler. Nous avons une réflexion en commun sur lélargissement, sur les questions dEurope centrale et orientale, nous sommes daccord sur la politique à mener par rapport à la Russie et il se trouve que nos intérêts font que nous ne sommes pas daccord sur la solution à apporter dans cette affaire dAgenda 2000 et de PAC. Cest comme cela.
Q - Alors jusquoù va-t-on dans ces cas-là ? Jusquoù est-ce quon peut aller dans la divergence ?
R - Ce nest pas une tragédie. LEurope est parfaitement habituée à traiter ces questions : on discute, on discute, on discute jusquà ce quon ait trouvé un compromis. On ne peut pas bâtir une solution au détriment dun seul des pays membre de lUnion Européenne, qui plus est un pays fondateur, à propos dune politique fondatrice. Il faudra donc que la présidence allemande trouve une approche un peu différente. Je suis convaincu quà la fin de cette semaine et de ces négociations multiples, elle en sera convaincue.
Q - Que se passera-t-il dans ce cas-là lorsque le Traité dAmsterdam sera appliqué, cest-à-dire que dans la plupart des cas on aura un vote à la majorité qualifiée et non pas lunanimité ? Est-ce que si on se retrouve dans une situation pareille, quon est Français, quon veut défendre nos intérêts, avec le vote à majorité qualifiée, en vertu du traité dAmsterdam, on na plus droit à la parole, on sen va.
R - Attendez, il faut distinguer laspect juridique et la réalité politique. Cest vrai quil y a des cas où on peut accepter la majorité qualifiée, mais il y a un mécanisme qui a été mis dans le traité selon lequel on va décider à lunanimité des sujets sur lesquels dorénavant on pourra travailler à la majorité qualifiée. Même dans ce cas-là vous pensez bien quil y a un principe, - comment dire - de bon sens. Même si il y a des mécanismes qui disent quà la majorité qualifiée peut se décider telle ou telle chose, si un pays à un moment dit « je suis désolé mais cela je ne peux vraiment pas, je peux pas pour des raisons objectives, sociales, économiques, politiques, parlementaires... »
Q - Cest une sorte de veto, cest une sorte de politique de la chaise vide ?
R - Attendez, la chaise vide cest autre chose, cest quon arrête de discuter. Le veto cest de dire : « je ne peux pas ». Mais il y a façon et façon de le dire, il peut être agressif, il peut être brutal, il peut être expliqué. LAllemagne en ce moment est en train de nous dire : « on est le plus gros contributeur net dans lUnion Européenne, on ne peut pas continuer comme cela, on ne peut pas accepter des mécanismes qui font que notre contribution augmente sans arrêt ». Même si cest par ailleurs le pays le plus gros et le plus riche, il y a quand même une limite. Ils nous disent on ne peut pas, et nous on leur dit on ne peut pas accepter un accord qui se fasse uniquement au détriment du cofinancement sur la PAC.
Q - Donc cest bloqué...
R - Cest bloqué pour le moment, mais ce nest pas une tragédie. Les Européens sont toujours en train de discuter sur plein de sujets. Il y a toujours un ou deux sujets sur lequel cest bloqué, jusquau jour où cela se débloque. On ne va pas arrêter la négociation au milieu.
Q - Quest-ce que vous pensez des Allemands qui disent : « Si on ne se met pas daccord sur lAgenda 2000, leuro va continuer à baisser ».
R - On ne peut pas juger, le lancement dune monnaie comme leuro, résultat dannées defforts et de préparations et monnaie au long cours, sur ce qui se passe dans les premières semaines. Il y a la conjoncture qui joue, la micro-conjoncture. De plus, à mon avis, les agents de change, les opérateurs sur les marchés dans le monde entier, ne sont pas idiots. Ils savent très bien que lUnion européenne a toujours eu du mal à se mettre daccord sur son financement. Cest compliqué, comme sur un budget. Ils savent très bien que laccord sera finalement trouvé.
Q - Vous ne croyez pas les Allemands ont raison.
R - Cest une phase de transition. Ils savent très bien. Ils raisonnent à long terme. Le positionnement de leuro par rapport au dollar, par rapport au yen et ce nest pas sur des impressions comme cela quils vont se déterminer. Je ne crois pas
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, )