Texte intégral
Carine Bobbera - En 2000, la réserve a fait l'objet d'une réforme profonde. Deux choix importants ont été faits : la réserve militaire d'emploi s'est substituée à la réserve de mobilisation ; à côté de la réserve opérationnelle, une réserve citoyenne voit le jour. Sur le premier, quel bilan pouvez-vous tirer ?
R - Depuis sa création en 1999, la « nouvelle réserve » a fait l'objet d'une action soutenue. La difficulté était en effet de passer d'une réserve de masse, issue du service national, qui pouvait être utilisée en cas de mobilisation, à une réserve de volontaires, conçue pour renforcer les forces d'active. Celle-ci doit être opérationnelle, formée et disponible en permanence, réactive et pouvoir être engagée dans les mêmes conditions et pour les mêmes missions que l'armée d'active. Deux exemples illustrent cette réserve d'emploi. En juillet dernier, 2 300 réservistes de la Gendarmerie ont participé ainsi chaque jour, sur le terrain, aux actions des compagnies et des escadrons. De même, dans quelques jours, l'armée de terre projettera en Bosnie un peloton de l'arme du Train entièrement formé de réservistes opérationnels. J'irai les rencontrer à Mostar.
Q - L'objectif d'une réserve opérationnelle de 94 000 hommes et femmes en 2012 pourra-t-il être maintenu ?
R - Fixé à 94 150 volontaires, employés en moyenne 27 jours par an, cet objectif a été redéfini en 2003 en fonction des besoins des forces par l'état-major des armées. Il correspond aux besoins exprimés par les armées, la Gendarmerie et les services communs. Fin 2006, le nombre de réservistes ayant signé un engagement à servir dans la réserve s'élevait à 53 300, avec une activité moyenne annuelle de 21,7 jours par individu. Les objectifs intermédiaires prévus sont donc quasiment atteints. L'effort doit désormais porter sur la fidélisation des titulaires d'engagements à servir dans la réserve (ESR). A cet égard, j'attache beaucoup d'importance, d'une part, à l'avancement d'échelon de solde prévu dans le décret qui doit modifier le texte d'application de la loi portant organisation de la réserve militaire, d'autre part, à la disparition des lourdeurs administratives dans la gestion des réservistes. Cela étant, les besoins des armées, donc le volume de la réserve opérationnelle, sont déterminés par les conditions d'emploi de nos forces. Ils seront donc l'objet d'une analyse et d'une nouvelle réflexion dans le cadre des travaux conduits par la Commission du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.
Q - Les réservistes se recrutent dans l'entreprise. Le « Partenariat Défense-entreprise », qui leur offre une protection et accorde des garanties aux employeurs, a-t-il favorisé l'adhésion des employeurs à la politique de réserve militaire ?
R - Le concours des employeurs civils des réservistes est indispensable pour construire la réserve opérationnelle. De leur adhésion dépendent en grande partie la disponibilité et la réactivité des réservistes, au-delà des dispositions réglementaires. Les conventions signées entre la Défense et les entreprises concrétisent cette adhésion et font connaître aux salariés réservistes les marges supplémentaires accordées par leur employeur en matière de temps d'absence, de maintien de rémunération et de délais de préavis. Plus de 120 ont déjà été signées par des sociétés « civiles » et du secteur public. Près de 110 sont en cours d'élaboration, dont celles avec les ministères de l'Education nationale et de l'Enseignement supérieur et de la recherche. Le succès de cette politique de conventionnement tient au réseau de correspondants régionaux du CSRM ainsi qu'aux contreparties accordées aux sociétés (crédit d'impôt, crédit formation, etc.). Il tient aussi au label de « partenaire de la défense nationale », apprécié par les chefs d'entreprise qui savent que la défense est l'affaire de tous et que le lien armée nation passe aussi par le monde professionnel.
Q - A côté de la réserve opérationnelle, il existe une réserve citoyenne, vers laquelle vous souhaitez diriger les jeunes, notamment. Une des actions phares de la Journée nationale du réserviste, le 29 septembre dernier, a d'ailleurs été les échanges entre réservistes de l'Education nationale, qui sont un des leviers de la relation de la Défense vers les jeunes. Comment sensibiliser les jeunes à la réserve ?
R - La réserve citoyenne, récente et encore en devenir, doit oeuvrer au développement du lien entre la Nation et ses armées. Elle doit favoriser le rayonnement et l'enracinement de nos armées dans la communauté nationale, en particulier auprès des jeunes. Sensibiliser la jeunesse à la défense, tel est d'ailleurs le but du parcours de citoyenneté qui commence au collège, se poursuit au lycée et s'achève par la journée d'appel de préparation à la défense. Le corps enseignant s'implique totalement dans cette démarche, qui doit permettre aux jeunes, non seulement d'approcher la question de la défense de notre Nation, mais également de s'approprier les valeurs indispensables au « vivre ensemble », fondatrices de la communauté nationale. La journée d'échanges et d'information des réservistes de l'Education nationale et de l'Enseignement supérieur rend hommage à leur action. Elle leur a permis d'approfondir leur réflexion et de partager leurs expériences. Par ailleurs, pour ce qui est de la formation militaire des jeunes, les périodes d'initiation à la défense nationale et celles de perfectionnement remplacent les stages « découverte » et les préparations militaires. Des initiatives vont en outre être développées, comme celle des « cadets de France », et seront expérimentées bientôt sur cinq sites.
Q - Quel rôle jouent les associations de réservistes dans la vie de la réserve militaire ?
R - Pour les réservistes, ces associations sont des lieux irremplaçables de solidarité, dont il convient de préserver la vitalité. La loi portant organisation de la réserve militaire rappelle leur rôle essentiel dans le renforcement du lien entre la nation et son armée. Elles sont une force de proposition sur la condition des réservistes, devoir dont elles s'acquittent en premier lieu au sein du Conseil supérieur de la réserve militaire (CSRM). Les états-majors et directions, qui manifestent un vif intérêt pour leurs actions, établissent chaque année avec elles une convention fixant des objectifs. J'ajoute que, sur demande, les associations peuvent se voir attribuer le label de « partenaire de la réserve citoyenne ». Quinze associations l'ont déjà obtenu.
Q - Le lien armée-nation peut-il encore se renforcer ?
R - Le lien armée-nation est un sujet auquel j'attache beaucoup d'importance. Les Journées d'appel à la préparation à la défense, durant lesquelles, chaque année, 800 000 jeunes Français sont sensibilisés à l'esprit de défense et ont l'occasion de ressentir l'appartenance à la communauté nationale, sont un des temps forts de ce lien. Celui-ci passe également par la présence d'un élu « correspondant défense » désigné au sein de chaque conseil municipal, ainsi que par le travail interministériel mené avec des partenaires comme l'Education nationale, la Culture, les Affaires étrangères. Mais ce lien armée-nation doit se développer à travers les points majeurs que j'ai évoqués plus haut comme la réserve militaire, la composante armées/jeunesse, avec, en particulier, la mise en place de périodes militaires d'initiation et de perfectionnement. Hervé Morin vient d'ailleurs d'annoncer des mesures qui vont dans cette direction, notamment la mise en place de tutorats à partir des lycées militaires, la création de cadets de la défense. La politique de mémoire transmet notre histoire aux nouvelles générations.
Le secrétaire d'Etat à la défense que je suis s'inscrit dans une action de renouvellement de ce lien, dix ans après la suspension du Service national.
Q - Les Anciens combattants participent aussi au lien entre la société française et sa Défense. Envisagez-vous de leur faire jouer un rôle plus important ?
R - Les Anciens combattants sont déjà des acteurs incontournables du renforcement des liens entre l'armée et la société ! Qui mieux qu'eux peuvent assurer l'indispensable travail de mémoire auprès de notre jeunesse ? Ils contribuent de manière essentielle à faire vivre l'idée de Nation et de communauté de destin, si chère à Ernest Renan. Mais aujourd'hui, ils ont en outre toute leur place dans la réserve militaire. Je pense, bien entendu, à la réserve opérationnelle, pour tous ceux qui ne sont pas atteints par la limite d'âge de leur grade, mais également à la composante citoyenne de la réserve militaire, qui est largement ouverte depuis la loi de 2006 aux plus anciens.
Q - Où en est le projet de réévaluation des indices de retraite des anciens combattants et de revalorisation des pensions de leurs veuves?
R - L'objectif du Gouvernement est d'atteindre l'objectif de 48 points, à un rythme compatible avec le strict respect de notre équilibre des finances publiques. Un effort budgétaire non négligeable a été fait en 2006 et en 2007, avec deux fois deux points. Il nous faudra rendre nos ambitions compatibles avec nos moyens. En tout cas, je peux vous annoncer la mise en place définitive et pérenne de l'allocation différentielle pour les conjoints survivants. Cet effort, pour lequel je me suis personnellement engagé, représente une somme de 550 euros par mois pour les personnes les plus nécessiteuses.
Q - Vous accordez au devoir de mémoire une grande importance. Quelles actions mener auprès des jeunes pour mieux les y sensibiliser ?
R - Essentiel, le devoir de mémoire est le ciment de notre pays, l'aiguillon de notre avenir. La vitalité de ce devoir de mémoire doit être entretenue. C'est pourquoi j'ai décidé d'installer une commission, présidée par le professeur André KASPI (Professeur d'histoire à Paris I), afin qu'elle me présente des propositions pour prévenir la désaffection dont pourrait souffrir un grand nombre de cérémonies commémoratives. Je pense qu'il faudrait développer un partenariat entre les écoles et les collectivités locales afin que collégiens et lycéens puissent, à tour de rôle, participer à ces cérémonies du souvenir devant les monuments aux morts. Viendra un temps où les témoins et les acteurs de l'histoire auront tous disparu. Nous réfléchissons à ce que deviendront les cérémonies. Le renforcement du devoir de mémoire est une priorité du ministère : des propositions seront faites dans les prochaines semaines.
J'accorde également une importance particulière à la dimension internationale de la mémoire. La mémoire doit être un pont qui nous relie aux autres pays, qu'ils aient été nos alliés ou nos ennemis. Je suis donc très attaché au concept de mémoire partagée, dont les deuxièmes rencontres devraient se tenir au Canada, ainsi que me l'a assuré le ministre canadien Grégory Thompson lors de notre rencontre à Dieppe. Nous avons besoin de croiser notre mémoire pour mieux nous comprendre et construire notre avenir.
Q - Globalement, quel regard portez-vous sur la communauté de défense ?
R - La communauté de défense est une composante essentielle de la nation, et je suis particulièrement heureux que le Président de la république m'ait confié des responsabilités dans ce domaine. Le ministère de la défense doit aujourd'hui s'adapter pour remplir ses nouvelles missions et faire face aux enjeux renouvelés d'un contexte international de plus en plus prégnant. Il doit aussi, dans le cadre de la revue générale des politiques publiques et du Livre blanc décidés par le chef de l'Etat, être plus performant et plus efficace. Les prochaines années seront cruciales mais passionnantes.
source http://www.defense.gouv.fr, le 22 novembre 2007