Interview de M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables, à "Europe 1" le 6 décembre 2007, sur les réformes faites en faveur de la protection de l'environnement, la proposition de créer une taxe sur les voitures les plus polluantes et sur la préparation de la conférence de Bali sur la lutte contr le réchauffement climatique.

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Texte intégral

J.-P. Elkabbach.- Après le tam-tam de l'environnement et du "Grenelle de l'environnement", on vous attend, J.-L. Borloo. Mais vous êtes au Maroc, en Chine, en Algérie, après demain au sommet de Bali. Il faut donc saisir l'insaisissable. J.-L. Borloo bonjour ! Les impatients et les passionnés qui ont vécu le "Grenelle de l'environnement" avec leurs tripes trouvent que les décisions promises tardent, que cela flotte, c'est vrai ça ?
 
R.- Eh bien écoutez, en six semaines, on a annoncé la réduction du bruit autour des aéroports, annoncée hier, avec enfin le doublement de la taxe qui permet d'isoler les logements, les pavillons, tous les retards autour d'Orly et de Marseille. Ce que l'on fait en matière aérien qui était prévu dans le Grenelle, c'est au sol, l'équivalent de 50 % de réduction des décibels. Les avions volent plus haut...
 
Q.- Il y a des mesures, les unes après les autres, un catalogue... Mais est-ce que cela progresse, est-ce qu'il y a un rythme ou est-ce qu'on...
 
R.- Attendez, vous vous rendez compte ! Le rythme... On a décidé hier le bonus écologique pour les voitures vertueuses. Le texte sur les OGM est au Conseil d'état, la Haute autorité indépendante pour piloter tout ça est, publiée ce matin, au Journal officiel.
 
Q.- C'est 34 Sages et on dit qu'à leur tête le sénateur UMP de la Manche, J.-F. Le Grand. Encore une Haute autorité mais avec quelle mission, puisqu'on sait que le Gouvernement a décidé de geler la culture et la commercialisation des OGM ?
 
R.- D'un OGM : le 810, l'OGM pesticide, le 810. Pour le reste, conformément à l'accord unanime de Grenelle, nous avons une loi qui organise la transparence, les expertises etc.
 
Q.- Bientôt ?
 
R.- La mise en place elle est au Conseil d'état, elle sera présente au Conseil des ministres le 19 décembre, c'est une décision rapide, démocratique : un Etat de droit, cinq semaines après avoir à l'unanimité pris des positions dans le cadre du Grenelle, est déjà au Conseil d'état, en route pour le Conseil des ministres. Avoir mis en place ce qu'on fait sur les voitures...
 
Q.- Attendez, attendez, on y arrive.
 
R.- Sur l'assentiment qu'on va extrêmement vite ? Plutôt !
 
Q.- Alors sur par exemple le projet de loi qui est prévu pour le 19, dont vous parlez, sur les OGM, vous arrivez à satisfaire à la fois les J. Bové et les scientifiques, qui avec C. Allègre dénoncent les obscurantistes ?
 
R.- Oh, écoutez, on a eu ce débat, de toutes les parties prenantes. Une position raisonnable a été adoptée dans le cadre du Grenelle. Mon problème c'est de mettre en ordre, en marche, en textes de loi les décisions prises à l'unanimité dans le cadre du Grenelle. Ce n'est pas de refaire l'intégralité des débats.
 
Q.- Alors par exemple à Grenelle, vous aviez promis d'imposer aux cantines publiques d'introduire 20% d'aliments bios d'ici à 2010, me rappelait B. Bonte.
 
R.- Oui, elle a raison d'ailleurs !
 
Q.- Les textes devaient être publiés en décembre, avant Noël. Il n'y aura pas... ?
 
R.- Eh bien votre Bérengère se trompe, elle n'a pas bien suivi le Grenelle.
 
Q.- Pourquoi ?
 
R.- Car les textes ne sont pas pour décembre, les textes sont pour le printemps, comme il a été décidé dans le cadre du Grenelle...
 
Q.- Non, non, elle est très bonne !
 
R.- Elle est excellente... vous savez, vous êtes faillible et moi aussi. Ce qui a été décidé c'est que les groupes opérationnels, les groupes - la Fédération du bâtiment, comment on forme les artisans, les climaticiens pour faire les chantiers thermiques, pour faire des économies d'énergie, tous ces groupes opérationnels - seraient mis en place avant le 15 décembre. Tout ce qui relève de la loi, pour des raisons qui ne vous ont pas échappées, cher J.-P. Elkabbach, c'est qu'il y a des élections municipales et qu'il n'y a pas de Parlement entre la 9 février et la fin mars. C'est donc juste après les élections municipales. Et vous transmettrez mes amitiés à Bérengère.
 
Q.- Qui est très bonne et qui sera à Bali dans quelques jours, qui part samedi.
 
R.- Cela va être un moment merveilleux.
 
Q.- Parce qu'on va beaucoup faire, comme d'habitude, sur l'écologie, vous avez entendu tout à l'heure C. Buchet. Depuis hier, nous savons que la vertu est récompensée et le vice puni. Vous avez lancé le bonus/malus sur les voitures neuves suivant leur niveau de pollution et c'est applicable à partir de ?
 
R.- D'aujourd'hui.
 
Q.- A partir d'aujourd'hui, comme ça ?
 
R.- Absolument, non mais comme vous dites, on ne va pas vite...
 
Q.- C'est une impression qui se dégageait chez certains qui vous suivent.
 
R.- C'est sûr, ceux qui parlent simplement, on a l'impression que la vie réelle elle va aussi vite que leurs paroles. Non, mais c'est vrai qu'on a mis en place, conformément au Grenelle, ce bonus écologique. L'idée c'est que plus vous achetez une motorisation - ce n'est pas tellement la carrosserie - plus vous achetez une motorisation vertueuse, enfin polluant le moins et consommant le moins, ce qui est bien pour votre portefeuille par ailleurs, plus vous avez un bonus. Cela peut aller jusqu'à 5.000 euros si c'est un véhicule électrique, c'est 700 euros pour la grande majorité des voitures, cela peut aller jusqu'à 1.000 euros. Et évidemment, si vous achetez, ce qui est votre totale liberté, une voiture extrêmement polluante...
 
Q.- Une voiture de sport, une grosse cylindrée, arrogante et polluante.
 
R.- Voilà, eh bien vous payez ce malus qui sert d'ailleurs - le malus de votre voiture puissante, polluante, etc. vous savez à quoi elle sert ? A financer le bonus de ceux qui sont vertueux. C'est quand même une révolution dans le domaine de l'économie, dans le domaine de l'achat. Jusqu'à présent, il n'y avait que des taxes, là, il ne s'agit pas de taxes, il s'agit d'un bonus, mais compensé par un malus.
 
Q.- Dont on s'acquitte une fois pour toutes.
 
R.- Absolument, alors sur le malus, conformément aux souhaits du Grenelle, on réfléchira au fait de l'annualiser, de faire moins sur l'acte d'achat et l'annualiser - mais on en parlera probablement un petit peu plus tard avec les parlementaires. De même peut-être qu'une petite amélioration pour les familles nombreuses, sur le sujet des familles nombreuses...
 
Q.- J'allais vous poser la question, un père ou une mère de famille qui a cinq enfants, qui achète un break, pourquoi il va payer un malus ?
 
R.- Le break pollue. Cela dit, pour les familles très nombreuses, on a regardé là, si on pouvait mettre 5 grammes par enfant au-delà de deux enfants, 5 grammes par rapport aux autorisations d'émission. On devrait pouvoir contenter les familles nombreuses, mais en restant dans cette idée-là. Si vous m'autorisez, je voudrais aller au fond de cette histoire. Tous les deux ans, nous allons déplacer légèrement le curseur, faire en sorte que le droit au bonus, cela soit pour des voitures un petit peu plus vertueuses. L'idée générale c'est de pousser les constructeurs et pousser les consommateurs à faire des motorisations sobres.
 
Q.- Jusqu'à réduire la consommation de CO² par kilomètre le plus possible.
 
R.- Absolument et on peut avoir des voitures spacieuses, mais conçues plus légères, avec une motorisation très vertueuse.
 
Q.- C'est bon pour les prix des voitures et c'est bon pour les constructeurs s'ils sont prêts. Est-ce que c'est une manière d'apporter vous-même une petite part à l'amélioration du pouvoir d'achat ?
 
R.- Ecoutez, si les Français dans leur acte d'achat vont vers des voitures vertueuses, oui, cela sera une amélioration du pouvoir d'achat, à l'achat, mais à la consommation également de leur propre voiture.
 
Q.- Est-ce que c'est J.-L. Borloo, une amorce sur la taxe carbone ?
 
R.- On ne peut pas dire ça exactement, c'est une amorce...on va expérimenter sur vingt familles de produits d'usage courant ce bonus/malus. Quand vous allez dans une grande surface, vous avez dans une famille de produits, une ampoule par exemple, des ampoules vertueuses, des ampoules moins vertueuses, eh bien on va faire du bonus/malus. L'idée générale c'est d'aller vers une économie où une partie du prix écologique, de l'empreinte écologique apparaissent dans le prix d'achat.
 
Q.- Et il y a beaucoup de questions qui arrivent à Jacques Pradel, sur toutes ces questions là. Deux associations, j'ai noté, prennent le Gouvernement en plein flagrant délit de contradiction, disent-elles. Vous, vous chantez Grenelle et F. Fillon au même moment confirme la construction de l'autoroute A45 entre Lyon et Saint-Étienne, c'est cohérent ?
 
R.- Ce qui est prévu dans le Grenelle c'est de ne pas augmenter globalement les capacités autoroutières du pays, mais d'autoriser quelques contournements... enfin pour des raisons de sécurité ou de strictes dessertes locales. Alors le plan et le programme autoroutier, en l'occurrence cette autoroute, était décidée bien avant, c'est une expression du Premier ministre mais il n'y a pas eu de décision récente. C'est une décision qui a deux ans, il a dû la confirmer au détour d'une phrase.
 
Q.- Vous avez noté aussi que la Fédération allemande de l'automobile a tout de suite dénoncé le bonus/malus sur les voitures neuves, françaises, parce qu'il parait que pour les voitures allemandes, c'est inélégant, inefficace et désavantageux, parce qu'elles sont massives. D'ailleurs, il y avait une enquête faite sur Europe tout à l'heure.
 
R.- Il est vrai que cela a pour logique de pousser tous les constructeurs mondiaux à faire des voitures sobres, légères, confortables. A quoi cela sert de faire des voitures qui peuvent aller jusqu'à 250 km/h, quand on sait qu'on a les problèmes de pollution et d'émission de CO² ? A un moment donné, il faut être un peu cohérent. Oui, c'est vrai que c'est une mesure qui va inciter les constructeurs à construire différemment, c'est sûr.
 
Q.- Alors on voit qu'hier, par exemple la chancelière Merkel a lancé son programme de baisse drastique des émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2020. Que les Italiens et les Espagnols ont encore du retard, ce sont de mauvais élèves par rapport à la France - c'est B. Bonte qui le dit, et elle a raison...
 
R.- Elle est formidable Bérengère !
 
Q.- Pourquoi l'Union européenne n'est-elle pas plus forte dans les négociations de Bali sur le climat ?
 
R.- Je ne sais pas ce que vous voulez dire, par "pas plus forte". Vous voulez dire "plus entendue", j'imagine ? Parce que, en tant que telle, la position de l'Europe des 27 est assez claire : c'est priorité à la lutte contre le changement climatique et désengagement à terme, très élevé ; prêt à passer d'ailleurs de 20 à 30 % de réduction si les autres grands continents, grands états s'engagent fermement. La grande difficulté, vous le savez, c'est les rapports avec les pays qui ne s'étaient pas engagés, les Etats-Unis d'Amérique, l'Australie à l'époque...
 
Q.- Elle a signé, elle a signé !
 
R.- L'Australie à l'époque, la Chine et l'Inde. Je pense que les choses évoluent extrêmement vite. Alors d'abord l'Australie dans le cadre de ses dernières élections a rejoint le camp de ceux qui sont pour des engagements précis. Il faut dire aux auditeurs, Kyoto c'est quoi ? C'est, voilà : nous nous engageons fortement sur les chiffres. C'est ça Kyoto. Et l'après Kyoto, c'est, il faut faire plus et il faut que l'on soit plus nombreux.
 
Q.- Kyoto c'est jusqu'en 2012, et là maintenant à Bali, pour bien comprendre, vous préparez l'après...
 
R.- Bali c'est la préparation de l'après Kyoto, c'est-à-dire qu'il n'y ait pas de discontinuité, mais surtout qu'on soit tous assigné, que toute la planète s'engage, c'est le grand débat.
 
Q.- Et pour les Américains, il faut attendre l'administration qui suivra, l'administration de G. Bush ?
 
R.- Il n'est pas question que l'on ne fasse pas Bali, en se disant : on va attendre l'élection américaine. Il faut persuader.... Le président Sarkozy était au congrès américain quand il a expliqué qu'on ne pouvait pas mener ce combat climatique sans que les Américains ne soient à la pointe de ce combat. Vous avez vu que les démocrates se sont levés pour applaudir, puis les républicains. Cela bouge aux Etats-Unis, un certain nombre de grands états fédéraux sont en train de prendre des positions très puissantes.
 
Q.- J.-L. Borloo, vous étiez au Maroc, hier vous étiez en Algérie, auparavant en Chine. On nous dit que le plan décidé par le Parti communiste chinois prévoit un engagement massif en faveur du développement durable et la lutte contre la pollution. Est-ce que vous estimez, pour les avoir vus et entendus, que là-dessus les Chinois sont sincères et qu'ils vont le faire ?
 
R.- Ecoutez, vraiment mon sentiment...enfin deux choses : la première c'est que nous avons signé avec eux une déclaration commune sur le changement climatique et sur ce qu'on allait faire à Bali pour l'après Kyoto. C'est la première fois que les Chinois signent une déclaration commune avec un pays occidental sur ce sujet-là. Deuxièmement, vous savez les principaux mouvements dans la rue en Chine, ceux qui inquiètent le plus le régime, ce sont ceux liés à la pollution.
 
Q.- Donc, vous pensez que les Chinois...
 
R.- Troisièmement, effectivement le programme du plan quinquennal met en numéro un ce qu'ils appellent la civilisation écologique. Alors le sujet est majeur : ils sont à trois tonnes d'émission aujourd'hui par habitant, nous, on est à neuf, je le rappelle. Ils ouvrent une usine de charbon par semaine... des usines de production d'électricité. Donc on est sur des sujets technologiques et sur des sujets politiques majeurs. Mon sentiment c'est que si on ne leur demande pas de raisonner comme nous, Européens, avec le même type d'engagement, mais dans le cas d'une sémantique, d'une prospective avec eux, on doit pouvoir arriver à un accord.
 
Q.- C'est-à-dire qu'ils pourraient eux aussi signer soit le protocole de Kyoto, soit ce qui va se faire à Bali.
 
R.- Un engagement contraignant sous une forme ou sous une autre. Et puis n'oublions pas que ce sont les technologies françaises qui vont en plus leur permettre d'atteindre ces objectifs.
 
Q.- Il y a 190 pays à Bali, des milliers d'experts et de gouvernants qui participent au sommet de Bali contre le réchauffement du climat. Et il paraît que les 10.000 qui y sont réunis, sont tellement obsédés par les économies - je vous préviens, parce que vous y allez après-demain - que pour économiser la climatisation, ils ont tous tombé la veste et la cravate. Qu'est-ce que va dire la France, qu'est-ce qu'elle va exprimer à Bali à travers vous, je pense.
 
R.- Oui, j'y pars, tout à l'heure, enfin dans les heures qui viennent. Plusieurs choses, la première, c'est que la France va parler en tant que la France, mais en tant que future présidence européenne au moment où à Poznan on va faire la suite du calendrier. Un, il va falloir que l'on donne un prix aux choses ; les choses c'est des forêts, c'est l'eau, les biens communs de la planète. On ne peut plus garder une économie exclusivement de marché, il va falloir combiner l'économie des échanges, le Bic qui est là de Monsieur Pradel il a sa valeur d'échange, mais il a aussi une petite empreinte écologique. Il va falloir donner une valeur aux biens.
 
Q.- Vous la respectez vous, l'empreinte écologique ?
 
R.- De plus en plus... alors je vais vous dire, au début c'est un exercice un peu déroutant, et plus vous le faites, plus vous avez envie de le faire, plus vous vous sentez bien de le faire d'ailleurs. Deuxièmement, on va porter avec d'autres, avec des ONG, un programme sur la déforestation. Les problèmes de la forêt mondiale sont absolument cruciaux et il faut donner une valeur au fait de ne plus déforester. Et troisièmement, techniquement, préparer le calendrier qui va nous amener à Poznan et à Copenhague, c'est-à-dire pour l'après Kyoto.
 
Q.- Et tout ça ce n'est pas une croissance, alors qu'on attend une croissance élevée.
 
R.- C'est un levier de croissance.
 
Q.- Qui ressemble à la stagnation.
 
R.- Non.
 
Q.- La croissance écologique, c'est de la croissance ?
 
R.- Mais c'est un levier de croissance, bien entendu, développer des technologies pour faire la captation de carbone, c'est un levier de croissance.
 
Q.- Eh bien, les auditeurs vous appellent à travers Jacques et son petit stylo bleu, alors je vous laisse avec eux. Et n'oubliez pas la mer, la politique de la mer, parce que les chefs d'Etat vont signer comme disait C. Buchet...
 
R.- Absolument, un accord bleu.
 
Q.-...Un plan bleu.
 
R.- Et je transmettrai bien des choses à Bérengère de votre part.
 
Q.- Voilà et vous attendrez d'être à Bali, elle est prévenue.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 6 décembre 2007