Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureuse de vous accueillir aujourd'hui à l'occasion de ce colloque consacré à l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur et à son bon usage dans la prise de décision.
Au moment même où dans tous les pays du monde s'engage un effort exceptionnel pour développer et promouvoir une recherche et un enseignement supérieur de premier rang, ce sujet est absolument essentiel : car pour faire le pari de l'avenir en misant sur l'intelligence, il faut encore être en mesure de distinguer les structures et les équipes qui obtiennent des succès indiscutables de celles qui connaissent plus de difficultés ou avancent plus lentement.
Je veux y insister d'emblée : évaluer et tenir compte des évaluations, cela ne signifie pas se retirer brutalement de ce qui fonctionne moins bien ou jouer sur les dotations en guise de sanction, bien au contraire cela veut dire tirer toutes les leçons de ce qui marche pour aider toutes les autres structures, toutes les autres équipes, toutes les autres formations à atteindre ce même niveau d'excellence.
En faisant de l'évaluation un impératif absolu, nous nous donnons donc les moyens de lutter contre la naissance d'un enseignement supérieur et d'une recherche à deux vitesses. Car il n'y a pas de pire moyen d'entériner des inégalités que de les laisser prospérer au vu et au su de tout le monde, sans que nul n'ose pour autant en parler et encore moins y remédier.
Avec des évaluations régulières et approfondies, nous serons en mesure de dépasser le stade du simple constat - telle équipe, telle structure, tel programme fonctionne mieux que tel autre - pour arriver à celui de l'analyse et comprendre les sources du succès, c'est se donner les moyens de réussir à coup sûr là où auparavant une heureuse conjonction de facteurs était la seule explication avancée.
En somme, avec le développement de l'évaluation, nous sommes fidèles à la leçon la plus aboutie de l'oeuvre de Bourdieu : les inégalités les plus profondément enracinées sont celles que chacun croit innées alors qu'elles sont acquises. Eh bien, notre projet est précisément celui-là : ne pas faire du seul hasard ou seul talent la source de toute réussite, mais se donner les moyens de mieux la comprendre pour mieux la reproduire !
L'évaluation, vous le voyez, Mesdames et Messieurs, est un beau gage d'avenir : son essor prouve que nous sommes décidés à faire mieux encore et à viser l'excellence en toute chose !
En contrepartie d'un tel effort, absolument inédit dans l'histoire récente de notre pays, que nous allons engager au bénéfice de l'enseignement supérieur et de la recherche, nous avons une obligation, morale et politique : garantir aux Français que nous allons construire avec ces moyens supplémentaires l'un des meilleurs systèmes d'enseignement supérieur et de recherche du monde, si ce n'est le meilleur !
Pour atteindre cet objectif, parfaitement à la portée d'un pays comme le nôtre qui peut s'appuyer sur une tradition d'excellence scientifique et universitaire quasi millénaire, il nous fallait donc à l'évidence construire une instance d'évaluation fiable, indépendante et transparente,
C'est chose faite avec la création de l'Agence d'évaluation de l'enseignement supérieur et de la recherche, née en mars dernier et pleinement opérationnelle depuis la nomination de son président au début de l'été.
Mais si l'Agence est une toute jeune institution, sa jeunesse même ne signifie pas que l'évaluation était absente de la recherche et de l'enseignement supérieur français jusqu'ici
Bien au contraire même, puisque le souci d'évaluation est au coeur de toute vraie démarche scientifique, qui repose sur le partage des connaissances et donc l'ouverture à la critique.
Après tout, quand le Père Mersenne faisait circuler dans toute l'Europe du XVIIe siècle les textes philosophiques, mathématiques et physiques d'un Descartes, d'un Hobbes, d'un Gassendi, d'un Pascal, d'un Fermat ou d'un Torricelli, il ne faisait pas autre chose qu'organiser cette « revue entre pairs » qui aujourd'hui encore à la base du fonctionnement de bien des publications scientifiques.
Rien d'étonnant donc à ce que notre système d'enseignement supérieur et de recherche ait pu receler en son sein il y a peu encore de nombreuses instances d'évaluation : certaines étaient propres aux organismes, comme les commissions d'évaluation de l'INSERM, d'autres couvraient une large partie du champ des activités de recherche et d'enseignement dans notre pays, comme le comité national d'évaluation, le comité national d'évaluation de la recherche ou bien encore la mission scientifique, technique et pédagogique de mon ministère.
Ces différents organes ont contribué à renforcer la culture de l'évaluation dans l'ensemble des universités et des organismes, mais ils restaient trop éclatés, trop spécialisés et quelquefois trop proches des formations, des institutions et des équipes qu'ils évaluaient pour que leur légitimité puisse être absolument incontestable.
Il était donc essentiel de franchir une nouvelle étape dans la diffusion de l'évaluation en regroupant en une seule instance toutes les activités existantes et en garantissant son indépendance, sa légitimité, sa transparence, son ouverture et son efficacité.
Voilà en effet ce qu'il nous fallait pour pouvoir construire une recherche et un enseignement supérieur d'excellence : une instance d'évaluation qui soit absolument incontestable.
Voilà ce qu'a créé la loi de programme pour la recherche, en donnant naissance à l'AERES.
Celle-ci a en effet été fondée sur les principes que je viens d'énoncer :
L'indépendance, car son statut d'autorité administrative indépendante la place à l'abri de toutes les pressions qui seraient tentées de s'exercer sur elles et lui permet de définir seule ses critères et ses méthodes d'évaluation dans le respect du cadre fixé par la loi.
Cette indépendance, elle la trouve aussi dans sa position d'agence d'évaluation et non de décision.
La légitimité, parce qu'elle repose sur une capacité d'expertise incontestable, dans laquelle chaque enseignant, chaque chercheur pourra se reconnaître.
La transparence, car ses règles et ses méthodes d'évaluation ont été rendues publiques, chacun pouvant ainsi les apprécier, les discuter si nécessaire et vérifier qu'elles et elles seules ont présidé aux évaluations réalisées.
L'ouverture, parce qu'elle n'est pas confinée à tel ou tel champ, à telle ou telle discipline ou à telle institution, mais est destinée à embrasser tous les domaines les uns après les autres, sans reculer devant les controverses qui émaillent l'histoire de toute science et en les abordant avec objectivité et sérénité.
L'efficacité enfin, l'Agence n'ayant pas vocation à reprendre et à redoubler les travaux et les certifications existantes ou à contester les stratégies existantes, mais à assurer leur cohérence en garantissant qu'un noyau dur de principes bien définis se retrouve dans toute évaluation.
Avec l'AERES, c'est donc une instance à la hauteur des enjeux d'un siècle où l'excellence scientifique sera à la source de tout progrès et de toute croissance qui vient de naître, une instance dont les qualités mêmes sont en accord avec l'esprit scientifique.
Car quel autre discours peut prétendre à l'indépendance, à la légitimité rationnelle, à la transparence, à l'ouverture et à l'efficacité si ce n'est le raisonnement scientifique ?
A mes yeux, cette convergence n'est pas l'effet d'un heureux hasard : bien au contraire, puisqu'elle nous prouve une nouvelle fois que le souci d'évaluer est au coeur même de la démarche des sciences, qui en ont fait le secret de leurs progrès et pour tout dire de leur capacité à formuler des vérités objectives.
Mais il ne suffit pas de disposer d'une instance d'évaluation indiscutable et performante pour en tirer tout le fruit. Je viens en effet de le rappeler, l'AERES évaluera, elle ne décidera pas. Ce n'est donc pas à elle de tirer toutes les conséquences qui découlent de ses travaux. Ce sera en effet le rôle du ministère et des directions des établissements et organismes évalués.
Tenir compte des évaluations pour atteindre à coup sûr l'excellence, voilà en effet le défi qu'il nous reste à relever.
J'en mesure toute la difficulté, car rien n'est plus difficile que de faire d'une évaluation, par définition toujours quelque peu critique, une source de changement accepté et, je dirais même, désiré par ceux qui en ont fait l'objet.
Mais c'est précisément pour cela, j'en suis convaincue, que nous allons réussir à instaurer ce cercle vertueux entre évaluation et décision, un cercle qui ne se nourrira pas du souci de sanctionner, mais de celui de perfectionner, d'améliorer, de transformer, pour s'approcher toujours plus de l'excellence.
Et je sais que dans l'enseignement supérieur et la recherche de notre pays, nombreux sont ceux qui souhaitent avec force que l'excellence soit ainsi mieux reconnue, qu'elle puisse tenir lieu d'exemple et aider les institutions, les formations et les équipes à progresser encore.
Une telle dynamique existe déjà un peu partout dans notre pays. Il faut désormais la systématiser, en faire un principe de mouvement, une exigence continuelle.
Pour y arriver, il faudra que chacun partage une culture de l'évaluation parvenue à parfaite maturité.
Il faudra que les décisions qui s'imposent à la suite d'une évaluation soient toujours prises, dans un esprit d'ouverture, mais aussi de responsabilité.
Voilà pourquoi, Mesdames et Messieurs, les expériences internationales que vous allez nous faire partager sont précieuses : elles nous permettront de comprendre comment instaurer cette relation féconde entre évaluation et décision qui nous manque parfois encore.
Grâce à vos témoignages, grâce à vos analyses, nous serons en mesure de franchir ce pas décisif dans la refondation du système français d'enseignement supérieur et de recherche.
La naissance de l'AERES ne peut en effet être séparée de cette renaissance, qui a commencé avec le Pacte pour la recherche et qui vient de connaître une nouvelle accélération à l'été avec la nouvelle université fondée par la loi « libertés et responsabilités ».
Les deux valeurs cardinales qui ont présidé à l'adoption de ce texte le prouvent : les nouvelles libertés reconnues aux universités françaises leur permettront d'exercer de nouvelles responsabilités. Désormais, débarrassées des gangues administratives qui les enserraient trop souvent, les voilà libres de viser l'excellence scientifique et la réussite des étudiants. Et de les atteindre !
Au coeur de ce lien consubstantiel qui unit liberté et responsabilité, il y a en effet l'évaluation et les décisions qui l'accompagnent.
Car c'est elles qui garantissent que l'excellence recherchée sera bel et bien atteinte : voilà pourquoi il est essentiel que chacun soit en mesure de juger de l'usage qui est fait de ces libertés nouvelles, afin de garantir à tous qu'elles permettront, comme j'en suis convaincue, de faire rayonner à nouveau dans le monde entier nos universités et nos organismes de recherche.
Dès lors, vous mesurez, Mesdames et Messieurs, tout le prix que j'attache aux échanges qui vont être les vôtres aujourd'hui.
Permettez-moi enfin de vous le dire, les rencontres auxquelles nous participons aujourd'hui me paraissent enfin adresser un signe particulièrement heureux à l'ensemble des chercheurs et des étudiants de nos pays : en mettant en commun nos expériences pour progresser ensemble, nous démontrons que c'est l'esprit d'émulation et non pas celui de vaine compétition qui préside aujourd'hui aux efforts qu'engagent chacune de nos nations pour relever le défi de l'intelligence.
Voilà qui me semble en parfait accord avec l'évaluation telle que je la conçois : une source de progrès partagé et non d'inégalités croissantes.
Je suis donc certaine que vos travaux seront riches et fructueux et j'attends avec intérêt et même impatience de prendre connaissance de leurs conclusions.
Je vous remercie.Source http://www.recherche.gouv.fr, le 10 décembre 2007