Texte intégral
F. Laborde.- Nous allons parler de l'enseignement supérieur, et plus précisément de l'orientation active du "Plan licence" que vous présentez aujourd'hui. Ce "Plan licence", il y a urgence, parce que franchement, on est "cancrissimes" - si vous permettez ce barbarisme en la matière -, on a un taux d'échec en première année de fac qui est retentissant, et à l'arrivée, il n'y a que 40 % des étudiants qui obtiennent leur licence.
R.- Oui, c'est-à-dire que, nous avons une sélection par l'échec à l'université. C'est-à-dire que les étudiants rentrent totalement librement, mais à la fin de l'année, vous en avez plus de la moitié qui va échouer. Et dans cette moitié, vous avez ceux qui vont se décourager complètement, vous avez ceux qui auront redoublé, et puis vous avez ceux qui vont se réorienter, mais ils perdent globalement un an. Je crois que c'est un gâchis humain, c'est un gâchis financier, et on ne peut pas continuer comme ça, il faut absolument prendre des mesures.
Q.- Alors, justement, ces mesures sont assez précises. De l'accompagnement, déjà aider les étudiants à faire une sélection, parce que souvent, ils ne savent pas bien dans faculté s'orienter. Et puis, peut-être aussi, un peu professionnaliser les études ?
R.- Le coeur de notre projet "Réussir en licence", c'est la personnalisation. L'idée, c'est vraiment de prendre chaque lycéen en Terminale, et de l'accompagner vers la voie dans laquelle il va réussir, et la voie qui correspond aussi à ses goûts et à son projet personnel.
Q.- Parfois, ils ne le savent pas en Terminale...
R.- Alors, justement, je crois qu'il faut les amener progressivement à voir quels sont les champs de métiers qui les attirent, mais toujours en créant des passerelles, des voies de sortie, en ouvrant des portes. Si vous voulez, on va en Terminale, il faudrait que les universitaires généralisent des expérimentations qui se font aujourd'hui...
Q.- Oui, il y a certaines universités qui le font aujourd'hui...
R.- Il y a 67 universités qui ont lancé des expérimentations, mais enfin, quand une université va voir cinq lycées de son bassin territorial, on ne peut pas dire qu'elle va dans tous les lycées. Je crois qu'il faudrait vraiment que dans chaque lycée, il y ait des universitaires qui viennent parler des filières, qui racontent, qui expliquent aussi les prérequis qu'il faut pour réussir.
Q.- Mais tout de même, vous dites qu'il ne s'agit pas de mettre une sélection supplémentaire, etc., soit. Mais, est-ce que au fond, ce plan, ce n'est pas parce que 80 % de réussite au bac c'est bien joli, mais pour reprendre l'expression du patron de la Sorbonne, J.-R. Pitte, ils se retrouvent quand même en première année de fac avec des gens qui n'ont rien à y faire... Enfin peut-être pas "rien à n'y faire", mais en tout cas, pas au niveau ?
R.- Il y a un sujet qui est majeur, c'est l'accueil des bacs technologiques dans les filières générales. L'accès est évidemment libre, mais je crois que compte tenu des acquis qu'ont les bacheliers technologiques en Terminale, ils sont beaucoup faits pour des filières qui sont concrètes, qui sont des filières professionnalisantes, comme des BTS ou des IUT. Et donc, les IUT et les BTS sélectionnent. Or je souhaite que dès l'année prochaine, toutes les places vacantes de BTS et d'IUT soient mobilisées pour l'accueil de bacheliers technologiques qui n'auraient pas été préalablement sélectionnés. Cela suppose un accompagnement supplémentaire, parce que les bacheliers technologiques ont envie d'aller dans ces filières, ils savent que ce sont des filières très professionnalisantes, mais souvent ils restent à la porte. Et je crois que 32 % de bacheliers technologiques en IUT, ce n'est pas suffisant. Nous allons mettre en place un système de bonus pour permettre d'accompagner ces bacheliers, qui sont plus fragiles, qui ont besoin de plus de tutorat, vers ces filières qui sont très professionnalisantes et qui donnent un emploi.
Q.- Le critère de succès, pour vous, c'est quoi ? C'est la réussite aux examens ou c'est la capacité à obtenir un emploi, à rentrer dans la vie active ? Parce que, il y a des bacs + 5 qui correspondent à on ne sait quel diplôme d'ailleurs, et qui, en effet, sont des étudiants qui ont passé cinq ou six ans dans les universités, et qui ne trouvent aucune espèce d'emploi.
R.- Je veux que la licence ait plus de valeur, qu'elle ait plus de valeur c'est-à-dire qu'elle donne un certain nombre de compétences : la maîtrise des langues étrangères, la maîtrise des technologies de l'information, une maîtrise globale de l'expression écrite et orale. Et en donnant cette valeur à ce diplôme, en donnant ces compétences aux étudiants, on leur ouvre toutes les portes, tous les champs de métiers.
Q.- Mais n'est-ce pas une façon de dire, au fond : Seconde, Première, Terminale, ça ne suffit pas, et "on remet le couvert", si je puis dire, à la fac, on repart sur des études généralistes, parce que vous ne savez pas bien écrire le français, vous n'avez pas bien appris l'anglais, parce que vous oublié les maths en chemin... ?
R.- Non, ce n'est pas exactement cela. Le problème, c'est qu'aujourd'hui, à l'université, on a tendance à hyperspécialiser l'enseignement dès la première année. Vous allez en maths, vous faites 10-15 heures de sciences dures. Vous allez en licence, mettons de géographie, vous faites 12 heures de géographie. Et vous avez un tout petit peu d'enseignement annexe, d'ouverture. Je crois qu'il faut repenser la première année à l'université. La première année à l'université c'est une année fondamentale, on a des bacheliers qui arrivent de toutes les sections, ils n'ont pas les mêmes acquis, ils ne connaissent pas les mêmes choses.
Q.- Par exemple, vous citez la géographie. En géographie, il faut des compétences en quoi : en dessin, en français pour commenter, en maths pour reporter des cartes... ?
R.- Je pense qu'en première année à l'université, on peut se tromper. Donc il faut surtout que la première année donne toute une série d'enseignements plus généraux, de méthodes, comment apprendre, d'abord, ce que c'est qu'être un étudiant, comment on rend un devoir, comment on s'exprime, comment on cherche des documents. Donc toute une série de cours de méthode, de culture générale, des enseignements d'ouverture sur les autres filières. Parce qu'on a pris géographie, mais peut-être que l'on va s'apercevoir qu'en fait, à la géographie on préfère l'histoire, ou peut-être que, finalement, le droit c'est intéressant, l'économie, parce que la géographie et l'économie, finalement c'est...
Q.- Donc cela veut dire qu'il y aurait une première année... C'est ce que vous reprochent un peu les syndicats - je me fais l'avocate du diable ils disent qu'au fond, c'est une Terminal bis la première année, et ce n'est pas bien quand on va à la fac, c'est grand saut dans l'inconnu. Pourquoi faudrait-il encore tenir la main de ces étudiants en première année et refaire une Terminale bis ?
R.- C'est une année de transition entre la terminale et l'université, au sens où je veux que cette transition se fasse doucement. Je veux que les étudiants soient accompagnés, qu'ils aient un professeur référent. Aujourd'hui, un étudiant qui arrive à l'université tombe dans l'anonymat, il tombe dans un univers où personne ne s'occupe de lui. Donc, je voudrais beaucoup plus de petites classes, je voudrais un professeur référent par élève, je voudrais des tuteurs si jamais l'élève trébuche dans telle ou telle matière, des rendez-vous, un contrat de réussite passé avec l'université à l'entrée, où on dit l'étudiant à quoi il s'engage, comment cela va se passer...
Q.- Etre assidu aux cours, suivre les travaux dirigés...
R.- Exactement, tout a fait. Les travaux dirigés vont vous aider, à quoi ça sert, etc. Et je veux qu'il y ait des points de rendez-vous à la fin du premier semestre, à la fin de la première année, pour faire le bilan, et voir si l'étudiant ne s'est pas égaré. Je veux qu'on les prenne par la main, et je veux qu'on les amène à l'université ou qu'on les amène dans les filières où ils vont réussir. Mais ce n'est pas du tout une deuxième Terminale, parce que, on va s'ouvrir sur des enseignements qu'ils n'ont jamais eus en terminale : la sociologie, le droit, l'économie, sont des enseignements qu'un bachelier général n'a pas forcément eu en Terminale.
Q.- Vous avez eu à faire face à une fronde, c'est le moins qu'on puisse dire, assez longue. Où en est-on aujourd'hui sur le blocage des universités ? Les choses rentrent-elles dans l'ordre ? Et comment expliquez-vous cette espèce de résistance fondamentale à toute espèce de réforme ?
R.- Aujourd'hui, il n'y a plus que cinq sites universitaires qui sont perturbés, mais en réalité, dans les universités, les cours ont repris, les examens vont pouvoir se tenir normalement. Donc ça, c'était le plus important. Alors, comment j'explique "la fronde" ? Je crois qu'il y a dans le pays une peur du changement, et je crois que c'est important pour les ministres de bien comprendre - en tout cas, je le crois profondément - qu'une fois que la loi est votée, tout reste à faire. C'est le service "après vote"...
Q.- L'accompagnement, comme pour la fac ?
R.- Voilà, et il faut rassurer, exactement.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 13 décembre 2007