Interview de Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, à "France 2" le 13 décembre 2007, sur l'orientation universitaire,notamment l'"orientation active du Plan licence" et l'échec scolaire en première année d'université.

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Média : France 2

Texte intégral


 
F. Laborde.-  Nous allons parler de l'enseignement supérieur, et plus précisément  de l'orientation active du "Plan licence" que vous présentez  aujourd'hui. Ce "Plan licence", il y a urgence, parce que  franchement, on est "cancrissimes" - si vous permettez ce  barbarisme en la matière -, on a un taux d'échec en première année  de fac qui est retentissant, et à l'arrivée, il n'y a que 40 % des  étudiants qui obtiennent leur licence. 
 
R.- Oui, c'est-à-dire que, nous avons une sélection par l'échec à  l'université. C'est-à-dire que les étudiants rentrent totalement librement,  mais à la fin de l'année, vous en avez plus de la moitié qui va échouer.  Et dans cette moitié, vous avez ceux qui vont se décourager  complètement, vous avez ceux qui auront redoublé, et puis vous avez  ceux qui vont se réorienter, mais ils perdent globalement un an. Je crois  que c'est un gâchis humain, c'est un gâchis financier, et on ne peut pas  continuer comme ça, il faut absolument prendre des mesures. 
 
Q.- Alors, justement, ces mesures sont assez précises. De  l'accompagnement, déjà aider les étudiants à faire une sélection,  parce que souvent, ils ne savent pas bien dans faculté s'orienter. Et  puis, peut-être aussi, un peu professionnaliser les études ? 
 
R.- Le coeur de notre projet "Réussir en licence", c'est la personnalisation.  L'idée, c'est vraiment de prendre chaque lycéen en Terminale, et de  l'accompagner vers la voie dans laquelle il va réussir, et la voie qui  correspond aussi à ses goûts et à son projet personnel. 
 
Q.- Parfois, ils ne le savent pas en Terminale... 
 
R.- Alors, justement, je crois qu'il faut les amener progressivement à voir  quels sont les champs de métiers qui les attirent, mais toujours en créant  des passerelles, des voies de sortie, en ouvrant des portes. Si vous  voulez, on va en Terminale, il faudrait que les universitaires  généralisent des expérimentations qui se font aujourd'hui... 
 
Q.- Oui, il y a certaines universités qui le font aujourd'hui... 
 
R.- Il y a 67 universités qui ont lancé des expérimentations, mais enfin,  quand une université va voir cinq lycées de son bassin territorial, on ne  peut pas dire qu'elle va dans tous les lycées. Je crois qu'il faudrait  vraiment que dans chaque lycée, il y ait des universitaires qui viennent  parler des filières, qui racontent, qui expliquent aussi les prérequis qu'il  faut pour réussir. 
 
Q.- Mais tout de même, vous dites qu'il ne s'agit pas de mettre une sélection supplémentaire, etc., soit. Mais, est-ce que au fond, ce  plan, ce n'est pas parce que 80 % de réussite au bac c'est bien joli,  mais pour reprendre l'expression du patron de la Sorbonne, J.-R.  Pitte, ils se retrouvent quand même en première année de fac avec  des gens qui n'ont rien à y faire... Enfin peut-être pas "rien à n'y  faire", mais en tout cas, pas au niveau ? 
 
R.- Il y a un sujet qui est majeur, c'est l'accueil des bacs technologiques  dans les filières générales. L'accès est évidemment libre, mais je crois  que compte tenu des acquis qu'ont les bacheliers technologiques en  Terminale, ils sont beaucoup faits pour des filières qui sont concrètes,  qui sont des filières professionnalisantes, comme des BTS ou des IUT.  Et donc, les IUT et les BTS sélectionnent. Or je souhaite que dès  l'année prochaine, toutes les places vacantes de BTS et d'IUT soient  mobilisées pour l'accueil de bacheliers technologiques qui n'auraient  pas été préalablement sélectionnés. Cela suppose un accompagnement  supplémentaire, parce que les bacheliers technologiques ont envie  d'aller dans ces filières, ils savent que ce sont des filières très  professionnalisantes, mais souvent ils restent à la porte. Et je crois que  32 % de bacheliers technologiques en IUT, ce n'est pas suffisant. Nous  allons mettre en place un système de bonus pour permettre  d'accompagner ces bacheliers, qui sont plus fragiles, qui ont besoin de  plus de tutorat, vers ces filières qui sont très professionnalisantes et qui  donnent un emploi. 
 
Q.- Le critère de succès, pour vous, c'est quoi ? C'est la réussite aux  examens ou c'est la capacité à obtenir un emploi, à rentrer dans la  vie active ? Parce que, il y a des bacs + 5 qui correspondent à on ne  sait quel diplôme d'ailleurs, et qui, en effet, sont des étudiants qui  ont passé cinq ou six ans dans les universités, et qui ne trouvent  aucune espèce d'emploi. 
 
R.- Je veux que la licence ait plus de valeur, qu'elle ait plus de valeur c'est-à-dire qu'elle donne un certain nombre de compétences : la maîtrise des  langues étrangères, la maîtrise des technologies de l'information, une  maîtrise globale de l'expression écrite et orale. Et en donnant cette  valeur à ce diplôme, en donnant ces compétences aux étudiants, on leur  ouvre toutes les portes, tous les champs de métiers. 
 
Q.- Mais n'est-ce pas une façon de dire, au fond : Seconde, Première,  Terminale, ça ne suffit pas, et "on remet le couvert", si je puis dire,  à la fac, on repart sur des études généralistes, parce que vous ne  savez pas bien écrire le français, vous n'avez pas bien appris  l'anglais, parce que vous oublié les maths en chemin... ? 
 
R.- Non, ce n'est pas exactement cela. Le problème, c'est qu'aujourd'hui, à  l'université, on a tendance à hyperspécialiser l'enseignement dès la  première année. Vous allez en maths, vous faites 10-15 heures de  sciences dures. Vous allez en licence, mettons de géographie, vous faites 12 heures de géographie. Et vous avez un tout petit peu  d'enseignement annexe, d'ouverture. Je crois qu'il faut repenser la  première année à l'université. La première année à l'université c'est une  année fondamentale, on a des bacheliers qui arrivent de toutes les  sections, ils n'ont pas les mêmes acquis, ils ne connaissent pas les  mêmes choses. 
 
Q.- Par exemple, vous citez la géographie. En géographie, il faut des  compétences en quoi : en dessin, en français pour commenter, en  maths pour reporter des cartes... ? 
 
R.- Je pense qu'en première année à l'université, on peut se tromper. Donc  il faut surtout que la première année donne toute une série  d'enseignements plus généraux, de méthodes, comment apprendre,  d'abord, ce que c'est qu'être un étudiant, comment on rend un devoir,  comment on s'exprime, comment on cherche des documents. Donc  toute une série de cours de méthode, de culture générale, des  enseignements d'ouverture sur les autres filières. Parce qu'on a pris  géographie, mais peut-être que l'on va s'apercevoir qu'en fait, à la  géographie on préfère l'histoire, ou peut-être que, finalement, le droit  c'est intéressant, l'économie, parce que la géographie et l'économie,  finalement c'est... 
 
Q.- Donc cela veut dire qu'il y aurait une première année... C'est ce que  vous reprochent un peu les syndicats - je me fais l'avocate du diable  ils disent qu'au fond, c'est une Terminal bis la première année, et  ce n'est pas bien quand on va à la fac, c'est grand saut dans  l'inconnu. Pourquoi faudrait-il encore tenir la main de ces  étudiants en première année et refaire une Terminale bis ? 
 
R.- C'est une année de transition entre la terminale et l'université, au sens  où je veux que cette transition se fasse doucement. Je veux que les  étudiants soient accompagnés, qu'ils aient un professeur référent.  Aujourd'hui, un étudiant qui arrive à l'université tombe dans  l'anonymat, il tombe dans un univers où personne ne s'occupe de lui.  Donc, je voudrais beaucoup plus de petites classes, je voudrais un  professeur référent par élève, je voudrais des tuteurs si jamais l'élève  trébuche dans telle ou telle matière, des rendez-vous, un contrat de  réussite passé avec l'université à l'entrée, où on dit l'étudiant à quoi il  s'engage, comment cela va se passer... 
 
Q.- Etre assidu aux cours, suivre les travaux dirigés... 
 
R.- Exactement, tout a fait. Les travaux dirigés vont vous aider, à quoi ça  sert, etc. Et je veux qu'il y ait des points de rendez-vous à la fin du  premier semestre, à la fin de la première année, pour faire le bilan, et  voir si l'étudiant ne s'est pas égaré. Je veux qu'on les prenne par la  main, et je veux qu'on les amène à l'université ou qu'on les amène dans  les filières où ils vont réussir. Mais ce n'est pas du tout une deuxième Terminale, parce que, on va s'ouvrir sur des enseignements qu'ils n'ont  jamais eus en terminale : la sociologie, le droit, l'économie, sont des  enseignements qu'un bachelier général n'a pas forcément eu en  Terminale. 
 
Q.- Vous avez eu à faire face à une fronde, c'est le moins qu'on puisse  dire, assez longue. Où en est-on aujourd'hui sur le blocage des  universités ? Les choses rentrent-elles dans l'ordre ? Et comment  expliquez-vous cette espèce de résistance fondamentale à toute  espèce de réforme ? 
 
R.- Aujourd'hui, il n'y a plus que cinq sites universitaires qui sont  perturbés, mais en réalité, dans les universités, les cours ont repris, les  examens vont pouvoir se tenir normalement. Donc ça, c'était le plus  important. Alors, comment j'explique "la fronde" ? Je crois qu'il y a  dans le pays une peur du changement, et je crois que c'est important  pour les ministres de bien comprendre - en tout cas, je le crois  profondément - qu'une fois que la loi est votée, tout reste à faire. C'est  le service "après vote"... 
 
Q.- L'accompagnement, comme pour la fac ? 
 
R.- Voilà, et il faut rassurer, exactement. 
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 13 décembre 2007