Texte intégral
N. Demorand.- Vous avez commandé un sondage TNS-Sofres, qui démontre qu'une très forte majorité de Rmistes souhaite aujourd'hui retrouver un emploi ; il y a même le désir de travailler, vous le saviez déjà j'imagine. Pourquoi avoir commandé une enquête sur le sujet ?
R.- Parce qu'il y avait beaucoup de gens qui ne le savaient pas, et qui disaient le contraire, et qui pensaient le contraire, et qui enfermaient les Rmistes dans une image dévalorisante et avec des conséquences très pratiques. On ne leur demande pas de s'inscrire à l'ANPE en disant "ce n'est pas bon pour vous", on ne leur propose pas de boulot. Il y en a que j'ai vus, pendant cinq ans on ne leur pas proposé de travail ; il y a d'autres départements où on fait des choses beaucoup plus dynamiques. Mais grosso modo, j'en avais assez d'entendre comme discours : "il faut leur tenir la main, il faut être gentils avec eux, mais le travail c'est quelque chose de trop sérieux pour eux". Donc, c'est pour cela...
Q.- Oui, enfin quand le discours n'est pas, "ce sont carrément des fainéants".
R.- C'est vous qui le dites, et vous n'êtes pas le seul à le penser. Et il faut casser cette image.
Q.- Je rapporte les propos. Qui pense que les Rmistes sont des fainéants ? Il y en a autour de vous ?
R.- Il y en a partout, bien évidemment. Et je pense qu'il y en aura de moins parce qu'il y a une chose qui a changé, et c'est l'aspect symétrique de cette enquête sur les Rmistes, c'est que les chefs d'entreprise et les employeurs sont en train de découvrir que s'ils veulent satisfaire leurs besoins de main-d'oeuvre, s'ils veulent se développer dans les années qui viennent, il va falloir aller regarder du côté des allocataires de minima sociaux, de ceux qu'on a justement considéré comme improductifs. Donc il est en train de se passer quelque chose, et on n'a pas le droit de rater ce train-là. C'est ce qui frappe, qu'on arrivera effectivement à faire en sorte que l'insertion devienne quelque chose qui ait un réel contenu et qui augmente le pouvoir d'achat des plus pauvres.
Q.- Le syndicat FO a d'ailleurs déclaré hier qu'il entendait prendre toute sa place au sein du "Grenelle de l'insertion" que vous pilotez. Mais pour FO, emploi et pouvoir d'achat sont des composants essentiels de la lutte contre la pauvreté. D'abord et avant tout, il faut pouvoir remettre le pied à l'étrier de l'emploi, les autres mesures sont importantes mais annexes. C'est cela le coeur du problème ?
R.- Vous remarquerez que c'est un peu ce que je serine depuis quelque temps. Quand je dis que les travailleurs pauvres, ce doit être la priorité des politiques ; quand on dit que le revenu de solidarité active, encore une fois, qui doit concerner, à la fois, les allocataires de minima sociaux quand ils reprennent du travail, et les travailleurs pauvres qui sont à temps partiel subi et qui doivent pouvoir sortir la tête de l'eau pour franchir le seuil de pauvreté, on est effectivement dans cette logique que, en France, on ne doit pas se retrouver dans la situation paradoxale, dans laquelle il y aurait retour vers la coexistence dans le système dans lequel il y aurait des pénuries de main-d'oeuvre d'un côté, des gens qui sont, soit en dehors de l'emploi soit dans des conditions extrêmement précaires. Donc il y a quelque chose à jouer à cette charnière-là, qui est fondamentale.
Q.- Sera présenté ce matin au Conseil des ministres, un texte de loi sur le pouvoir d'achat, qui va permettre aux entreprises de payer les RTT qui n'auront pas été prises, plus un certain nombre de dispositions sur les locataires. Ces mesures-là, vous semblent-elles en adéquation avec la situation économique d'un certain nombre de Français ?
R.- Je pense en tout cas que quand on cible le pouvoir d'achat, de dire qu'on commence par regarder la question du logement et celle des locataires, cela me paraît aller de soi. On aurait fait des choses uniquement sur l'abonnement du téléphone portable, ce n'était pas vraiment à la hauteur du problème. Donc que l'on fasse quelque chose sur le logement, je pense que les mesures, caution, garantie de loyer et indexation des loyers, sont des mesures qui vont évidemment dans... Il faudrait qu'elles soient effectives, qu'elles soient contrôlées, etc. Mais elles vont effectivement dans ce sens-là. Il y a autre chose qui a été annoncé par le président de la République hier, dans son discours sur le logement, et qui m'a fait sacrément plaisir, puisque je n'avais pas l'impression d'être très suivi sur ce sujet-là, c'est la suppression de l'avantage fiscal de Robien pour les riches qui investissent pour des logements pour les riches. Donc, phrase du président de la République : "on va unifier le mécanisme des incitations fiscales dans le bon sens", c'est-à-dire que vous avez de l'argent, vous voulez investir dans la pierre, l'Etat vous aidera si c'est investir pour loger les familles les plus défavorisées, les plus modestes", ce qui est remettre les choses un peu dans le bon sens.
Q.- Et sur la question de l'accession à la propriété pour les familles les plus modestes mais qui commencent à pouvoir envisager un investissement de ce type, est-ce positif aussi, d'après vous ?
R.- Toute la difficulté, c'est de pouvoir aider... Si vous voulez, de dire à quelqu'un qui paye des loyers pendant des années, que, finalement, les loyers qu'il a payés ce n'est pas de pure perte, mais c'est pour lui aussi un investissement qui lui permet d'être ensuite propriétaire de son bien, je pense que c'est quelque chose qui contribue à ne pas faire des personnes âgées elles-mêmes, traînant un endettement ou ayant des loyers élevés. Pour moi, l'exemple concret de la réponse à la question que vous posez, ce sont les gens qui m'écrivent en disant "petit retraité : ensemble des revenus, 1200 euros par mois ; dépenses, 80 euros de loyer, 210 euros de crédit à la consommation, 25 euros pour le parking, 100 euros d'impôts locaux, 93 euros d'électricité. Reste à vivre pour se nourrir, se vêtir, 116 euros par mois". Je pense que pour ceux-là, le fait d'avoir pu pendant l'ensemble de leur vie, utiliser leur loyer comme un investissement permettra d'améliorer leur pouvoir d'achat. Encore faut-il, c'est la chose qui est toujours très difficile là-dedans, c'est que cela ne démantèle pas le système du logement social, c'est-à-dire qu'on ne se retrouve pas dans un logement social avec des mécanismes de copropriété extrêmement compliqués, et je pense que c'est un nouveau défi pour les bailleurs sociaux. Et ce n'est pas mal pour eux non plus de les secouer un peu.
Q.- On sait que la ligne du Gouvernement et du président de la République c'est le fameux "travailler plus pour gagner plus", avec tout ce qui est en jeu, notamment autour des heures supplémentaires. Est-ce que ces dispositifs ne concernent pas juste une petite partie des gens et certainement pas ceux dont vous vous occupez, ou les retraités pour reprendre votre exemple ?
R.- Dans le programme "travailler plus pour gagner plus", on a sous-traité la partie "travailler plus" pour ceux qui ne gagnent rien ou "gagner plus", pour ceux qui...
Q.- Gagnent peu ?
R.- ...qui gagnent moins quand ils reprennent du boulot. Donc je pense qu'il y a une cohérence. Quelle est la cohérence ? C'est-à-dire qu'on est en train de préparer la montée en charge, et 2008 va être l'année vérité pour cela, du système de transformation radicale des systèmes de retour à l'emploi, des systèmes de minima sociaux, pour faire en sorte qu'effectivement cela puisse garantir à toute personne que toute heure travaillée supplémentaire va lui rapporter de l'argent. Donc ça, c'est une vraie politique de lutte contre la pauvreté, je crois que personne ne le conteste. Vous avez vu où on en est ? La dernière fois que je suis venu ici, c'était mi-octobre, 17 octobre, Journée de la misère, on se demandait où allaient être les acteurs, où allaient être les associations. Deux mois après, autour de la table du "Grenelle de l'insertion", il y a tout le monde dans des collèges. Il y a les associations, il y a les employeurs, tout le monde est là pour le faire. Je me bats pour que le sujet de la pauvreté soit dans l'agenda social le 19 décembre, et qu'on ne parle pas uniquement de ceux qui sont déjà bien au-delà du seuil de pauvreté. Donc il y a une logique me semble-t-il, à ce qu'on fasse des politiques qui soient centrées pour les plus faibles revenus et les plus modestes, sans qu'ils viennent doubler ceux qui sont un peu au dessus. Donc il faut jouer, à la fois, sur ceux qui sont en dessous de la barre de la pauvreté et ceux qui sont un peu au-dessus.
Q.- Comment prenez-vous le bouclier fiscal ?
R.- Comment je le prends ? Je vais vous dire comment je le prends : je le prends d'une manière très simple. J'étais en Argentine, avec quelques chefs d'entreprise et le Premier ministre, qui allaient, comme traditionnellement pour ces voyages-là, il y a des marchés. Je me suis dit dans l'avion : il y en a quelques-uns qui payent l'ISF et qui sont bénéficiaires du bouclier fiscal. Et je leur ai dit : vous avez vu l'article de la loi qui vous permet de mettre votre argent dans des entreprises d'insertion et d'utiliser ainsi le bouclier fiscal ? Ils m'ont dit : non, on ne l'a pas vu. J'ai dit : êtes-vous prêts à ce qu'on joue le jeu là-dessus ? Ils m'ont dit : absolument, à partir du moment où vous nous faites la chose clé en main. Donc je prends le bouclier fiscal comme quelque chose avec lequel on va remettre de l'argent des plus riches dans les entreprises d'insertion.
Q.- C'est un voeu pieux cela pour vous ou pas ?
R.- Non, non, on va le faire ! Et puis, je prends le bouclier fiscal comme aussi la contrepartie du bouclier sanitaire, dont vous avez vu qu'il revient à l'ordre du jour, puisque maintenant la plus haute autorité de santé estime que le bouclier sanitaire, c'est-à-dire garantir que les pauvres ne puissent pas payer plus qu'un pourcentage de leurs revenus. Donc on arrive à avoir une petite armée de boucliers.
Q.- Dernière question : la visite du colonel Kadhafi en France vous inspire un commentaire de quel type ?
R.- Elle ne m'inspire strictement aucun commentaire. Vous savez, la première fois que je suis venu, trois jours après ma nomination, on m'a demandé ce qu'était un haut commissaire. J'ai dit que cela permettait de m'exprimer sur des sujets sans être tenu à une stricte orthodoxie. Il y a un an, vous m'auriez invité, vous ne m'auriez pas posé de question sur la visite de Kadhafi ; ce n'est pas dans mon champ d'expression.
Q.- Et vous en êtes heureux j'ai l'impression ? De ? De ne pas avoir à commenter ou endosser ce genre de chose ?
R.- Je suis heureux d'avoir à endosser et commenter d'autre chose sur le sondage des Rmistes par exemple qu'on évoquait et l'idée qu'on va changer leur image, bien sûr, cela m'intéresse. Je me sens plus qualifié sur ce sujet-là que sur l'autre.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 12 décembre 2007