Texte intégral
Q - Avant den venir à la question du Kossovo qui nous importe aujourdhui, un mot sur ce qui se passe au Liban Sud, avec une escalade de la violence sans précédent que nous évoquions dans le journal, le gouvernement libanais par la voix du Premier ministre, Selim Hoss en appelle aux Etats-Unis et à la France, en dénonçant la réplique israélienne, que lui répondez-vous, Monsieur Védrine ?
R - Cette situation nous rappelle quil y a au Sud Liban une partie du territoire qui est occupée par larmée israélienne depuis de longues années, que cette armée israélienne de ce fait est lobjet dactions de guérillas du Hezbollah et que cest un des points de tensions extrêmes, dans cette région.
La France a agi à plusieurs reprises pour que cette tension soit calmée. La frontière du Sud Liban fait partie dun groupe de surveillance créé pour cela en 1996. Cette fois-ci, nous sommes intervenus tout de suite auprès des autorités israéliennes comme, dans dautres cas, nous étions intervenus auprès des Libanais, ou des Syriens, pour quil ny ait pas une nouvelle escalade. Il y a là un problème de fond lié - mais à la fois un peu distinct - à la question générale du processus de paix. Cela durera tant quon naura pas enclenché un processus de règlements qui sétende aussi à la question Israël/Syrie et Liban, processus tout à fait bloqué pour le moment.
Q - Le Kossovo. Il reste maintenant huit jours avant le nouveau rendez-vous en France. Vous avez convié après les pourparlers de Rambouillet, Serbes et Kossovars à venir finaliser un accord qui reste très problématique. On ne peut pas dire quun esprit de Rambouillet ait vraiment régné au Kossovo, ces jours-ci. Larmée yougoslave accentue sa pression avec ce que Belgrade qualifie de « manoeuvres militaires ». Les accrochages meurtriers sont quasi-quotidiens. Les observateurs de lOSCE sont littéralement harcelés. Avez-vous, Monsieur le Ministre, des indications qui démentiraient ce que lon observe sur le terrain et qui laisseraient présager un accord sous huit jours ?
R - Non, mais il faut savoir que laction internationale est considérable.
La France a pris une très large part à cette mobilisation : la convocation à Rambouillet, cette nouvelle convocation pour le 15 mars. Personne ne sy est lancée parce que cétait facile, ou parce quon pensait que sur le terrain, les choses étaient en train de saméliorer spontanément. Cest tout à fait linverse qui est vrai. Rien de ce que vous dites ne doit surprendre, après cette réunion de Rambouillet à laquelle nous avons avec beaucoup dénergie enclenché un processus de paix qui demeure extrêmement fragile. Dans chaque camp, il y a manifestement débat entre ceux qui veulent saisir cette chance historique dun processus de paix, de règlement et ceux qui, pour différentes raisons veulent lentraver. Cest ce que nous voyons à travers les escarmouches et les actions isolées, ou les provocations, ou les menaces - tout ce que lon voit en ce moment. Cela fait que la situation est à très haut risque en ce moment, cest une phase cruciale. Cest cet avenir là qui se joue.
Nous réussirons nous, tous ensemble - les Américains, les Européens et les Russes - à poursuivre ce processus, si dans chaque camp ceux qui pensent quil y a un avenir à travers ce processus qui assurerait la coexistence des Serbes et des Kossovars lemportent sur ceux qui veulent le bloquer par des actions de forces, toujours possibles, nimporte quand. Nous le savons, cest précisément pour ça que nous sommes aussi mobilisés.
Q - Hubert Védrine, vous avez lassurance que les deux délégations, kossovare et serbe, viendront en France la semaine prochaine ?
R - Aucune na déclaré quelle ne viendrait pas. Mais les problèmes, quelques problèmes importants de fonds restent à régler, puisque nous navons pas jusquici obtenu laccord des Serbes pour garantir par une force militaire lapplication de laccord sur le terrain. Même si nous avons eu un accord de principe assez large des Serbes sur laccord politique, nous navons pas eu complètement laccord politique des Kossovars, puisquils continuent à demander au bout de trois ans, un référendum et que, dautre part, ils nont jamais donné leur accord véritable au désarmement de lUCK. Il y a donc des « points durs » qui persistent. Cest pour cela dailleurs quil a fallu, à la demande des parties - pas à la demande des négociations ou du Groupe de contact - donner cette période pour quils puissent se retrouver, revenir à la base, entre guillemets, consulter leurs populations, pour savoir comment ils allaient poursuivre. Cest pour cela que ce qui est en suspens en ce moment dans chaque camp est si important. Cest pour cela que nous nous sommes répartis le travail au sein du Groupe de contact pour continuer à faire passer des messages pressants de chaque côté.
Q - De quels moyens de pression dispose encore la communauté internationale ?
R - Elle en dispose dun certain nombre, parce que sinon la réunion de Rambouillet naurait pas eu lieu. Les délégations ne seraient pas venues. Il ne se serait rien passé, ils nauraient même pas donné un accord de principe.
Q - Au départ, on a entendu M. Chirac, il y a quelques jours à Washington, mettre en cause plutôt la responsabilité serbe, en disant que Slobodan Milosevic est peut-être la clé du problème. Hier en Macédoine à Skopje, le ton était un peu différent. On a limpression aujourdhui quil y a aussi, un problème albanais. Une véritable désunion au sein du camp albanais de lUCK.
R - Oui, cela est apparu pendant la Conférence de Rambouillet. Je vais vous citer les propos du président Chirac à un moment donné, vous pourriez comparer avec ceux du président Clinton ou des autres membres du Groupe de contact. Ils ont évolué ensemble.
Par rapport au constat initial, qui est que cette situation est chronologiquement, historiquement du fait du président Milosevic qui a laissé se créer cette situation en supprimant, il y a un certain nombre dannées, lautonomie, qui a mené un certain nombre de Kossovars à bout, en quelque sorte. Après dans lanalyse des blocages, les choses ont varié. On sest rendu compte à la fin de Rambouillet, que la délégation des Albanais du Kossovo était très divisée et que les maximalistes étaient devenus dominants. Voilà la situation de la fin. A partir de ce moment-là, lanalyse américaine, comme française, et comme celle des autres sest adaptée, à cette situation. Aujourdhui, il sagit de convaincre de part et dautre. De part et dautre, il y a manifestement une hésitation, entre saisir cette chance, cette hypothèse de règlements, ou alors la bloquer.
Q - Lorsque je parlais des moyens de pression, il y avait la menace de frappes aériennes. Tant que Belgrade était considérée comme le principal obstacle. Mais aujourdhui sur la communauté albanaise, sur les Albanais que pouvez-vous faire pour les amener à la raison et à conclure un accord ?
R - Dabord la menace de frappe est toujours là. Les dispositions prises par lOTAN existent toujours. Ce que lon appelle l »act ord » est toujours en vigueur.
De lautre côté les Albanais du Kossovo veulent la sécurité. Ils attendent la sécurité de la venue de forces internationales, il ny a une force internationale que sil y a un accord. Il ny aura un accord que sils ne le bloquent pas, par leur maximalisme. Ils savent aussi quil y a un lien direct entre leurs comportements et la sécurité quils recherchent. Donc voilà un lien. Ils ont bénéficié dune certaine sympathie internationale, compte tenu de limage générale du régime de Belgrade. Ils la perdent sils se noient dans des manoeuvres tactiques, qui ne permettent pas à ce plan de paix, qui est une chance, de commencer à être mis en oeuvre.
De toute façon, cela restera très compliqué, nous le savons depuis le début, je lai toujours dit. Avant Rambouillet, pendant Rambouillet, après Rambouillet. Cest un processus, il faut maintenant le faire vivre. Il faudra quil surmonte cette crise et bien dautres encore. Mais il faut que nous restions mobilisés : on ne peut pas abandonner cette région des Balkans et de lEurope à son sort. Il faut quon reste ensemble au sein du Groupe de contact et quon ne lâche pas.
Q - Un mot sur lEurope. Après léchec du marathon agricole, et lapparente désunion entre Paris et Bonn. Il y a eu un sommet informel à Petersberg en Allemagne. Il ny a plus désunion entre Paris et Bonn. Vous confirmez Monsieur Védrine ?
R - Dans la relation entre Paris et Bonn, il y a toujours simultanément des points dentente et des points de désaccord. Cest normal entre des grands pays. Cest comme entre la France et la Grande-Bretagne, ou la France et les Etats-Unis, ou la Grande-Bretagne et lAllemagne.
Là, il y a un sujet sur lequel nous navons pas les mêmes points de vue de départ en tout cas, parce que nos intérêts ne sont pas du tout les mêmes : il sagit du financement de lEurope pour les années 2000-2006. Les Allemands veulent payer moins, parce que ce sont eux qui paient le plus. Et nous, nous ne voulons pas que les économies à trouver se fassent uniquement au détriment de la Politique agricole commune. Même si nous avons contre-proposé des économies réelles, mais qui ne remettent pas en cause le principe même et lesprit de la PAC, nous avons refusé le cofinancement, qui serait leurofinancement national. Le ver serait dans le fruit. Toute la politique commune et de solidarité disparaîtrait en quelques années. Il y a donc un point objectif, qui nest pas lié au fait que la France ait envie dêtre en désaccord avec lAllemagne, ni linverse dailleurs. Mais il y a un fait. De même que sur dautres points, les désaccords sont plutôt entre les pays du sud de lEurope et lAllemagne ou alors entre la Grande-Bretagne et dautres pays. Il y a une série doppositions financières dans cette affaire. Il ny a pas de quoi en faire une sorte de drame global.
Ce nest pas un drame, cest une discussion financière. Elle est difficile et laborieuse, comme à chaque fois. Il a fallu mettre au point des « paquets », ce quon appelait à lépoque les paquets « Delors 1 » ou « Delors 2 ». Cétait très compliqué. Cétait des mois et des mois de discussions et on finit toujours par trouver une solution. Ne confondons pas cette difficulté européenne, prévisible - moi jen parle depuis un an et demi, en disant quil y aura un moment de blocage dans lannée 99 - dont on finira par sortir. Nen faisons pas une crise franco-allemande, sous prétexte que cest lAllemagne qui est présidente en exercice. Simplement là, on a constaté cette semaine au Conseil agricole, au Conseil Affaires générales, à la réunion de Petersberg, quon ne pouvait pas conclure, pas encore, pas sur la base quavait mise en avant la présidence allemande au début. Il me semble que le chancelier Schröder la compris et quà la fin de Petersberg, il a vu quil fallait que la présidence allemande réouvre un peu le jeu, et sur le fond, et sur la méthode. Voilà, nous avons recommencé à travailler là-dessus.
Q - ...Hubert Védrine, y a-t-il une critique du début de la présidence allemande de lUE ?
R - Non, parce que cest très compliqué, vous savez, de présider lEurope à 15, surtout quand il faut financer. Ce nest pas la première fois quune présidence tente quelque chose, quelle constate quil ny a pas consensus sur ce point et quelle sy prend autrement. Cest un commentaire très technique. Ce nest pas une critique globale. De toute façon, on finira par trouver une solution, le plus tôt sera le mieux. Il ny a pas à en faire un drame global, franco-allemand. Dans la même période, jai extrêmement bien travaillé avec M. Fischer sur la question du Kossovo, par exemple. Vous voyez on ne peut pas généraliser. Il faut savoir que cest long, difficile. Il ne faut pas en tirer des extrapolations tragiques, ni sur la situation de lEurope, ni sur la relation franco-allemande. Il faut garder ses nerfs. Ceux qui ont un peu de mémoire sur mes questions européennes le savent. LEurope est une sorte de moteur à explosion : il y a toujours un mélange de points daccord, de grands projets, de désaccords, de blocages complets, qui finissent par être débloqués, cest comme cela, il y en a tout en même temps.
Q - On avait pu croire, justement quavec lavènement de régimes sociaux-démocrates à Londres, à Bonn, et à Paris que lentente serait peut-être plus facile. Or on voit quil y a encore des oppositions très fortes : M. Blair, qui ne veut pas revenir sur les questions budgétaires et M. Schröder. Qui bloque ?
R - Oui, mais ce nest pas entièrement faux, parce que cela créait une plus grande proximité, une plus grande sympathie, une plus grande compréhension. Ce sont des politiques économiques et sociales et cest très important. On va le voir dans la façon de gérer leuro, on le voit dans la lutte pour lemploi, contre le chômage, cest quand même très important.
Mais les discussions dont nous parlons, ne sont pas liées directement à la couleur politique des partis au pouvoir. Pus il y a quand même les intérêts nationaux, les deux comptent. Ensuite, il y a la structure, le poids de lagriculture dans chacune des sociétés, le poids de ceci ou de cela. Ce sont des données objectives tenant aux différents pays.
Mais ce sont en effet des partis liés par un sentiment de sympathie - 11 pays sur 15 sont dirigés par des sociaux-démocrates. Il y a dailleurs aujourdhui à Milan une réunion, lensemble des socialistes et sociaux-démocrates dEurope. Je crois que cela rend en même temps plus facile, la poursuite de la discussion et la recherche dune solution et dun compromis, même quand on constate des divergences dintérêt objectives, quil faut finir par surmonter par un esprit de compromis. Cest ce qui finira par se faire. Il faut quon soit un peu patient, et pendant ce temps-là nous travaillons à trouver les bons compromis pour tout le monde. A condition que tout le monde y mette du sien. Cest ce qui est important pour nous.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 mars 1999)
R - Cette situation nous rappelle quil y a au Sud Liban une partie du territoire qui est occupée par larmée israélienne depuis de longues années, que cette armée israélienne de ce fait est lobjet dactions de guérillas du Hezbollah et que cest un des points de tensions extrêmes, dans cette région.
La France a agi à plusieurs reprises pour que cette tension soit calmée. La frontière du Sud Liban fait partie dun groupe de surveillance créé pour cela en 1996. Cette fois-ci, nous sommes intervenus tout de suite auprès des autorités israéliennes comme, dans dautres cas, nous étions intervenus auprès des Libanais, ou des Syriens, pour quil ny ait pas une nouvelle escalade. Il y a là un problème de fond lié - mais à la fois un peu distinct - à la question générale du processus de paix. Cela durera tant quon naura pas enclenché un processus de règlements qui sétende aussi à la question Israël/Syrie et Liban, processus tout à fait bloqué pour le moment.
Q - Le Kossovo. Il reste maintenant huit jours avant le nouveau rendez-vous en France. Vous avez convié après les pourparlers de Rambouillet, Serbes et Kossovars à venir finaliser un accord qui reste très problématique. On ne peut pas dire quun esprit de Rambouillet ait vraiment régné au Kossovo, ces jours-ci. Larmée yougoslave accentue sa pression avec ce que Belgrade qualifie de « manoeuvres militaires ». Les accrochages meurtriers sont quasi-quotidiens. Les observateurs de lOSCE sont littéralement harcelés. Avez-vous, Monsieur le Ministre, des indications qui démentiraient ce que lon observe sur le terrain et qui laisseraient présager un accord sous huit jours ?
R - Non, mais il faut savoir que laction internationale est considérable.
La France a pris une très large part à cette mobilisation : la convocation à Rambouillet, cette nouvelle convocation pour le 15 mars. Personne ne sy est lancée parce que cétait facile, ou parce quon pensait que sur le terrain, les choses étaient en train de saméliorer spontanément. Cest tout à fait linverse qui est vrai. Rien de ce que vous dites ne doit surprendre, après cette réunion de Rambouillet à laquelle nous avons avec beaucoup dénergie enclenché un processus de paix qui demeure extrêmement fragile. Dans chaque camp, il y a manifestement débat entre ceux qui veulent saisir cette chance historique dun processus de paix, de règlement et ceux qui, pour différentes raisons veulent lentraver. Cest ce que nous voyons à travers les escarmouches et les actions isolées, ou les provocations, ou les menaces - tout ce que lon voit en ce moment. Cela fait que la situation est à très haut risque en ce moment, cest une phase cruciale. Cest cet avenir là qui se joue.
Nous réussirons nous, tous ensemble - les Américains, les Européens et les Russes - à poursuivre ce processus, si dans chaque camp ceux qui pensent quil y a un avenir à travers ce processus qui assurerait la coexistence des Serbes et des Kossovars lemportent sur ceux qui veulent le bloquer par des actions de forces, toujours possibles, nimporte quand. Nous le savons, cest précisément pour ça que nous sommes aussi mobilisés.
Q - Hubert Védrine, vous avez lassurance que les deux délégations, kossovare et serbe, viendront en France la semaine prochaine ?
R - Aucune na déclaré quelle ne viendrait pas. Mais les problèmes, quelques problèmes importants de fonds restent à régler, puisque nous navons pas jusquici obtenu laccord des Serbes pour garantir par une force militaire lapplication de laccord sur le terrain. Même si nous avons eu un accord de principe assez large des Serbes sur laccord politique, nous navons pas eu complètement laccord politique des Kossovars, puisquils continuent à demander au bout de trois ans, un référendum et que, dautre part, ils nont jamais donné leur accord véritable au désarmement de lUCK. Il y a donc des « points durs » qui persistent. Cest pour cela dailleurs quil a fallu, à la demande des parties - pas à la demande des négociations ou du Groupe de contact - donner cette période pour quils puissent se retrouver, revenir à la base, entre guillemets, consulter leurs populations, pour savoir comment ils allaient poursuivre. Cest pour cela que ce qui est en suspens en ce moment dans chaque camp est si important. Cest pour cela que nous nous sommes répartis le travail au sein du Groupe de contact pour continuer à faire passer des messages pressants de chaque côté.
Q - De quels moyens de pression dispose encore la communauté internationale ?
R - Elle en dispose dun certain nombre, parce que sinon la réunion de Rambouillet naurait pas eu lieu. Les délégations ne seraient pas venues. Il ne se serait rien passé, ils nauraient même pas donné un accord de principe.
Q - Au départ, on a entendu M. Chirac, il y a quelques jours à Washington, mettre en cause plutôt la responsabilité serbe, en disant que Slobodan Milosevic est peut-être la clé du problème. Hier en Macédoine à Skopje, le ton était un peu différent. On a limpression aujourdhui quil y a aussi, un problème albanais. Une véritable désunion au sein du camp albanais de lUCK.
R - Oui, cela est apparu pendant la Conférence de Rambouillet. Je vais vous citer les propos du président Chirac à un moment donné, vous pourriez comparer avec ceux du président Clinton ou des autres membres du Groupe de contact. Ils ont évolué ensemble.
Par rapport au constat initial, qui est que cette situation est chronologiquement, historiquement du fait du président Milosevic qui a laissé se créer cette situation en supprimant, il y a un certain nombre dannées, lautonomie, qui a mené un certain nombre de Kossovars à bout, en quelque sorte. Après dans lanalyse des blocages, les choses ont varié. On sest rendu compte à la fin de Rambouillet, que la délégation des Albanais du Kossovo était très divisée et que les maximalistes étaient devenus dominants. Voilà la situation de la fin. A partir de ce moment-là, lanalyse américaine, comme française, et comme celle des autres sest adaptée, à cette situation. Aujourdhui, il sagit de convaincre de part et dautre. De part et dautre, il y a manifestement une hésitation, entre saisir cette chance, cette hypothèse de règlements, ou alors la bloquer.
Q - Lorsque je parlais des moyens de pression, il y avait la menace de frappes aériennes. Tant que Belgrade était considérée comme le principal obstacle. Mais aujourdhui sur la communauté albanaise, sur les Albanais que pouvez-vous faire pour les amener à la raison et à conclure un accord ?
R - Dabord la menace de frappe est toujours là. Les dispositions prises par lOTAN existent toujours. Ce que lon appelle l »act ord » est toujours en vigueur.
De lautre côté les Albanais du Kossovo veulent la sécurité. Ils attendent la sécurité de la venue de forces internationales, il ny a une force internationale que sil y a un accord. Il ny aura un accord que sils ne le bloquent pas, par leur maximalisme. Ils savent aussi quil y a un lien direct entre leurs comportements et la sécurité quils recherchent. Donc voilà un lien. Ils ont bénéficié dune certaine sympathie internationale, compte tenu de limage générale du régime de Belgrade. Ils la perdent sils se noient dans des manoeuvres tactiques, qui ne permettent pas à ce plan de paix, qui est une chance, de commencer à être mis en oeuvre.
De toute façon, cela restera très compliqué, nous le savons depuis le début, je lai toujours dit. Avant Rambouillet, pendant Rambouillet, après Rambouillet. Cest un processus, il faut maintenant le faire vivre. Il faudra quil surmonte cette crise et bien dautres encore. Mais il faut que nous restions mobilisés : on ne peut pas abandonner cette région des Balkans et de lEurope à son sort. Il faut quon reste ensemble au sein du Groupe de contact et quon ne lâche pas.
Q - Un mot sur lEurope. Après léchec du marathon agricole, et lapparente désunion entre Paris et Bonn. Il y a eu un sommet informel à Petersberg en Allemagne. Il ny a plus désunion entre Paris et Bonn. Vous confirmez Monsieur Védrine ?
R - Dans la relation entre Paris et Bonn, il y a toujours simultanément des points dentente et des points de désaccord. Cest normal entre des grands pays. Cest comme entre la France et la Grande-Bretagne, ou la France et les Etats-Unis, ou la Grande-Bretagne et lAllemagne.
Là, il y a un sujet sur lequel nous navons pas les mêmes points de vue de départ en tout cas, parce que nos intérêts ne sont pas du tout les mêmes : il sagit du financement de lEurope pour les années 2000-2006. Les Allemands veulent payer moins, parce que ce sont eux qui paient le plus. Et nous, nous ne voulons pas que les économies à trouver se fassent uniquement au détriment de la Politique agricole commune. Même si nous avons contre-proposé des économies réelles, mais qui ne remettent pas en cause le principe même et lesprit de la PAC, nous avons refusé le cofinancement, qui serait leurofinancement national. Le ver serait dans le fruit. Toute la politique commune et de solidarité disparaîtrait en quelques années. Il y a donc un point objectif, qui nest pas lié au fait que la France ait envie dêtre en désaccord avec lAllemagne, ni linverse dailleurs. Mais il y a un fait. De même que sur dautres points, les désaccords sont plutôt entre les pays du sud de lEurope et lAllemagne ou alors entre la Grande-Bretagne et dautres pays. Il y a une série doppositions financières dans cette affaire. Il ny a pas de quoi en faire une sorte de drame global.
Ce nest pas un drame, cest une discussion financière. Elle est difficile et laborieuse, comme à chaque fois. Il a fallu mettre au point des « paquets », ce quon appelait à lépoque les paquets « Delors 1 » ou « Delors 2 ». Cétait très compliqué. Cétait des mois et des mois de discussions et on finit toujours par trouver une solution. Ne confondons pas cette difficulté européenne, prévisible - moi jen parle depuis un an et demi, en disant quil y aura un moment de blocage dans lannée 99 - dont on finira par sortir. Nen faisons pas une crise franco-allemande, sous prétexte que cest lAllemagne qui est présidente en exercice. Simplement là, on a constaté cette semaine au Conseil agricole, au Conseil Affaires générales, à la réunion de Petersberg, quon ne pouvait pas conclure, pas encore, pas sur la base quavait mise en avant la présidence allemande au début. Il me semble que le chancelier Schröder la compris et quà la fin de Petersberg, il a vu quil fallait que la présidence allemande réouvre un peu le jeu, et sur le fond, et sur la méthode. Voilà, nous avons recommencé à travailler là-dessus.
Q - ...Hubert Védrine, y a-t-il une critique du début de la présidence allemande de lUE ?
R - Non, parce que cest très compliqué, vous savez, de présider lEurope à 15, surtout quand il faut financer. Ce nest pas la première fois quune présidence tente quelque chose, quelle constate quil ny a pas consensus sur ce point et quelle sy prend autrement. Cest un commentaire très technique. Ce nest pas une critique globale. De toute façon, on finira par trouver une solution, le plus tôt sera le mieux. Il ny a pas à en faire un drame global, franco-allemand. Dans la même période, jai extrêmement bien travaillé avec M. Fischer sur la question du Kossovo, par exemple. Vous voyez on ne peut pas généraliser. Il faut savoir que cest long, difficile. Il ne faut pas en tirer des extrapolations tragiques, ni sur la situation de lEurope, ni sur la relation franco-allemande. Il faut garder ses nerfs. Ceux qui ont un peu de mémoire sur mes questions européennes le savent. LEurope est une sorte de moteur à explosion : il y a toujours un mélange de points daccord, de grands projets, de désaccords, de blocages complets, qui finissent par être débloqués, cest comme cela, il y en a tout en même temps.
Q - On avait pu croire, justement quavec lavènement de régimes sociaux-démocrates à Londres, à Bonn, et à Paris que lentente serait peut-être plus facile. Or on voit quil y a encore des oppositions très fortes : M. Blair, qui ne veut pas revenir sur les questions budgétaires et M. Schröder. Qui bloque ?
R - Oui, mais ce nest pas entièrement faux, parce que cela créait une plus grande proximité, une plus grande sympathie, une plus grande compréhension. Ce sont des politiques économiques et sociales et cest très important. On va le voir dans la façon de gérer leuro, on le voit dans la lutte pour lemploi, contre le chômage, cest quand même très important.
Mais les discussions dont nous parlons, ne sont pas liées directement à la couleur politique des partis au pouvoir. Pus il y a quand même les intérêts nationaux, les deux comptent. Ensuite, il y a la structure, le poids de lagriculture dans chacune des sociétés, le poids de ceci ou de cela. Ce sont des données objectives tenant aux différents pays.
Mais ce sont en effet des partis liés par un sentiment de sympathie - 11 pays sur 15 sont dirigés par des sociaux-démocrates. Il y a dailleurs aujourdhui à Milan une réunion, lensemble des socialistes et sociaux-démocrates dEurope. Je crois que cela rend en même temps plus facile, la poursuite de la discussion et la recherche dune solution et dun compromis, même quand on constate des divergences dintérêt objectives, quil faut finir par surmonter par un esprit de compromis. Cest ce qui finira par se faire. Il faut quon soit un peu patient, et pendant ce temps-là nous travaillons à trouver les bons compromis pour tout le monde. A condition que tout le monde y mette du sien. Cest ce qui est important pour nous.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 mars 1999)