Interview de M. Hervé Morin, ministre de la défense, à RFI le 5 janvier 2008, sur l'EUFOR, la situation en Côte d'Ivoire, la lutte contre le terrorisme, l'Afghanistan, le Livre blanc sur la Défense, la Défense européenne et sur les liens avec l'OTAN.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral


PIERRE GANZ - C'est Hervé Morin, le ministre français de la Défense, qui est le premier "invité de la semaine" de RFI et de L'EXPRESS pour cette année 2008. Bonjour Hervé Morin.
HERVE MORIN - Bonjour.
PIERRE GANZ - Merci d'être avec nous pour ouvrir cette année qui sera importante pour la défense française et pour les armées tricolores.
Deux rendez-vous successifs sont programmés : au printemps, la publication du livre blanc de la Défense nationale, pour revisiter nos grandes options stratégiques, déterminer les missions des armées et puis ensuite il y aura le débat d'une loi de programmation militaire pour les années 2009-2011, autant dire que vous avez du pain sur la planche car les défis aujourd'hui sont importants : réponse aux menaces qui apparaissent ces dernières années, on peut citer le terrorisme, le risque de prolifération d'armes de destruction massive par exemple et aussi la construction ou non d'une Europe de la défense crédible, l'adaptation de notre industrie militaire à toutes ces nouvelles donnes, le tout dans un contexte budgétaire qu'on va qualifier pudiquement de difficile. Avant d'évoquer cependant ces chantiers avec vous, Hervé Morin, quelques mots sur les théâtres d'opérations où quelque 14.000 soldats français sont en ce moment en mission. Vous étiez en Afghanistan avec Nicolas Sarkozy juste avant Noël ; vous avez passé le nouvel an avec les troupes françaises qui sont déployées en Afrique, au Tchad et en République centrafricaine.
C'est donc sur ces dossiers que Marc Epstein de L'EXPRESS, vous pose la première question.
MARC EPSTEIN - Afin d'assurer la sécurité dans l'est du Tchad et dans le nord-est de la République centrafricaine, des ministres des Affaires étrangères européens ont annoncé, c'était au milieu du mois d'octobre au Luxembourg, le déploiement d'une force, l'EUFOR. Alors cette force a été confirmée le 30 novembre dernier par le président Sarkozy et pourtant il n'y a toujours pas d'EUFOR. Que reste-t-il dans ces conditions comme crédibilité à l'Union européenne ?
HERVE MORIN - C'est toute la question. Toute la question parce qu'avant les déclarations à la fois des ministres des Affaires étrangères européens et ce qu'a dit le Président de la République sur le sujet, il y a eu une résolution des Nations unies et c'est une résolution que la France et le Royaume Uni ont porté pour l'Europe en disant : voilà, l'Europe a une responsabilité majeure en Afrique ; nous sommes aujourd'hui capables et nous devons être en mesure de montrer que nous sommes capables de mettre en place une force de trois mille à quatre mille hommes sur cette zone qui est une zone en effet compliquée pour déployer des forces, parce qu'il n'y a rien, mais qui n'est pas une zone sur laquelle il y a des risques militaires importants...
MARC EPSTEIN - Et ce déploiement, on l'attendait courant novembre ?
HERVE MORIN - Et ce déploiement, nous l'espérions pour Noël. Nous espérions qu'au moins une grande partie de cette force puisse commencer à faire son travail. Et malheureusement nous sommes confrontés à cette situation ahurissante, c'est que l'Europe porte par la France et le Royaume-Uni une résolution aux Nations unies, qu'elle demande à avoir la responsabilité d'assurer la sécurité sur une partie de cette question du Darfour et qu'in fine, nous sommes incapables de pouvoir mettre cette force.
Alors nous pourrions le faire bien entendu si la France décide d'y mettre les moyens puisque comme vous le savez, nous avons des forces prépositionnées, nous avons des moyens militaires qui nous permettraient de le faire mais la problématique, c'est une responsabilité européenne.
PIERRE GANZ - Et qu'est-ce qui bloque, Monsieur le Ministre ? C'est une affaire de gros sous ?
HERVE MORIN - Ce qui bloque, c'est d'une part peut-être le manque d'ambition européenne (sic) sur ces questions, ce qui bloque aussi, c'est le fait que l'Europe ne consacre pas beaucoup d'argent à sa défense et n'en consacrant pas beaucoup, est très vite aux taquets notamment compte tenu de la situation, compte tenu de l'implication importante des forces européennes en Afghanistan, au Kosovo ou pour certains même en Irak. Et donc quand on cumule peut-être le manque d'ambition et d'autre part les limites de l'exercice pour un certain nombre de défenses européennes... de pays européens, eh bien très vite on est limité. Et enfin c'est un théâtre sur lequel un certain nombre de pays ne sont jamais intervenus.
PIERRE GANZ - Mais qu'est-ce que vous êtes en train de nous dire ? Le projet est mort ? L'EUFOR est mort ?
HERVE MORIN - Non, ce n'est pas mort. Il y a une nouvelle conférence de génération de forces pour prendre les termes techniques, c'est-à-dire un moment où tout le monde va se réunir pour dire : qu'est-ce que vous amenez tous au pot pour faire en sorte que cette opération ait lieu...
PIERRE GANZ - C'est le 11 janvier ça. Et vous pensez vraiment que le 12 janvier au soir ou le 11 janvier au soir, vous pourrez dire : l'EUFOR va exister ?
HERVE MORIN - Ce qu'il faut, c'est qu'on ait absolument des moyens de transports tactiques, c'est-à-dire le moyen de pouvoir assurer la logistique et le transport des troupes et des moyens d'aéromobilité, c'est-à-dire des hélicoptères.
PIERRE GANZ - Et comment les avoir ?
HERVE MORIN - Il faut que chaque pays fasse un effort...
PIERRE GANZ - Un effort financier ou donne ces moyens ?
HERVE MORIN - Non... que l'un donne deux TRANSAL, l'autre trois hélicoptères... En plus de ça, ce qui est absolument... moi j'en reviens, j'y étais il y a trois jours, honnêtement... j'y ai passé quasiment mon meilleur jour de l'an - ma femme m'en excusera - mais mon meilleur jour de l'an de toute ma vie. J'y ai vu des forces françaises formidables avec des visages épanouis, heureux etc et j'y ai vu ce que pouvait représenter la présence de militaires européens pour assurer la sécurité soit de camps pour le Tchad, soit de populations en Centrafrique...
MARC EPSTEIN - Mais...
HERVE MORIN - Non, j'insiste là-dessus...
MARC EPSTEIN - On l'entend bien... mais bon, à quel Européen allez-vous tenir ce discours-là...
HERVE MORIN - Non, non, attendez, j'insiste... En Centrafrique, dans la zone de Birao où nous sommes, une poignée de légionnaires... à peine deux cents, vivant dans des conditions extrêmement rustiques, ont été capables en neuf mois de redonner la joie, le bonheur et le sourire à des populations qui étaient terrorisées par les exactions de forces rebelles venant du Soudan...
MARC EPSTEIN - Qui sont d'ailleurs intervenus sans mandat précis, là, c'est simplement une volonté française...
HERVE MORIN - Oui et puis c'est parce qu'il y a un accord de défense avec la Centrafrique...
PIERRE GANZ - Quel est le pays européen à qui vous devez tenir ce discours pour qu'il soit convaincu ? Lequel ?
HERVE MORIN - On le tient à tous les pays et on le tient notamment à des pays qui sont en mesure normalement d'y mettre des moyens, qui sont notamment nos amis britanniques et allemands.
PIERRE GANZ - Est-ce que si ces moyens ne viennent pas, l'EUFOR peut au final ne pas se déployer ? Est-ce que vous excluez totalement qu'elle ne se déploie pas ?
HERVE MORIN - Aujourd'hui on ne peut pas dire que ça va se déployer mais aujourd'hui je ne peux pas imaginer un seul instant que l'Europe puisse de décrédibiliser à ce point-là et faire en sorte en clair que lorsqu'on parle d'Europe de la défense, on en parle pour les discours, on en parle pour les colloques, on en parle pour les grands moments des grands sommets européens mais qu'in fine, on est incapable de le faire, ce serait terrifiant.
PIERRE GANZ - Mais vous ne pouvez pas dire "ça va sûrement se déployer".
HERVE MORIN - On fera tout pour que ça se déploie.
MARC EPSTEIN - Et qu'est-ce qui vous fait penser que vous pourriez obtenir aujourd'hui ce que vous n'avez pas pu obtenir... ce que nous n'avons pas pu obtenir depuis trois mois ?
HERVE MORIN - Parce qu'il y a parfois la magie... j'allais dire la magie du maçon, c'est quand on est au pied du mur, il y a un moment, il faut bien le faire quoi !
PIERRE GANZ - Autre sujet dans la région si vous le voulez bien, juste un instant : en Côte d'Ivoire, il y a eu des tensions et des morts même à la fin de l'année dernière à Bouake où sont stationnés les soldats français sous le béret bleu de l'Onusie. Comment vous évaluez la situation à Bouake ? Elle est très tendue, elle est dangereuse ?
HERVE MORIN - La situation s'est nettement améliorée en Côte-d'Ivoire, quels que soient les incidents qui peuvent intervenir. Nous avons réduit beaucoup notre présence militaire puisqu'on a à peu près réduit de mille hommes. Vous savez que les forces françaises sont en quelque sorte la force de réaction rapide de l'Onusie. L'Onusie assure la présence permanente avec ses... de mémoire... neuf mille hommes ; de l'autre, il y a la force française qui est à peu près de deux mille hommes, 2.300-2.400 de mémoire aussi... et donc voilà, qu'est-ce qu'il faut maintenant ?
Il faut qu'on ait un processus démocratique, que ce processus démocratique soit assez légitime pour qu'il ne soit pas contesté lorsque les élections auront lieu, d'où l'importance des audiences foreign qui permettent de refaire les listes électorales et d'où l'importance aussi que l'administration ivoirienne se réimplante sur l'ensemble du territoire national et d'où l'importance enfin et peut-être j'allais dire d'abord, de faire en sorte que les discussions entre les forces de Côte-d'Ivoire et ce qu'on a appelé les forces rebelles, c'est-à-dire que l'ensemble de ces forces se réunifient et qu'il y ait une structure commune.
Alors maintenant par exemple le président Gbagbo peut aller dans le nord de la Côte-d'Ivoire avec la protection des deux forces, tout ça bien entendu encadré par l'Onusie. Donc il y a des pas qui montrent que maintenant...
PIERRE GANZ - Les informations qui reviennent vers votre ministère à travers les Français qui sont sur place, disent que c'est très calme, que c'est calme... comment est-ce qu'ils évaluent la situation par exemple dans le nord ?
HERVE MORIN - On évalue la situation comme très calme...
PIERRE GANZ - Même s'il y a eu des incidents vers le 27 décembre...
HERVE MORIN - Oui, enfin globalement on évalue la situation comme calme ; la seule chose qu'il faut bien avoir en tête, c'est qu'il faut absolument arriver à un processus démocratique pour avoir un pouvoir qui soit totalement légitime mais que l'élection ne suffit pas en elle-même ; faut-il encore que cette élection ne soit pas contestable... parce que le risque, c'est que tout se passe bien jusqu'au moment de l'élection et on voit ça ailleurs et que le soir même de l'élection, les autres, les perdants parce qu'il n'y aura qu'un gagnant, que les perdants disent : finalement tout ça, ça ne va pas...
PIERRE GANZ - Je disais, tout à l'heure, qu'il y a 14.000 Français actuellement déployés...
HERVE MORIN - Un petit peu moins.
PIERRE GANZ - ...un petit peu moins, déployés par le monde ; je ne voudrais pas qu'on oublie ceux qui sont en Asie. Marc Epstein, peut-être ?
MARC EPSTEIN - Oui, vous étiez, il y a peu, en Afghanistan, où 1.900 Français participent - pour reprendre l'expression de Nicolas SARKOZY - à une "guerre contre le terrorisme et le fanatisme". Mais cette guerre, elle dure : elle dure depuis l'automne 2001. Et au fond, c'est ma question : quel est l'objectif des opérations auxquelles nous participons ? Est-ce que l'objectif, in fine, c'est d'éradiquer le terrorisme, ou est-ce que c'est simplement de le contenir ?
HERVE MORIN - Eh bien, l'idéal serait de l'éradiquer. Il faut toujours avoir un objectif très ambitieux, pour faire en sorte qu'on arrive au moins à quelque chose. Dire qu'on va l'éradiquer, c'est peut-être beaucoup. Ce qu'il faut absolument, pour l'Afghanistan... on voit très bien qu'on a un arc de crise considérable, qui part - pour faire court - de l'Afghanistan, et qui va jusqu'à l'Atlantique, jusqu'à la Mauritanie ; et que cet arc de crise est porteur, en germe, de crises extrêmement lourdes. Parce qu'on ne peut pas avoir un foyer de déstabilisation supplémentaire, dans une zone où on voit bien comment ça se passe, chez le voisin d'à côté, le Pakistan, ou chez un autre voisin, avec qui on a des difficultés, qui est l'Iran.
Il y a la question toute simple de faire en sorte qu'on assure la paix et la sécurité, à des hommes et des femmes qui vivent dans des situations de violence, ou tout du moins de...
MARC EPSTEIN - Mais, Monsieur le ministre...
PIERRE GANZ - Allez-y.
HERVE MORIN - ...et troisième élément, que nos compatriotes n'ont pas en tête, c'est que l'Afghanistan, aujourd'hui, fournit 90 % des exportations d'opium. Et donc, on a une obligation à la fois stratégique, mais j'allais dire, presque une obligation morale, de faire en sorte que l'Afghanistan ait...
PIERRE GANZ - Ça veut dire quoi ? Qu'il faut faire moins de militaire et plus de développement ?
HERVE MORIN - ...il faut les deux. C'est-à-dire...
PIERRE GANZ - Mais, est-ce qu'on a fait assez de développement, depuis six ans ?
HERVE MORIN - ...on en fait, on le fait à travers ce qu'on appelle les "PRT", les équipes de reconstruction ; on le fait à travers la formation de l'armée afghane ; on devrait le faire beaucoup mieux pour la formation de la police afghane, qui est une des grandes faiblesses de ce que nous faisons, à l'heure actuelle.
Mais, quoi qu'il arrive, on ne peut pas se permettre d'échouer, sur cette affaire. Et il faut... on ne peut pas se permettre d'échouer, et en même temps, il y a probablement eu une erreur de faite par l'OTAN, depuis des années : c'est qu'on a voulu plaquer sur l'Afghanistan des modèles de société, ou des modèles démocratiques, qui soient des modèles ethno-centrés, si je puis dire. En quelque sorte...
PIERRE GANZ - Européens - pour faire court -, oui.
HERVE MORIN - ...voilà. En quelque sorte, de se dire : il y a un modèle universel, c'est le modèle européen, occidental, et on va le plaquer sur l'Afghanistan. Et donc, il y a probablement aussi, pour nous, une réflexion à faire sur : quel modèle nous voulons pour l'Afghanistan.
PIERRE GANZ - "L'invité de la semaine", qui reçoit aujourd'hui Hervé Morin, le ministre français de la Défense. Monsieur le ministre, il nous reste un peu moins de sept minutes ; on va essayer, quand même, d'évoquer les grands dossiers de cette année 2008, pour la défense, avec la préparation de ce livre blanc sur la politique de défense française pour les années à venir.
Une question directe, et assez simple : quelles doivent être les priorités de la défense française, pour les années à venir ?
HERVE MORIN - Eh bien, c'est en effet le travail du livre blanc, qui sera conclu par une loi de programmation militaire, que je présenterai au Parlement, en juin prochain. En fait, si on veut bien regarder les choses, puisque les travaux sont en cours, et sans dévoiler le contenu de ces réflexions...
PIERRE GANZ - Enfin, vous savez un petit peu sur quoi on réfléchit, hein ?
HERVE MORIN - ...heureusement ! Dieu merci !...
PIERRE GANZ - J'espère, oui ! C'est un minimum ! Donc, levez un coin du voile !
HERVE MORIN - ...simplement, on voit très bien que... en fait, moi, je me souviens très bien, parce que j'ai été collaborateur d'un ancien ministre de la Défense qui a fait, enfin, qui a participé à l'exercice du précédent livre blanc, qui était François Léotard. Et donc, quand on regarde le livre blanc de 94, et celui que nous aurons en 2008, contrairement à ce qu'on pouvait penser en 94, les risques et les menaces sont plus importants. Le risque de crise majeure ne peut pas être écarté ; la surprise stratégique - comme on dit, en termes d'experts - d'une crise majeure ne peut pas être écartée - on l'écartait beaucoup plus en 94. Et en même temps, on voit très bien qu'il y a un certain nombre de menaces, de risques nouveaux.
J'en cite quelques-uns : la levée du tabou nucléaire - c'est-à-dire que la prolifération amène à ce que le nucléaire ne devienne plus simplement une force de dissuasion, mais une force d'emploi - ; les risques liés à la nanotechnologie ; les risques liés aux biotechnologies ; les risques liés aux atteintes de nos systèmes informatiques ; les risques liés au réchauffement climatique. Bref, tous ces sujets-là, au-delà du terrorisme, montrent très bien qu'on vit dans un monde où le territoire national est plus en danger, et la protection de nos populations... et nos populations dans l'Hexagone sont plus en danger aujourd'hui, qu'elles ne l'étaient il y a 15 ans. Donc...
PIERRE GANZ - Marc Epstein, L'EXPRESS.
MARC EPSTEIN - Donc, ça, c'est le constat ; mais, quelle est la conséquence ?
HERVE MORIN - Alors...
PIERRE GANZ - Est-ce qu'on peut, seuls, se battre contre toutes les menaces que vous venez d'évoquer ?
HERVE MORIN - ...les conséquences de tout cela - enfin, à grands traits, hein, bien entendu. La première, c'est que tout affaiblissement de notre effort de défense serait, à mon sens, pas raisonnable du tout. La conséquence de tout cela, c'est qu'il nous faut évoluer, sur un certain nombre d'éléments : ce qu'on appelle aujourd'hui la connaissance et l'anticipation - c'est-à-dire, en fait, le renseignement...
PIERRE GANZ - C'est-à-dire, plus de satellites, plus de moyens d'analyses, plus d'espions au sol ?
HERVE MORIN - ...plus de satellites, plus de moyens d'information ; en quelque sorte, de dire : voilà... je prends l'exemple de la levée du tabou nucléaire, pour prendre un exemple concret, pour nos auditeurs : avoir les moyens de renseignement et d'information qui nous permettent de pouvoir dire à la surface de la planète : "Si tant est, un jour, vous aviez l'intention de pouvoir, de vouloir frapper le territoire national, par notre système d'information que nous avons, nous sommes en mesure de savoir d'où c'est parti."
PIERRE GANZ - Monsieur le ministre, si vous dites : "plus de ceci, plus de cela", ça veut peut-être dire : moins d'autres choses. Qu'est-ce qu'on supprime ?
HERVE MORIN - C'est plus compliqué que ça, parce que... non, non, non, je vous assure ! On a probablement besoin... on n'a pas forcément besoin, peut-être, d'être au même niveau d'équipement dans le cadre d'une crise majeure sur le théâtre centre-européen, par exemple...
PIERRE GANZ - Moins de chars d'assaut ?
HERVE MORIN - ...par exemple. Mais, à côté de ça, ça n'empêche pas qu'il nous faille encore des moyens de projection importants, d'aéromobilité importante. On a besoin, surtout, c'est probablement d'un effort budgétaire, et en même temps - et ça, c'est le boulot que m'a confié le président de la République -, qu'en même temps on soit en mesure de faire des économies sur l'ensemble de nos structures : sur l'administration générale, le soutien, supprimer les duplications trop nombreuses au sein du ministère de la Défense, travailler plus collectif, entre l'ensemble des grandes structures du ministère, autour du ministre, pour que nous soyons plus efficaces à moindres coûts.
PIERRE GANZ - Alors, il y a un autre moyen de faire des économies, c'est de travailler davantage avec nos partenaires européens, et éventuellement...
HERVE MORIN - Alors, j'ai oublié d'évoquer ce sujet. Bien entendu, une des priorités majeures du pays, ça doit être l'Europe de la Défense. Et cette priorité-là, nous allons y mettre tout notre coeur, durant l'année 2008, pour faire en sorte que, lors de la présidence française, ça puisse progresser.
PIERRE GANZ - Et il y aura des propositions, pour qu'on sorte de la pétition de principe ?
HERVE MORIN - Oui, oui, on en fait plein. Je fais le tour des capitales européennes...
PIERRE GANZ - Et vous êtes reçu comment ? "Ah, c'est encore le truc des Français !", ou est-ce que, franchement, tout le monde embraye ?
HERVE MORIN - ...non, non, parce qu'il y a eu une chose qui a beaucoup évolué : c'est que, hier, l'Europe de la Défense était vécue comme un concurrent à l'Alliance Atlantique, le moyen d'affaiblir l'OTAN. Or, aucun pays européen n'ira vers l'Europe de la Défense, si c'est vécu comme un moyen d'affaiblir l'OTAN. Parce que l'OTAN - il faut dire les choses telles qu'elles sont -, depuis 1949, pour un certain nombre de pays, et puis pour d'autres qui ont connu le joug soviétique, l'OTAN c'est le meilleur moyen de leur propre sécurité.
Et donc, l'Europe de la Défense est vécue comme quelque chose qui doit être complémentaire, et qui doit être capable d'apporter là où l'OTAN n'est pas le mieux adapté, et là où l'Europe doit être en mesure de prendre ses responsabilités.
MARC EPSTEIN - Alors, le meilleur moyen de convaincre nos partenaires que nous ne cherchons pas à affaiblir l'OTAN, c'est évidemment nous rapprocher de l'OTAN ; quelle sera la place de la France au sein de l'OTAN dans, disons, un an ?
HERVE MORIN - Ça, je ne peux pas vous dire ça aujourd'hui. Ce que...
PIERRE GANZ - Est-ce qu'elle aura évolué ?
HERVE MORIN - ...non, ce que je sais, c'est que, aujourd'hui, le message qu'a donné le président de la République - que nous relayons, chacun à nos niveaux de responsabilité - est un message qui fait qu'aujourd'hui les Européens - j'allais dire : même les Britanniques - ont compris que nous n'étions plus l'Europe de la Défense versus, ou contre l'OTAN ; mais que, pour nous, l'un était complémentaire de l'autre. L'OTAN reste un grand système de sécurité, dont personne n'a envie de se priver. Et puis... on revient à la première question : et puis, par exemple, eh bien, l'Europe est probablement mieux placée pour intervenir en Afrique, où le drapeau de l'OTAN est un drapeau qui est difficilement supportable.
PIERRE GANZ - Merci, Hervé Morin, de ces précisions, de ces explications sur l'action de la Défense française, et son évolution dans les années à venir. C'est la fin de "L'invité de la semaine" ; on peut retrouver des grands extraits de cet entretien dans les pages de L'EXPRESS, la semaine prochaine, sous la plume de Marc Epstein, et son intégralité sur le site de RFI : www.rfi.fr. Et on peut retrouver, dans quelques secondes, la rédaction de RFI, pour le point de l'actualité.
HERVE MORIN - Merci. Source http://www.le-nouveaucentre.org, le 10 janvier 2008