Interview de M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat, porte-parole du gouvernement, à Europe 1 le 9 janvier 2007, sur la durée du travail, la remise en cause des 35 heures par le Président de la République lors de sa conférence de presse, le pouvoir d'achat et la qualité de la vie.

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Média : Europe 1

Texte intégral

GUILLAUME DURAND - Voilà, le débat le plus franc possible avec vous « A l'air libre », Laurent WAUQUIEZ, porte-parole du gouvernement, je le salue, François REBSAMEN est maire PS de Dijon et ancien directeur de campagne de Ségolène ROYAL, je le salue aussi, Edgar MORIN, l'inspirateur, semble-t-il, de cette politique de la civilisation, sera en direct avec nous et avec vous qui nous appelez au 01.42.32.14.14. Laurent WAUQUIEZ, allons directement au sujet le plus important de la journée, le détricotage des 35 heures, est-ce que c'est vraiment une politique de la civilisation ?
LAURENT WAUQUIEZ - Oui, pour une raison simple, c'est que le but c'est de mettre fin à l'effet anesthésiant des 35 heures. L'esprit des 35 heures c'était quoi ? C'était même menu obligatoire pour tous les salariés en France, et nous ce qu'on pense c'est qu'aujourd'hui il faut faire un menu à la carte. Prenons...

GUILLAUME DURAND - Mais comment on détricote ça d'ici la fin de l'année parce que maintenant il y a un objectif, c'est la fin de l'année et c'est terminé...
LAURENT WAUQUIEZ - Bien sûr, exactement. D'abord il faut être bien clair, le but n'est pas de toucher à la durée légale des 35 heures. Ca cet aspect-là, le fait d'avoir une définition nationale de la durée du temps de travail en France hors de question d'y toucher. Par contre, ce qui, nous, nous gêne c'est quoi ? C'est tout ce qui est dit...

GUILLAUME DURAND - C'est-à-dire, il n'y aura pas de loi contre ?
LAURENT WAUQUIEZ - Voilà, il ne s'agit pas de revenir sur le fait qu'on ait une définition...

GUILLAUME DURAND - Pas de nouvelle loi ?
LAURENT WAUQUIEZ - Il ne s'agit pas là-dessus de revenir sur le fait d'avoir une définition nationale de la durée du temps de travail. Par contre, ce qui nous gêne c'est quoi ? C'est tous les effets des 35 heures qui brident la possibilité pour les salariés de recourir aux heures sup. Soyons concrets : moi par exemple j'ai une entreprise chez moi du BTP au Puy qui fait des fenêtres, ils sont plafonnés à cause des 35 heures à un contingent de 110 heures supplémentaires par an. Vous avez le chef d'entreprise, les syndicats et les salariés qui voudraient faire plus d'heures supplémentaires. On est bridé à cause de cet effet stupide des 35 heures, c'est-à-dire le carcan imposé à tout le monde. Nous ce qu'on veut c'est permettre de réinverser ça et de faire en sorte que dans chaque entreprise...

GUILLAUME DURAND - Mais on parle avec qui ?
LAURENT WAUQUIEZ - Mais on parle avec...

GUILLAUME DURAND - Parce qu'il n'y a pas de loi il n'y a pas de débat au Parlement, donc ça va se passer comment, entreprise par entreprise ?
LAURENT WAUQUIEZ - C'est très simple, qu'est-ce qu'on a fait au début de l'année, au début de cette année, on a envoyé une feuille de route à l'ensemble des partenaires sociaux. On s'était réunis tous ensemble autour de la table juste avant Noël en leur disant « voilà, on vous laisse jusqu'à fin mars pour discuter de ces questions de temps de travail, d'heures supplémentaires, de contingent, et après on voit les points sur lesquels on est capable d'être d'accord, sur lesquels on peut avancer ensemble...

GUILLAUME DURAND - Mais vous les sentez après tout ce qui s'est passé avant Noël justement, vous les sentez d'accord sur ce thème-là, il y a quand même une petite bataille assez considérable sur les régimes spéciaux, maintenant vous leur annoncez la fin des 35 heures d'ici l'issue de 2008, est-ce qu'ils peuvent suivre ?
LAURENT WAUQUIEZ - Moi ce que je ressens c'est une très forte attente sur le terrain parce qu'on dit aux gens « écoutez, oui, nous on aimerait bien, les propositions du président, plus d'heures supplémentaires, pas d'impôt, ça nous intéresse mais on est bloqué à l'intérieur de notre entreprise avec ces histoires de contingent dues aux 35 heures ». Donc je pense qu'il y a une très forte attente de terrain là-dessus.

GUILLAUME DURAND - Alors sur ce thème-là, les 35 heures, François REBSAMEN, après nous prendrons les auditeurs d'EUROPE 1 et nous aborderons évidemment tous les thèmes de cette journée. La première partie de l'émission jusqu'à 19 heures, toutes les questions économiques et la politique de la civilisation et puis à partir de 19H30 on reviendra sur le grand Paris, la télévision avec Jacques JULLIARD, Hervé BOURGES et Jean NOUVEL. François REBSAMEN, les 35 heures...
FRANÇOIS REBSAMEN - Moi j'ai écouté le président de la République, je sens bien que Laurent WAUQUIEZ doit être un peu en difficulté, un peu gêné aux entournures parce que le président de la République a annoncé la suppression des 35 hures. Les 35 heures c'est la référence légale pour la durée du travail et tout s'organise autour de cela. Donc plus de 35 heures, ça veut dire plus de durée légale du travail. Mais là où il y a la pire des incohérences, et je vois bien qu'on essaye de trouver des échappatoires parce que ça ne marche pas, la croissance est en berne, il n'y a rien pour les salaires, c'est que les heures supplémentaires augmentées de 25%, grande décision de Nicolas SARKOZY, puisqu'il faut faire plus d'heures supplémentaires pour gagner plus d'argent, 25% en plus, ces heures supplémentaires se calculent, et elles ont cet avantage, à partir des 35 heures. Donc plus de 35 heures, plus d'heure sup, ce qui veut dire que la durée légale sera ramenée de fait à 40 heures sauf que les ouvriers seront payés 39 heures. Quant au problème que Laurent...
LAURENT WAUQUIEZ - Là je n'ai pas compris, 40, 39 heures, là j'ai...
FRANÇOIS REBSAMEN - Quatre heures sup en plus de 35 moins 25 à chaque fois, quatre fois vingt-cinq ça fait une heure sup de moins, et ça veut dire...
LAURENT WAUQUIEZ - Je ne suis peut-être pas bon en mathématiques mais là je n'ai rien compris. La seule chose par contre c'est que...
FRANÇOIS REBSAMEN - Attendez, attendez, attendez, juste un mot, parce que moi aussi je voudrais vous dire que les entreprises du bâtiment je les connais, à Dijon elles travaillent et personne, personne ne met en cause aujourd'hui la possibilité justement d'avoir la souplesse, de faire travailler à partir des 35 heures avec les heures sup, de faire travailler les ouvriers quand il fait beau pour travailler et justement de profiter de cette souplesse pour avoir plus de productivité et de les mettre au repos quand on ne peut pas travailler.

GUILLAUME DURAND - Mais est-ce que vous n'avez pas le sentiment qu'au-delà de cet aspect qui est très important, 35 heures, il y a aussi le combat idéologique qui repart dans le droit fil des municipales et il adore ça SARKOZY ? En fait, c'est un missile contre la gauche...
FRANÇOIS REBSAMEN - Oui, enfin les missiles en ce moment c'est plutôt...
GUILLAUME DURAND - Je ne sais pas si ça va lui être profitable mais c'est ça quand même derrière tout ça, on part aux municipales et on repart à la guerre...
FRANÇOIS REBSAMEN - Les Français attendaient d'être rassurés par cette conférence de presse, ils attendaient sur la croissance, sur les salaires, sur la vie chère, sur le pouvoir d'achat, et moi ce que je ressens c'est qu'ils vont être d'autant plus inquiets car c'est encore plus de précarisation qui est annoncée par Nicolas SARKOZY à travers sa conférence de presse.

GUILLAUME DURAND - Paul est en direct avec nous, bonsoir Paul, bienvenu sur l'antenne d'EUROPE 1, merci de nous appeler et nous vous écoutons.
PAUL - Oui, bonsoir. Bon, j'avais monsieur Laurent WAUQUIEZ ici, je trouvais que ça tombait bien, je voulais intervenir sur trois tableaux, le premier c'est de dire qu'il fallait que les entreprises donnent la participation à leurs salariés. Mais les retraités, les intérims, les précaires, les temps partiels, ceux-là n'auront rien du tout. Ensuite, si un patron ne fait pas de bénéfice il n'y aura pas de participation, donc il n'y aura pas d'augmentation. De quel droit monsieur SARKOZY se mêle des entreprises pour leur demander d'augmenter les salaires. L'entreprise est privée, donc elle fait ce qu'elle veut. Deuxièmement, le temps de travail, les 35 heures sont annulées, mais à partir de quel seuil on pourra faire des heures supplémentaires ? Qu'est-ce qui comptera pour le salarié ? Chaque entreprise fixera son heure, son plan de travail comme elle veut et le salarié ne sera pas augmenté.

GUILLAUME DURAND - Et le troisième point...
PAUL - Troisième chose, excusez-moi...

GUILLAUME DURAND - Mais je vous en prie...
PAUL - Et troisième chose, il a parlé de son augmentation de salaire et ça ça m'est resté en travers de la gorge, il avait dit « j'ai clarifié la situation, je me suis augmenté comme mon Premier ministre ». Mais pourquoi ils demandent aux Français de travailler plus pour gagner plus et pourquoi il n'a pas attendu un peu plus de croissance pour s'augmenter.

GUILLAUME DURAND - Voilà les trois questions, vous répondez brièvement Laurent WAUQUIEZ. Donc la première, pourquoi il intervient dans un domaine qui est celui des entreprises ? Deuxièmement, s'il n'y a pas de bénéfice, comment redistribuer ? Et troisièmement, vous l'avez entendu comme moi...
LAURENT WAUQUIEZ - Alors la première question sur la participation, bien sûr la participation ce n'est pas l'outil miracle mais il y a quand même un scandale aujourd'hui, ça ne vaut que pour les grosses multinationales et pas pour les petites entreprises. Le but c'est détendre la participation pour tout le monde et qu'au moins déjà l'ensemble des salariés en France puissent en bénéficier. Deuxième chose, qu'est-ce qu'a dit le président sur le pouvoir d'achat sur lequel il est intervenu très fortement ? Il a dit « moi l'Etat je mets 21 milliards d'euros d'allégements de charges. Je ne vais pas continuer à mettre 21 milliards d'euros sur la table si de l'autre côté les entreprises ne font pas un effort pour avoir un accroissement des salaires quand elles font des bénéfices, c'est donnant-donnant. Troisième chose, sur les 35 heures, je suis très clair : notre objectif n'est pas de remettre en cause le seuil national de déclenchement des heures supplémentaires. Notre objectif c'est de revenir sur ce contingent qui est lié aux 35 heures d'heures sup et qui bride la possibilité pour les salariés de faire autant d'heures sup que ce qu'ils veulent. On croit que pour relancer le pouvoir d'achat, pour relancer la voiture pouvoir d'achat, on pense qu'il faut d'abord enclencher le moteur travail. Et là on ne peut pas le faire à cause de l'usine à gaz des 35 heures qui bride les heures sup avec ces histoires de contingent. Donc c'est là-dessus on veut retrouver de la souplesse, et j'ai d'ailleurs écouté avec intérêt monsieur REBSAMEN qui disait que lui aussi était favorable à ça et çà ce qu'on ait plus de souplesse.

GUILLAUME DURAND - 18H44, nous allons marquer une pause de publicité et retrouver nos trois intervenants, celui qui n'est pas encore là, Edgar MORIN, et donc Laurent WAUQUIEZ et François REBSAMEN ainsi que vous les auditeurs d'EUROPE 1.
GUILLAUME DURAND - Fin des 35 heures, élargissement de la participation, les quotas en matière d'immigration et la suppression de la publicité à la télévision, tous les thèmes de la conférence d'aujourd'hui, et c'est Stéphane qui intervient sur l'antenne d'EUROPE 1, Laurent WAUQUIEZ et François REBSAMEN vous écoutent, Stéphane, bonsoir.
STEPHANE - Oui, bonsoir à tous, merci de prendre mon appel.
GUILLAUME DURAND - C'est avec plaisir...
STEPHANE - Tout d'abord pour réagir par rapport à la surreprésentation de la conférence de presse de ce matin de notre président. Moi je suis de plus en plus déstabilisé, à la limite, le mot va être fort, mais écoeuré par ce que je vois, par l'attitude notre président de la république qui vraiment est dans le reality-show permanent et ça ça me dérange profondément. Et la seconde chose que je voulais dire c'était par rapport au pouvoir d'achat, moi je ne comprends pas leur attitude parce qu'ils nous demandent de travailler plus pour gagner plus. Moi je prends un exemple concret, mon cas, avec ma femme, on travaille beaucoup, on aimerait faire des heures sup, moi personnellement malheureusement je ne peux pas, ce n'est pas possible en tant qu'enseignant. Ma femme travaille quasiment 50 heures par semaine, voire 60 heures, en tant qu'architecte libérale et croyez-moi quand on travaille à deux et avec des bonnes situations la vie n'est pas très facile et notre pouvoir d'achat non plus n'est pas flamboyant. Alors je plains les petits salaires, je me demande comment ils arrivent à vivre. Et ce que je voulais proposer sous forme de boutade au porte-parole du gouvernement qui est avec vous et pourtant pour qui j'ai beaucoup de respect par ailleurs, c'était que demain je vais faire mon panier de courses et s'il veut je vais l'emmener avec lui et voir comment un Français moyen fait ses courses quotidiennement et je peux vous dire que notre pouvoir d'achat est de plus en plus faible, je regarde vraiment au plus petit prix et je plains les gens parce que nous on travaille à deux et on arrive à joindre les deux bouts difficilement mais je me demande comment font les gens qui vivent tout seul et qui ont des petits salaires, je les plains vraiment.

GUILLAUME DURAND - Merci Stéphane d'être intervenu avec beaucoup d'émotion sur l'antenne d'EUROPE 1. Il vous dit, Laurent WAUQUIEZ, trop de SARKOZY à la télévision, en gros dans les médias, et pas assez de pouvoir d'achat...
LAURENT WAUQUIEZ - D'abord merci à la franchise de Stéphane pour son expression, je vais essayer de répondre sur les deux choses en étant conscient que ce qu'on fait n'est jamais forcément parfait. La première chose c'est qu'avant, c'est vrai, le principe c'était une parole présidentielle très rare qui intervenait à intervalles très étalés. Et maintenant on est passé en matière de parole présidentielle...

GUILLAUME DURAND - Le moins qu'on puisse dire c'est que ça a changé...
LAURENT WAUQUIEZ - ...de la rareté à la responsabilité, c'est-à-dire que l'idée c'est que le président doit rendre des comptes, il ne peut pas se cacher à l'Elysée. Les gens lui ont fait confiance, ils ont voté pour lui, il rend des comptes. Après, je comprends très bien ce que dit Stéphane qui est la deuxième chose, OK, il rend des comptes mais moi je veux des résultats, et les résultats quand je fais mon caddy je ne le vois pas. Et la réalité qu'a traduit Stéphane, je la vis aussi chez moi avec notamment des salariés qui peuvent être à 1.200, 1.300 euros par mois, qui ont du mal à boucler avec la hausse des prix, avec des petites retraites, très petites dans un département comme la Haute-Loire. Alors après qu'est-ce qu'on fait ? Le but là-dessus...
FRANÇOIS REBSAMEN - Vous me permettez, Laurent WAUQUIEZ...
LAURENT WAUQUIEZ - Si vous me permettez juste de finir, après je vous écouterai sans aucun souci sur le débat...

GUILLAUME DURAND - Vous n'allez pas vous écouter mutuellement pendant des heures parce qu'on arrive pratiquement au terme mais vous terminez et REBSAMEN intervient...
LAURENT WAUQUIEZ - Juste là-dessus, c'est d'essayer de mettre en tout cas sur cette question du prix dans le caddy le maximum de concurrence au niveau des grandes surfaces et de la grande distribution pour faire en sorte qu'il n'y ait pas des rampes de situation et qu'ils soient obligés de tirer au maximum les prix vers le bas.

GUILLAUME DURAND - Oui mais il faut que les prix des industriels baissent, si les prix des industriels ne baissent pas, comment ça peut être répercuté dans les grandes surfaces ?
LAURENT WAUQUIEZ - Juste un exemple simple : on a eu en matière de prix agricoles, de denrées agricoles, ça a baissé depuis 20 ans, vous ne l'avez jamais vu baisser au niveau du prix du lait ou du beurre. Par contre, là ça augmente depuis six mois et les prix explosent, est-ce que tout ça est bien normal ?

GUILLAUME DURAND - François REBSAMEN, vous lui répondez et j'aimerais bien savoir comment vous allez vous opposer très fermement à cette remise en cause définitive des 35 heures parce que c'est la position officielle du PS...
FRANÇOIS REBSAMEN - Je reviendrai sur les 35 heures après mais je pense que le témoignage qu'on vient d'entendre est celui que rencontre la majorité de Français en ce moment. La situation personnelle, individuelle, de chaque Français aujourd'hui est extrêmement difficile et les gens travaillent dur, je pense qu'il faut le redire quand même, les gens travaillent dur contrairement au fait qu'on dit qu'ils ne travaillent pas assez, ils travaillent dur et beaucoup et ils ne gagnent pas beaucoup. Le constat qu'a fait le président de la République ce matin il est clair, « les caisses sont vides », a-t-il dit, c'est lui qui l'a dit, les caisses sont vides. Ce que je constate c'est qu'il y a eu une erreur, il faut le rappeler à chaque fois, dès le début, 15 milliards ont été distribués aux plus favorisés et ces 15 milliards qui ont été distribués, le paquet fiscal aux plus favorisés, fait qu'aujourd'hui des gens qui ont payé de l'impôt sur...
LAURENT WAUQUIEZ - Non...
FRANÇOIS REBSAMEN - Mais si, vous le savez très bien, et pendant ce temps-là...
LAURENT WAUQUIEZ - Pas vous, Monsieur REBSAMEN, pas ça...
FRANÇOIS REBSAMEN - Pendant ce temps-là, permettez-moi de vous indiquer, qu'est-ce qu'a annoncé le président de la République, une hausse future de la TVA, c'est ça qu'il a dit ce matin, la TVA sociale, pour après les élections municipales alors que ce que les Français attendaient c'était une baisse de la TVA sur les produits de première nécessité.

GUILLAUME DURAND - Et alors comment le PS s'oppose fermement à cette tentative justement de déstabilisation définitive des 35 heures, vous allez faire quoi ?
FRANÇOIS REBSAMEN - Mais je vous l'ai dit, d'abord on va interpeller le gouvernement mais le gouvernement n'est même pas...

GUILLAUME DURAND - C'est fait cet après-midi à l'Assemblée...
FRANÇOIS REBSAMEN - Oui, oui, mais ce n'est qu'un début, les organisations syndicales aussi sont très inquiètes d'annonce comme celle-là. Mais je pense même que cette annonce n'était même pas prévue, même pas concertée, elle est sortie comme ça comme effectivement un ballon qu'on lance, un ballon d'essai, on va supprimer les 35 heures, mais si vous supprimez les 35 heures il n'y a plus de durée légale du travail et vous le savez très bien. Donc il n'y a plus d'heure supplémentaire et les gens vont travailler plus pour gagner moins, c'est ça la vérité.

GUILLAUME DURAND - Edgar MORIN est en direct avec nous et évidemment nous allons l'écouter. Bonsoir, merci d'être avec nous, Edgar MORIN.
EDGAR MORIN - Bonsoir.

GUILLAUME DURAND - Est-ce que vous avez l'impression d'avoir été lu attentivement ou pillé attentivement ?
EDGAR MORIN - Non, « pillé » n'est pas le mot, ce qui s'est passé c'est que dans un premier temps ce mot de « politique de civilisation » a été prononcé à l'occasion des voeux mais dans un contexte qui ne permettait pas de savoir de quoi il s'agissait.

GUILLAUME DURAND - Exact.
EDGAR MORIN - Et puis Nicolas SARKOZY m'a invité hier matin du reste à l'Elysée pour parler de ça, il m'a expliqué sa conception et moi je lui ai indiqué la mienne, et la mienne consistait entre autre à l'idée qu'une politique de civilisation c'est promouvoir le mieux plutôt que le plus, pas le quantitatif mais la qualité, notamment les qualités de la vie. Par exemple, vous parliez tout à l'heure des 35 heures, bon, je dirai que c'était de la politique de civilisation un peu maladroite et bureaucratisée mais qui était fondée sur l'idée que la vraie vie c'est dans le loisir et pas dans le travail, du moins pour tous ceux qui ont un travail pénible et fatigant.

GUILLAUME DURAND - Mais est-ce que vous avez eu le sentiment, Edgar MORIN, de l'avoir convaincu après la surprise des voeux, hier ?
EDGAR MORIN - Ecoutez, ce qui s'est passé, dans la conférence de presse il y avait deux SARKOZY, il y avait SARKOZY 1, c'est-à-dire d'avant la politique de civilisation qui continuait sur sa lancée, croissance, travailler plus, etc., et le SARKOZY 2 qui parlait de qualité de la vie, des problèmes du vivre, et donc si vous voulez je ne l'ai pas convaincu mais je pense qu'il y a quelque chose qui s'est ouvert et la question de savoir de quelle façon cela pourrait continuer parce que si on prend au sérieux cette idée que je n'ai pas le temps d'exposer ici mais c'est évident qu'il faut faire une réorientation et presque une véritable conversion dans des conditions difficiles. Parce que moi je crois que l'opinion n'est pas prête à voir ces problèmes parce qu'elle voit uniquement en terme quantitatif, on vient de parler du pouvoir d'achat, c'est évidemment un problème réel qui se traduit en quantité. Si on comprend que dans le fond la majorité des gens pour eux l'important c'est quoi, c'est le bien vivre, c'est l'amour, c'est l'affection, c'est les parents, c'est ceux qu'on aime, c'est les copains, c'est tout ça, alors on comprendra que la politique de civilisation vise à restituer une qualité de vie qui se perd et qui se dégrade et qui se dissout. Vous voyez, c'est tout un problème nouveau, moi je ne sais pas jusqu'où ira Nicolas SARKOZY, il y a une brèche, est-ce qu'il s'engagera, je ne dis pas, ce n'est pas impossible, vous savez...

GUILLAUME DURAND - Mais est-ce que vous n'avez pas le sentiment, Edgar MORIN, justement que d'une certaine manière puisque la croissance n'est pas là il est peut-être en train d'essayer justement d'habiller cette absence de croissance par un concept qui est le vôtre et par une réflexion qui a surtout été le fait des intellectuels de gauche ?
EDGAR MORIN - Ecoutez, d'abord c'était uniquement mon fait parce que je n'ai pas été écouté non plus, ni à droite ni à gauche, c'est mon fait. Bon, que monsieur GUAINO ait trouvé intéressant ce thème parce qu'il m'a lu, OK, mais ce que je crois c'est que le vrai problème, je crois qu'il a beaucoup plus conscience, je ne suis pas dans sa tête, d'un vide politique et qu'il a voulu remplir avec cette notion plutôt que de rhabiller la croissance parce qu'il faut aller plus loin et il faut dire ce que j'ai dit, c'est qu'est-ce que c'est que ce mot, il y a des choses qui doivent croître et d'autres qui doivent décroître, qu'est-ce que c'est que cette religion de la croissance, est-ce qu'il n'y a pas d'autres moyens de donner du travail aux gens en créant de nouveaux métiers, des métiers de solidarité, de convivialité, d'intérêt public, plutôt que de miser sur cette croissance qui du reste ne viendra pas.

GUILLAUME DURAND - Merci en tout cas Edgar MORIN d'être intervenu pour nous donner votre sentiment après cette rencontre et l'emploi important d'un concept que vous avez forgé. Terminons très brièvement tous les deux, il y a quand même au coeur de tout ça une bataille droite/gauche, on sent que le président de la République, François REBSAMEN, en parlant de la télévision, des architectes et d'Edgar MORIN, grand intellectuel de gauche, il va encore chasser sur vos plate bandes délibérément ?
FRANÇOIS REBSAMEN - Oui, c'est pour ça que je pense qu'il faut revenir à l'essentiel, l'essentiel c'est la difficulté de vie que rencontrent nos concitoyens. Je partage bien des points de l'analyse d'Edgar MORIN, pour vivre mieux, pour vivre bien, il faut avoir de quoi vivre. Or, aujourd'hui il y a dans notre pays sept millions de personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté et ces sept millions de personnes quand ils voient l'étalage de luxe, la richesse, le retour de chèques par les impôts à des personnes qui ont payé des sommes formidables d'impôts, ils se disent qu'il y a une inégalité profonde...

GUILLAUME DURAND - C'est ce qu'on a senti tout à l'heure avec Stéphane qui témoignait. Laurent WAUQUIEZ, un mot de conclusion...quand je dis un mot c'est 30 secondes...
LAURENT WAUQUIEZ - Oui, le problème de civilisation en France aujourd'hui c'est celui des classes moyennes qui sont précisément à l'intersection de ces deux attentes, à la fois gagner plus et en même temps vivre mieux avec une sensibilité aux valeurs de solidarité entre les générations, de respect de l'environnement. Et donc pour nous c'est vrai et c'est très juste ce qu'a dit Edgar MORIN, ce n'est pas seulement travailler plus pour gagner plus mais c'est plus fondamentalement travailler plus pour vivre mieux.

GUILLAUME DURAND - Et donc il aurait changé SARKOZY parce que travailler plus pour gagner plus ce n'est pas vraiment de la politique de civilisation version Edgar MORIN...
LAURENT WAUQUIEZ - C'est bien pour ça que c'est aussi une dimension qu'il a très fortement soulignée dans sa conférence de presse, derrière c'est aussi les valeurs pour lesquelles on essaye d'avancer.

GUILLAUME DURAND - 18H58, dans deux minutes le journal, merci à tous les deux, j'allais dire à tous les trois, et tout à l'heure nous aborderons justement les aspects culturels de cette conférence de presse avec la télévision qui vous est chère, suppression de la publicité, Paris, le grand Paris avec le recours aux architectes, Jean NOUVEL et Hervé BOURGES seront parmi nous. Dans un instant, le journal.

Source http://www.porte-parole.gouv.fr, le 10 janvier 2008