Texte intégral
Q - Quel bilan faites-vous de votre tournée dans les pays du Golfe, notamment sur la crise iraquienne ? Avez-vous noté un soutien des idées françaises un appui concret quant à la levée de lembargo ?
R - Les idées françaises ne sont pas la levée de lembargo. Les idées françaises ce sont des propositions pour assurer la sécurité régionale, en partant du constat que le dispositif monté par les Nations unies auparavant, et notamment lUNSCOM, est un système dont on voit bien aujourdhui quil est périmé . Il faut donc bâtir un nouveau système et les idées que nous avons présentées au Conseil de sécurité en janvier visent à assurer la sécurité régionale, - ce qui est une priorité à nos yeux et pour tout le monde dans la région, par rapport au régime iraquien -, en partant de lidée dun contrôle sous une forme nouvelle de tout éventuel réarmement dangereux, dautre part dun contrôle strict des revenus financiers tirés de léventuelle levée de lembargo. Cest ce dispositif qui permettrait de lever lembargo et par conséquent de traiter aussi ce désastre humanitaire. Cela forme donc un tout, il ne faut pas isoler : le plan ce nest pas la levée de lembargo. Le plan cest : contrôle à long terme, contrôle des revenus, levée de lembargo. Ce sont les idées que nous avons présentées en janvier au Conseil de sécurité. Depuis lors, nous discutons avec nos partenaires du Conseil de sécurité, puisque cest le Conseil, qui avait fixé les dispositions en 1991 par les résolutions qui pourrait les adapter, sil veut les rendre plus pertinentes, plus intelligentes, plus adaptées à la situation actuelle.
Ces idées sont connues de nos partenaires, notamment dans le Golfe, puisquelles ont été lobjet de déclarations publiques et de correspondances. Jai écrit à mes homologues, mais il est important de sexpliquer directement. Jai reçu un accueil vraiment encourageant sur ce plan. Jai rencontré partout beaucoup dintérêt, avec dans certains cas des questions ou un peu dinquiétude, qui, je pense, sest dissipée, notamment au Koweït. Cest normal, le Koweït est aux premières loges ; il a été la victime du régime iraquien ; il est soucieux de ne jamais se retrouver en situation de vulnérabilité. Donc, pour toute idée lancée sur lIraq, les Koweïtiens se disent « est-ce que cela affaiblit notre protection ou pas ? ». Et même là, je crois que les Koweïtiens ont bien compris que, dans notre approche, la dimension sécurité était fondamentale. Jai reçu un accueil très positif à Abou Dhabi, avec des déclarations publiques du ministre qui a déclaré quil approuvait les idées françaises et un accueil également très positif et très intéressé au Qatar. Sur ce plan-là, je trouve que cétait utile, je pense que cest fructueux, et nous allons continuer à discuter avec nos partenaires de cette région, puisque, comme vous le savez, ce nest pas un plan français bouclé dans ses moindres détails, mais des idées qui sont ouvertes à la discussion pour être perfectionnées. Mais ce nétait pas le seul sujet de la visite.
Q - Mais, en ce qui concerne cette crise, tant que les frappes américaines et britanniques persistent sur Bagdad, et tant quil y a des divisions au sein du Conseil de sécurité, est-ce quil y aurait vraiment un déblocage prochain de cette crise ?
R - Aucun problème, notamment ceux que vous citez, ne doit servir de prétexte à linaction. Ce nest pas parce quil y a des problèmes ou des différences dapproche sur telle ou telle chose quon doit cesser de réfléchir à la sortie de la crise. Nous pensons que nous sommes dans notre rôle en mettant en avant des idées qui permettraient de traiter et la question de la sécurité, et la question humanitaire. Tout le monde na pas forcément cette approche, mais personne na rejeté nos idées. Elles ont été critiqués par le régime iraquien, mais ce nest pas avec lui que nous discutons. La discussion a lieu au sein du Conseil de Sécurité. Cest le Conseil qui a mis en place un dispositif, cest, je le répète, le Conseil qui peut ladapter. Donc, même les Anglais et les Américains parlent avec nous. Même eux trouvent nos idées intéressantes, même sils ne sont pas exactement sur la même ligne.
Cest vrai quil y a dans le même temps les frappes auxquelles vous faites allusion. Jai eu loccasion de redire dans la région que cela ne nous paraissait pas la bonne méthode, que cela nétait pas comme cela que nous posions le problème, que cela nétait pas le procédé que nous recommandions et que cela ne sert pas lobjectif tel que nous le définissons. Mais, cela ne veut pas dire que les Etats-Unis et la Grande-Bretagne sont fermés à nos idées.
Beaucoup de choses peuvent se passer autour de nos idées. Jai rappelé dans mes différentes étapes quelles étaient toujours là, toujours valables et, à notre avis, encore plus dactualité quavant. Il y a un travail au Conseil de sécurité dans trois groupes, comme vous le savez, qui doit remettre ses conclusions à la mi-avril. A partir de ce moment-là, nous verrons comment aller plus loin et je crois que nos idées seront un élément essentiel du débat. Jai le sentiment que nous sommes bien compris dans notre démarche.
Q - La France a exprimé son inquiétude quant à la situation au Sud-Liban. Quelle analyse faites-vous des déclarations des dirigeants israéliens appelant à un retrait du Sud-Liban ? Est-ce que cest purement électoral daprès vous et quen est-il des entretiens que M. Uzi Arad a eu à Paris à ce sujet ?
R - Il ny a rien de neuf sur tous ces sujets. La position française est parfaitement connue : il faut régler le problème du Sud-Liban. Nous contribuons très activement, dans le cadre du Comité de surveillance des accords au Sud-Liban, à faire baisser la tension quand il y a des affrontements, mais cela ne suffit pas, parce que cest une action bénéfique, mais conjoncturelle. Il faut traiter le problème plus au fond.
Traiter le problème plus au fond, cest trouver un accord valable et durable, sur la base des résolutions du Conseil de sécurité - anciennes, déjà - notamment la 425 - et un accord entre les Israéliens, les Libanais et les Syriens. Toutes analyse réaliste de la situation dans la région montre quil faut laccord des trois pour faire cela.
Il y a des déclarations périodiques. Du côté israélien, selon les cas. Je crois que cest inspiré par un désir sincère de voir larmée israélienne se retirer de ce guêpier, et dans dautres, cest peut-être une approche plus politicienne. Cela dépend des cas.
Ce nest pas à nous en tous cas de nous substituer aux protagonistes. Ils savent tous les trois que la France souhaite un accord, quelle a une position de principe claire qui est régulièrement et constamment réaffirmée, que lon ne peut pas régler le problème à leur place. Mais ils savent aussi que la France est prête à aller assez loin dans les garanties, le président Chirac la exprimé il y a longtemps déjà, sil y a un accord entre les trois protagonistes. A ce moment-là la France pourrait participer, même sur le terrain, à une mise en oeuvre dun accord en [apportant ?] sa caution et sa garantie. Nous nen sommes pas là, mais nous ne pouvons que les encourager, mais, à un accord véritable. Il ne faut pas que cela soit des manoeuvres.
Q - Comme vous le savez, M. Martin Indyk entreprend une tournée dans la région. Pensez-vous quil existe des signaux du côté américain pour relancer le processus sur les deux volets syrien et libanais ? Vous avez dit tout à lheure que vous naviez pas limpression quil y en ait mais, est-ce que le côté américain vous a communiqué...
R - Le contact est constant entre les Américains et nous sur ces questions, non seulement entre Mme Albright et moi-même - nous parlons au moins une fois par semaine -, mais aussi entre les hauts fonctionnaires compétents. Il y a toujours lun ou lautre qui est en train de voyager dans la région. Les tournées nont rien dexceptionnel. Cest un mode de travail qui est devenu permanent.
Nous parlons régulièrement de tous les aspects : le processus de paix, comment peut-on espérer le relancer après les élections israéliennes (cela dépend des résultats, naturellement) ; que peut-on faire sur le volet israélo-syro-libanais, on en parle aussi, mais cela ne veut pas dire que le déblocage est déjà là ; comment les Palestiniens vont-ils gérer la date du 4 mai ?...
Sur tous les sujets, il y a un échange très soutenu, mais nous ne sommes pas dans une phase, là dans les jours immédiats, dans les semaines immédiates, où, à mon sens, il ne peut y avoir un déblocage majeur sur aucun de ces points. Nous sommes plutôt dans une phase de travail, de réflexion, de concertation. Je noublie pas dans ce panorama la concertation franco-égyptienne, qui reste très vivante et qui maintenant a un cadre presque permanent.
Q - Oui, mais elle na jamais été active. Ça a toujours été une question de principes, on na jamais concrètement senti que...
R - Non, je ne dirais pas principes : naturellement cest appuyé sur des principes, mais je pense que ce travail franco-égyptien a joué un rôle daiguillon très important, ce nest pas simplement une réaffirmation de principes abstraits. Quand nous avons dit à plusieurs reprises lan dernier que la France et lEgypte étaient prêtes à prendre des initiatives pour relancer les choses en cas déchec de tous les efforts sur le processus de paix, nous avions même commencé à définir les contours de ce que pouvait être une conférence des sauveurs de la paix - je pense que cela a été un aiguillon très fort. En ce qui concerne le processus de paix, il faut quil avance malgré tout. On aurait tort de sous-estimer les résultats indirects que nous avons déjà eus. Nous avons redit à plusieurs reprises depuis que cette concertation franco-égyptienne était maintenant un élément constant de la situation politique dans la région. Nous nous parlons, M. Moussa et moi-même au moins tous les mois...
Q - Vous lavez vu à Malte, je pense ?
R - Je lai encore vu à Malte, je lai vu à Paris il ny a pas longtemps. Les relations entre les présidents sont constantes et nous sommes dans le même état desprit. Sil y a à un moment donné quelque chose que nous puissions faire ensemble, nous le ferons, pour débloquer, pour relancer. Mais nous ne cherchons pas à le faire uniquement pour le plaisir de dire quil y a une action franco-égyptienne. Nous voulons que cela soit utile, que cela aide toutes les forces de paix dans la région.
Q - Est-ce que le moment nest-il pas finalement venu pour faire des choses ?
R - Non, je ne crois pas que cette phase, qui est une phase électorale en Israël - vous me parlez des jours immédiats ? - soit une bonne phase. Je pense quil faut y voir plus clair et quil faut que lon sache à quel type de gouvernement nous avons à faire en Israël et quelles sont ses positions par rapport au processus de paix, par rapport à la question libanaise. Cest plutôt à partir du mois de juin quon pourra agir.
Q - Monsieur le Ministre, vous avez vu M. Yasser Arafat à Bahreïn, est-vous lui avez demandé de reporter lannonce de lEtat palestinien pour le 4 mai ?
R - Jai eu un échange avec lui. Nous étions ensemble au moment où nous venions présenter nos condoléances au nouvel émir du Bahreïn après le décès de son père, cela nétait pas un contexte propice à un long entretien purement politique. Mais nous avons eu quelques échanges malgré tout sur lesquels vous me permettrez de rester discret.
Ce que je peux vous dire, cest que nous parlons activement avec les Palestiniens à propos de cette échéance du 4 mai. Jai déjà eu loccasion de dire publiquement que nous reconnaissons tout à fait le droit des Palestiniens à la proclamation dun Etat - ce quils réaffirment. Cela découle tout à fait de lensemble des engagements pris et des accords depuis des années et des années, mais nous pensons, comme eux dailleurs, quils doivent le faire de façon opportune et constructive. Ils doivent réfléchir à la meilleure façon de gérer ce droit. Voilà ce que nous disons.
Q - Est-ce que lUnion européenne est prête à donner des garanties au côté palestinien sil décide de reporter cette date ?
R - Nous sommes encore en discussion sur tous ces points. Il est donc trop tôt pour que je réponde directement à cette question.
Q - On parle dune éventuelle modification du groupe de surveillance et de laccord de 1996. Est-ce vrai ? Etes-vous contre ? Quelle est la position de la France ?
R - La position de la France, cest que laccord de 1996, qui avait été négocié par mon prédécesseur, a fait la preuve de son utilité, à plusieurs reprises, puisquil y a eu malheureusement beaucoup de moments dextrême tension. Cela nous paraît un bon mécanisme et il doit continuer à être pleinement mis en oeuvre. Voilà notre position sur cet accord.
Naturellement, comme je lai déjà indiqué, cela traite la situation actuelle de tensions ; cest un système pour que les tensions ne dégénèrent pas trop. Cela ne règle pas le problème de fond. Donc, 1996 cest une bonne base pour ces moments daffrontements, mais nous souhaitons naturellement que les choses se débloquent entre les Israéliens, les Libanais et les Syriens pour que lon puisse apporter une solution de fond, conforme aux résolutions du Conseil de sécurité et qui soit en même temps une solution durable et stable.
Q - Durant votre tournée dans les pays du Golfe, il a été question du problème du contentieux entre les Émirats et lIran. Est-ce que les Émirats vous ont demandé, comme il y a une prochaine visite du président iranien à Paris, de faire une médiation ?
R - Jai trouvé des responsables politiques très préoccupés par les manuvres iraniennes dans le Golfe autour des îles contestées, notamment à Abu-Dhabi, mais ailleurs aussi. Je les ai trouvés très curieux de bien comprendre quelle était la politique française par rapport à lIran. Jai donc saisi loccasion de leur expliquer dans quel esprit je métais rendu à Téhéran en août dernier, pourquoi jai reçu mon homologue depuis et pourquoi le président Khatani va venir en France dans quelques semaines.
Tous les responsables politiques de la région approuvent cette politique. Ils sont tous favorables à ce que la France renforce ses relations avec le président et le gouvernement iraniens. Ils pensent que cela ne peut avoir que des effets bénéfiques, même sils sinterrogent encore sur le rapport des forces, sur lévolution à venir et sur la possibilité de voir la politique iranienne être vraiment modifiée en profondeur. Ils sinterrogent, mais ils trouvent très utile ce que nous faisons.
Ils ne nous demandent pas de médiation à proprement parler, mais ils pensent que cela ne peut que rendre service que la France, qui est un partenaire important des pays de cette région, ait en même temps des relations actives avec lIran. Dautant que, sur laffaire précise des îles, nous avons une position claire qui a déjà été exprimée, que les Iraniens connaissent dailleurs : nous sommes favorables à une négociation directe mais, si elle ne peut pas avoir lieu, parce que lun ou lautre sy dérobe, ou parce que cela naboutit pas, nous sommes favorables à la saisie de la Cour internationale de justice. Et cela, nous lavons déjà dit. Donc nous avons une position claire et je crois que cest pour nous la façon dêtre le plus constructifs.
Q - On a eu limpression que les choses se compliquaient durant votre séjour ; les Iraniens ont fait des déclarations assez violentes, cest-à-dire quon ne sent pas quil y ait un règlement en vue ?
R - Non, pas encore. Il faut dire que cest une affaire qui remonte à 1971 ; elle est tout à fait ancienne. Cest vrai que, bien quil ny ait aucun rapport entre les deux, ma visite coïncidait avec une tension à cause de ces manuvres. Ce qui était important pour moi, ce nétait pas de prétendre régler comme cela un problème si ancien et si compliqué, mais cétait de massurer que la politique que nous menons avec les responsables iraniens, qui consiste à développer notre dialogue politique avec eux était bien comprise. Il y a quand même un changement en Iran qui a découlé des consultations électorales et qui vient encore dêtre confirmé, il y a un président et un gouvernement qui ont une politique douverture. Nous voulons accompagner ce mouvement, tout en étant très attentifs à la réalité du changement, pour voir jusquoù il peut aller. Il y a donc là une politique qui est claire de notre part, qui est en même temps équilibrée. Partout où je suis passé, on a approuvé cette politique de la part de la France, et cest cela qui était important pour moi. »
Q - Et vous allez en parler aux Iraniens, au président Khatami ?
R - Dans lautre sens, cest tout à fait normal, quand le président Khatami viendra, quil ait avec le président Chirac un entretien portant sur tous les sujets, y compris ceux-là.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 mars 1999)
R - Les idées françaises ne sont pas la levée de lembargo. Les idées françaises ce sont des propositions pour assurer la sécurité régionale, en partant du constat que le dispositif monté par les Nations unies auparavant, et notamment lUNSCOM, est un système dont on voit bien aujourdhui quil est périmé . Il faut donc bâtir un nouveau système et les idées que nous avons présentées au Conseil de sécurité en janvier visent à assurer la sécurité régionale, - ce qui est une priorité à nos yeux et pour tout le monde dans la région, par rapport au régime iraquien -, en partant de lidée dun contrôle sous une forme nouvelle de tout éventuel réarmement dangereux, dautre part dun contrôle strict des revenus financiers tirés de léventuelle levée de lembargo. Cest ce dispositif qui permettrait de lever lembargo et par conséquent de traiter aussi ce désastre humanitaire. Cela forme donc un tout, il ne faut pas isoler : le plan ce nest pas la levée de lembargo. Le plan cest : contrôle à long terme, contrôle des revenus, levée de lembargo. Ce sont les idées que nous avons présentées en janvier au Conseil de sécurité. Depuis lors, nous discutons avec nos partenaires du Conseil de sécurité, puisque cest le Conseil, qui avait fixé les dispositions en 1991 par les résolutions qui pourrait les adapter, sil veut les rendre plus pertinentes, plus intelligentes, plus adaptées à la situation actuelle.
Ces idées sont connues de nos partenaires, notamment dans le Golfe, puisquelles ont été lobjet de déclarations publiques et de correspondances. Jai écrit à mes homologues, mais il est important de sexpliquer directement. Jai reçu un accueil vraiment encourageant sur ce plan. Jai rencontré partout beaucoup dintérêt, avec dans certains cas des questions ou un peu dinquiétude, qui, je pense, sest dissipée, notamment au Koweït. Cest normal, le Koweït est aux premières loges ; il a été la victime du régime iraquien ; il est soucieux de ne jamais se retrouver en situation de vulnérabilité. Donc, pour toute idée lancée sur lIraq, les Koweïtiens se disent « est-ce que cela affaiblit notre protection ou pas ? ». Et même là, je crois que les Koweïtiens ont bien compris que, dans notre approche, la dimension sécurité était fondamentale. Jai reçu un accueil très positif à Abou Dhabi, avec des déclarations publiques du ministre qui a déclaré quil approuvait les idées françaises et un accueil également très positif et très intéressé au Qatar. Sur ce plan-là, je trouve que cétait utile, je pense que cest fructueux, et nous allons continuer à discuter avec nos partenaires de cette région, puisque, comme vous le savez, ce nest pas un plan français bouclé dans ses moindres détails, mais des idées qui sont ouvertes à la discussion pour être perfectionnées. Mais ce nétait pas le seul sujet de la visite.
Q - Mais, en ce qui concerne cette crise, tant que les frappes américaines et britanniques persistent sur Bagdad, et tant quil y a des divisions au sein du Conseil de sécurité, est-ce quil y aurait vraiment un déblocage prochain de cette crise ?
R - Aucun problème, notamment ceux que vous citez, ne doit servir de prétexte à linaction. Ce nest pas parce quil y a des problèmes ou des différences dapproche sur telle ou telle chose quon doit cesser de réfléchir à la sortie de la crise. Nous pensons que nous sommes dans notre rôle en mettant en avant des idées qui permettraient de traiter et la question de la sécurité, et la question humanitaire. Tout le monde na pas forcément cette approche, mais personne na rejeté nos idées. Elles ont été critiqués par le régime iraquien, mais ce nest pas avec lui que nous discutons. La discussion a lieu au sein du Conseil de Sécurité. Cest le Conseil qui a mis en place un dispositif, cest, je le répète, le Conseil qui peut ladapter. Donc, même les Anglais et les Américains parlent avec nous. Même eux trouvent nos idées intéressantes, même sils ne sont pas exactement sur la même ligne.
Cest vrai quil y a dans le même temps les frappes auxquelles vous faites allusion. Jai eu loccasion de redire dans la région que cela ne nous paraissait pas la bonne méthode, que cela nétait pas comme cela que nous posions le problème, que cela nétait pas le procédé que nous recommandions et que cela ne sert pas lobjectif tel que nous le définissons. Mais, cela ne veut pas dire que les Etats-Unis et la Grande-Bretagne sont fermés à nos idées.
Beaucoup de choses peuvent se passer autour de nos idées. Jai rappelé dans mes différentes étapes quelles étaient toujours là, toujours valables et, à notre avis, encore plus dactualité quavant. Il y a un travail au Conseil de sécurité dans trois groupes, comme vous le savez, qui doit remettre ses conclusions à la mi-avril. A partir de ce moment-là, nous verrons comment aller plus loin et je crois que nos idées seront un élément essentiel du débat. Jai le sentiment que nous sommes bien compris dans notre démarche.
Q - La France a exprimé son inquiétude quant à la situation au Sud-Liban. Quelle analyse faites-vous des déclarations des dirigeants israéliens appelant à un retrait du Sud-Liban ? Est-ce que cest purement électoral daprès vous et quen est-il des entretiens que M. Uzi Arad a eu à Paris à ce sujet ?
R - Il ny a rien de neuf sur tous ces sujets. La position française est parfaitement connue : il faut régler le problème du Sud-Liban. Nous contribuons très activement, dans le cadre du Comité de surveillance des accords au Sud-Liban, à faire baisser la tension quand il y a des affrontements, mais cela ne suffit pas, parce que cest une action bénéfique, mais conjoncturelle. Il faut traiter le problème plus au fond.
Traiter le problème plus au fond, cest trouver un accord valable et durable, sur la base des résolutions du Conseil de sécurité - anciennes, déjà - notamment la 425 - et un accord entre les Israéliens, les Libanais et les Syriens. Toutes analyse réaliste de la situation dans la région montre quil faut laccord des trois pour faire cela.
Il y a des déclarations périodiques. Du côté israélien, selon les cas. Je crois que cest inspiré par un désir sincère de voir larmée israélienne se retirer de ce guêpier, et dans dautres, cest peut-être une approche plus politicienne. Cela dépend des cas.
Ce nest pas à nous en tous cas de nous substituer aux protagonistes. Ils savent tous les trois que la France souhaite un accord, quelle a une position de principe claire qui est régulièrement et constamment réaffirmée, que lon ne peut pas régler le problème à leur place. Mais ils savent aussi que la France est prête à aller assez loin dans les garanties, le président Chirac la exprimé il y a longtemps déjà, sil y a un accord entre les trois protagonistes. A ce moment-là la France pourrait participer, même sur le terrain, à une mise en oeuvre dun accord en [apportant ?] sa caution et sa garantie. Nous nen sommes pas là, mais nous ne pouvons que les encourager, mais, à un accord véritable. Il ne faut pas que cela soit des manoeuvres.
Q - Comme vous le savez, M. Martin Indyk entreprend une tournée dans la région. Pensez-vous quil existe des signaux du côté américain pour relancer le processus sur les deux volets syrien et libanais ? Vous avez dit tout à lheure que vous naviez pas limpression quil y en ait mais, est-ce que le côté américain vous a communiqué...
R - Le contact est constant entre les Américains et nous sur ces questions, non seulement entre Mme Albright et moi-même - nous parlons au moins une fois par semaine -, mais aussi entre les hauts fonctionnaires compétents. Il y a toujours lun ou lautre qui est en train de voyager dans la région. Les tournées nont rien dexceptionnel. Cest un mode de travail qui est devenu permanent.
Nous parlons régulièrement de tous les aspects : le processus de paix, comment peut-on espérer le relancer après les élections israéliennes (cela dépend des résultats, naturellement) ; que peut-on faire sur le volet israélo-syro-libanais, on en parle aussi, mais cela ne veut pas dire que le déblocage est déjà là ; comment les Palestiniens vont-ils gérer la date du 4 mai ?...
Sur tous les sujets, il y a un échange très soutenu, mais nous ne sommes pas dans une phase, là dans les jours immédiats, dans les semaines immédiates, où, à mon sens, il ne peut y avoir un déblocage majeur sur aucun de ces points. Nous sommes plutôt dans une phase de travail, de réflexion, de concertation. Je noublie pas dans ce panorama la concertation franco-égyptienne, qui reste très vivante et qui maintenant a un cadre presque permanent.
Q - Oui, mais elle na jamais été active. Ça a toujours été une question de principes, on na jamais concrètement senti que...
R - Non, je ne dirais pas principes : naturellement cest appuyé sur des principes, mais je pense que ce travail franco-égyptien a joué un rôle daiguillon très important, ce nest pas simplement une réaffirmation de principes abstraits. Quand nous avons dit à plusieurs reprises lan dernier que la France et lEgypte étaient prêtes à prendre des initiatives pour relancer les choses en cas déchec de tous les efforts sur le processus de paix, nous avions même commencé à définir les contours de ce que pouvait être une conférence des sauveurs de la paix - je pense que cela a été un aiguillon très fort. En ce qui concerne le processus de paix, il faut quil avance malgré tout. On aurait tort de sous-estimer les résultats indirects que nous avons déjà eus. Nous avons redit à plusieurs reprises depuis que cette concertation franco-égyptienne était maintenant un élément constant de la situation politique dans la région. Nous nous parlons, M. Moussa et moi-même au moins tous les mois...
Q - Vous lavez vu à Malte, je pense ?
R - Je lai encore vu à Malte, je lai vu à Paris il ny a pas longtemps. Les relations entre les présidents sont constantes et nous sommes dans le même état desprit. Sil y a à un moment donné quelque chose que nous puissions faire ensemble, nous le ferons, pour débloquer, pour relancer. Mais nous ne cherchons pas à le faire uniquement pour le plaisir de dire quil y a une action franco-égyptienne. Nous voulons que cela soit utile, que cela aide toutes les forces de paix dans la région.
Q - Est-ce que le moment nest-il pas finalement venu pour faire des choses ?
R - Non, je ne crois pas que cette phase, qui est une phase électorale en Israël - vous me parlez des jours immédiats ? - soit une bonne phase. Je pense quil faut y voir plus clair et quil faut que lon sache à quel type de gouvernement nous avons à faire en Israël et quelles sont ses positions par rapport au processus de paix, par rapport à la question libanaise. Cest plutôt à partir du mois de juin quon pourra agir.
Q - Monsieur le Ministre, vous avez vu M. Yasser Arafat à Bahreïn, est-vous lui avez demandé de reporter lannonce de lEtat palestinien pour le 4 mai ?
R - Jai eu un échange avec lui. Nous étions ensemble au moment où nous venions présenter nos condoléances au nouvel émir du Bahreïn après le décès de son père, cela nétait pas un contexte propice à un long entretien purement politique. Mais nous avons eu quelques échanges malgré tout sur lesquels vous me permettrez de rester discret.
Ce que je peux vous dire, cest que nous parlons activement avec les Palestiniens à propos de cette échéance du 4 mai. Jai déjà eu loccasion de dire publiquement que nous reconnaissons tout à fait le droit des Palestiniens à la proclamation dun Etat - ce quils réaffirment. Cela découle tout à fait de lensemble des engagements pris et des accords depuis des années et des années, mais nous pensons, comme eux dailleurs, quils doivent le faire de façon opportune et constructive. Ils doivent réfléchir à la meilleure façon de gérer ce droit. Voilà ce que nous disons.
Q - Est-ce que lUnion européenne est prête à donner des garanties au côté palestinien sil décide de reporter cette date ?
R - Nous sommes encore en discussion sur tous ces points. Il est donc trop tôt pour que je réponde directement à cette question.
Q - On parle dune éventuelle modification du groupe de surveillance et de laccord de 1996. Est-ce vrai ? Etes-vous contre ? Quelle est la position de la France ?
R - La position de la France, cest que laccord de 1996, qui avait été négocié par mon prédécesseur, a fait la preuve de son utilité, à plusieurs reprises, puisquil y a eu malheureusement beaucoup de moments dextrême tension. Cela nous paraît un bon mécanisme et il doit continuer à être pleinement mis en oeuvre. Voilà notre position sur cet accord.
Naturellement, comme je lai déjà indiqué, cela traite la situation actuelle de tensions ; cest un système pour que les tensions ne dégénèrent pas trop. Cela ne règle pas le problème de fond. Donc, 1996 cest une bonne base pour ces moments daffrontements, mais nous souhaitons naturellement que les choses se débloquent entre les Israéliens, les Libanais et les Syriens pour que lon puisse apporter une solution de fond, conforme aux résolutions du Conseil de sécurité et qui soit en même temps une solution durable et stable.
Q - Durant votre tournée dans les pays du Golfe, il a été question du problème du contentieux entre les Émirats et lIran. Est-ce que les Émirats vous ont demandé, comme il y a une prochaine visite du président iranien à Paris, de faire une médiation ?
R - Jai trouvé des responsables politiques très préoccupés par les manuvres iraniennes dans le Golfe autour des îles contestées, notamment à Abu-Dhabi, mais ailleurs aussi. Je les ai trouvés très curieux de bien comprendre quelle était la politique française par rapport à lIran. Jai donc saisi loccasion de leur expliquer dans quel esprit je métais rendu à Téhéran en août dernier, pourquoi jai reçu mon homologue depuis et pourquoi le président Khatani va venir en France dans quelques semaines.
Tous les responsables politiques de la région approuvent cette politique. Ils sont tous favorables à ce que la France renforce ses relations avec le président et le gouvernement iraniens. Ils pensent que cela ne peut avoir que des effets bénéfiques, même sils sinterrogent encore sur le rapport des forces, sur lévolution à venir et sur la possibilité de voir la politique iranienne être vraiment modifiée en profondeur. Ils sinterrogent, mais ils trouvent très utile ce que nous faisons.
Ils ne nous demandent pas de médiation à proprement parler, mais ils pensent que cela ne peut que rendre service que la France, qui est un partenaire important des pays de cette région, ait en même temps des relations actives avec lIran. Dautant que, sur laffaire précise des îles, nous avons une position claire qui a déjà été exprimée, que les Iraniens connaissent dailleurs : nous sommes favorables à une négociation directe mais, si elle ne peut pas avoir lieu, parce que lun ou lautre sy dérobe, ou parce que cela naboutit pas, nous sommes favorables à la saisie de la Cour internationale de justice. Et cela, nous lavons déjà dit. Donc nous avons une position claire et je crois que cest pour nous la façon dêtre le plus constructifs.
Q - On a eu limpression que les choses se compliquaient durant votre séjour ; les Iraniens ont fait des déclarations assez violentes, cest-à-dire quon ne sent pas quil y ait un règlement en vue ?
R - Non, pas encore. Il faut dire que cest une affaire qui remonte à 1971 ; elle est tout à fait ancienne. Cest vrai que, bien quil ny ait aucun rapport entre les deux, ma visite coïncidait avec une tension à cause de ces manuvres. Ce qui était important pour moi, ce nétait pas de prétendre régler comme cela un problème si ancien et si compliqué, mais cétait de massurer que la politique que nous menons avec les responsables iraniens, qui consiste à développer notre dialogue politique avec eux était bien comprise. Il y a quand même un changement en Iran qui a découlé des consultations électorales et qui vient encore dêtre confirmé, il y a un président et un gouvernement qui ont une politique douverture. Nous voulons accompagner ce mouvement, tout en étant très attentifs à la réalité du changement, pour voir jusquoù il peut aller. Il y a donc là une politique qui est claire de notre part, qui est en même temps équilibrée. Partout où je suis passé, on a approuvé cette politique de la part de la France, et cest cela qui était important pour moi. »
Q - Et vous allez en parler aux Iraniens, au président Khatami ?
R - Dans lautre sens, cest tout à fait normal, quand le président Khatami viendra, quil ait avec le président Chirac un entretien portant sur tous les sujets, y compris ceux-là.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 mars 1999)