Interview de M. Bernard Accoyer, président de l'Assemblée nationale, dans "Paris Match" du 23 janvier 2008, sur le contrôle du gouvernement par le parlement et sur la nécessaire réforme des institutions.

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Média : Paris Match

Texte intégral

Q - Approuvez-vous la notation des ministres annoncée par François Fillon et confiée à Eric Besson, le secrétaire d'Etat chargé de la Prospective et de l'Evaluation des politiques publiques ?
R - C'est au Parlement qu'il appartient constitutionnellement de contrôler l'action du gouvernement. Ce ne serait respecter ni l'esprit des institutions ni le Parlement que de vouloir affaiblir ce rôle de contrôle. J'ajoute qu'une notation sur des critères préalablement définis peut avoir l'inconvénient de favoriser le court terme et la posture politique par rapport à l'intérêt général qui, lui, privilégie le moyen-long terme.
Q - Le Parlement va-t-il se donner les moyens de contrôler le gouvernement ?
R - Dans quelques semaines, nous adopterons une réforme constitutionnelle importante, voulue et engagée par Nicolas Sarkozy. Elle donnera des droits nouveaux au Parlement. Le comité d'évaluation et de contrôle, que je prépare, évaluera l'action des différents ministères. Nous serons aidés pour cela par les fonctionnaires de l'Assemblée nationale, des grands corps de l'Etat mis à disposition et, si nécessaire, par des organismes privés. Si une politique ministérielle est inefficace, ce sera au gouvernement d'en tirer les conséquences. Chacun son job.
Q - Vous observez une dérive tant du Parlement que du Conseil constitutionnel qui les conduit à outrepasser leur rôle. C'est grave, docteur ?
R - Je m'inquiète, en effet, de l'élaboration d'un droit qui écrirait l'histoire. C'est une question difficile et sensible, pourtant ; la liberté de chercher, la liberté d'expression sont le fondement des sciences humaines, dans lesquelles la France s'est illustrée. Il y a eu la loi Gayssot, la loi Taubira sur l'esclavage, celle sur le génocide arménien, celle sur les bienfaits de la colonisation, nous en arrivons maintenant aux propositions de lois sur les crimes du stalinisme. Ce n'est pas à la loi d'écrire l'histoire. C'est aux historiens. Seuls les pays totalitaires écrivent l'histoire. Je m'inquiète de la même tentation pour le Conseil constitutionnel. Les sages ont été récemment saisis de la loi sur l'immigration. Elle contenait un amendement qui voulait donner aux statistiques ethniques un cadre légal. Le Conseil aurait pu se contenter d'annuler cet amendement, au motif légitime qu'il était hors sujet. Mais le Conseil a voulu aller au-delà, en expliquant qu'il est hors de question de faire des statistiques ethniques en France car ce serait contraire à l'interdiction de toute discrimination. Encore un exemple où on met des bâtons dans les roues des chercheurs pour parler, échanger, bref, où on restreint la liberté d'expression. La réforme constitutionnelle attendue permettra au Parlement d'adopter des résolutions. Elles devraient permettre de mettre un terme à cette dérive.
Q - Vous critiquez la décision prise par Nicolas Sarkozy d'activer la clause de sauvegarde qui interdit provisoirement les O.g.m. en France. Pourquoi ?
R - C'est une décision politique. J'aurais préféré qu'elle soit davantage fondée sur des faits scientifiques nouveaux et incontestables. De plus, elle a été prise car, pendant sept ans, par manque de courage politique, on a tergiversé et on a refusé de faire délibérer le Parlement sur la transposition des directives européennes concernant les O.g.m. Soyons lucides. Le monde compte 6 milliards d'hommes. Il y en aura 9 milliards dans trente ou quarante ans. Pour les nourrir, on ne pourra pas se passer des biotechnologies et des O.g.m. Sauf à conserver les méthodes de production actuelles, génératrices de gaz à effet de serre aggravant le réchauffement climatique. Notre pays a besoin de science, de droit, de sérénité. A mépriser le Parlement pendant une si longue période, la France s'est placée dans une situation contraire à ses intérêts.
Q - Vous attendez donc beaucoup de la réforme des institutions ?
R - Oui, elle est urgente, car elle devrait redonner de la place au Parlement. Au fil des législatures, ce dernier a été de plus en plus méprisé. C'est dangereux pour l'équilibre de la République et son fonctionnement.Source http://www.ump.assemblee-nationale.fr, le 30 janvier 2008