Entretien de M. Hervé Morin, ministre de la défense, à Europe 1 le 27 janvier 2008, sur la restructuration des armées et sur un accord pour la création d'une base militaire française permanente à Abou Dhabi.

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Média : Europe 1

Texte intégral


Dominique SOUCHIER - En 2008, dans quelques semaines, le Livre blanc de la Défense et de la Sécurité va ouvrir la voie à une autre armée. Hervé Morin est l'invité de « C'est Arrivé Demain », le ministre de la Défense se trouvait en Inde avec le président de la République, il se rendra mercredi et jeudi à Washington.
(...)
Dominique SOUCHIER - Hervé Morin bonjour.
Hervé MORIN - Bonjour.
Dominique SOUCHIER - Merci d'être là. L'avion qui, en même temps que le président, vous a ramené d'Inde s'est posé ce matin à 5 heures, mercredi et jeudi vous serez à Washington. Alors que vous étiez déjà en Inde, on sait ce qui constituait vendredi le premier titre des journaux télévisés, la mort de 3 gendarmes broyés par un train alors qu'ils poursuivaient un homme qui est également mort, dont on sait maintenant qu'il avait été condamné pour vol, une affaire de stupéfiants. Depuis, sur lui ou les circonstances, est-ce que vous en avez appris plus ?
Hervé MORIN - Non, je n'en ai pas appris plus, laissons l'enquête avoir lieu. Malheureusement, pour le ministre de la Défense que je suis, je voudrais simplement rendre hommage aux gendarmes, ils paient un lourd tribut chaque année. J'étais il y a 15 jours à une cérémonie militaire pour un autre des leurs qui était décédé, lui en moto. Chaque année, les soldats, les militaires de la République française paient un lourd tribut et les gendarment en paient aussi un très lourd.
Dominique SOUCHIER - Parlons de ce pourquoi je vous ai invité dans cette émission qui s'intitule « C'est Arrivé Demain ». Est-ce que vous confirmez, Hervé Morin, que demain, dans quelques semaines, quelques mois, avec la publication du Livre blanc, ce sera bien le début d'une autre armée et d'une autre politique de la défense ? Vous tiquez là, hein ?
Hervé MORIN - Oui, n'exagérons pas. Il y a eu déjà des évolutions très importantes, il y a eu par exemple la décision de Jacques Chirac de professionnaliser les armées, qui a été une révolution considérable. N'oubliez pas qu'on a concrètement fermé un régiment sur deux à cette époque, on a décidé de passer à une armée de projection capable d'intervenir à peu près partout dans le monde. Pour la France, la problématique est simple, nous faisons partie des 3 ou 4 grandes puissances militaires du monde, il n'y en a pas tant que ça qui ont une capacité militaire globale, c'est-à-dire à la fois de dissuasion, de renseignement, d'observation, de projection, etc. Cette puissance militaire globale c'est un atout fabuleux, ça donne de la voix, ça donne de la force à la diplomatie de la France, ça donne une capacité aux Français de voir leurs intérêts stratégiques préservés, ça donne une capacité à la France de pouvoir stabiliser le monde, en Afrique notamment.
Dominique SOUCHIER - Mais ?
Hervé MORIN - Mais il faut évoluer, il faut évoluer et s'adapter comme les armées l'ont toujours fait. Je vais vous dire une chose, si le monde administratif et la France avaient évolué et s'étaient adaptés autant que les armées ne l'ont fait, je pense qu'on se porterait beaucoup mieux.
Dominique SOUCHIER - Alors Monsieur le ministre, on va...
Hervé MORIN - Je vous donne quelques exemples concrets de menaces...
Dominique SOUCHIER - Alors c'est ça, soyons concret.
Hervé MORIN - Oui, attendez. Quelques exemples de menaces qui méritent d'être plus pris en compte, qui nous obligent à nous adapter. Il y a aujourd'hui une capacité des réseaux terroristes qui peuvent frapper le coeur même du pays. Nous sommes beaucoup plus en danger qu'il n'y a une quinzaine d'années par exemple. Nous avons besoin bien entendu de répondre aux conséquences du réchauffement climatique. Nous avons besoin par exemple d'avoir une capacité de nous préserver dans le cadre de la course à l'énergie qui arrive, la fracture Nord-Sud. Bref, il y a toute une série de causes qui nous obligent à adapter notre outil militaire.
Dominique SOUCHIER - Alors, vous avez dit « adapter », on va essayer d'être le plus concret possible pour intéresser ceux qui nous écoutent. Ces derniers temps, on a beaucoup parlé de la carte judiciaire, il y a aussi une carte militaire, c'est-à-dire des villes où se trouvent par exemple des bases aériennes...
Hervé MORIN - Des régiments...
Dominique SOUCHIER - Ou des bases aériennes, pour les bases aériennes il y en a 37. Une fois que seront passées les municipales, vous allez en supprimer combien ?
Hervé MORIN - La question ne se pose pas ainsi. Nous sommes sur un exercice qu'est le Livre blanc. Le président de la République prendra un certain nombre de décisions sur ce que doivent faire nos armées dans les 15 ans qui viennent. Et à partir de ça, on va mettre en place des scénarios de crise, et à ces scénarios de crise doivent correspondre des capacités militaires. Que voulons-nous faire ? On veut d'abord faire en sorte qu'au niveau de l'organisation du ministère de la Défense, on mutualise l'ensemble des moyens, qu'on supprime les doublons, les duplications de service, qu'on travaille collectivement. Les 3 armées ensemble le font très bien sur les opérations extérieures, on doit le faire dans le soutien de l'administration générale. Je vous donne un exemple, quand un Puma de l'Armée de terre se pose sur une base aérienne, le mécanicien de l'Armée de l'air qui connaît pourtant parfaitement le Puma puisqu'il y en a dans l'Armée de l'air, ne peut pas le réparer, et vice versa. Et donc, on va faire en sorte de mutualiser et d'interarmiser au maximum. Et ensuite...
Dominique SOUCHIER - Et à Reims ou à Colmar...
Hervé MORIN - Et ensuite...
Dominique SOUCHIER - Et à Reims ou à Colmar...
Hervé MORIN - A partir de cette organisation...
Dominique SOUCHIER - Non mais...
Hervé MORIN - ...générale, nous allons tirer un certain nombre de conséquences sur nos unités. Les premières conséquences, c'est qu'on va faire le même exercice, on va essayer de faire en sorte que les bases de l'Armée de l'air et les régiments soient soutenus, aient une administration générale, l'ensemble des services qui soient mutualisés pour l'ensemble des unités militaires qui sont sur le même lieu. Et on va bien entendu tirer des conséquences aussi de l'évolution du nombre d'avions. Vous parlez de l'Armée de l'air...
Dominique SOUCHIER - ...Dans l'Armée de l'air, soyons concret, dans l'Armée de l'air actuellement il y a 600...
Hervé MORIN - On est en train...
Dominique SOUCHIER - 600 avions de chasse, d'accord ?
Hervé MORIN - Oui mais vous êtes en train...
Dominique SOUCHIER - Mais non, mais c'est ça concrètement.
Hervé MORIN - Concrètement, vous ne pouvez pas... bien entendu qu'il faudra resserrer le réseau des bases de l'Armée de l'air. Il le faudra pour une raison très simple, c'est que nous avons moins d'avions de combat et nous avons moins d'avions de combat parce qu'on a modifié les capacités de nos armées et que par ailleurs, on a introduit un nouvel avion multirôle qu'est le Rafale qui nous permet d'avoir moins d'avions.
Dominique SOUCHIER - Demain, il n'y aura plus que des Rafale, il n'y aura plus que 234 Rafale ?
Hervé MORIN - Oui, 234 Rafale plus...
Dominique SOUCHIER - Alors qu'aujourd'hui, il y a 600 avions de chasse !
Hervé MORIN - Oui, enfin moins que ça. Mais vous voyez bien qu'on ne peut pas parler d'office... dire « on va fermer un centre de base », il faut qu'on réfléchisse globalement et partir de ça, on va avoir un certain nombre de restructurations.
Dominique SOUCHIER - Vous n'avez pas voulu que je parle de Reims et de Colmar. A Reims ou à Colmar on entretient les Mirage F1, on n'aura plus de Mirage F1 quand ils seront à bout de course. Est-ce qu'il n'est pas évident qu'on supprimera les bases aériennes de Reims et de Colmar ?
Hervé MORIN - On supprimera peut-être la base aérienne de Colmar, mais peut-être que pour d'autres raisons, nous serons amenés à conserver la base aérienne. Parce que l'idée, c'est qu'on fasse en sorte qu'un régiment de l'armée de Terre qui soit projetable et qu'on projette régulièrement soit à côté d'une base de l'armée de l'Air, pour qu'on puisse mutualiser les moyens d'une part et rendre les choses plus opérationnelles. On va faire en sorte que les régiments de l'armée de Terre soient proches par exemple des camps d'entraînement, pour faire en sorte aussi que tout ça soit fait au profit des forces opérationnelles, ça c'est le premier critère. Et le deuxième critère qui va conditionner les restructurations ou les réorganisations, c'est la condition de vie des militaires. Ce que je veux c'est que les militaires puissent, pour leurs époux, trouver plus facilement du travail, que les lieux d'implantation des régiments permettent de faciliter la scolarisation des enfants. Bref, qu'on crée des bases de défense auprès de bassins de vie permettant aux uns et aux autres, aux armées de pouvoir améliorer leur capacité opérationnelle et aux militaires d'avoir de meilleures conditions de vie.
Dominique SOUCHIER - Quand il y aura ce que vous avez annoncé déjà, le Pentagone à la française, toute l'armée regroupée en un seul endroit, ça sera concrètement quand ?
Hervé MORIN - Ça sera a priori vers 2011, 2012. L'idée - c'est toujours dans cette idée d'interarmisation - c'est qu'on ait une nouvelle gouvernance au sein du ministère de la Défense, qu'on soit collégial, collectif, qu'on ait des services communs pour l'ensemble des missions que nous avons à remplir, et que ces services communs soient autour du ministre, du chef d'état-major des armées, des chefs d'état-major d'armée et des grands patrons d'administration...
Dominique SOUCHIER - Et vous serez installé...
Hervé MORIN - Tout le monde ensemble à Balard, dans un espace qui nous appartient et qui nous permettra de pouvoir construire un bâtiment qui sera un... urbanistique majeur pour le Sud de Paris. Nous essaierons de faire en plus un bâtiment qui soit bien entendu efficace et opérationnel, mais qui soit aussi un immeuble à l'image de ce que nous voulons construire, c'est-à-dire une image d'une armée moderne et efficace.
Dominique SOUCHIER - Une armée moderne, il y aura le lancement du second porte-avion cette année ou pas ?
Hervé MORIN - Tout dépend du Livre blanc, vous parlez des bases aériennes, vous voyez bien que la problématique c'est : quelle est la capacité que nous devons avoir en matière de force de frappe aérienne ? Et à partir de ça, il faut analyser ce que nous avons à travers les porte-avions et ce que nous avons à travers l'armée de l'Air. Et c'est quand on aura fait cette analyse complète qu'on pourra en tirer les conséquences.
Dominique SOUCHIER - L'hebdomadaire Le Point, ses journalistes, Mireille Duteil et Jean Guisnel posent cette semaine la question, alors que depuis 150 ans... non, depuis 50 ans, la France n'avait pas installé de nouvelle base hors de son territoire, pourquoi le président Sarkozy vient d'annoncer la création d'une base interarmées permanente à Abou Dhabi ? Qu'est-ce qu'il y a derrière ?
Hervé MORIN - D'une part, il y a le fait que nous avons beaucoup d'exercices militaires avec les pays du Golfe, énormément avec les Emirats Arabes Unis, le Qatar, le Koweit, l'Arabie saoudite. Et donc, nous avons en permanence des militaires qui sont dans ces pays. Par exemple, on a 90 officiers et sous-officiers en permanence dans les forces des Emirats Arabes Unis. Donc, ça permettra de faire le soutien à ces forces qui font des exercices militaires. Le second point, c'est que c'est la conséquence directe d'un accord de défense que nous avons signé le 21 janvier 1995, sous le règne de François Mitterrand avec Edouard Balladur, Premier ministre, et cet accord de défense nous lie considérablement aux Emirats Arabes Unis. Troisièmement, le sens de tout cela, c'est que, la France veut être présente dans cette région du monde qui est une région absolument névralgique, et par ailleurs...
Dominique SOUCHIER - On est tout proche, on ne peut pas être plus proche de l'Iran.
Hervé MORIN - Oui mais ce n'est pas ça, nous avons...
Dominique SOUCHIER - Non, ce n'est pas ça ?
Hervé MORIN - Non, nous avons un accord de défense qui noue lie avec les Emirats Arabes Unis de façon considérable, en dehors...
Dominique SOUCHIER - Ce n'est pas une manière de dire aux Iraniens...
Hervé MORIN - Non, absolument pas...
Dominique SOUCHIER - « On a un langage de fermeté » ?
Hervé MORIN - Ça n'a rien à voir. C'est que la France, qui se veut une puissance comptant sur la surface de la planète, estime qu'elle doit être présente dans cette région du monde. Dernière raison et très importante, c'est que les Emirats Arabes Unis, c'est le pays qui a décidé d'associer tradition, islam, modernité et progrès. Et donc, à travers cette démarche, nous soutenons...
Dominique SOUCHIER - Oui, enfin pour la modernité...
Hervé MORIN - Oui, aux Emirats Arabes Unis certainement. Nous soutenons ce régime qui montre qu'il y a une autre approche de l'islam que celle qu'on a l'habitude de voir.
Dominique SOUCHIER - Il y aura combien d'hommes sur cette base permanente ?
Hervé MORIN - Autour de 400 hommes.
(...)

source http://www.defense.gouv.fr, le 30 janvier 2008