Interview de M. Hervé Morin, ministre de la défense, à Canal Plus le 30 janvier 2008, sur la réforme des armées.

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Média : Canal Plus

Texte intégral

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Caroline ROUX - Est-ce que c'est vrai que votre portable n'arrête pas de sonner, les élus UMP sont inquiets sur la fermeture des bases militaires ?
Hervé MORIN - Non très honnêtement, j'ai eu en effet quelques coups de fil mais j'ai souvent des coups de fil face à des informations qui sont totalement erronées, qui n'ont pas été vérifiées. La semaine dernière, on annonce la fermeture par exemple de la base aérienne de Nancy qui est une des bases stratégiques de l'armée de l'air. Donc ; j'ai eu Nadine Morano, députée UMP, qui m'appelle en me disant, on m'annonce ça ce matin. Ca ne correspondait absolument à rien. J'étais lundi moi-même en train de prononcer mes voeux au personnel civil de la Défense, ce qui était une première. Je suis allé à Tours et le matin sur des radios locales, on annonçait que je venais à Tours pour fermer la base aérienne de Tours.
Caroline ROUX - Ça révèle qu'il y a une inquiétude. Est-ce que c'est une réforme, enfin, en tous cas, oui une réforme que vous considérez comme délicate ?
Hervé MORIN - C'est bien entendu une réforme délicate. Il ne s'agit pas d'une réforme non plus qui est aussi lourde que celle que nous avons connue pour la professionnalisation où, en 96, on avait fermé...
Caroline ROUX - Là il s'agit de la carte militaire.
Hervé MORIN - ... un régiment sur deux. L'idée de la réforme sera liée bien entendu à l'expression du Livre blanc, c'est-à-dire la stratégie de la France en termes de sécurité à l'horizon de 15 ans. Et l'idée de la réforme, elle est double. La première, c'est de faire en sorte qu'aujourd'hui nous avons des systèmes trop en tuyau d'orgue où le soutien et l'administration générale au profit des forces, se fait armée par armée. Des services de l'armée de terre au profit de l'armée de terre. De l'armée de l'air au profit de l'armée de l'air et la même chose pour la marine. Ce que je souhaite c'est que tous ces services qu'on appelle de soutien et d'administration générale, c'est-à-dire pour ceux qui ne seraient pas militaires, comme vous, l'habillement, la restauration, le matériel. Qu'à chaque fois que ces matériels soient communs à l'armée de terre et aux autres armées, que ce service soit commun. Premier point. Et le second élément extrêmement important, c'est qu'il faut tirer les conséquences de l'évolution des risques et de la menace. Je prends une seule conclusion à peu près évidente qui sera celle probablement, du Livre blanc. Nous avons des risques liés à la prolifération nucléaire, nous avons des risques liés à des réseaux terroristes. Il est évident que nous avons une obligation absolue, c'est d'avoir des systèmes de renseignement et d'observation qui nous permettent d'anticiper et éventuellement d'agir pour, et donc il nous faut connaître sur la surface de la planète, ce qui se passe et ce qui se passe qui pourrait avoir des conséquences en termes de sécurité pour notre pays ou pour nos concitoyens. Et c'est évident que ce système-la impose d'avoir les investissements nécessaires en matière d'observation et de renseignement et qu'en revanche, le pacte de Varsovie étant tombé, on a probablement besoin d'un peu moins d'équipements liés à des combats classiques entre Européens.
Bruce TOUSSAINT - Ça, c'est la raison du changement. Maintenant il y a une inquiétude, elle est relayée d'ailleurs ce matin par de très nombreux mails qu'on reçoit des téléspectateurs de la Matinale qui nous écrivent pour nous dire qu'ils sont, effectivement, très préoccupés par la situation. Qu'est-ce que vous pouvez dire ce matin ? Quand on dit par exemple il y a 35 000 postes qui vont être supprimés, qu'est-ce que vous pouvez dire pour rassurer ceux qui sont concernés ?
Hervé MORIN - L'effort qu'on demande aux armées est l'effort qu'on demande à l'ensemble du système public. Le Premier ministre a indiqué qu'il souhaitait qu'on ne remplace pas un départ à la retraite sur deux. Chez nous ça représente 6000 personnes pour tous ceux qui ont plus de 15 ans de service.
Caroline ROUX - Par an, sur 5 ans.
Hervé MORIN - Par 5, ça fait 30. Si on en fait un petit peu plus, tant mieux. Il y a pas d'objectif quantitatif, il y a la volonté de faire en sorte qu'on dédie l'ensemble des crédits que nous mettons, c'est-à-dire des 37 milliards d'euros que nous mettons dans la Défense, à ce qui doit être la priorité, c'est notre capacité de défense. C'est-à-dire les forces opérationnelles. C'est cela l'objectif majeur.
Caroline ROUX - Qu'est-ce que vous dites aux élus UMP pour qui c'est une...
Hervé MORIN - J'ajoute une chose très importante excusez-moi. J'ajoute quelque chose de très important. Bien entendu nous aurons des décisions qui auront des conséquences en termes de vie, de villes, de communes, de régions. Dans le cadre de mesures de restructuration, il y aura des choses qu'on amènera sur les territoires. Mon idée est de faire en sorte, si cela est possible, que nous ayons un certain nombre de services qui sont centralisés à Paris, qui puissent être déconcentrés parce qu'ils n'ont pas forcément besoin d'être à Paris. Et pour le personnel qui a des niveaux de rémunération faibles, aller vivre en province, c'est des conditions de vie, des conditions de logements plus faciles. On verra ce qu'on fait. Mais j'ajoute une chose. En tant que ministre de la Défense, et le président de la République en tant que chef des armées, nous sommes là pour faire en sorte que notre pays soit en mesure d'assurer sa souveraineté, son indépendance et sa sécurité.
Caroline ROUX - Ça vous ne pouvez pas dire le contraire.
Hervé MORIN - Non mais je vous assure. Si on ne le faisait pas, ce serait un manquement important.
Caroline ROUX - Juste un mot Hervé Morin, les militaires sont inquiets. Je vous coupe parce que sinon vous êtes parti là jusque...
Hervé MORIN - Non mais ce serait un manquement grave. Les Français ils demandent à leur Défense d'assurer leur souveraineté, leur sécurité et de faire en sorte que par exemple leur voie d'approvisionnement soit assurée sur le moyen terme.
Caroline ROUX - Bien entendu, vous ne pouvez pas dire le contraire. Alors les militaires ils ne peuvent pas parler, les politiques peuvent le faire et ils vous disent, il y a une inquiétude qui s'exprime d'ailleurs de la part des militaires.
Hervé MORIN - Oui je l'entends.
Caroline ROUX - Qui ne veulent pas forcément déménager, qui se sont installés etc. Est-ce que vous leur dites : "ce ne sera pas fait comme Rachida Dati et la réforme de la carte judiciaire, ce sera fait dans la concertation avec les élus" ?
Hervé MORIN - J'ai d'ores et déjà dit aux élus qui sont venus me voir que...
Caroline ROUX - Mais d'une manière générale à tous ceux qui vous regardent peut-être ce matin ?
Hervé MORIN - J'ai déjà eu l'occasion de dire que je suis moi-même élu local, je suis maire, je suis président d'une communauté de communes et je sais ce que ça peut représenter. J'ai d'ores et déjà indiqué que nous ferions en sorte qu'à partir du moment où nous aurions travaillé et que le Lire blanc sera rendu puisque les décisions ne seront pas prises avant le mois de juin, que dès lors qu'on aura la première esquisse de ce que pourrait être la réforme que nous mènerions, j'essayerai de faire en sorte de mettre autour de la table l'ensemble des élus, des collectivités locales, des chambres de commerce sur les sites majeurs pour lesquels il pourrait y avoir des soucis.
Caroline ROUX - Les décisions seront prises avec eux ?
Hervé MORIN - Pas avec eux, les décisions elles seront prises parce qu'il s'agit de la Défense, elles seront prise par l'Etat mais qu'après il y ait une phase de discussion et de concertation pour voir quels sont les investissements qu'on peut effectuer. Les reconversions.
Caroline ROUX - Les compensations en fait, c'est ça ? Vous leur dites on prendra la décision et on vous donnera des compensations ?
Hervé MORIN - On essayera de voir ce qu'on peut faire. Mais je vais vous donner un seul exemple. Je suis allé inaugurer il y a peu de temps la base nature François Léotard à Fréjus. Base nature qui a été liée à la fermeture de la base aéronavale de Fréjus. Lorsqu'elle a été fermée, c'était un traumatisme pour la ville de Fréjus. 15 ans plus tard, c'est considéré par la ville de Fréjus comme une immense chance parce qu'on y a fait des équipements socioculturels, parce qu'on a reconquit le littoral, parce qu'on en a fait un lieu de sports. Donc voilà, on peut accompagner une reconversion.
Léon MERCADET - Mais enfin il y a bien des bases qui v ont être fermées, c'est ça ?
Hervé MORIN - On a moins d'avions de combat par exemple, on fait venir le Rafale qui est un avion multi rôle qui permet d'avoir moins d'avions en ligne. Il est évident qu'il y aura des conséquences, il ne faut pas s'en cacher.
Caroline ROUX - Très vite, un autre sujet, la solde, les salaires, Nicolas Sarkozy, pendant sa campagne, s'était engagé, il disait : "je poserai la question de la revalorisation de leurs traitements donc de militaires, à commencer par les indemnités pour charges militaires". Où est-ce que ça en est, notamment en ce qui concerne les gendarmes ?
Hervé MORIN - D'abord, Michèle Alliot-Marie, mon prédécesseur, s'était engagée à mettre en oeuvre ce qu'on appelait le plan lié au rapport du Haut comité d'évaluation de la condition militaire, qui avait démontré un décrochage entre les militaires et ce qu'on appelle les fonctionnaires en tenue, c'est-à-dire, policiers et gardiens de prison. Cet engagement, j'ai fait en sorte que, pour la première année, nous ayons un plan de revalorisation de 102 millions d'euros. Ce fut un arbitrage du Premier ministre. Jamais autant d'argent n'a été mis pour la revalorisation de la condition militaire depuis dix à quinze ans. Ce plan-là, nous allons le mettre en oeuvre, aussi rapidement que possible, mais vous voyez que ça ne peut pas se faire comme ça. Ça peut se faire aussi parce que nous aurons fait des efforts, qui nous permettront de dégager des crédits pour faire ce plan, mais ce plan-là, nous allons le mettre en oeuvre rapidement. Nous avons déjà fait un bout du chemin pour les militaires du rang, les gendarmes et les sergents.
Bruce TOUSSAINT - La question...
Léon MERCADET - ... Pour les fonctionnaires, on réduit les effectifs pour augmenter ceux qui restent ?
Bruce TOUSSAINT - La question de Léon...
Léon MERCADET - En somme, en principe ?
Hervé MORIN - C'est le même principe, en effet.
Bruce TOUSSAINT - Bon, la question de Léon.
Léon MERCADET - Oui, on parle donc d'économies pour l'armée, maintenant, vous venez d'annoncer, il y a quelques semaines, que nous allions ouvrir une grande base à Abou Dhabi, dans le Golfe, donc face à l'Iran, qui n'est pas notre ami du tout. Combien ça coûte une base comme ça dans le Golfe ?
Hervé MORIN - La base sera équipée par les Emirats arabes unis. Donc ce n'est pas nous qui faisons l'investissement.
Bruce TOUSSAINT - On est locataire ?
Hervé MORIN - On est...
Bruce TOUSSAINT - D'une certaine façon...
Hervé MORIN - Je trouve que le mot est un peu déplaisant... Nous y serons installés. Nous allons y mettre environ 400 hommes, qui assureront d'abord le soutien de l'ensemble des militaires français qui sont dans la région ou des escales, faites par la marine nationale, il faut savoir qu'il y a à peu près cinquante bâtiments, cinquante escales par an de bâtiments de la marine nationale. Nous avons beaucoup d'exercices militaires. Pour vous donner un exemple, nous avons près de cent militaires en permanence dans les armées émiraties, ça, c'est une première chose. Bien entendu, il y a à travers cela une décision qui a une portée et qui a un sens. D'une part, c'est la conséquence d'un accord de défense, qui a été signé en janvier 1995, accord de défense qui nous lie considérablement aux Emirats arabes unis. Et enfin, c'est la volonté pour la France de faire un partenariat stratégique avec ce pays, qui est celui qui probablement démontre que Islam et modernité, ça peut aller ensemble. Vous savez que nous avons des partenariats...
Léon MERCADET - Hervé Morin, excusez-moi de vous couper, mais comme vous ne répondez pas à la question, j'en déduis que ça ne coûte rien, mais je n'y crois pas trop que ça ne coûte rien.
Hervé MORIN - Ça coûte les hommes qui seront sur place. Mais ça ne coûte rien en investissement.
Léon MERCADET - D'accord.
(...)

source http://www.defense.gouv.fr, le 1er février 2008