Déclaration de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur l'aide de la Banque interaméricaine de développement et la participation de la France au développement humain, politique et culturel de l'Amérique latine et des Caraïbes, Paris le 8 mars 1999.

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Intervenant(s) : 
  • Charles Josselin - Ministre délégué à la coopération et à la francophonie

Circonstance : Séminaire sur les "Perspectives du prochain millénaire pour l'Amérique latine et les Caraïbes" à l'UNESCO le 8 mars 1999

Texte intégral

Monsieur le Directeur général de lUNESCO,
Monsieur le Président de la Banque interaméricaine de développement,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs,

Je suis très heureux d'être parmi vous aujourd'hui pour ouvrir ce premier Séminaire sur les perspectives du prochain millénaire en Amérique latine et aux Caraïbes, prélude aux travaux de la 40ème session de lAssemblée annuelle des gouverneurs de la Banque interaméricaine de développement.
Je voudrais d'abord remercier M. Enrique Iglesias, président de la Banque interaméricaine, et M. Federico Mayor, directeur général de lUNESCO, d'avoir suscité cette réunion regroupant hommes et femmes d'Amérique latine et des Caraïbes, jeunes décideurs, jeunes intellectuels, jeunes entrepreneurs, qui jouent un rôle primordial dans l'activité de leur pays et continueront à le jouer pendant les premières décennies de ce nouveau millénaire.
Je tiens à saluer Mme Rigoberta Menchu, et lui dire mon plaisir de se revoir ici à Paris, sa présence à nos côtés témoigne de cette condition primordiale du développement : les communautés d'hommes et des femmes qui partagent un même territoire doivent avoir des projets collectifs, respectueux les uns des autres, fondés sur les principes énoncés dans la déclaration des Droits de l'Homme. Vous ne devez pas l'oublier aux cours des travaux de ces deux jours.
Je tiens à saluer M. Gabriel Garcia Marquez. Il a porté très haut les couleurs de l'Amérique Latine dans le monde de la littérature, un monde qui pourrait paraître bien éloigné du sujet qui nous occupe : le développement. Mais je partage la conviction profonde du président Iglesias : il n'y a pas de développement sans développement culturel, ancré dans les traditions, ouvert sur la modernité et le dialogue des cultures.
Je veux enfin vous souhaiter à tous, au nom du gouvernement français, la bienvenue à Paris.
Comme vous le savez, le gouvernement français vient de réorganiser le dispositif de coopération internationale de la France. La création au sein du ministère des Affaires étrangères d'un ensemble cohérent, responsable des politiques d'aide au développement et de coopération me rend particulièrement attentif à la façon dont les jeunes décideurs en Amérique latine perçoivent le prochain siècle dont ils devront façonner l'Histoire. Une histoire façonnée par la main de l'homme mais aussi, de manière beaucoup plus injuste, par les forces de la nature. Je me suis ainsi rendu récemment sur votre continent à la suite de terribles événements : en accompagnant le président Chirac dans les pays affectés par le cyclone Mitch mais aussi pour marquer la solidarité de la France auprès des victimes du tremblement de terre d'Arménia en Colombie.

Vous avez choisi d'aborder les perspectives du prochain millénaire autour de quatre thèmes.

  • · le développement humain
  • · démocratie et institutions politiques
  • · culture et société
  • · la mondialisation

Je voudrais aujourd'hui vous donner simplement un aperçu de des fondements de notre coopération sur ces thèmes. Je vous dirais dans cet esprit comment la France à l'aube du prochain millénaire envisage son lien de coopération avec l'Amérique latine, à partir de l'exemple des relations que nous souhaitons consolider avec la Banque interaméricaine de développement.


I.Un développement vraiment humain
Votre premier thème est ce que j'appellerais le défi d'un développement partagé. Nous y sommes confrontés tous les jours. C'est le défi majeur de l'humanité et celui de l'Amérique latine et des Caraïbes.
Ce défi a pris une nouvelle dimension lors du Sommet social de Copenhague en 1995. Ce Sommet a mis l'accent sur l'importance du rôle de tous, gouvernements mais surtout société civile, comme acteurs du changement. La cohésion sociale est à la clef du développement, et il est nécessaire, particulièrement pour faire face aux répercussions des fluctuations économiques et des crises auxquelles l'Amérique latine n'échappe pas, de mobiliser le capital social, c'est-à-dire les réseaux, qu'ils soient associatifs, culturels, familiaux et de proximité.
Sur ce point, je sais que la Banque interaméricaine a pris tout particulièrement cet appel au sérieux. Elle a recommandé que 40 % des activités de prêts de l'institution se fassent au bénéfice du développement social, de l'accès à l'éducation, et aux services de soins, de l'amélioration de l'environnement en milieu urbain, de laide à l'enfance défavorisée, de la meilleure prise en compte des conditions de vie des populations féminines. Cela implique une réaffectation des ressources et des choix qui ne sont pas toujours faciles. Je suis intimement convaincu de la justesse de cette approche et j'ai personnellement souhaité qu'un accent particulier soit mis sur cette question dans d'autres institutions financières, comme la Banque mondiale ou le Fonds monétaire international.


II. Démocratie et institutions politiques
C'est le thème du deuxième atelier. Vous le savez, la démocratie est un concept universel, mais elle ne se conjugue pas à l'identique en Asie, en Afrique ou en Amérique latine. Elle doit, à mes yeux, d'abord se fonder sur le respect de la dynamique propre de la société civile et sur le renforcement des institutions pour garantir un Etat de droit. Il ny a pas de démocratie sans liberté de parole et d'expression, sans contrôle des forces économiques, sans un système juridique et judiciaire qui protège vraiment le citoyen, sans éthique intellectuelle, commerciale, scientifique, etc... Il faut construire progressivement ces acquis.
Dans tous ces domaines, beaucoup a été fait en Amérique latine et ailleurs. Beaucoup reste à faire mais en respectant cette dynamique si singulière du progrès démocratique. Et aucune société ne peut s'arrêter de progresser, même ici sur notre continent (nous débattons en France sur la question de la parité hommes-femmes) : vos discussions nous seront très utiles pour éclairer nos propres interrogations sur la démocratie en Europe au XXIème siècle.


III. Culture et société
La culture est source de diversité, d'enrichissement. Elle se manifeste dans le pluralisme des langues, et des traditions, dans l'affirmation des racines historiques qui fondent nos pays. Les travaux de l'UNESCO et de la BID en témoignent. La Conférence intergouvernementale sur les politiques culturelles pour le développement, qui s'est tenue à Stockholm en mars dernier à votre initiative, Monsieur le Directeur général a réaffirmé l'importance de la dimension culturelle dans le développement. Le plan d'action qui a été défini à cette occasion formule dix recommandations, qui favorisent les politiques inter-culturelles et le rôle de la culture dans les processus dévolution des sociétés.
A l'occasion d'un récent Forum que votre institution a organisé à San Salvador, Monsieur le Président, la place de l'éducation, de l'action sociale et culturelle comme moyen de lutte contre la violence a été fortement soulignée. Nous disposons tous d'exemples où le taux de délinquance dans les faubourgs des grandes agglomérations a connu une baisse, grâce à des projets éducatifs, sportifs, culturels au bénéfice des jeunes désoeuvrés. Le gouvernement français a fait ainsi de la politique de la ville lune de ses priorités.
Mais je souhaiterais également mentionner l'importance du pluralisme des langues. De cet essentiel pluralisme, nous tirons la qualité de notre insertion au monde - le continent latino-américain illustre par la diversité des langues que l'on y parle - je ne citerai que l'espagnol, le portugais, l'anglais et le français - sa capacité d'ouverture vers l'extérieur. C'est comme cela que nous concevons la Francophonie, sans revendication d'exclusivité ni arrogance. En Amérique latine, la Francophonie est heureuse de s'insérer dans un monde hispanophone, anglophone ou lusophone mais nous savons aussi qu'il y existe une forte appétence pour le français, y compris chez les jeunes décideurs. Un demande à laquelle nous cherchons à répondre à travers un réseau dense d'Alliances françaises sur tout le continent.


IV. Mondialisation
Votre dernier thème : la mondialisation des marchés et des économies est une réalité incontournable aujourd'hui. Cette globalisation doit se fonder sur des institutions internationales, financières ou spécialisées, qui assurent un cadre acceptable pour tous. C'est le sens de l'appel de la France relayé auprès de nos partenaires du G7 à une réforme de l'architecture financière internationale. Cette réforme, nous la concevrons avec les pays émergents et les pays en développement. Car la première crise économique et financière du 21ème siècle, pour reprendre une expression de Michel Camdessus, est venue des pays émergents. Il ne sera plus possible au prochain siècle d'ignorer une région économique du monde. Vos réflexions doivent prendre en compte cet acquis.
La globalisation entraîne également des répercussions dans le domaine social. Il convient de trouver des équilibres, qui impliquent des solidarités nouvelles, transfrontalières, régionales. Vous savez que c'est un thème important à l'intérieur de l'Union européenne, comme à l'intérieur de toute entité économique régionale. Ces entités régionales, que vous ne manquerez de consolider, que ce soit le Mercosur, la Communauté andine des nations, le Système d'intégration d'Amérique centrale ou le CARICOM. L'ouverture des marchés s'accompagne dune modification des activités qui peuvent avoir une incidence sociale, telles la sous-traitance et la délocalisation. Elle a un coût pour les salariés, qui mérite - et je m'adresse ici aux jeunes entrepreneurs - une réflexion croisée des salariés de vos pays et des nôtres. De grands constructeurs automobiles en Amérique latine, notamment Renault, accompagnent leur politique d'investissement à l'étranger par la création de centres de formation au bénéfice des personnels locaux. Les formateurs sont des cadres français des entreprises concernées. La France soutient ainsi un projet de coopération en partenariat avec Renault permetttant l'établissement de centres de recherche et d'innovation technologique sur les transports en Amérique latine.


V. Que fait la France dans ce contexte ?
Vous le savez, conformément à son engagement ferme au service de la solidarité internationale et des droits de la personne, elle s'efforce d'être présente en Amérique latine et dans les Caraïbes. Ce sont pour nous des régions d'amitiés anciennes, d'affinités culturelles et d'opportunités réciproques. Les idées du Siècle des lumières ne sont-elles pas à l'origine de l'indépendance des Etats latino-américains ? Notre coopération bilatérale s'inscrit également dans un cadre européen. La tenue du sommet Union européenne/Amérique latine en juin prochain en sera un fait marquant. Il faut rappeler que l'Union européenne, ses Etats membres et la Commission, apportent 60% de laide publique au développement de l'Amérique du Sud, loin devant le Japon et, en troisième, les Etats-Unis.
Mais je voudrais surtout insister à titre illustratif sur notre coopération avec la Banque interaméricaine puisque la 40ème assemblée générale de la BID, qui se tiendra pour la première fois en Europe, a lieu à Paris. La France veut en effet consolider son dialogue avec la Banque interaméricaine, dont elle est actionnaire depuis 1997.
Depuis 1996, un protocole d'accord organise la collaboration de fonctionnaires français du ministère de l'Equipement, des Transports et du Logement au sein de la Banque interaméricaine de développement. Tout à l'heure, je procéderai avec le président Iglesias à un échange de lettres permettant à la Banque interaméricaine de recourir à l'expertise française dans le domaine des ressources humaines et de l'activité sociale. Un fonds fiduciaire est instauré, qui est doté, dès l'origine de 2 MF. Son réabondement ultérieur est prévu.

En signant cet accord, nous voulons ainsi répondre aux défis sociaux que j'évoquais précédemment :

  • 1 - Des défis adaptés à la situation diverse des pays du continent :

Pour les pays les plus démunis, comme Haïti, la concertation est constante entre les équipes françaises et celles de la Banque chargées de mettre en oeuvre les projets d'éducation, de santé, de développement rural, ou d'appui institutionnel.
Pour les pays affectés par des catastrophes naturelles, comme en Amérique Centrale, nous sommes prêts à nous engager sur la composante sociale de la reconstruction, qu'il apparaît important de ne pas négliger, au delà de l'effort financier que la France a déjà accompli. Car tout le monde le reconnaît, la reconstruction ne se fera pas à l'identique.

  • 2 - Des défis plus proches du terrain :

Je prends un exemple, celui de la formation des fonctionnaires territoriaux au Mexique. Le Mexique, en effet, est engagé dans un important programme de décentralisation de ses fonctionnaires territoriaux, ce qui implique la mise en place de centres de formation spécialisés de ses fonctionnaires.
Le Mexique a demandé l'appui des bailleurs de fonds institutionnels, dont la Banque interaméricaine, pour assurer la mise en oeuvre de ce programme. Des structures françaises existent qui peuvent apporter leur expérience dans ce type d'action. Nous disposons en France - outre une entité centralisée à Paris rattachée au ministère de l'Intérieur - de quatre centres régionaux de formation à la fonction publique territoriale.
Voici donc un exemple où la conjonction de nos moyens serait utile. Nous menons par ailleurs une politique active d'encouragement de nos collectivités territoriales à initier des projets directement avec les autorités locales d'Amérique latine et des Caraibes, ce que nous appelons la « coopération décentralisée ».

  • 3 - Des défis nouveaux :

Il y a quelques années, il aurait été iconoclaste d'évoquer le thème de la culture et du patrimoine dans une institution financière en charge du développement. La Banque interaméricaine en a fait laxe de réflexion de son assemblée annuelle. Je sais que la Banque mondiale, et particulièrement son président Jim Wolfensohn, en fait maintenant un point d'application privilégié de ses projets. Inaugurer les activités liées à l'assemblée annuelle de la BID, ici à l'UNESCO, constitue d'ailleurs une symbolique forte.
La France a eu le plaisir d'accueillir, il y a moins d'un an, un séminaire organisé avec le concours de la Banque interaméricaine - et avec votre participation Monsieur le Président -, sur la revalorisation du patrimoine urbain dune vingtaine de villes historiques d'Amérique latine. Dès novembre, un deuxième séminaire organisé à Quito a permis de poursuivre la réflexion et l'échange d'expérience. Animé depuis Paris, le groupe de discussion sur Internet est riche des innombrables échanges des spécialistes de votre continent. Je vois là le début dune relation féconde.

Mesdames et Messieurs,
Voici, quelques uns des défis qu'il nous faut relever et les exemples de travail en commun avec les pays que vous représentez, exemples qui doivent ouvrir la voie à d'autres réalisations bénéfiques, pour vos pays mais aussi pour la relation entre nos cultures et nos sociétés.
Je vous souhaite, en vous remerciant de m'avoir convié, des débats enrichissants. Je sais que les grands témoins de de ce siècle qui vous guideront dans vos réflexions au cours de ces deux jours y contribueront.
Je vous remercie.

(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le10 mars 1999)