Texte intégral
R. Sicard.- Bonjour à tous, bonjour C. Lagarde. F. Fillon vous a demandé de lui remettre un rapport, à la fin de la semaine, sur l'affaire de la Société Générale. Est-ce que vous, vous pensez que cette affaire est due à un seul homme, au seul trader, J. Kerviel, ou est-ce que vous pensez, comme l'opposition, que ce n'est pas possible ?
R.- Je n'ai aucune raison, en l'état, de penser que ce soit autre chose qu'un seul trader - c'est ce que la Société Générale a indiqué, c'est ce que le gouverneur de la Banque De France m'a confirmé également, donc, en l'état actuel des choses, aucune raison d'en douter. Mais, le rapport que F. Fillon m'a demandé de lui remettre vendredi, et que je lui remettrai vendredi, répondra à quatre questions. Premièrement, quelle a été exactement la situation, quel a été le déroulé chronologique des faits...
Q.- Alors, est-ce que là-dessus on a avancé, est-ce que l'on a plus d'indications ce matin ?
R.- Vous savez qu'il y a une enquête en cours, qui est menée par la Brigade criminelle. La garde à vue de monsieur Kerviel se terminera à 14h00 ; je sais que l'enquête avance bien et je ne doute pas que l'on ait des éléments d'information à la suite de cette enquête. Indépendamment de cela, la deuxième question à laquelle mon rapport répondra, c'est pourquoi les contrôles n'ont pas marché ? La Société Générale est la deuxième banque française, elle respecte un certain nombre de règles qui sont édictées par la place, pourquoi est-ce que ça n'a pas marché ? Troisièmement, si ça n'a pas marché, de quelle manière devrons-nous améliorer les contrôles... les banques doivent-elles améliorer les contrôles et devons-nous réguler, mieux, ce type d'activité ? Et puis, quatrième question, qui m'importe beaucoup, c'est : est-ce que dans tous les comportements de la Société Générale, notamment lundi, mardi, mercredi, la réglementation bancaire et la réglementation boursière ont été respectées.
Q.- Alors, justement, la Société Générale a vendu, lundi, ce qu'avait acheté son courtier, son trader. Est-ce qu'elle n'a pas vendu au mauvais moment, sachant que lundi c'était le krach boursier ?
R.- Vous savez, la Société Générale s'est rapprochée dimanche du gouverneur de la Banque De France, qui est le président de la Commission bancaire, et du président de l'Autorité des Marchés Financiers, pour vérifier ce qu'il convenait de faire en l'état de la réglementation. S'ils ont dénoué les positions à partir de lundi, c'est certainement qu'il fallait le faire, donc je n'ai pas de raison d'en douter.
Q.- Certains disent : « en vendant beaucoup lundi, la Société Générale est même à l'origine du krach boursier ».
R.- Vous savez, les difficultés boursières ont commencé sur les marchés asiatiques, sur les marchés de Hong-Kong, de Shanghai, de Tokyo ; on observait, dès le matin, heure asiatique, c'est-à-dire 7, 5, 6 heures avant l'ouverture des marchés européens, des descentes de 4,5, 5, 5,5 %, donc, des baisses très importantes, qui n'avaient rien à voir avec les dénouements d'opérations sur les marchés européens, donc ça c'est...
Q.- Donc, là, ce matin, vous pensez que la Générale a bien géré cette affaire ?
R.- Les travaux actuels le diront, l'enquête de la Brigade financière et le travail que j'ai demandé au directeur du Trésor. Aujourd'hui, je n'ai aucune raison de douter que la banque ait fait ce qu'elle devait faire, selon la réglementation. La vraie question que l'on doit se poser, c'est : de quelle manière doit-on faire évoluer la réglementation ou quels contrôles supplémentaires doit-on mettre en place pour éviter que ça se reproduise ?
Q.- Alors, justement, est-ce que vous avez des pistes pour éviter que ça se reproduise ?
R.- Moi, je suis très réaliste... Certes, les contrôles informatiques, les codes d'accès, etc., toutes ces opérations sophistiquées sont très importantes, doivent être respectées. Mais il y a des contrôles de base, que tous les spécialistes de fraudes, notamment dans la Société, connaissent. Par exemple, est-ce que les individus partent en vacances ? Est-ce que les traders sont toujours présents lors des opérations de dénouement ? Et là, je crois qu'il y a des contrôles de base, il faut revenir tout simplement à des choses simples, et se poser des questions simples et les appliquer. Je crois que les contrôles opérationnels...
Q.- Et J. Kerviel ne partait pas beaucoup en vacances ?
R.- Je crois savoir qu'il partait très, très peu en vacances, mais je ne veux pas accabler cet individu...
Q.- Donc, ça, ça devrait être un signal, c'est ça que vous voulez dire.
R.- Bien sûr.
Q.- Le tableau de présence, ça peut aider.
R.- Il faut à la fois utiliser les moyens très simples, que tout le monde comprend, et puis tous les moyens très sophistiqués qu'offre la technologie. Mais il ne faut pas laisser l'un au profit des autres.
Q.- La Société Générale se retrouve en difficultés, en tout cas, est-ce qu'elle risque d'être rachetée, est-ce qu'il peut y avoir une OPA sur la Société Générale ? Est-ce que l'Etat, dans ce cas-là, doit l'aider ?
R.- Compte tenu de la recapitalisation qui est annoncée, qui est garantie - je rappelle que les deux banques en charge de cette opération, ont garanti l'augmentation du capital - la Société Générale n'est pas contrainte de s'adosser à un quelconque autre établissement financier, donc il n'y a pas de... il n'y a pas à se poser la question, aujourd'hui, bien sûr. Mais, je voudrais quand même mettre en garde tous ceux qui lèvent des suspicions, des doutes, des équivoques, qui posent des questions, etc. On est en train de parler du deuxième établissement bancaire français. On est en train de parler...
Q.- Deuxième ou troisième ? Il y a une...
R.- Un des grands établissements bancaires français, de la Place financière de Paris, des autorités de régulation qui sont parfaitement exemplaires dans leur réputation à l'international. Il faut faire très attention et ne pas tirer contre son camp. Il y a des places financières, hors de Paris, hors de France, qui seraient assez satisfaites de voir l'opprobre jetée sur Paris, sur la place financière de Paris et sur les opérateurs français. Donc, attention, il faut s'en tenir à la réalité des faits, à l'instruction qui est en cours, à l'examen des transactions, parce que la vertu de l'informatique, c'est aussi de recueillir les transactions et de garder la mémoire. Donc, on va très bien savoir ce qui s'est passé. Gardons-nous de tirer des conclusions hâtives, et moi je mets en garde contre les allégations, les suspicions et les doutes qui sont pour l'instant totalement infondés.
Q.- La Société Générale fera moins de bénéfices, ça veut dire moins de recettes d'impôts pour l'Etat. Est-ce qu'on a une idée de ce que va perdre l'Etat dans cette affaire ?
R.- On va chiffrer, mais il est évident que dans la mesure où le bénéfice est réduit par les pertes constatées au titre des subprimes d'abord et puis au titre de la fraude, bien sûr le bénéfice est réduit. Je rappelle que la Société Générale va néanmoins faire un bénéfice.
Q.- On parle de 1,6 milliard en moins pour l'Etat.
R.- On va faire les calculs.
Q.- Donc, cette crise est apparue en pleine crise financière. Face à cette crise, la Banque centrale américaine a tout de suite réagi, la Banque centrale européenne, elle, n'a rien fait. Est-ce que la Banque centrale européenne, est-ce que J.-C. Trochet, son patron, il freine la croissance européenne ?
R.- Vous savez, il est tenu par une feuille de route qui lui dit : stabilité des prix, stabilité des prix, stabilité des prix. Très bien. Nous, économies européennes, organes politiques, gouvernements des pays européens, on est soucieux à propos de la croissance et il nous paraît important que dans un forum approprié, on puisse discuter de ces questions-là. C'est très clairement la position qu'a prise le président de la République, consistant à dire...
Q.- J.-C. Trichet, lui, dit que la priorité c'est d'abord l'inflation, seulement l'inflation. Il a tort ?
R.- Oui, mais parce qu'il est tenu par sa feuille de route à lui. Ce que nous, politiques, nous disons, c'est : attention, il faut évidemment s'occuper de la stabilité des prix, mais aujourd'hui il faut aussi arbitrer et se poser la question de savoir de quelle manière on peut soutenir la croissance européenne. Et je crois que ce débat-là on doit l'avoir, dans une instance politique appropriée, et il n'y a pas de sujet tabou, comme l'a dit le président de la République.
Q.- Vous demandez une baisse des taux, en clair, européens ?
R.- Moi, ce que je demande, c'est que l'on prenne en compte et que l'on arbitre entre la nécessaire stabilité des prix et l'impératif de croissance dans lequel sont nos économies, et cet arbitrage-là doit se faire à un niveau politique et avoir sa transcription en temps approprié et dans les organes appropriés, rapidement.
Q.- Mercredi, on connaîtra les chiffres du chômage pour décembre, est-ce que vous avez déjà des indications ?
R.- Je n'ai pas encore les chiffres, mais j'ai des indications de tendances qui sont positives, et je m'en réjouis, parce que c'est vraiment un de mes deux grands objectifs : c'est la diminution du chômage, l'augmentation des créations d'emploi, c'est en ce sens que les orientations me sont données.
Q.- Cet après-midi, N. Sarkozy - ce matin, plutôt - N. Sarkozy reçoit le patron de Mittal. Il y a des suppressions d'emplois qui sont à craindre, ou des suppressions de postes, en tout cas. Est-ce que vous pensez que ça peut être évité, en Lorraine ?
R.- Si ça peut être évité, tous les pouvoirs publics, du sommet de l'Etat jusqu'à mon humble ministère, nous ferons tout ce que nous pourrons pour les éviter. Aujourd'hui, j'observe que ce groupe se comporte convenablement, vous savez qu'il y a des engagements qui avaient été pris, ils ont été tenus en matière de créations d'emplois. Sur ce site de Gandrange, très clairement, on va être extrêmement attentifs et étudier avec la direction du groupe, toutes les solutions possibles. S'il est possible de maintenir l'emploi, y compris en soutenant le groupe par des moyens appropriés, on le fera. Si, économiquement, ça n'est pas possible, eh bien il faudra que nous soyons aussi attentifs à ce que le groupe respecte tous ses engagements, et en particulier celui de reclasser tous les salariés.
Q.- Merci C. Lagarde.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 28 janvier 2008