Interview de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l'emploi, à "RTL" le 5 février 2008, sur l'affaire de la banque Société Générale et sur l'intervention de l'Etat dans l'affaire des suppressions d'emplois de l'entreprise sidérurgique Arcelor Mittal.

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J.-M. Aphatie.- Vous avez remis hier au Premier ministre un rapport non contradictoire qui n'a pas vocation, je vous cite, à évoquer "des culpabilités sur les enseignements à tirer des événements récents intervenus à la Société Générale". Dans ce rapport, C. Lagarde, vous répétez que vous n'avez été informée des problèmes de la Société Générale que le 23 janvier à 8 heures du matin, c'est-à-dire à un moment où la banque avait déjà vendu toutes les positions prises par le trader J. Kerviel ; et vous déplorez de ne pas avoir été prévenue plus tôt par la direction de la Société Générale. Ca aurait changé quoi que vous soyez prévenue plus tôt ?

R.- J'ai déploré que nous n'ayons pas été prévenus plus tôt parce que dans une situation difficile pour un établissement financier de la taille de la Société Générale qui, je le rappelle, est la troisième banque française : 130.000 salariés, plus de 9 millions de clients en France, si la situation n'avait pas été bien gérée, cela aurait pu entraîner des problèmes de place dont il aurait été nécessaire que le ministre de l'Economie et des Finances soit informé. D'autant plus que je me trouvais à ce moment-là, à l'Eurogroup, lundi soir et à l'Ecofin, mardi matin. Est-ce que ça aurait changé la phase des choses ? Rétrospectivement, je ne le crois pas parce que je pense que les opérations décidées par la Société Générale, en accord avec les deux autorités de tutelle - enfin, pas de tutelle mais - les deux régulateurs que sont l'Autorité des marchés financiers et de la Commission bancaire de l'autre qui, l'une et l'autre, ont été informées dimanche soir, ces opérations de débouclage ont été menées, et la décision de lancement d'une augmentation de capital sécurisée a été arrêtée et organisée dans les délais prévus par accord entre la Société Générale, l'Autorité des marchés financiers et la Commission bancaire.

Q.- Donc, la politique n'a pas à se mêler de tout. Et les opérateurs privés, là, ont fait ce qu'ils avaient à faire.

R.- On peut se réjouir que les opérateurs privés aient pris leurs responsabilités, qu'ils l'aient pris avec pour souci l'intérêt général et l'intérêt de la Société Générale, donc de ses salariés, de ses clients, de ses actionnaires. C'est une bonne chose. Je persiste à dire qu'il aurait été approprié que les autorités gouvernementales, dans un cercle très étroit, puissent être informées...

Q.- Avec une garantie de confidentialité ?

R.- Avec une garantie absolue de confidentialité. Et c'est une des propositions que je fais dans mon rapport remis, hier, au Premier ministre, c'est qu'avec l'Autorité des marchés financiers, avec la Commission bancaire, nous définissions le cercle de ceux qui doivent être informés. Ca existe dans toutes les sociétés cotées. Et il faut qu'au niveau de l'Etat aussi, le cercle des trois ou quatre personnes qui doivent être informées de ce genre de situation soit établi, que les délais d'information soient indiqués également pour qu'on sache exactement dans quel cadre nous fonctionnons les uns et les autres.

Q.- La direction de la Société Générale profite d'une disposition du code des impôts pour imputer les pertes qu'elle a constatées au début de cette année, avec l'affaire de J. Kerviel, sur l'exercice comptable 2007, et ceci lui permet d'éviter de payer environ 1,5 milliard d'impôts sur les sociétés. Acceptez-vous cette décision de la Société Générale de procéder ainsi, C. Lagarde ?

R.- D'abord, je ne pense pas que l'arrêté des comptes 2007 soit finalisé et certifié par les commissaires aux comptes, etc. Et je pense que c'est un processus en cours. Deuxièmement, je ne vais pas me prononcer sur une question d'impôts, sur un montant d'impôts, sur un manque à gagner, c'est couvert par le secret fiscal.

Q.- C'est dans tous les journaux...

R.- Je pense qu'aucun Français ne souhaiterait qu'on parle ainsi de sa situation fiscale.

Q.- Mais c'est dans tous les journaux, C. Lagarde...

R.- Il est clair que l'on va examiner, et je pense que les premiers à le faire, ce seront les commissaires aux comptes, pour vérifier si l'imputation des pertes en question doit être effectuée sur l'exercice 2007 ou sur la date à laquelle ont été constatées les pertes. Si vous voulez, ça va être une question de doctrine comptable qu'on va confronter à la doctrine fiscale, ça viendra en son temps.


Q.- Il est même dit, dans Les Echos, ce matin, que vous ne vous satisfaites pas du fait que ces pertes soient imputées à l'exercice 2007.

R.- C'est ce que je vous dis : la doctrine comptable et la doctrine fiscale vont examiner la question de savoir si c'est juste d'imputer sur 2007 ou si c'est juste d'imputer sur 2008, c'est-à-dire la période durant laquelle les pertes ont été exposées et non générées. Elles ont été générées en 2008.

Q.- Votre avis, C. Lagarde, ce matin !

R.- Je ne sais pas encore parce qu'il faut impérativement vérifier la régularité de l'opération. Ca n'est pas un jugement d'opportunité, c'est un jugement de doctrine comptable et de doctrine fiscale. Et il faudra respecter la règle, avec en plus l'opinion, qui m'intéresse, des commissaires aux comptes qui ont été tout de même aussi au coeur de cette affaire puisqu'ils ont pour mission de certifier des comptes en 2006 comme en 2007.

Q.- Il n'y pas que de la doctrine comptable puisqu'au bout du compte, il y a à savoir si la Société Générale acquittera 1,5 milliard d'impôts sur les sociétés ou pas ? Ca n'est pas que de la doctrine comptable, C. Lagarde.

R.- Mais je ne suis pas en train de vous dire qu'au nom de la doctrine, on fera n'importe quoi. Je suis en train de vous dire que nous vivons dans un Etat de droit et que les règles de droit doivent être observées. Il y a un certain nombre de règles en matière d'imputation de pertes, ces règles-là doivent être respectées ; et nous allons examiner de manière très attentive la façon dont la Société Générale établit ses comptes et déclare son résultat.

Q.- Donc, c'est à suivre ?

R.- Ah oui, bien sûr !

Q.- Le président de la République a annoncé, hier, à Gandrange que l'Etat pourrait investir dans le site sidérurgique d'Arcelor Mittal pour éviter les 600 suppressions d'emplois que le groupe prévoit d'y opérer. Quel pourrait être le montant de cet investissement, C. Lagarde ?

R.- Pour l'instant, ça n'a pas été chiffré. Vous savez, cette affaire-là m'enseigne deux choses. D'une part, que nous avons absolument, impérativement le devoir de réformer la formation professionnelle en France. Qu'est-ce qui se passe dans cette affaire-là ? Certes, un site où des investissements supplémentaires auraient pu être effectués, mais surtout un nombre de salariés très important embauchés concomitamment et bénéficiant de très peu de formation professionnelle. C'est une des réformes fondamentales de 2008. C'est une de celles auxquelles moi je vais m'attacher en 2008.

Q.- Mais ça, c'est la responsabilité de l'entreprise !

R.- C'est la responsabilité de l'entreprise, mais c'est la responsabilité des branches, c'est la responsabilité collective. Et c'est le deuxième enseignement que je tire de cette affaire, c'est que de plus en plus, nous nous trouvons dans des situations où l'Etat est le partenaire. Regardez le crédit Impôt recherche. On participe à l'effort de Recherche des entreprises. Chaque fois, qu'elles investissent 100, aujourd'hui l'Etat rembourse sous forme de crédits d'impôts 30. De la même manière, en formation professionnelle, l'Etat participe également aux dépenses de formation professionnelle dans des conditions non négligeables. Et cette histoire de Gandrange, c'est clairement la démonstration par le Président de la République que nous nous intéressons à la politique industrielle et que chaque fois qu'il est possible de sauver des emplois dans des conditions économiques intelligentes, il faut le faire.

Q.- Et le groupe Arcelor Mittal, comment l'expliquer aux citoyens, gagne plusieurs milliards d'euros en 2007 ? Et c'est l'Etat qui va investir pour récupérer le site.

R.- Le Président de la République n'a pas dit qu'il allait donner un chèque en blanc, à Lakshmi Mittal. Ce qu'il a dit, c'est que nous étions à la recherche de repreneurs pour l'activité menacée et que nous allions avec les organisations syndicales, examiner les scénarios possibles. J'observe au passage que le Président a déjà obtenu de la part de Lakshmi Mittal un délai supplémentaire de deux mois pour examiner les différents scénarios.

Q.- Mais ce ne serait pas à lui à investir dans le site plutôt qu'à l'Etat ?

R.- On ne peut pas forcer un industriel à investir.

Q.- Mais on lui supplée en investissant à sa place !

R.- Non, non. Non, non, non. On n'investit pas à sa place. Ce n'est pas ce qu'a dit le président de la République. Le président de la République a dit qu'il souhaitait d'abord que la France conserve son industrie, que nous avions une politique industrielle et que plutôt que de verser des indemnités de chômage, il souhaitait contribuer au développement d'une activité. Il n'a pas dit qu'il allait subventionner Mittal.

Q.- On a appris, hier, qu'à votre demande J. Kerviel était protégé nuit et jour par la police, pourquoi ?

R.- Vous savez, les décisions de protection ne sont pas prises au ministère de l'Economie, des Finances et de l'Emploi, donc ça n'est pas...

Q.- AFP : "La demande de protection policière a été faite par le ministère de l'Economie et des Finances".

R.- Nous sommes en contact inter-ministériel avec le ministère de l'Intérieur qui a, lui, la qualité pour agir. Ce garçon fait l'objet - c'est naturel - de pressions à la fois des médias et de toute une série de gens qui veulent obtenir ses confidences, il est naturel qu'il soit protégé.

Q.- C. Lagarde, ministre de l'Economie, était l'invitée d'RTL, ce matin. Bonne journée.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 5 février 2008