Tribune de M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, dans "Défense nationale et sécurité collective" de février 2008, sur l'avenir de la politique européenne de défense et de sécurité, intitulée "Les nouveaux défis de la politique européenne de sécurité et de défense".

Prononcé le 1er février 2008

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Média : Défense nationale

Texte intégral


Plus qu'une priorité, le développement de la PESD sera l'un des défis de la Présidence française du Conseil de l'Union européenne.
Le président de la République l'a rappelé lors de ses voeux aux Parlementaires en posant très concrètement les données de la situation :
"Nous nous battrons pour obtenir une politique commune de la défense. Cette question est une question essentielle. A quoi sert-il de construire un espace de paix parmi les plus riches du monde si nous ne nous posons pas la question : comment se défend-on ? Comment assurons-nous notre sécurité ? Comment se donne-t-on les moyens de résoudre des crises européennes ? Le Kosovo, c'est bien l'affaire des Européens, davantage que celle des Américains, mais si l'Europe n'a pas de système de défense et de système de projection, comment l'Europe gère-t-elle ses crises ? C'est une affaire absolument essentielle".
Ce défi d'une Politique européenne de Sécurité et de Défense plus efficace, disposant de davantage de capacités et d'une meilleure réactivité, la France l'a déjà relevé en accordant la priorité au lancement d'une mission PESD au Kosovo et en prenant l'initiative de l'opération EUFOR Tchad/RCA pour répondre à la crise humanitaire provoquée par le conflit du Darfour.
Le développement de la PESD n'est pas l'objectif de la France seule. Il s'agit d'un projet au service de l'Union européenne dans son ensemble. Son succès dépend du sens de compromis de chacun mais également de l'ambition commune que les Etats membres sont prêts à poursuivre.
Cette ambition existe. Elle s'exprime dans la signature du Traité de Lisbonne, qui doit maintenant être ratifié par l'ensemble des Etats membres.
Sans attendre son entrée en vigueur - au 1er janvier 2009, nous l'espérons - la Présidence française devra contribuer à donner un contenu concret au cadre institutionnel de l'Union, enfin rénové par ce Traité, et poser les bases des grandes politiques européennes, au premier rang desquelles la PESD. C'est ainsi qu'en célébrant le dixième anniversaire de la déclaration de Saint-Malo, nous pourrons être fiers du chemin parcouru.
TRAITE DE LISBONNE ET PESD
Traduire la dynamique du Traité de Lisbonne dans la politique étrangère et de défense de l'Union européenne, telle est notre ambition
La dynamique du Traité :
Après avoir surmonté les blocages institutionnels, l'Union peut maintenant aller de l'avant. Le Traité de Lisbonne est avant tout un accord qui permet un fonctionnement plus efficace et plus démocratique des institutions. Celles-ci sont adaptées à une Union désormais élargie.
Pour la première fois, un accord institutionnel rassemble 27 Etats membres : on ne pourra plus parler d'anciens et de nouveaux Etats membres. Ce traité est l'oeuvre commune de tous.
Les innovations du Traité sont particulièrement significatives dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité :
- le nouveau Haut représentant pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, qui portera également le titre de vice-président de la Commission, assurera davantage de coordination et d'efficacité entre des services aujourd'hui éclatés entre la Commission et le Secrétariat général du Conseil ;
- à l'étranger, le Service européen d'action extérieure permettra à l'Union européenne d'agir de manière cohérente avec l'ensemble des instruments dont elle dispose ;
- le traité contient enfin des innovations institutionnelles dans le domaine de la PESD. Il permet aux Etats désireux de s'engager dans le développement de leurs capacités, de former une "coopération structurée permanente", en complément aux coopérations renforcées traditionnelles.
L'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne donnera ainsi à l'Union des instruments nouveaux, qui ouvrent la voie à une politique étrangère et de défense plus réactive et plus cohérente. Si nous regardons les spectaculaires progrès accomplis depuis le traité de Maastricht - le premier à avoir affiché l'objectif d'une politique étrangère commune - nous avons toutes les raisons d'être optimistes.
Donner un nouvel essor à la PESD
La PESD est l'un des principaux succès de ces dix dernières années. Elle a connu des progrès particulièrement importants : depuis la déclaration de Saint-Malo, l'Union européenne a conduit une quinzaine d'opérations au titre de la PESD dont quatre à caractère militaire- sur l'ensemble des continents.
La PESD, ce sont des structures mises en place progressivement depuis 1999, des moyens militaires et civils constitués sur la base d'objectifs capacitaires et, enfin, des opérations conduites sur le terrain.
La PESD a atteint un stade de maturité qui dépasse la phase des débats institutionnels. Aujourd'hui, les défis tiennent à la mise en oeuvre des instruments disponibles et à la conduite d'opérations de plus en plus complexes, compte tenu des attentes qui existent dans le monde envers l'Union européenne.
Pour aller plus loin, nous devons tirer les leçons des premières opérations conduites :
- les relations entre l'Union européenne et l'OTAN ont été bonnes : deux des quatre opérations militaires PESD ont été conduites avec des moyens de l'OTAN, en Bosnie-Herzégovine et en ARYM, sur la base du mécanisme dit de "Berlin plus". Il n'y a donc pas concurrence mais complémentarité entre Union européenne et OTAN.
A cet égard, la France a fait des propositions pour renforcer la transparence et la coopération entre l'Union européenne et l'OTAN. Celles-ci prévoient une présentation systématique du programme et du bilan de la présidence de l'Union européenne au Conseil de l'Atlantique Nord et dans les différents comités de l'OTAN, avec la participation du ministre des Affaires européennes du pays exerçant la présidence à une réunion informelle avec le Conseil atlantique. Elles mettent également l'accent sur une pratique plus fréquente d'invitations croisées du Secrétaire général de l'OTAN au Comité politique et de sécurité de l'Union et du Haut Représentant pour la PESC au Conseil atlantique, au-delà des seules réunions ministérielles, pour présenter des domaines d'actions pertinents. Enfin, elles soulignent l'importance de la mise en place d'une procédure prédéfinie d'échanges d'information en cas de crise.
- le système alternatif au recours aux moyens de l'OTAN, c'est-à-dire le recours à une "nation-cadre" s'est également avéré bénéfique : il en est ainsi allé de la participation de l'Allemagne à l'Opération EUFOR Congo en 2006 et actuellement de l'opération EUFOR Tchad/RCA conduite par un général irlandais.
Ce système a cependant montré ses limites dues aux contraintes internes, notamment budgétaires, de chaque Etat "nation-cadre". Nous devons donc aller plus loin. L'Union européenne devra notamment disposer d'un centre de planification et de conduite d'opérations permanent à Bruxelles.
Enfin, la PESD est un domaine où les opinions publiques sont demandeuses. Les enquêtes d'opinion le montrent régulièrement. Les attentes envers l'Union européennes sont fortes : l'ONU fait de plus en plus appel à l'Union, de même que l'OTAN, comme le montre la relève de la SFOR en Bosnie-Herzégovine.
L'Union européenne dispose donc d'une forte légitimité pour intervenir et développer la PESD.
Plusieurs pistes sont envisageables pour renforcer la PESD.
- D'abord, il faut agir sur les capacités. Les Européens doivent faire plus d'efforts. La France pour sa part a confirmé le maintien de son effort de défense. Nous fondons beaucoup d'espoir sur les groupements tactiques (GT 1500), les "battle-groups". Ils permettront à l'Europe d'assumer ses responsabilités et de garantir sa sécurité.
- Ensuite, l'Agence européenne de défense constitue une autre voie dans le domaine de l'armement. Nous veillerons à renforcer l'Agence et à faire en sorte qu'elle investisse davantage. Nous soutiendrons également les "plans de développement des capacités" ainsi que ses programmes en matière de recherche et développement. C'est là la base d'une coopération fondamentale entre les Etats membres.
- Enfin, nous devons actualiser, avec nos partenaires et le Haut-Représentant pour la PESC, la Stratégie européenne de sécurité, dont le principe a été approuvé par le dernier Conseil européen : ce sera l'occasion de définir, pour la première fois à vingt-sept, nos intérêts communs, d'évaluer les nouvelles menaces qui pèsent sur l'Europe et d'identifier les moyens pour y répondre.
REPONDRE AUX NOUVEAUX DEFIS.
Concevoir une politique étrangère globale
L'influence de l'Union européenne dans le monde s'exerce par de nombreux canaux. La force de l'Union européenne, c'est sa polyvalence : les politiques communes, de plus en plus nombreuses, comportent le plus souvent un volet externe qui contribue à l'influence de l'Union européenne dans le monde.
Il en va ainsi de la politique commerciale qui permet à l'Union de parler d'une seule voix face aux autres grandes puissances économiques. Dans un autre domaine, l'énergie et la lutte contre le changement climatique sont des enjeux fondamentaux dans lesquels l'Union veut jouer un rôle exemplaire, en affichant des objectifs ambitieux, pour mieux peser sur l'élaboration des normes internationales. Enfin, l'immigration et le développement constituent autant de domaines où l'influence des politiques européennes dépasse largement le seul cadre des frontières de l'Union.
Naturellement, l'état d'avancement de chacune de ces politiques est inégal mais la tendance est positive. Nous souhaitons l'accompagner dans le sens d'une plus grande cohérence. Ainsi, l'Union européenne pourra recueillir tous les bénéfices de ses atouts. L'Union européenne est la seule organisation capable de mobiliser autant d'instruments. Dans cette palette d'instruments, la PESD et la capacité de gestion de crises constituent naturellement un élément central qui assure à l'Union toute sa crédibilité.
Légitimité européenne
Avec vingt-sept Etats membres, l'Europe reste plus que jamais le niveau pertinent d'intervention :
Regardons la réalité en face. Décider et agir à vingt-sept est bien sûr plus compliqué. Il faut l'accepter : 27 Etats, avec des histoires et des géographies différentes ne peuvent pas réagir dans l'instant, comme un seul centre de décision, lorsque survient une crise.
Toutefois, le chaos annoncé avant les derniers élargissements ne s'est pas produit : à vingt-sept autour de la table du Conseil, tout le monde ne prend pas la parole. Seuls interviennent désormais ceux qui ont vraiment une position à exprimer. Les débats sont davantage orientés vers la prise de décision.
Avec le Traité de Lisbonne, les difficultés institutionnelles qui pouvaient subsister quant aux règles de vote, par exemple, seront dépassées. Je ne vois d'ailleurs aucun sujet d'importance sur lesquels les récents élargissements auraient provoqué un blocage de la décision.
De nouveaux élargissements sont donc tout à fait compatibles avec le renforcement de l'action extérieure de l'Union. Celle-ci ne peut qu'en bénéficier. Ce processus devra naturellement être maîtrisé et prendre en compte la capacité d'absorption de l'Union européenne. Alors que le débat s'est cristallisé sur la Turquie, dont la question de l'éventuelle adhésion ne se posera pas avant de longues années, le prochain horizon de l'Union européenne se situe dans les Balkans où la seule garantie de stabilisation réside dans la perspective européenne. Celle-ci avait été affirmée pour la première fois sous la précédente Présidence française de l'Union européenne, lors du Sommet de Zagreb. La clé de la résolution de la question du Kosovo, au-delà de la celle de l'indépendance, réside dans cette perspective européenne.
Il est encore plus difficile, dans le monde actuel, de réagir seul face aux nouveaux enjeux, voir aux nouvelles menaces : trafic de matières fissiles, nouvelle criminalité organisée, grandes crises sanitaires ou puissance financière des fonds souverains.
Il semble bien que l'Europe a réussi à devenir un acteur global. Elle est de plus en plus sollicitée, donc mieux écoutée et davantage respectée. Elle peut, bien-sûr, être une cible. Mais l'Union, en tant que telle, n'est pas considérée comme une menace, à la différence d'autres de nos grands partenaires. C'est là un atout considérable par rapport aux autres puissances qu'il nous faut savoir préserver et utiliser, avec la volonté réelle de devenir un acteur de la future gouvernance mondiale. Etre global et pacifique, voilà la clé de notre influence future dans la gouvernance mondiale.
Parallèlement à cet objectif, il en est un autre, complémentaire et tout aussi essentiel : protéger nos citoyens et promouvoir nos intérêts. C'est pourquoi le renforcement de notre politique de sécurité et de défense reste impératif.
Sur chacun de ces volets, la France a une responsabilité particulière, qui sera plus forte encore durant sa Présidence du Conseil de l'Union européenne.
L'avenir de la PESD
Nous devons à ce tournant de la construction européenne réfléchir à plusieurs questions.
Quelles sont nos responsabilités au niveau national ? Où et comment l'Union européenne doit-elle agir ?
Le rôle des forces armées ne se limite plus depuis longtemps à la seule défense du territoire national, mais bien à la défense de nos intérêts où qu'ils se situent. Cela suppose des interventions de plus en plus variées dans leur nature et sans doute de plus en plus souvent dans un cadre multilatéral et notamment européen.
Quelles conséquences sur l'évolution des missions ?
Les conflits récents le montrent : l'adversaire est de moins en moins souvent une armée d'un Etat ennemi, mais une menace diffuse : guérilla, groupes terroristes... Les missions ne consistent plus à affronter un ennemi identifié mais à maintenir la paix, sécuriser une population, suppléer localement à des forces de sécurité défaillantes, encadrer un processus électoral, autant de défis pour lesquels on fait de plus en plus souvent appel à l'Union européenne.
En conclusion, il me semble que l'Europe doit rester ouverte et dynamique, apte en même temps à défendre ses intérêts et à protéger ses citoyens dans la mondialisation, en pesant sur son évolution.
L'Europe doit être elle-même et être toujours en mouvement pour peser sur le cours du monde. Telle est sa véritable vocation, pour être utile à un monde en quête de repères et de stabilité.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 février 2008