Interview de M. Xavier Darcos, ministre de l'éducation nationale, à RTL le 18 février 2008, sur le parrainage d'enfants juifs morts pendant la deuxième guerre mondiale par des élèves de CM2.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral


 
 
J.-M. Aphatie.- Soyons pratique, ce matin j ce parrainage des enfants Juifs morts pendant la Deuxième Guerre mondiale, entrera-t-il en vigueur dès la rentrée de septembre 2008 ?
 
R.- Dès la rentrée prochaine, nous allons proposer une démarche pédagogique pour répondre à l'intuition du président de la République.
 
Q.- C'est une intuition ?!
 
R.- Ce qui me frappe dans cette affaire, c'est que l'objectif de la démarche semble devoir primer sur les modalités de la mise en oeuvre. C'est à nous maintenant de voir comment les choses doivent se faire.
 
Q.- Et vous aurez le temps, entre février et septembre, de tout mettre en place : les 11.000 enfants morts pendant la guerre et qui ont l'âge des enfants du CM2, aujourd'hui, ils seront attribués dans chaque classe française ?
 
R.- Il ne faut pas le présenter ainsi. Nous avons une réunion mercredi matin, je réunis un certain nombre de responsables du monde de la mémoire et des éducateurs pour que nous regardions, ensemble, comment les choses se passent. Il s'agit que soient honorés, célébrés, rappelés les enfants juifs morts pendant la guerre. Est-ce qu'il faut que ce soit un par un et pour chaque élève ? On peut trouver peut-être d'autres solutions : travailler par groupe, par classe, se fonder sur d'autres démarches pédagogiques. C'est à nous maintenant de construire les choses maintenant que le Président de la République qui a montré la voie.
 
Q.- Vous ne reculerez pas, en tout cas ?
 
R.- Je ne recule pas. D'ailleurs, j'observe que ce qui est critiqué, je viens de l'entendre même de la bouche de monsieur Duhamel, ce qui est critiqué c'est la complexité de l'idée d'une adoption d'un enfant par un enfant, mais personne ne critique le principe qu'il faille évidemment connaître la Shoah, travailler sur ces questions. Je rappelle d'ailleurs ce que personne ne dit, que la question de la Shoah est déjà au programme de CM2, que beaucoup d'élèves font des voyages à Auschwitz, qu'à Paris, par exemple, depuis 2001, très régulièrement, le recensement d'enfants juifs déportés, exécutés, se fait pour qu'on puisse mettre des plaques souvenir dans des écoles primaires. Et je n'ai entendu personne qui trouve que ce soit traumatisant, même pas les psychologues qui ont été sortis, pour l'occasion, dans cette affaire.
 
Q.- S. Veil critique l'individualisation de la présentation de la Shoah. Elle a même dit, puisqu'elle était témoin du discours devant le CRIF du président de la République, "à la minute, mon sang s'est glacé"... Et S. Veil, elle, sait ce qu'est Auschwitz.
 
R.- Oui, c'est exact. Mais voilà bien pourquoi il faut que nous travaillions, je le répète, sur le projet qui a été présenté par le Président. J'ai d'ailleurs eu S. Veil au téléphone plusieurs fois depuis le dîner du CRIF. Nous allons faire en sorte que ce qui est proposé soit recevable, soit pédagogique et évidemment, ne soit pas traumatisant. Je le répète, c'est à nous, éducateurs, maintenant, de voir comment les choses doivent se faire et j'associerai S. Veil, évidemment, à cette préparation.
 
Q.- Elle l'accepte ?
 
R.- Je crois, oui. Nous en avons parlé très longuement. J'ai vu à peu près tout le monde dès le lendemain du repas du CRIF pour sentir un peu la manière dont les uns et les autres réagissaient. Je le répète, nous allons faire en sorte que des enfants puissent avoir un projet pédagogique autour de cela. Nous allons faire bouger un petit peu les choses, faire en sorte que ce soit la classe plutôt qu'un enfant qui adopte un enfant. Je suis certain que d'ici quelques semaines, nous aurons trouvé une situation qui est satisfaisante pour tout le monde. D'ailleurs, moi je trouve...
 
Q.- Vous avez parlé avec S. Veil après qu'elle a eu les propos très violents qu'elle a pu tenir ?
 
R.- Oui, je l'ai eue au téléphone.
 
Q.- Et donc, elle accepte de s'associer à l'organisation de ce travail de mémoire ?
 
R.- Nous allons en parler ensemble. Elle ne s'associera pas forcément dans la première partie mais je prendrai son conseil, je prendrai son avis sur la manière de faire évoluer les choses. Vous savez, ce qui m'inquiète, moi, ce n'est pas le fait que les enfants puissent être traumatisés, bien sûr qu'il faut y être très, très vigilants, et que nous ferons tout pour qu'il n'en soit rien. Enfin, je rappelle qu'aujourd'hui, selon un sondage que nous avions fait au lycée, un élève sur deux ne sait pas ce que c'est que la Shoah. Alors, peut-être que pour l'instant, les choses se présentent de manière un peu confuses voire maladroites. Mais je préfère qu'elles se passent de manière à organiser plutôt que de manière criminelle car pour moi, il est criminel que des adolescents ignorent ce que c'est que la Shoah.
 
Q.- Vous convenez qu'il y a des choses maladroites dans la présentation de ce projet ?
 
R.- Je répète : le Président a donné un cap, il a fixé une ligne générale que je trouve honorable...
 
Q.-... Avec un peu de maladresse ?
 
R.- Je n'ai pas dit ça. J'ai dit que le Président a fixé un cap, il a indiqué une directive qui est tout à fait dans sa mission. C'est à moi, ministre de l'Education nationale, de transformer cette intuition en démarche pédagogique.
 
Q.- Vous avez employé deux fois le mot d'"intuition", concernant le président de la République...
 
R.- C'est une direction, il est dans son rôle de rappeler ce que sont les valeurs de la République, de rappeler ce que nous avons à faire, et puis ensuite, ce sont aux éducateurs, aux personnalités que j'ai sollicitées autour de moi, en particulier la présidente de la Maison d'Yzieu, de m'aider à construire ce qui pourrait se faire dans les classes.
 
Q.- On n'a pas encore entendu sur le sujet le Premier ministre, F. Fillon. Il est d'accord avec vous, bien sûr ?
 
R.- Je l'imagine. Je n'ai pas eu l'occasion d'en parler avec lui.
 
Q.- C'est une nouvelle ?
 
R.- Comment ?
 
Q.- C'est une nouvelle que vous n'avez pas eu l'occasion d'en parler avec lui ?
 
R.- Le président de la République et le Premier ministre en ont peut-être parlé entre eux mais pour ma part, je n'ai pas eu une discussion les yeux dans les yeux avec le Premier ministre, tout simplement parce que le Premier ministre fait confiance à ses ministres et qu'il se doute bien que le ministre de l'Education nationale va faire en sorte que tout ceci se passe dans un cadre pédagogique.
 
Q.- L'hebdomadaire Marianne publie cette semaine "un appel à la vigilance républicaine" qui dénonce "la monarchie élective" vers laquelle dériverait, selon lui, N. Sarkozy. Dix-sept personnalités ont signé cet appel et parmi ces personnalités F. Bayrou, le président du MoDem. Et pourquoi citer ici F. Bayrou ? Parce que vous êtes allié au MoDem pour les élections municipales à Périgueux, où vous êtes maire sortant, et lors de la présentation de votre liste, vous avez dit : "F. Bayrou et moi, sommes de très bons amis". Comment expliquez-vous que votre très bon ami signe cet appel ?
 
R.- Cette affaire des trois petits cochons qui sont 17, et qui se mettent à crier "au loup !"
 
Q.-... F. Bayrou est un petit cochon ?
 
R.- Cette affaire de ces gens qui se mettent à crier "au loup" lorsque c'est inutile, ça me paraît à la fois un petit peu déplorable, et surtout très dangereux parce que le jour où il faudra vraiment crier "au loup", plus personne ne les écoutera. Alors que F. Bayrou ou que...
 
Q.- Non, F. Bayrou, moi, c'est F. Bayrou qui m'intéresse, ce matin !
 
R.- Oui, mais que F. Bayrou et les socialistes qui, par ailleurs, font une campagne contre le président de la République ou se démarquent de lui, poussent, comme ça, un peu la chansonnette anti-Sarkozy, je sais que ça fait partie du jeu. Je suis un peu plus surpris quand je vois, par exemple, D. de Villepin dont on connaît les méthodes et qui a lui-même à répondre à beaucoup d'affaires, qui subitement se met à donner des leçons de moral et d'éthique. Tout ça me paraît assez impudent. Et ces brevetés du Bien et du Mal, il ferait bien de faire attention parce que, je le répète, le jour où vraiment la démocratie sera en danger, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, eh bien plus personne ne les écoutera.
 
Q.- Donc, ça c'est pour D.de Villepin. Vous êtes toujours un très bon ami de F. Bayrou ?
 
R.- F. Bayrou et moi, nous nous connaissons depuis une trentaine d'années. Nous avons des divergences politiques. Je trouve, en particulier, que la manière dont il parle du président de la République, n'est pas juste et me paraît tout à fait excessive.
 
Q.- Mais vous êtes toujours amis ?
 
R.- Mais par ailleurs, on se connaît. Les gens du Sud-Ouest...
 
Q.- Ah, le mot ne vient plus !
 
R.- Comment ?
 
Q.- Le mot ne vient plus, vous n'êtes plus amis !
 
R.- La question ne se pose pas ainsi. Ne cherchez pas à me mettre en difficulté entre des relations privées qu'on peut avoir avec des gens qui ne pensent pas exactement comme vous, et cette question très sérieuse, qui est de vouloir faire croire que celui qui a fait reculer le Front national, celui qui a été élu, il y a huit mois, par 53 % des Français, après une campagne très forte, est aujourd'hui un danger pour la démocratie ; tout ceci est faux. R.- Ce jeu qui consiste à dire pire que l'autre, et à transformer les arguments en haine et en invectives. Ce jeu-là est un jeu très dangereux. Et comme éducateur, comme ministre et comme citoyen, je le dénonce.
 
Q.- X. Darcos qui était invité depuis Périgueux et qui confirme, ce matin, sur RTL, que le parrainage des enfants juifs morts pendant la Guerre, sera effectif dès la rentrée prochaine.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 18 février 2008