Déclaration de M. Luc Guyau, président de la FNSEA, sur les perspectives des organisations professionnelles coopératives dans le contexte de mondialisation, Paris le 7 décembre 2000.

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Circonstance : Assemblée générale de la CFCA à Paris le 7 décembre 2000

Texte intégral

Cher Président de la CFCA,
Mesdames, Messieurs les Présidents et Directeurs,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
Vous avez choisi cette année de travailler sur les perspectives des organisations professionnelles coopératives, dans un contexte de mondialisation.
Globalisation financière, circulation instantanée de l'information, interpénétration croissante des économies, mise en concurrence des produits, des entreprises et peut-être demain des systèmes sociaux, éducatifs...ce sont quelques-uns uns des visages de ce qu'on désigne actuellement par la " mondialisation ".
Je ne m'attarderai pas sur ces différents aspects dont vous connaissez les répercussions dans vos coopératives.
Et, depuis que l'agriculture est partie prenante des négociations commerciales multilatérales, à partir de l'Uruguay Round, la mondialisation fait sentir ses effets jusque dans les exploitations - et pas seulement pour les exportateurs. Les producteurs d'oléagineux touchés par les accords de Blair House en savent quelque chose.
Comme tout changement, ce nouveau contexte est déstabilisant. Il recèle aussi ses contradictions. D'un côté, des logiques de standardisation, de course à la baisse des prix. De l'autre, des exigences de plus en plus qualitatives : produits de qualité, agriculture multifonctionnelle, développement durable.
Quelle attitude devons-nous avoir pour en tirer parti ?
Je me suis toujours refusé à deux attitudes extrêmes :
- la première qui consisterait à s'en remettre complètement au libre jeu du marché, à la compétition à tout crin. Ce serait accepter la banalisation de l'agriculture, les logiques de concentration et de désertification des territoires, au détriment de l'équilibre des hommes des produits et des territoires. Et subir de plein fouet les à-coups du marché.
- la seconde, qui défendrait un repli sur soi protectionniste, en diabolisant la mondialisation, me paraît à la fois irréaliste, irresponsable et tournée vers le passé.
La coexistence de ces deux réponses entraînerait d'ailleurs une agriculture duale que je refuse également, opposant une agriculture compétitive et tournée vers le grand large des marchés mondiaux, et une autre, axée sur les marchés locaux et le développement des territoires.
C'est pourquoi je défends une voie médiane, qui consiste à tirer parti de l'ouverture, en l'organisant, pour une mondialisation mieux maîtrisée, reposant sur une régulation des échanges.
A la lecture de votre rapport, je me réjouis de constater que nous partageons la même approche de la régulation. Et je souscris pleinement à vos propos, lorsque vous écrivez que les pouvoirs publics ne peuvent se contenter de gérer les conséquences sociales de la mondialisation en se dégageant de l'action économique, mais qu'ils doivent sans se substituer aux opérateurs, fixer et faire respecter les règles du jeu, maintenir des outils simples et notamment des filets de sécurité efficaces.
Dans ce contexte, quelle doit être la conduite des producteurs et de leurs entreprises ? Je la déclinerai en trois points :
- Etre compétitifs sur des marchés régulés
- Etre organisés dans nos filières
- Répondre à la demande des consommateurs et de la société
1 - Etre compétitifs sur des marchés régulés
La compétitivité est liée au prix, mais aussi à la qualité et à l'adéquation de l'offre à une demande de plus en plus segmentée. Nos entreprises ont des atouts à faire valoir sur les produits bruts et transformés, comme le démontre la position exportatrice de la France. Nous devons continuer à jouer notre rôle dans l'équilibre alimentaire mondial.
Mais cela doit se faire sur la base d'échanges organisés avec des règles équitables et respectées.
C'est tout l'enjeu des négociations de l'OMC : fixer des règles et non déréguler à tout va. Le cadre négocié doit être compatible avec la reconnaissance de la diversité des modèles agricoles et doit impliquer pour nous européens, la prise en compte de la multifonctionnalité de notre agriculture.
Dans les négociations agricoles actuelles, il importe de valoriser les efforts consentis par l'Union Européenne avec l'Agenda 2000, alors que certains partenaires comme les USA, ont au contraire rajouté années après années depuis le Fair Act, des soutiens dits exceptionnels.
Les Européens devraient se retrouver dans une meilleure position que lors du dernier Round. Loin d'être sur la défensive, ils doivent utiliser les marges de négociations offertes par les accords de Berlin, mais refuser des concessions supplémentaires et un cadre de négociation inéquitable (élimination de la boîte bleue, non prise en compte de toutes les formes de soutiens..)
Les négociations entreront davantage dans le vif du sujet, lorsque les USA auront un nouveau Président. Cela finira bien par se faire et il faudra à ce moment être particulièrement vigilant. La volonté de lancer un nouveau Round, manifestée par Pascal Lamy, ne doit pas conduire à accepter l'inacceptable. A Seattle, la délégation professionnelle agricole avait déjà dit non à un compromis impossible
En dehors de l'OMC, une vigilance particulière s'impose face aux évolutions du contexte européen et de la PAC.
A la suite des accords de Berlin et dans la mise en place de l'Agenda 2000, la Commission a tenté à plusieurs reprises de durcir le compromis. Ceci tant sur le budget, que sur les OCM.
Les attaques n'ont pas manqué : volonté d'utiliser les dépenses agricoles négatives, pour financer d'autres politiques, durcissement des critères d'intervention sur les céréales, règlement d'application restrictif sur la viticulture, remise en cause des quotas sur le sucre, de l'intervention sur le riz...
Face à ces attaques, nous en avons appelé au plus haut niveau de la Présidence française de l'Union, afin de réaffirmer qu'il ne saurait être question de revenir sur les engagements pris par les Chefs d'Etats et de Gouvernement à Berlin.
Pour autant, alors que s'ouvre le Sommet de Nice, le bilan agricole de cette Présidence Française est particulièrement mince. La récolte est décevante sur les OCM, malgré des avancées sur les fruits et légumes. L'incertitude demeure sur le sucre, et les OCM ovin, porc, ou encore la banane qui n'a pas été réformée.
Surtout, cette Présidence n'a pas su convaincre et imprimer un nouveau souffle à l'Europe agricole. Elle a été en grande partie sur la défensive.
Par ailleurs, la crise de l'ESB a mis en évidence les failles tragiques du manque d'harmonisation européenne sur le plan sanitaire. Nous avions su construire l'Europe du marché commun, mais pas celle de la sécurité alimentaire. Alors que les deux auraient toujours dû aller de pair.
Le dernier Conseil Agricole permet néanmoins de progresser sur cette harmonisation des précautions sanitaires : il faut souhaiter que cela rétablisse la confiance du consommateur. Mais de nombreuses incertitudes demeurent sur la mise en uvre des tests et du plan de retrait, l'indemnisation des éleveurs, la compensation des pertes, l'intervention publique.
La Présidence française devait aussi préparer deux grands défis internes de l'Union : l'élargissement et la réforme des institutions. Nous en saurons plus après le week-end du Sommet de Nice.
Elargie, l'Europe agricole des quinze ne doit pas en sortir affaiblie. D'où la nécessité de réussir un nouveau contrat institutionnel entre les Etats membres, pour une Europe qui oriente, décide, gère et fonctionne. Bref, une Europe qui avance en évitant l'enlisement et la paralysie. Le budget agricole n'a pas vocation à être un trésor de guerre qui compenserait le manque de moyens pour l'élargissement.
2 - Etre organisés dans nos filières
A l'organisation des marchés doit s'ajouter l'organisation des producteurs au sein de la filière.
Permettre à chaque acteur de la filière de vivre de son métier et assurer une répartition équitable de la valeur ajoutée, est primordial. Il faut là aussi une régulation, c'est à dire une intervention de l'Etat pour fixer des règles du jeu équilibrées et les faire respecter.
C'est tout le sens de l'action engagée par la FNSEA avec la CFCA et ses partenaires du CAF, dont je me réjouis qu'elle aboutisse, après les Assises du commerce et de la distribution, à la future loi sur les régulations économiques.
Nous en attendons, non pas une mise en camisole de force de la grande distribution, mais la sanction des abus commerciaux et la mise en uvre de règles durables, équitables, respectées dans la durée, sur la base desquelles nous pourrons construire des partenariats équilibrés.
Si l'Etat doit fixer ces règles, nous devons aussi de notre côté nous organiser.
Les outils économiques et la coopération ont à ce titre un rôle indispensable à jouer. La coopération est le pilier du pouvoir économique des producteurs. C'est un outil d'organisation collective irremplaçable et de plus en plus précieux face à nos partenaires d'amont et d'aval.
3 - Répondre à la demande des consommateurs et de la société
Les consommateurs veulent des garanties croissantes de qualité et de sécurité des produits.
Nous devons nous efforcer de répondre à cette demande et cela demande l'engagement de tous les acteurs de la filière. Qu'il s'agisse de politiques de qualité ou par ailleurs, de la sécurité alimentaire dont nous sommes tous coresponsables.
Mais il nous faut, en retour, expliquer que la qualité a un coût, qui doit se retrouver dans les prix des produits.
Expliquer également que le principe de précaution ne doit pas conduire, et je rejoins votre analyse sur ce point, à la recherche impossible du risque zéro.
Défendre enfin, la responsabilité de la collectivité quant aux répercussions des mesures de précaution qui sont engagées. Les éleveurs et les entreprises de la filière victimes de l'ESB sont en droit de rappeler qu'au principe de précaution, doit répondre un principe de réparation.
Je reste néanmoins persuadé que nous saurons construire avec les consommateurs un nouveau contrat de confiance, car je connais les efforts remarquables que la production et l'aval ont réalisés sur la traçabilité, l'identification, la qualité. Tout ceci doit nous aider à relever la tête et à montrer la véritable image de notre alimentation et de notre agriculture, qui concilie qualité et modernité, aux antipodes des procès démagogiques sur le productivisme.
Contrat de confiance sur les produits, mais aussi sur les modes de production. La société est de plus en plus soucieuse des répercussions des activités humaines - pas seulement de l'agriculture - sur l'environnement. Nous souhaitons concilier le respect de l'environnement et l'équilibre économique de nos exploitations.
La promotion et la généralisation de l'Agriculture Raisonnée se situe parfaitement dans cette logique et le travail engagé en commun par nos organisations devrait favoriser sa reconnaissance.
Mesdames et messieurs, réconcilier l'économique et le social, conjuguer le développement des territoires et les marchés, c'est possible, c'est souhaitable, et c'est ce qui fait la force et la spécificité du mouvement coopératif que vous représentez ici.
C'est un atout déterminant pour conjuguer l'agriculture au futur : une agriculture capable de faire face à une compétition accrue, tout en répondant à l'ensemble des missions que lui reconnaît la société.
Plus que jamais, la coopération aura ce défi à relever. C'est en conciliant la responsabilité de chacun et la solidarité de tous qu'elle y parviendra. Elle devra certes évoluer, se moderniser, être plus efficace et compétitive, mais ne pas oublier pour autant le pacte coopératif avec l'adhérent et le lien tout particulier qui s'y attache.
La rénovation des organisations professionnelles coopératives que vous engagez, saura inscrire ce changement dans la continuité et réunir la grande famille coopérative, pour qu'elle rayonne davantage dans l'économie et la société.
Je reste convaincu en effet, que le modèle coopératif est un modèle d'avenir et je suis fier, au nom du monde agricole et pour nous tous, que nous soyons en pointe dans la société, dans cet engagement de solidarité.
Nous devons aussi mettre en avant la solidarité de nos organisations professionnelles, dans les prochaines élections aux Chambres d'Agriculture, car il s'agit de défendre un projet d'avenir pour l'agriculture, dans les six ans qui viennent.
A nous d'unir nos forces car nous défendons la même conception d'une agriculture compétitive, organisée et solidaire. C'est dans cet esprit que la FNSEA, le CNJA et la CNMCCA ont signé une plate-forme commune qui doit nous servir de relais sur le terrain.
La FNSEA compte bien mener ces élections, en lien avec vos organisations, pour mettre ses convictions au service des agriculteurs et construire dans la durée, l'avenir de nos entreprises et celui d'une agriculture fière de ses réalisations et au service de la société.
Je vous remercie.
(Source http://www.fnsea.fr, le 18 décembre 2000).