Interview de M. Xavier Darcos, ministre de l'éducation nationale, à France 2 le 20 février 2008, sur la réforme de l'école primaire et le parrainage par les élèves des enfants victimes de la Shoah.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France 2

Texte intégral

R. Sicard.- Bonjour à tous, bonjour X. Darcos. La semaine dernière, N. Sarkozy a annoncé une réforme de l'enseignement primaire. Ce matin, c'est vous qui allez nous révéler ce qu'il y a dans cette réforme. D'abord, pourquoi une nouvelle réforme ? On a l'impression qu'à l'Education nationale il y en a tout le temps.

R.- Tout simplement parce que nous avons constaté que les choses n'allaient pas bien et que les statistiques, en particulier, qui comparent l'école primaire française à l'école primaire des pays comparables, étaient de plus en plus sombres et que nous avions notamment 15, 20 % d'élèves qui étaient en très grandes difficultés et qui arrivaient au collège...

Q.- Et cela, malgré de nombreuses réformes.

R.- Et cela malgré les réformes précédentes, parce que des réformes ont plutôt porté sur l'ensemble d'une classe. Ce que nous essayons de faire aujourd'hui, c'est nous consacrer à ceux qui sont en plus grandes difficultés, d'une part, trouver des solutions pour eux, et d'autre part, de faire en sorte que l'école primaire se recentre sur ce qu'elle doit enseigner, fondamentalement, c'est-à-dire, en fait, non pas supprimer des disciplines, mais faire une révolution culturelle de l'essentiel, c'est-à-dire s'appuyer surtout sur ce qui permet d'avoir les autres disciplines. Si vous n'avez pas une maîtrise de la langue, si vous n'avez pas une maîtrise des mathématiques, il est tout à fait inutile d'essayer de vous apprendre des choses tout à fait lointaines, différentes, parce que vous n'aurez pas les outils qui vous permettent de les maîtriser.

Q.- Donc, priorité au français et aux maths...

R.- Bien entendu.

Q.- Pour ce qui concerne le français, G. de Robien, votre prédécesseur, avait imposé le retour à la méthode syllabique, le b-a-ba, vous, vous dites : ce n'est pas utile.

R.- Ce qui compte, ce sont les résultats des élèves. Je préfète telle méthode à telle autre, je peux avoir une opinion personnelle, mais ce qui compte, c'est ce qui marche, la bonne méthode c'est celle qui est efficace. Voilà pourquoi je dis, plutôt que de se préoccuper d'évaluer les enseignants, de discuter des méthodes, d'avoir des gloses infinies sur la manière dont il faut enseigner, ce qui compte, c'est d'évaluer les élèves. Voilà pourquoi nous organisons, au milieu de leur scolarité et au moment où ils arrivent à la fin de leur scolarité, une évaluation très précise et voilà pourquoi aussi nous évaluerons les classes...

Q.- Evaluation périodique, c'est-à-dire que l'on n'attend pas l'entrée en 6ème pour savoir où ils en sont.

R.- Exactement. Non seulement on n'attend pas l'entrée en 6ème, mais cette évaluation permet de repérer les élèves qui ont de très grandes difficultés et de leur proposer, comme nous allons le faire dès Pâques, tout de suite, des stages qui leur permettront de revenir sur...

Q.- Gratuits ?

R.- Gratuits. Vous savez...

Q.- Rémunérés pour les profs ?

R.- Bien entendu. La différence, peut-être que c'est cela le plus fondamental, c'est que l'on a eu jusqu'ici l'école gratuite et obligatoire ; ce que nous faisons, nous, c'est la réussite gratuite et obligatoire. C'est-à-dire que les enfants de pauvres, pour parler clair, pour ceux qui sont en difficultés, ils auront droit à ce que les riches peuvent se payer, c'est-à-dire des cours particuliers, grâce à l'école de la République.

Q.- Une des nouveautés, c'est qu'il y a moins d'heures de cours.

R.- Oui, en tout cas moins d'heures de cours, pour les élèves. Les élèves auront 24 heures, on concentrera du coup leur temps de travail sur ce qui nous paraît essentiel, mais les professeurs devront toujours 26 heures et ils consacreront deux heures de leur enseignement à ces fameux 15 % d'élèves qui ont le plus de mal à suivre, parce que c'est eux qu'il faut que nous sortions de leurs difficultés.

Q.- Autre nouveauté, elle concerne l'histoire. Là aussi, on en revient aux bonnes vieilles méthodes, avec la chronologie et les grands personnages.

R.- Oui, parce qu'il est démontré aujourd'hui que les élèves ne se repèrent pas du tout dans le temps, qu'ils ont parfois des lacunes considérables sur des grands mouvements de l'histoire et que du coup, le monde historique est pour eux un salmigondi où ils ne se retrouvent pas. Je crois que c'est plus simple, pour l'esprit d'un enfant, de repérer la chronologie, de manière suivie, de manière systématique, de manière claire, pour qu'ils sachent ce qui s'est passé avant eux.

Q.- On ne risque pas de vous reprocher de revenir à l'ancienne école ?

R.- Moi, je ne sais pas ce qu'est une école efficace. En tous les cas, les méthodes que nous avons utilisées jusqu'ici n'ont pas été, évidemment, scandaleuses, mais elles n'ont pas complètement produit leur effet, surtout, je le répète, sur les élèves qui ont, vis-à-vis de l'école, des difficultés considérables, et donc, je ne sais pas si c'est une méthode ancienne ou pas, en tous les cas, c'est une méthode qui, je l'espère, sera efficace.

Q.- Sur la géographie, on se recentre sur la France ?

R.- Les élèves, en géographie, ont peut-être un peu de mal, aussi, à se retrouver dans l'espace, mais nous considérons que ces disciplines doivent être reprises, je dirais, dans une sorte d'unité. L'histoire et la géographie, il faut faire tout cela ensemble, l'essentiel c'est surtout que l'on ait le langage, la lecture et l'écriture, de sorte de pouvoir lire, par exemple, un livre de géographie.

Q.- Il y a aussi le retour de la morale, à l'école.

R.- Nous avons restauré l'éducation civique et morale, comme l'avait souhaité le président de la République, tout simplement parce qu'il faut que les jeunes apprennent à vivre ensemble. Alors, ce n'est pas la morale à la papa, justement, mais c'est savoir où s'arrête ma liberté, où commence celle d'autrui ; c'est savoir pourquoi il faut respecter un certain nombre de valeurs ; c'est apprendre à se respecter mutuellement. Nous sommes très surpris par le fait que très tôt, nos jeunes enfants considèrent que les rapports interpersonnels sont des rapports de violence, de brutalité et finalement connaissent très peu les règles et ne les respectent pas.

Q.- Une des nouveautés, c'est que les élèves vont aussi apprendre les symboles européens.

R.- Oui, parce que dans l'éducation civique et morale, nous avons décidé, évidemment, de rappeler ce qu'est le drapeau, enfin, rappeler les valeurs de la République, mais la République est aujourd'hui dans l'Europe, et il faut connaître les symboles européens et ça fait partie aussi des choses qu'un jeune citoyen doit connaître.

Q.- Les syndicats, et notamment la FSU, le principal syndicat, vous reprochent d'avoir fait ça, sans aucune concertation.

R.- C'est évidemment faux, nous avons beaucoup concerté sur cette question avec les gens qui ont pour charge de rédiger les programmes, nous en avons parlé avec eux, nous publions aujourd'hui un texte qui montre, en gros, où nous voulons aller, et maintenant, nous avons deux trois mois, pour voir s'il y a des améliorations possibles, des amendements que pourraient souhaiter nos personnels et en particulier, il y aurait une journée banalisée qui permettra à toutes les classes de France d'en discuter. Et vous savez, monsieur, moi je considère que c'est de ma responsabilité aussi, le ministre de l'Education nationale est en charge de dire ce qu'il considère comme essentiel, conformément à la lettre que le président de la République et le Premier ministre lui a donnée ; la Fonction publique, ce n'est pas une profession libérale où on aurait à négocier ce que l'Etat vous donne comme mission.

Q.- Les syndicats disent aussi que, faute de moyens, il y aura des suppressions de postes l'année prochaine...

R.- Pas dans le premier degré.

Q.-... cette réforme aura du mal à être appliquée.

R.- Eh bien ils se trompent, puisque je le rappelle, que nous ne supprimons aucun poste à l'école primaire à la rentrée prochaine, bien au contraire, nous en ajoutons, de même que nous allons recruter plus d'inspecteurs, de sorte que l'évaluation des classes fonctionne. Il ne s'agit pas de dire qu'on retire des postes, il s'agit de savoir quelles sont nos priorités et une fois que nous avons fixé nos priorités, nous nous donnons les moyens de réussir, c'est le cas de l'école primaire. Le président de la République en a fait la priorité, c'est la rampe de lancement de toute une scolarité, là, nous nous donnons les moyens.

Q.- Vous confirmez aussi plus de sport à école primaire ?

R.- Oui, une quatrième heure. Donc, il avait été prévu qu'il y aurait quatre heures de sport à l'école primaire, nous sommes passés rapidement de deux à quatre, nous avons doublé le temps de sport. Les petits Français, par rapport à leurs camarades anglo-saxons, notamment, ne font pas assez de sport.

Q.- Sur un sujet très différent, vous avez été chargé de la mission qui doit voir comment appliquer ce qu'a demandé N. Sarkozy sur la Shoah, c'est-à-dire qu'à chaque élève de CM2 serait confiée la mémoire d'un enfant victime de la Shoah, comment cela va s'appliquer ?

R.- Alors, nous sommes en train d'y travailler, donc j'ai reçu hier soir, pas plus tard qu'hier soir, S. Klarsfeld, qui, comme vous le savez, a fait le recensement de tous les élèves, tous les enfants qui ont été déportés. Nous nous voyons donc mercredi prochain avec l'ensemble des responsables de la Fondation de la mémoire, tous ceux qui connaissent ces sujets avec qui nous pouvons travailler, avec Veil elle-même qui a accepté de venir.

Q.- Il y a eu beaucoup de critiques sur cette idée de N. Sarkozy.

R.- Il y a eu un peu de surprise, surtout, c'est difficile à comprendre, à analyser, mais enfin, le président de la République a fixé le cap, il a donné une indication claire, c'est à moi maintenant, c'est ma responsabilité de ministre de traduire ça en acte pédagogique.

Q.- Mais alors, justement, ça va se traduire comment et quand ?

R.- Eh bien vraisemblablement il s'agira plutôt d'une classe que d'un enfant, qui adoptera...

Q.- Donc c'est un recul par rapport à ce qu'avait dit N. Sarkozy ?

R.- Pas du tout, parce que chaque enfant pourra se sentir tout de même associé à ce travail, mais nous cherchons ce qui est le plus efficace, ce qui est le plus possible. Dans une petite classe, c'est très difficile de faire travailler 28 élèves sur 28 cas différents, donc nous partirons plutôt d'une famille, d'une famille qui aura plusieurs enfants et nous travaillerons sur qui était cet enfant, d'où il venait, quelle était sa famille, comment se sont passées les rafles, comment...

Q.- Ça se fera dès l'année prochaine ?

R.- Et bien entendu, c'est des choses que nous allons introduire dans les programmes de l'année prochaine. Je rappelle d'ailleurs que le programme de CM2 prévoit déjà l'étude de la Shoah, il n'y a aucune nouveauté de ce point e vue-là.

Q.- On parlait de N. Sarkozy, sa chute dans les sondages continue, c'est inquiétant pour l'UMP à moins d'un mois des municipales ?

R.- Ecoutez, je préfèrerais évidemment que les sondages soient meilleurs, même si j'en connais la versatilité, mais je voudrais faire deux observations là-dessus. La première, c'est qu'il ne faut pas voler aux citoyens, aux électeurs l'élection municipale. L'élection municipale a un objet : on convoque les gens aux urnes pour choisir des maires, et c'est tricher avec l'élection, dans une certaine mesure c'est détourner le scrutin, de leur dire : c'est autre chose qu'une élection municipale. C'est un mensonge. Mais dans le même temps aussi, moi je ne mets pas mon drapeau dans ma poche. Je suis très fier de ce que nous faisons depuis huit mois et je suis très fier que le président de la République et le Premier ministre, F. Fillon, aient fait en dix mois, ce que d'autres n'ont pas fait en dix ans.

Q.- Mais vous ne craignez pas un vote sanction ?

R.- Je le répète : ne faisons pas croire aux citoyens qu'on va les déplacer pour voter pour autre chose que ce qui est en jeu, c'est-à-dire choisir le meilleur maire, la meilleure équipe, le meilleur projet, dont ils ont besoin pour leur ville, parce que ça durera six ans. Dans quelques semaines, les sondages repartiront, mais les Français, chacune dans leur commune, chacun dans leur commune, ils auront choisi une équipe qui restera là pour six ans.

Q.- Merci.

Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 20 février 2008