Déclaration de M. Martin Hirsch, haut commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, sur les politiques d'insertion, les minima sociaux et la politique de solidarité active, Paris le 17 janvier 2008.

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Circonstance : Présentation du Grenelle de l'insertion au Parlement le 17 janvier 2008

Texte intégral


Les politiques d'insertion ont besoin de nouvelles perspectives. Le Grenelle de l'insertion, qui réunit l'ensemble des acteurs, est l'occasion de les fonder sur des bases nouvelles. Il nous a semblé opportun d'en débattre en amont avec vous et non pas de venir vous demander simplement de ratifier ce qui aurait été élaboré dans d'autres enceintes. Trop souvent les questions d'insertion sont abordées à partir d'éléments techniques dans lesquels seuls quelques rares spécialistes se retrouvent. Nous avons aujourd'hui la possibilité de discuter des grandes lignes, de répondre à des questions de principe, de confronter des visions différentes, de dégager des enjeux prioritaires.
Nous pouvons dire que nous sommes à la fin d'un cycle d'une vingtaine d'années. Notre pays a, par touches successives, forgé une politique d'insertion dont certains résultats positifs ne doivent pas être oubliés, ni niés.
Avant 1988, on pouvait dans ce pays se trouver sans aucune ressource, et ne dépendre que de la charité publique ou privée. La loi du 1er décembre 1988 a créé le revenu mimimum d'insertion : c'est une incontestable avancée sociale. C'est même désormais une caractéristique de l'Europe sociale que d'avoir un revenu minimum.
Avant 2000, on pouvait dans ce pays n'avoir aucune assurance maladie et se voir refuser l'accès aux soins, faute de ressources. La loi du 27 juillet 1999 a créé la couverture maladie universelle.
Des millions de personnes sont passées par des emplois aidés, des centaines de milliers par des entreprises d'insertion ou des structures d'insertion : elles n'auraient pas travaillé ou pas retravaillé sans ces dispositifs spécifiques.
Certains parcours d'insertion sont des réussites formidables. A eux seuls, ils justifieraient l'invention de l'insertion.
Et pourtant, nous sommes obligés collectivement, de constater un échec. Notre pays n'a pas des résultats à la hauteur de sa richesse économique, ni de son ambition sociale. Il ne devrait pas avoir tant de personnes exclues du monde du travail, tant de personnes
ne pouvant pas dépasser le revenu minimum, tant de personnes dont la majorité des ressources proviennent de la solidarité, trop peu de leur travail, tant de personnes qui après avoir remis un pied à l'étrier sont renvoyés à la case départ. Tant de personnes se débattant en vain dans une foultitude de difficultés où s'entremêlent l'isolement, les problèmes de santé, de logement, de surendettement...
Ce n'est pas faire injure aux constructions d'un passé récent, à leurs inventeurs, à leurs promoteurs, à leurs soutiens à ceux qui les ont mis en oeuvre de dire qu'il faut bâtir autre chose.
Quand tant de personnes perdent de l'argent en reprenant du travail, c'est qu'il faut changer le système.
Quand on vous écrit pour vous proposer de rembourser une partie de son salaire,pour pouvoir à nouveau bénéficier de la couverture maladie universelle, il faut changer de système.
Quand on veut travailler, qu'on donne satisfaction dans son emploi dans une entreprise d'insertion, mais que la loi prévoit que vous ne pouvez pas rester plus de deux ans dans un contrat et que vous allez vous retrouver, par l'application des textes, au chômage à 58 ans, il faut changer de système.
Quand vous voulez travailler à plein temps, et que le contrat de travail que vous avez, dans le cadre des politiques d'insertion, ne vous permet pas de travailler plus de 26 heures et de gagner plus de 750 euros, il faut changer de système.
Quand un pays compte parmi ses adultes pauvres, à l'âge actif, autant de personnes pauvres parce qu'elles sont exclues du travail que pauvres bien que travaillant, il faut changer de système.
Pourtant chacune des mesures ont été prises avec de louables intentions. Elles n'ont pas été prises dans le but de nuire. Elles n'ont pas été prises pour exclure. Mais, mises à bout, elles produisent un système de relégation. Ce n'est pas l'une d'entre elles qu'il faut modifier, ce sont les politiques d'insertion qu'il faut repenser, re concevoir, rebâtir.
Parfois, face à des constats si désolants, on recherche des boucs émissaires. Ici, ce n'est pas le cas. Aucun des acteurs pris isolément n'est en lui-même coupable. Ce n'est pas tel ou tel qu'il faut montrer du doigt. C'est une responsabilité collective, ou plus exactement une irresponsabilité collective qu'il faut dénoncer, à laquelle il faut mettre fin.
Comment en est-on arrivé là ? Pour changer un système malade, il faut faire un diagnostic Pour cela, je vous en suggère un. La responsable, c'est le comportement de « centrifugeuse ». Ce que j'appelle la « centrifugeuse », c'est ce moteur qui s'est mis, depuis des décennies à renvoyer, d'abord insidieusement puis avec violence à la périphérie, certains de ses membres considérés par la société comme les moins performants. Le moteur a tourné de plus en plus vite et plus il tournait, plus le nombre de personnes rejetées contre des parois glissantes a augmenté. Pas assez performant, parce que trop jeune. Parce que trop vieux (et dans le monde du travail, on n'est vieux de plus en plus tôt !). Parce que pas assez qualifié. Parce que trop qualifié. Parce que mal qualifié. Parce que toujours disqualifié. Parce que discriminé. Une enquête de 2005 montre que les annonces d'emploi en France comporte dans 20% des cas un critère d'âge (1% en grande Bretagne), dans 73% un critère de formation (contre 63% en Espagne et 27% en Grande- Bretagne) dans 9% une demande de photographie, contre 3% et 0% dans ces deux autres pays européens ! Le moteur de notre société a crû
gagner en efficacité, parce qu'il s'allégeait, mais il s'est privé de carburant. Le compartiment le plus productif était le plus sélectif. Mais, il a rejeté directement dans le compartiment de l'assistance. Oh certes, pour que l'éviction ne soit pas trop douloureuse, des mécanismes de compensation ont été mis en place. On a compensé l'éviction, au lieu de la combattre. La première cause, c'est la centrifugeuse.
La deuxième cause, ce sont des mécanismes qui compensaient l'exclusion au lieu de provoquer l'intégration. Et c'est comme cela qu'ont été construites nos politiques de lutte contre la pauvreté. Trop déconnectées du travail. Trop déconnectées de l'éducation et de la formation. Trop déconnectées de l'économie. Trop déconnectées des aspirations des personnes. Elles dépendaient de l'aide sociale ? On les a accusées de rechercher l'assistanat. Sans voir qu'on les y condamnait.
Troisième cause : il a manqué dans notre pays, un compartiment intermédiaire entre un secteur le plus compétitif et le secteur de la solidarité. Il a manqué un secteur où l'on développe des emplois, peut-être à plus faible productivité, mais qui restent rentables pour l'économie d'un pays. Infiniment plus rentable que lorsqu'il faut payer le prix du chômage et de l'exclusion. On dit souvent que la santé n'a pas de prix, mais qu'elle à un coût. L'exclusion a un coût pour la société, mais elle a aussi un prix pour ses membres. Un lourd tribu que payent d'abord les personnes exclues et que paye désormais l'ensemble de la société. Nous avons crû que nous pouvions passer une phase transitoire, celle d'un chômage que l'on attribuait à des chocs externes, en conservant un modèle social et la qualité de l'emploi qui allait avec. Nous avons finalement eu à la fois le chômage et la pauvreté au travail, l'exclusion et la précarité.
A cela nous avons répondu par des systèmes de plus en plus sophistiqués, de plus en plus complexes, de plus en plus coûteux, de moins en moins en moins compréhensibles, de moins en moins efficaces, de moins en moins justes au fur et à mesure qu'ils s'enchevêtraient ou se neutralisaient.
Le résultat nous le connaissons. Nos politiques d'insertion sont à bout de souffle. Mais l'énergie n'est pas morte. Nous l'avons vu au moment du lancement du Grenelle, à Grenoble. Tous les pionniers étaient là, et ceux qu'ils ont formé, toujours plein d'énergie pour relever le défi. Nous le voyons dans les départements. Il s'y passe quelque chose, depuis que des responsabilités leur sont conférées et ils cherchent à inventer de nouvelles politiques. Nous le voyons dans les réseaux associatifs qui ont inventé, parfois en devant se débrouiller aux marges de la légalité, des solutions originales. Nous le voyons dans le dynamisme de l'insertion par l'activité économique, déjà à la pointe du développement durable, quand le concept n'intéressait personne.
Dans ce contexte nous voyons quelques raisons d'être optimistes ou quelques raisons qui nous poussent à agir.
La première, c'est ce que nous disent les personnes concernées. Le sondage que nous avons réalisé avec la SOFRES montre que les allocataires du RMI souhaitent travailler, ont conscience des obstacles qu'ils rencontrent, sont demandeurs de formation, de mobilité, d'accompagnement. Nous en avons des témoignages tous les jours. Nous le constatons dans l'implication forte des rmistes dans les groupes de travail constitués dans chaque département qui expérimente le rSa.
La deuxième, c'est ce que nous montrent les acteurs de l'insertion. Ils réussissent à redonner leur dignité aux personnes les plus fragiles, avec des moyens faibles et la société n'y arriverait pas ?
La troisième, c'est un impératif, qui semble désormais mieux compris. L'attitude du secteur économique change. La prise de conscience évolue. Notamment dans les entreprises. Elles ont besoin de main d'oeuvre. En réalité, si les politiques d'insertion sont à bout de souffle, elles n'ont jamais été autant nécessaires. Elles représentent une opportunité. Nous ne devons pas construire les politiques d'insertion en se référant au passé mais en se projetant dans l'avenir.
Il y a des secteurs en tension, On a l'habitude de rapprocher, pour montrer l'absurdité du système, les offres d'emplois non satisfaites et les demandeurs d'emplois. On a raison. Mais si on regarde les offres d'emploi actuellement non satisfaites et qu'on les convertit en équivalent temps plein on trouvera peut être aujourd'hui à peine de quoi satisfaire 10% des besoins. Mais si on se projette dans les dix prochaines années, les proportions changent. Ce sont des millions d'emplois qui seront à pourvoir. Cela change profondément la donne. Cela ne rend pas le combat gagné par avance loin de là. Si nous poursuivons les politiques actuelles, nous connaîtrons simultanément des pénuries considérables de main d'oeuvre et des taux de chômage massifs dans certaines catégories de la population. Si nous transformons, bouleversons, révolutionnons les politiques d'insertion, nous pouvons faire reculer la pauvreté... en créant de la richesse !
Pour cela il faut débattre. Nous souhaitons que les partenaires réunis dans les collèges du Grenelle puissent le faire. Ils pourront le faire d'autant mieux qu'ils auront été éclairés par la représentation nationale. Que pouvons nous proposer, pour réorienter les politiques d'insertion ?
Nous proposons de discuter dix principes d'action susceptibles de guider les travaux du Grenelle et les propositions de réforme qui pourront y être discutées :
1 -Simplifier de façon drastique les dispositifs... aussi bien pour les minima sociaux, les aides de retour à l'emploi que les contrats aidés
Simplifier est difficile. Simplifier est complexe. Simplifier est indispensable.
Pourquoi tant de complexité ? Parce que l'on a chaque fois rajouté un dispositif au précédent. Parce que l'on a fonctionné sur des logiques de cloisonnement. Parce qu'il n'y a pas de responsable bien identifié. Parce qu'on fonctionne sur une logique de défiance, qui se traduit par des critères d'une précision presque diabolique. La complexité est aujourd'hui source d'exclusion. Vous avez un problème ? Nous avons une solution mais qui ne s'applique pas à vous parce que vous êtes à l'API, pas au RMI, parce que vous êtes trop vieux d'un an, trop jeune de deux, pas encore assez éloigné de l'emploi, pas tout à fait suffisamment surendetté !
Nous proposons plusieurs simplifications majeures :
Avec le RSA, c'est substituer une prestation unique à plusieurs minima sociaux et plusieurs aides.
Avec le contrat unique d'insertion, c'est une simplification de l'enchevêtrement des contrats.
Avec le bouclier sanitaire, s'il est accepté, c'est potentiellement une simplification considérable du système des « copaiements » et des prises en charge par l'assurance maladie.
Avec une meilleure connexion entre le nouveau service public de l'emploi et l'insertion professionnelle, c'est la suppression des critères d'accès en fonction des statuts.
Simplifier impose de pouvoir donner de la souplesse à ceux qui ont la responsabilité directe des publics en insertion pour qu'ils puissent dire oui ou non, non pas en fonction d'un paragraphe d'une circulaire expliquant un arrêté qui résulte d'un décret pris en application d'une loi, mais qu'ils puissent dire oui ou non avant tout en fonction des besoins de la personne, besoins qui ne résultent pas forcément de son statut administratif. Une bonne législation est une législation qui pose les principes de la solidarité et qui en laisse la traduction en actions aux acteurs de terrain.
C'est la première question : peut-on mettre en place des prestations moins normées réglementairement, en améliorant l'équité et sans laisser filer les dépenses ?
2. Assurer des revenus du travail supérieurs aux revenus de la solidarité ;
C'est la création du revenu de solidarité active. Avec trois objectifs : supprimer les effets de seuil pour les allocataires de minima sociaux qui reprennent du travail ; lutter contre la pauvreté au travail et simplifier, rendre lisible et prévisible un système qui ne l'est plus. Il est expérimenté sous une forme très incomplète, dans des départements volontaires. A terme, le revenu de solidarité active a l'ambition de se substituer à de nombreux dispositifs en garantissant que toute augmentation de revenu du travail se traduise par un accroissement des ressources du ménage et à soutenir le pouvoir d'achat des travailleurs à bas salaire de façon plus lisible que la prime pour l'emploi. Pour qu'il soit juste, il faut qu'il soit complet. Nous le concevons comme un système qui donne - à travail égal et à composition familiale équivalente - les mêmes revenus à tous : que l'on soit passé par les minima sociaux ou que l'on soit simplement un travailleur aux revenus modestes.
Quel sera le périmètre du revenu de solidarité active ? C'est la deuxième question que nous vous adressons. Faut-il laisser certains minima sociaux connaître les mêmes règles ? Faut-il inclure l'allocation spécifique de solidarité ? Les indications que vous donnerez seront utiles aux partenaires sociaux, qui sont au premier chef concernés par l'évolution de l'ASS, au moment où ils discutent de l'évolution de l'assurance chômage. Ne faut-il pas appliquer les mêmes règles pour l'allocation adulte handicapé qui ont souvent besoin, dans leur activité, de continuer à bénéficier de la solidarité ?
Mais, si le rSa supprime certains effets de seuil, vous savez que l'un des effets les plus importants est lié à la santé et à la couverture maladie universelle. C'est la raison pour laquelle nous avons proposé le bouclier sanitaire. Le bouclier sanitaire, c'est aussi une réponse à ce problème, dans la même logique. Dès lors que le reste à charge est fonction du revenu, il n'y a plus d'effort qui pèse sur ceux qui sont juste au dessus du seuil d'exonération de la participation de l'assuré. C'est pourquoi je souhaite que le bouclier sanitaire verra le jour.
Il faudra également s'interroger sur le mode de calcul des aides au logement où leur prise en compte. Il faudra enfin être suffisamment incitatif pour que les autres aides connexes ne neutralisent pas les effets de cette remise en ordre des prestations.
3 - Une conception plus souple, plus large et plus réaliste de la notion d'employabilité :
Il y a aujourd'hui une distinction implicite entre personnes employables et personnes considérées comme inemployables. Il y a des personnes considérées comme éloignées de l'emploi, alors que c'est l'emploi qui s'est éloignée d'elle. Oui, il y a des personnes pour qui l'emploi est directement accessible, dont la demande et dont le besoin est celui d'un emploi ; il a celles pour lesquelles une formation, une qualification nouvelle ou supplémentaire est nécessaire pour accéder à l'emploi ; il y a celles qui ont besoin d'un accompagnement social ; il y a celles pour lesquelles l'emploi ne pourra pas prendre une forme classique mais nécessitera d'être durablement soutenu ou prendre la forme d'une activité adaptée. Mais aucune ne peut se voir refuser de manière irréversible la dignité par le travail, quitte à ce que les exigences du travail puissent être considérablement adaptées à leur difficulté.
Certains évoquent la notion de « handicap social », de « cotorep » sociale. Il sous entendent qu'il faut mieux prendre acte d'une difficulté à travailler plutôt que s'acharner vers une insertion impossible. Permettez moi de pointer les risques d'une telle approche, même prise avec les meilleures intentions du monde et de ses possibles dérives. Certes on peut reconnaître que certaines personnes ont une probabilité très faible d'être embauchées dans une entreprise et presque nulle de l'être sur un contrat de droit commun. Mais travailler dans un chantier d'insertion, ce n'est pas être inemployé et donc ce n'est pas être inemployable. Je pense à certaines associations, dont l'une qui m'est particulièrement chère qui fait travailler dans les métiers de la récupération des milliers de personnes que la société avait décrété inemployables.
4 - passer d'un système de contrats aidés à une logique de contrats aidants, fondée sur la notion de parcours...
Depuis vingt cinq ans qu'existent les contrats aidés, les sigles ont changé, la logique est restée la même, les insuffisances n'ont été corrigées qu'à la marge. Instrument ambigu, pour laquelle la pression quantitative l'a trop souvent emporté sur la pression qualitative. Instrument décrié, mais demeuré indispensable. Il n'y à qu'à voir les difficultés provoquées par les périodes de freinage, comme celle que nous vivons actuellement. Que peut-on faire comme reproche ?
- Un lien trop distant avec un parcours d'insertion débouchant sur un emploi pérenne ;
- Une limite dans le temps qui ne correspond pas aux besoins
- Une durée du travail contingentée (comme la limite des 26 heures)
- Un contenu en formation, à la qualification trop faible
- Des effets d'aubaine mal maîtrisés ;
- Une complexité administrative indéniable.
Quelles peuvent être les axes d'évolution ? On peut proposer les suivantes :
- Moins de contrats, mais un contrat plus souple : le même support de contrats pour différents publics, qu'on peut appeler « contrat unique d'insertion » ;
- Une aide des pouvoirs publics qui ne soit pas principalement ou exclusivement une subvention qui abaisse parfois artificiellement les coûts du travail mais qui puissent financer du tutorat, de l'accompagnement social et professionnel, des besoins spécifiques de formation ou d'adaptation à l'emploi, modulées au cas par cas en fonction des besoins des salariés et des employeurs ;
- Une réorientation vers des contrats qualifiants, reposant sur le principe de l'alternance, en accélérant la montée en charge des contrats de professionnalisation et des contrats d'apprentissage, ce qui suppose de ne pas pénaliser les adultes, par un, coût pour l'employeur plus élevé ; nombre de personnes auxquels on prescrit des contrats aidés (ou qui subissent la diminution du nombre de contrats) pourraient trouver davantage de perspectives dans les contrats de professionnalisation ;
- Une possibilité d'adaptation aux besoins des personnes pour qu'il n'y ait plus de « couperet » à l'issue d'un terme administratif.
A partir de ces principes, il doit être possible de déterminer une politique plus cohérente pour les différentes secteurs d'emploi : le secteur privé, le secteur public, le secteur de l'insertion par l'activité économique et le secteur associatif. Pour chacun les défis ne sont pas les mêmes. Pour le secteur privé, il s'agit de limiter les effets d'aubaine : financer l'accompagnement et le tutorat, plus que d'abaisser spécifiquement le coût du travail devrait y contribuer. Pour le secteur public, il s'agit de tendre vers le principe selon lesquels les contrats aidés ne sont justifiés que lorsqu'ils permettent d'acquérir une compétence ou une qualification réelle ou qu'ils peuvent être pérennisés. Lorsqu'un employeur public d'une personne en contrat aidé sait pertinemment qu'une personne, qui a donné satisfaction, ne trouvera pas d'emploi au terme du contrat, il ne devrait pas la renvoyer vers le RMI où le chômage.
5 - Une universalité effective de l'accès au service public de l'emploi, de l'insertion et de la formation
Au moment où se met en place un grand service public de l'emploi et dans la perspective d'une unification des minima sociaux, nous ne pouvons pas nous satisfaire de ce qu'une minorité d'allocataires du RMI bénéficie du service public de l'emploi et une proportion infime des allocataires de l'allocation parent isolé. Nous ne pouvons accepter que les personnes les moins qualifiées, celles dont les besoins sont les plus marqués, aient le moins accès à la formation. Toute personne en capacité de travailler et privée d'emploi doit, indépendamment de son statut pouvoir bénéficier du service public de l'emploi et de la formation. C'est un double défi quantitatif et qualitatif.
Prenons l'exemple de la formation professionnelle. Nous savons qu'une trop faible partie des fonds de la formation professionnelle vont vers les publics qui en ont le plus besoin. Il y a quelques exceptions. L'OPCA de la branche propreté s'est engagé à consacrer 10% de son budget aux actions de lutte contre l'illettrisme. Ne faut-il pas prévoir qu'une proportion des fonds de la formation de chacune des branches (10% ? 15% 20% ?) soit orientée vers les publics prioritaires en matière d'insertion professionnelle ?
L'enjeu est de mobiliser à la fois le service public de l'emploi et les régions dans lune politique active d'insertion.
6 - Une priorité donnée à l'accès à la mobilité et à la garde d'enfants :
Emploi, formation, logement et santé sont bien évidemment des facteurs clés. Mais deux autres freins à l'insertion et au retour à l'emploi ne doivent pas être négligés, tant ils sont fréquents : l'accès à la garde d'enfants et l'accès à la mobilité. Ils se posent tant en milieu urbain que dans nos banlieues et dans les zones rurales.
Si l'on parvient à mieux organiser les aides financières autour du revenu de solidarité active, ne faut-il pas que l'Etat et les collectivités territoriales joignent leurs efforts pour apporter des réponses plus satisfaisantes, plus complètes, moins onéreuses à ces freins à l'emploi et à l'insertion ?
7 - Organiser une logique de responsabilité pour les pouvoirs publics, laissant une large place à l'initiative locale :
Prenons deux exemples :
Une plate-forme unique pour les droits et les devoirs des personnes qui commencent à percevoir un revenu minimum : mis en place dans certains départements avec des résultats spectaculaires : on passe de 20% à 95% de la population couverte par un contrat d'insertion, dans un délai ramené de 3 mois à 3 jours de moins de 80 à 100% d'accès à la cmuc, et d'un contact avec le SPE pour 100% des allocataires. Est - ce département qui est exceptionnel ? Où seraient ceux qui ne fonctionnent pas comme cela qui son hors norme ? Comment rendre cela général, sans passer ni par la contrainte, ni par des centaines de millions d'euros de dépenses supplémentaires ?
Deuxième exemple : la situation de l'emploi est différente d'un bassin à l'autre. Faut-il que l'Etat impose un barème, des règles juridiques identiques sur l'ensemble du territoire ou qu'ils se portent le garant de principes - par exemple celui du revenu minimum - en laissant aux collectivités territoriales les marges de manoeuvre juridiques pour le faire ?
Comment la logique de responsabilité est de cohérence est-elle compatible avec des compétences réparties entre l'Etat, les régions, les départements, les communes, les organismes de protection sociale ?
Il y a la possibilité de spécialiser ces différents échelons par public ou par fonction. Mais cela ne reviendrait-il pas à maintenir des cloisonnements entre publics, alors qu'on cherche le contraire ou à disloquer des leviers complémentaires : comment peut-on faire une politique d'insertion sans la formation professionnelle ?
Pourquoi ne pas laisser aux collectivités le soin de définir leur « pacte territorial d'insertion » en se répartissant les rôles et les responsabilités dans un contrat dans lequel l'Etat s'engage également. Si sur un territoire,c'est le CCAS qui est le lieu où se font les premières démarches d'insertion, pourquoi imposer que cela soit dans une maison départementale ou dans une caisse d'allocation familiale ? Si dans un département, l'accompagnement professionnel est confié à la même équipe que celle qui assure l'accompagnement social, pourquoi le contraindre à passer par un autre opérateur ?
Mais la condition, c'est qu'on ne puisse pas dire à une personne qu'elle ne peut avoir accès à une formation, reconnue comme nécessaire, parce que cela dépend d'un autre acteur, alors même que les financements existent. C'est qu'on ne puisse pas répondre à
une entreprise qu'on ne peut pas lui proposer de la main d'oeuvre qualifiée dans des délais compatibles avec ses besoins parce que les politiques d'insertion, de formation et de qualification seraient non coordonnées.
8 - clarifier la notion de droits et devoirs pour les publics d'insertion
La notion de droits et devoirs est centrale. Elle ne doit être ni virtuelle et donc non crédible, ni contre-productive, parce que rigide. La logique des droits et devoirs n'exclut pas la notion de confiance. Il faut se méfier de raisonnements séduisants mais simplistes et inapplicables, pouvant conduire à des désillusions. Soulignons d'abord que le passage au revenu de solidarité active devrait en lui-même supprimer l'une des causes principales de brouillage de cette logique. Lorsque dans de nombreux cas, le retour au travail ne procure pas de revenus supplémentaires, il est difficile d'appliquer une logique de droits et devoirs. Et si l'on élargit le recours au service public de l'emploi, il n'y a pas de raison de faire peser sur les publics en insertion des obligations plus lourdes que celles qui pèseraient sur d'autres demandeurs d'emplois. C'est une situation clarifiée.
Nous proposons deux principes :
Le premier principe est que tout travail doit s'exercer dans le cadre d'un « vrai emploi », avec un salaire, ou avec un statut de travailleur indépendant. La logique de droits et devoirs ne doit pas conduire à créer une catégorie de travailleurs au rabais. Si une contrepartie doit être demandée à la solidarité, elle doit alors se transformer en salaire. Cela évite deux effets pervers : une relégation dans un sous-statut et une concurrence malsaine entre salariés et allocataires de minima sociaux. C'est revenir au fondement des contrats aidés. On estime qu'un allocataire de minimum social doit pouvoir travailler et que le marché du travail ne lui permet pas de le faire ? Alors un contrat d'insertion doit lui apporter un salaire et l'acquisition des droits à la retraite qui vont avec.
Le deuxième principe est celui du parcours d'insertion. On ne fait pas prendre conscience de ses droits et devoirs si on renvoie à la case départ au bout d'un an la majorité des personnes passées par une action d'insertion. On peut avoir des exigences si l'on s'engage dans la durée. La logique des droits et devoirs doit également s'appliquer à ceux qui n'ont en réalité ni droits, ni devoirs. Je pense en particulier aux jeunes, sans allocation, sans formation, sans travail. Pourquoi ne pas proposer un contrat dans la durée, avec une régularité garantie des revenus, en contrepartie d'un engagement d'accepter emplois et formations proposées pendant la durée du contrat ?
9 - faire entrer dans une logique de droits et devoirs les employeurs :
Question symétrique. Faut-il faire peser sur les entreprises une obligation d'insertion ? Faut-il appliquer la logique qui a conduit à définir un pourcentage de salariés handicapés ? Elle pose le même type de difficulté. Ne rien faire expose à ce que le comportement des employeurs favorise peu l'insertion. Imposer une contrainte risque de se retourner contre l'objectif poursuivi. .Que peut-on proposer ?
Tout d'abord, il convient de pouvoir satisfaire les entreprises ou les branches professionnelles qui ont des besoins ou sont prêtes à faire des efforts d'insertion. Là la balle est en partie dans notre camp.
Parallèlement, ne faudrait-il pas être capable de mesurer l'effort d'insertion d'une entreprise ou d'une branche ? Comme on doit être capable de mesurer les efforts en matière d'égalité salariale ou de développement durable ? Avec des exigences de justification proportionnelle à la taille des entreprises ?
Ne peut-on pas inciter les entreprises à avoir des partenariats avec des entreprises d'insertion, avoir une politique d'achat d'insertion, sur le modèle des clauses d'insertion dans les marchés publics ? Clauses d'insertion qu'il faudrait d'ailleurs développer, au sein de l'Etat, comme des collectivités locales et des établissements publics.
Ne peut-on pas multiplier les dispositifs type « contribution textile » en faisant financer les filières d'insertion dans le domaine de l'environnement par exemple. Pourquoi ne pas faire financer par quelques centimes additionnels au prix du péage des activités d'insertion ? Pourquoi ne pas étendre à d'autres filières la notion « d'éco contribution sociale » ? Il ne s'agit pas de taxe nouvelle. Mieux vaut payer pour financer des emplois d'insertion que pour des revenus de remplacement de personnes qui pourraient travailler.
10 - savoir passer de la petite à la grande échelle : évaluation et expérimentation.
En matière d'insertion, notre pays ne manque ni d'idées, ni de projets. Chacun ici pourrait citer des expériences réussies. Pourquoi ont-elles tant de mal à se développer, à se dupliquer, parfois même à survivre ? Elles sont souvent perçues comme coûteuses alors que sans elles le coût pour la collectivité serait sans doute plus élevé. Les politiques publiques doivent s'inspirer de ces initiatives plutôt que de les brider.
Pour, cela l'évaluation et l'expérimentation doivent être des méthodes privilégies. Nous proposerons que les réformes réservent systématiquement une part de financement à l'évaluation et de continuer, comme nous l'avons fait avec le RSA, d'utiliser l'expérimentation comme voie de réforme.
Voilà quelques pistes que nous vous soumettons.
Pour aller vers une politique d'insertion au service de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences de notre pays. L'insertion, ce n'est pas rattraper le passé, c'est préparer l'avenir, l'avenir des personnes comme celui des entreprises
Pour aller une simplification considérables des dispositifs. Pour ne plus avoir le record d'Europe du nombre de minima sociaux et de ceux qui y son scotchés.
Pour aller vers le sur mesure. Pas une politique de « petites cases » pour les « incasables ».
Pour une politique d'insertion qui adapte les personnes aux défis du monde du travail et qui adapte les exigences du travail aux difficultés des personnes.
Pour une politique d'insertion davantage fondée sur les territoires et la responsabilité des acteurs locaux.
Bref, pour une politique de solidarité active.
Nous attendons beaucoup de ce débat. Vous voyez que les sujets de négociation entre l'ensemble des acteurs concernés ne manquent pas.Source http://www.grenelle-insertion.fr, le 21 janvier 2008