Texte intégral
C. Barbier.- Vous installez ce matin la commission sur la transmission de la mémoire de la Shoah. S'agit-il de réparer la bourde du Président Sarkozy qui voulait confier le souvenir des enfants déportés à chaque enfant de CM2 ?
R.- Bien au contraire, il s'agit de transformer une bonne idée en bonne pratique. Et pour que les choses fonctionnent, évidemment, il faut à la fois avoir la communauté éducative, les gens qui connaissent la manière dont on enseigne dans les classes, et en particulier en CM2, et puis il faut avoir aussi tous ceux qui ont la charge de la mémoire de la Shoah, ils sont nombreux. Et voilà pourquoi j'ai voulu que S. Veil en particulier soit présente parce qu'elle est présidente d'honneur de la mémoire de la Shoah, et il faut qu'ensemble, nous trouvions la manière de transformer cette bonne idée en bonne pratique.
Q.- Alors, justement, S. Veil, cette bonne idée, elle avait dit que c'était plutôt ignoble. C'était son mot, c'était fort. Que lui avez-vous promis pour qu'elle puisse arrondir ses positions et qu'elle vienne travailler avec vous ?
R.- Je ne lui ai rien promis du tout. Je lui ai dit, il faut que nous sortions de cette incompréhension, de cette difficulté puisque la bonne idée du président de la République semble être mal comprise par une partie de ceux qui sont chargés de la mémoire. Et donc, je lui ai dit, "venez m'aider à transformer ce projet en application concrète et venez rejoindre la communauté éducative qui a besoin de vos conseils, de votre expérience", et aussi du prestige qu'elle apporte à cette commission de travail.
Q.- Bonne idée mais peut-être pas bonne classe, bon âge. Est-ce que le problème ce n'est pas d'avoir choisi le CM2 ? Est-ce que vous demandez à la commission de réfléchir aussi sur le bon âge où il faut enseigner la Shoah ?
R.- Non, pas du tout, parce que je vous rappelle que l'étude de la Shoah est au programme du CM2.
Q.- Sous cette forme aussi brutale, pour parler des enfants morts en déportation ?
R.- La Shoah, ce sont des enfants morts en déportation ! Le président de la République savait que c'est en CM2 que ces sujets s'étudient. Il a fait une proposition qui consiste à établir un lien affectif entre les enfants morts et les enfants d'aujourd'hui, parce qu'il pense que c'est une manière d'aborder ce sujet qui est, au fond, indicible, incompréhensible, qui résiste à la raison. Comment expliquer ça ? Et donc, il a cherché à nous guider vers ce rapport affectif entre des enfants. Cela dit, c'est un peu compliqué de faire enfant par enfant, puisqu'il y a quelque chose comme 11.500 enfants juifs exterminés et nous avons près de 600.000 élèves en CM2. Donc forcément, il y aura un travail plus collectif. C'est indispensable et on ne saurait faire autrement vu les rapports de chiffres.
Q.- Que ferez-vous des propositions de cette commission ? Une loi, une circulaire ? Ce sera obligatoire pour les enseignants, ils n'auront pas de marge de manoeuvre, ils appliqueront ?
R.- Les enseignants auront toujours une marge de manoeuvre parce que la liberté pédagogique est respectée par le ministre de l'Education nationale. Nous aurons sans doute un texte, une circulaire, qui indiquera la manière dont on peut organiser ce travail. On donnera des pistes. On créera sans doute un site qui permettra grâce aux travaux de S. Klarsfeld, où que l'on soit en France, de trouver des lieux de mémoire, des noms des personnes disparues, des endroits où des archives peuvent être consultées. De sorte que ce travail pédagogique, ce travail d'histoire, puisse être fait partout d'une manière efficace, où que l'on habite en France.
Q.- Vous avez soulevé aussi la polémique en expliquant qu'au lycée, un élève sur deux ignorait la Shoah, alors que normalement, l'enseignement a été dispensé. Etait-ce une manière d'accuser les enseignants de faire l'impasse sur ce sujet ? On sait que dans certaines classes, c'est difficile d'en parler.
R.- Pas du tout ! Bien sûr que non, je ne mets pas en cause les enseignants. Vous avez un sondage de 2000 qui montrait, en effet, cela et que, par ailleurs, les élèves se plaignaient de mal connaître le sujet. Et puis j'observe que le Parisien publiait l'autre jour un sondage qui montre qu'un Français sur trois trouve que ce n'est pas absolument nécessaire d'en parler. Donc je n'ai pas du tout voulu mettre en cause les professeurs d'histoire et je ne souhaite pas du tout faire une polémique avec eux, car ils font bien leur travail. Enfin, tout de même, je constate que sur ces sujets qui devraient tout de même provoquer une adhésion collective indiscutable, il y a encore ici ou là des résistances ou des méconnaissances.
Q.- Aujourd'hui, un jeune homme de 20 ans est jugé pour tentative d'assassinat, après voir poignardé sa prof en décembre 2005. Qu'attendez-vous de la justice ?
R.- J'attends de la justice qu'elle fasse son travail. Il ne faut pas échapper ici à constater qu'il y a une responsabilité individuelle. Ce n'est quand même pas tous les jours, Dieu merci, qu'un jeune homme lacère de coups de poignard un de ses enseignants. Donc c'est quand même le procès d'une personne. Je vois bien qu'on dit aussi, "oui, mais peut-être il aurait fallu que l'institution soit plus prudente, qu'elle vienne plus tôt au secours de l'enseignante qui avait dit que cet élève était difficile"... L'enquête administrative ne l'a pas complètement prouvé, mais enfin c'est possible. Mais ce que je dis, c'est que tout de même, nous sommes en face d'une situation exceptionnelle et qu'il faut que ce jeune homme réponde de ses actes.
Q.- Aujourd'hui, un enseignant qui alerterait ainsi sur des menaces proférées à son encontre, est-ce qu'il serait protégé ?
R.- Bien entendu, c'est le cas. Non seulement il est protégé aujourd'hui, mais je rappelle que j'ai pris, avec R. Dati, il y a quelques semaines, la décision qu'un professeur qui est agressé, qui est menacé, y compris lorsqu'il n'est pas dans l'exercice de ses fonctions, lorsqu'il est en train de faire ses courses dehors par exemple, bénéficie de la protection de la justice et que cette agression, pour celui qui la commet, est susceptible d'entraîner des circonstances aggravantes. Donc j'ai tout fait pour que les professeurs se sentent protégés par l'institution et je veille à ce que cette protection soit vigilante et constante. Il n'est pas question que le professeur soit exposé.
Q.- Autre dossier dont la justice débattra lundi : le site "note2be.com", où on peut noter ses profs nominativement. Pourquoi êtes-vous contre cette transparence que recommandait le rapport Attali ?
R.- Qu'est-ce que c'est que ces méthodes, enfin ? ! Nous n'allons pas livrer les professeurs à la vindicte populaire de la part d'élèves qui signent anonymement. Ce n'est pas comme ça que les choses se passent. Il y a dans le système éducatif, des évaluations des enseignants, il y a des comparaisons...
Q.-...Oui, mais tout le monde est très bien noté, tout va toujours très bien.
R.- Mais non, tout le monde n'est pas très bien noté. Nous savons très bien les endroits où les choses sont difficiles. De toute façon, j'ai demandé son avis à la Commission nationale indépendance et liberté, à la CNIL, qui va nous dire...
Q.- Informatique et liberté...
R.- Informatique et liberté, qui va donner son jugement le 9 mars. Nous verrons ce qu'elle dira. Mais je crois que ce n'est pas comme ça qu'il faut faire. Nous ne sommes pas dans un pays où on va se mettre à dénoncer, à classer les enseignants en fonction de son opinion, d'une mauvaise note qu'on a eue...
Q.- Avec un système raisonnable, où l'on pourrait dire aux profs nominativement, "voilà il y a tant d'élèves qui vous reprochent ceci, il faut progresser sur cela". Cela se fait dans toutes les écoles et les universités outre-Atlantique.
R.- Tout ceci serait supportable à condition que ce ne soit pas public, parce que le jugement, quand même, d'un élève sur un professeur ne vaut le jugement d'un professeur sur un élève. Nous sommes ici dans une logique, dans une dérive, à mon avis, que je ne saurais accepter. Moi, je suis le ministre de l'Education nationale, je dois protéger mes personnels et dans cette affaire, je suis derrière les personnels et je désapprouve ce projet.
Q.- Préavis de grève pour le 18 mars contre les conclusions du rapport Pochard sur le métier d'enseignant, contre les restrictions budgétaires. N'avez-vous pas ouvert la boîte de Pandore ?
R.- Tout cela, je le répète, je ne veux pas être désobligeant vis-à-vis des syndicats, mais c'est une méthode démodée. Ce qu'il faut aujourd'hui, c'est regarder ensemble ce rapport. On ne fait quand même pas grève contre un rapport. On a le droit de remettre un rapport fait par une commission pluraliste. Il remet un rapport, nous allons le lire ensemble et voir quoi en tirer. On ne fait pas une grève préalable ! Ces enseignants qui enseignent tous les jours la raison, l'esprit critique, qui sont favorables à la discussion et à l'échange, ne peuvent pas dans le même temps se mettre en grève le jour où quelqu'un remet un rapport, y compris lorsque c'est fait par une commission où une partie de l'opinion qu'ils représentent, eux les enseignants, était présente. Donc cette méthode me paraît démodée et ce n'est pas comme ça que nous réformerons l'école. On peut défiler dans les rues, ça ne changera rien au fait que l'école de la France a besoin de se réformer, d'être plus juste, de réorganiser ses méthodes, ses objectifs parce que c'est la réalité objective ça, ce n'est pas une question d'opinion.
Q.- A Périgueux, chez vous, le président de la République avait rappelé l'importance de la politesse à enseigner aux enfants, et puis il a dérapé au Salon de l'agriculture, un nom d'oiseau lui a échappé. "Il faut un instituteur à plein temps pour apprendre la morale et la politesse à N. Sarkozy", rétorque S. Royal. Que répondez-vous à S. Royal ?
R.- D'abord, le Président a dit lui-même qu'il eut été préférable qu'il ne prononçât point cette phrase. On ne va pas en faire toute une affaire.
Q.- Il l'a dit sans subjonctif mais il l'a dit quand même...
R.- Quant à S. Royal, moi j'ai vu l'autre jour, par exemple, au conseil régional, qu'elle a empêché un de ces vice-présidents, monsieur Fontaine, de s'exprimer dans un débat public. Elle l'a chassé quasiment de l'hémicycle et finalement il est parti sans pouvoir s'exprimer. Ces comportements-là me paraissent plus attentatoires à la démocratie qu'un mot qui échappe, ou un énervement, surtout dans le contexte actuel, parce que, tout de même, il y a deux poids, deux mesures ! Il y a une espèce de recherche à tout prix de mettre le président de la République en situation et plutôt de dire, "mais enfin, comment, qui c'est ce type, comment parle-t-il au président de la République ce monsieur ? Comment se fait-il qu'en France, on peut insulter le président de la République ?", on vient faire un procès à un Président qui réagit un peu vivement. Je le répète il y a deux poids, deux mesures. Il y a aujourd'hui un effort à faire pour que la nation respecte son Président et je trouve qu'une partie de la gauche se met à utiliser le registre lepéniste. Et moi, je suis d'accord avec monsieur Jospin qui dit qu'il faut que tout cela s'arrête et qu'il faut respecter la fonction présidentielle.
Q.- Seriez-vous content d'accueillir au Gouvernement C. Allègre, avec lequel N. Sarkozy a envie de travailler, par exemple pour s'occuper de la recherche et de l'enseignement supérieur ?
R.- Ce ne sont pas des questions qui dépendent de moi. Je connais très bien C. Allègre, avec qui j'ai des relations amicales. Je crois qu'il est très respecté du monde scientifique, mais évidemment...
Q.- Il est craint aussi parce que...
R.-...C'est une personnalité très forte et parfois un peu tonitruante. Mais je répète, ceci n'est pas du tout de ma compétence.
Q.- Vous êtes en difficulté à Périgueux, selon les sondages, dans votre élection municipale. C'est parce qu'on veut donner, sur le terrain, une sanction contre N. Sarkozy, une leçon à l'UMP ?
R.- En tous les cas, c'est ce qu'on essaie de faire croire aux électeurs.
Q.- Vous aviez fait 60 % à votre réélection, la dernière fois, là vous êtes donné battu. C'est qu'il y a une dégradation nationale qui pèse sur le climat.
R.- Ce que je sais, c'est qu'on veut voler cette élection aux électeurs. On leur dit, "il faut réagir à ce qui se passe et donc voter de telle ou telle manière". Mais c'est une blague ça, c'est un mensonge ! Parce que les sondages ils vont, ils iront, ils viendront, le Président montera, descendra, il y aura d'autres évènements. Mais les gens qui vont être élus, les maires et les conseillers municipaux, c'est pour six ans qu'ils seront élus. Et donc il y a une sorte de mensonge à faire croire que l'élection c'est autre chose qu'une élection municipale. Et d'ailleurs, j'ai vu madame Royal venir soutenir un candidat que je connais bien, dans une ville que je connais bien, candidat qu'elle connaît très peu, dans une ville où elle n'avait jamais mis les pieds, est-ce que ceci est vraiment ce que les électeurs attendent ? Moi, je leur dis, "ne vous laissez pas voler cette élection, vous êtes convoqués aux urnes pour une raison précise, c'est choisir un conseil municipal, ne répondez qu'à cette question".
Q.- Si vous êtes battu, vous présenterez votre démission du Gouvernement ou ça n'a rien à voir ?
R.- Si je suis battu, ce qui ne sera pas le cas puisque je serai réélu, je ne présenterais pas ma démission du Gouvernement parce qu'il a été, je crois, prévu que ceux qui allaient vers les élections municipales, pour autant, ne mettaient pas en jeu leurs responsabilités nationales.
Q.- Mais ministre et maire, c'est un cumul difficile à expliquer aux électeurs ?
R.- Je ne crois pas. Je crois que c'est un grand avantage pour une ville qu'un maire soit ministre. Vous savez bien le nombre de dossiers qu'on débloque lorsqu'on est au pouvoir, lorsqu'on est près des affaires. Et les gens le savent bien.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 27 février 2008