Interview de M. Xavier Darcos, ministre de l'Education nationale, à LCI le 27 février 2008, sur la transmission de la mémoire de la Shoah, notamment le souvenir des enfants juifs déportés à chaque enfant de la classe de CM2.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : La Chaîne Info

Texte intégral


 
 
C. Barbier.-  Vous installez ce matin la commission sur la transmission de la  mémoire de la Shoah. S'agit-il de réparer la bourde du Président  Sarkozy qui voulait confier le souvenir des enfants déportés à  chaque enfant de CM2 ? 
 
R.- Bien au contraire, il s'agit de transformer une bonne idée en bonne  pratique. Et pour que les choses fonctionnent, évidemment, il faut à la  fois avoir la communauté éducative, les gens qui connaissent la manière  dont on enseigne dans les classes, et en particulier en CM2, et puis il  faut avoir aussi tous ceux qui ont la charge de la mémoire de la Shoah,  ils sont nombreux. Et voilà pourquoi j'ai voulu que S. Veil en  particulier soit présente parce qu'elle est présidente d'honneur de la  mémoire de la Shoah, et il faut qu'ensemble, nous trouvions la manière  de transformer cette bonne idée en bonne pratique. 
 
Q.- Alors, justement, S. Veil, cette bonne idée, elle avait dit que c'était  plutôt ignoble. C'était son mot, c'était fort. Que lui avez-vous  promis pour qu'elle puisse arrondir ses positions et qu'elle vienne  travailler avec vous ? 
 
R.- Je ne lui ai rien promis du tout. Je lui ai dit, il faut que nous sortions de  cette incompréhension, de cette difficulté puisque la bonne idée du  président de la République semble être mal comprise par une partie de  ceux qui sont chargés de la mémoire. Et donc, je lui ai dit, "venez  m'aider à transformer ce projet en application concrète et venez  rejoindre la communauté éducative qui a besoin de vos conseils, de  votre expérience", et aussi du prestige qu'elle apporte à cette  commission de travail. 
 
Q.- Bonne idée mais peut-être pas bonne classe, bon âge. Est-ce que le  problème ce n'est pas d'avoir choisi le CM2 ? Est-ce que vous  demandez à la commission de réfléchir aussi sur le bon âge où il  faut enseigner la Shoah ? 
 
R.- Non, pas du tout, parce que je vous rappelle que l'étude de la Shoah est  au programme du CM2. 
 
Q.- Sous cette forme aussi brutale, pour parler des enfants morts en  déportation ? 
 
R.- La Shoah, ce sont des enfants morts en déportation ! Le président de la  République savait que c'est en CM2 que ces sujets s'étudient. Il a fait  une proposition qui consiste à établir un lien affectif entre les enfants  morts et les enfants d'aujourd'hui, parce qu'il pense que c'est une  manière d'aborder ce sujet qui est, au fond, indicible, incompréhensible,  qui résiste à la raison. Comment expliquer ça ? Et donc, il a cherché à  nous guider vers ce rapport affectif entre des enfants. Cela dit, c'est un  peu compliqué de faire enfant par enfant, puisqu'il y a quelque chose  comme 11.500 enfants juifs exterminés et nous avons près de 600.000  élèves en CM2. Donc forcément, il y aura un travail plus collectif. C'est  indispensable et on ne saurait faire autrement vu les rapports de  chiffres. 
 
Q.- Que ferez-vous des propositions de cette commission ? Une loi, une  circulaire ? Ce sera obligatoire pour les enseignants, ils n'auront  pas de marge de manoeuvre, ils appliqueront ? 
 
R.- Les enseignants auront toujours une marge de manoeuvre parce que la  liberté pédagogique est respectée par le ministre de l'Education  nationale. Nous aurons sans doute un texte, une circulaire, qui indiquera  la manière dont on peut organiser ce travail. On donnera des pistes. On  créera sans doute un site qui permettra grâce aux travaux de S.  Klarsfeld, où que l'on soit en France, de trouver des lieux de mémoire,  des noms des personnes disparues, des endroits où des archives peuvent  être consultées. De sorte que ce travail pédagogique, ce travail  d'histoire, puisse être fait partout d'une manière efficace, où que l'on  habite en France. 
 
Q.- Vous avez soulevé aussi la polémique en expliquant qu'au lycée, un  élève sur deux ignorait la Shoah, alors que normalement,  l'enseignement a été dispensé. Etait-ce une manière d'accuser les  enseignants de faire l'impasse sur ce sujet ? On sait que dans  certaines classes, c'est difficile d'en parler. 
 
R.- Pas du tout ! Bien sûr que non, je ne mets pas en cause les enseignants.  Vous avez un sondage de 2000 qui montrait, en effet, cela et que, par  ailleurs, les élèves se plaignaient de mal connaître le sujet. Et puis  j'observe que le Parisien publiait l'autre jour un sondage qui montre  qu'un Français sur trois trouve que ce n'est pas absolument nécessaire  d'en parler. Donc je n'ai pas du tout voulu mettre en cause les  professeurs d'histoire et je ne souhaite pas du tout faire une polémique  avec eux, car ils font bien leur travail. Enfin, tout de même, je constate  que sur ces sujets qui devraient tout de même provoquer une adhésion  collective indiscutable, il y a encore ici ou là des résistances ou des  méconnaissances. 
 
Q.- Aujourd'hui, un jeune homme de 20 ans est jugé pour tentative  d'assassinat, après voir poignardé sa prof en décembre 2005.  Qu'attendez-vous de la justice ? 
 
R.- J'attends de la justice qu'elle fasse son travail. Il ne faut pas échapper  ici à constater qu'il y a une responsabilité individuelle. Ce n'est quand  même pas tous les jours, Dieu merci, qu'un jeune homme lacère de  coups de poignard un de ses enseignants. Donc c'est quand même le  procès d'une personne. Je vois bien qu'on dit aussi, "oui, mais peut-être  il aurait fallu que l'institution soit plus prudente, qu'elle vienne plus tôt  au secours de l'enseignante qui avait dit que cet élève était difficile"...  L'enquête administrative ne l'a pas complètement prouvé, mais enfin  c'est possible. Mais ce que je dis, c'est que tout de même, nous sommes  en face d'une situation exceptionnelle et qu'il faut que ce jeune homme  réponde de ses actes. 
 
Q.- Aujourd'hui, un enseignant qui alerterait ainsi sur des menaces  proférées à son encontre, est-ce qu'il serait protégé ? 
 
R.- Bien entendu, c'est le cas. Non seulement il est protégé aujourd'hui,  mais je rappelle que j'ai pris, avec R. Dati, il y a quelques semaines, la  décision qu'un professeur qui est agressé, qui est menacé, y compris  lorsqu'il n'est pas dans l'exercice de ses fonctions, lorsqu'il est en train  de faire ses courses dehors par exemple, bénéficie de la protection de la  justice et que cette agression, pour celui qui la commet, est susceptible  d'entraîner des circonstances aggravantes. Donc j'ai tout fait pour que  les professeurs se sentent protégés par l'institution et je veille à ce que  cette protection soit vigilante et constante. Il n'est pas question que le  professeur soit exposé. 
 
Q.- Autre dossier dont la justice débattra lundi : le site "note2be.com",  où on peut noter ses profs nominativement. Pourquoi êtes-vous  contre cette transparence que recommandait le rapport Attali ? 
 
R.- Qu'est-ce que c'est que ces méthodes, enfin ? ! Nous n'allons pas livrer  les professeurs à la vindicte populaire de la part d'élèves qui signent  anonymement. Ce n'est pas comme ça que les choses se passent. Il y a  dans le système éducatif, des évaluations des enseignants, il y a des  comparaisons... 
 
Q.-...Oui, mais tout le monde est très bien noté, tout va toujours très  bien. 
 
R.- Mais non, tout le monde n'est pas très bien noté. Nous savons très bien  les endroits où les choses sont difficiles. De toute façon, j'ai demandé  son avis à la Commission nationale indépendance et liberté, à la CNIL,  qui va nous dire... 
 
Q.- Informatique et liberté... 
 
R.- Informatique et liberté, qui va donner son jugement le 9 mars. Nous  verrons ce qu'elle dira. Mais je crois que ce n'est pas comme ça qu'il  faut faire. Nous ne sommes pas dans un pays où on va se mettre à  dénoncer, à classer les enseignants en fonction de son opinion, d'une  mauvaise note qu'on a eue... 
 
Q.- Avec un système raisonnable, où l'on pourrait dire aux profs  nominativement, "voilà il y a tant d'élèves qui vous reprochent ceci,  il faut progresser sur cela". Cela se fait dans toutes les écoles et les  universités outre-Atlantique. 
 
R.- Tout ceci serait supportable à condition que ce ne soit pas public, parce  que le jugement, quand même, d'un élève sur un professeur ne vaut le  jugement d'un professeur sur un élève. Nous sommes ici dans une  logique, dans une dérive, à mon avis, que je ne saurais accepter. Moi, je  suis le ministre de l'Education nationale, je dois protéger mes  personnels et dans cette affaire, je suis derrière les personnels et je  désapprouve ce projet. 
 
Q.- Préavis de grève pour le 18 mars contre les conclusions du rapport  Pochard sur le métier d'enseignant, contre les restrictions  budgétaires. N'avez-vous pas ouvert la boîte de Pandore ? 
 
R.- Tout cela, je le répète, je ne veux pas être désobligeant vis-à-vis des  syndicats, mais c'est une méthode démodée. Ce qu'il faut aujourd'hui,  c'est regarder ensemble ce rapport. On ne fait quand même pas grève  contre un rapport. On a le droit de remettre un rapport fait par une  commission pluraliste. Il remet un rapport, nous allons le lire ensemble  et voir quoi en tirer. On ne fait pas une grève préalable ! Ces  enseignants qui enseignent tous les jours la raison, l'esprit critique, qui  sont favorables à la discussion et à l'échange, ne peuvent pas dans le  même temps se mettre en grève le jour où quelqu'un remet un rapport,  y compris lorsque c'est fait par une commission où une partie de  l'opinion qu'ils représentent, eux les enseignants, était présente. Donc  cette méthode me paraît démodée et ce n'est pas comme ça que nous  réformerons l'école. On peut défiler dans les rues, ça ne changera rien  au fait que l'école de la France a besoin de se réformer, d'être plus  juste, de réorganiser ses méthodes, ses objectifs parce que c'est la  réalité objective ça, ce n'est pas une question d'opinion. 
 
Q.- A Périgueux, chez vous, le président de la République avait rappelé  l'importance de la politesse à enseigner aux enfants, et puis il a  dérapé au Salon de l'agriculture, un nom d'oiseau lui a échappé.  "Il faut un instituteur à plein temps pour apprendre la morale et la  politesse à N. Sarkozy", rétorque S. Royal. Que répondez-vous à S.  Royal ? 
 
R.- D'abord, le Président a dit lui-même qu'il eut été préférable qu'il ne  prononçât point cette phrase. On ne va pas en faire toute une affaire.
 
Q.- Il l'a dit sans subjonctif mais il l'a dit quand même... 
 
R.- Quant à S. Royal, moi j'ai vu l'autre jour, par exemple, au conseil  régional, qu'elle a empêché un de ces vice-présidents, monsieur  Fontaine, de s'exprimer dans un débat public. Elle l'a chassé quasiment  de l'hémicycle et finalement il est parti sans pouvoir s'exprimer. Ces  comportements-là me paraissent plus attentatoires à la démocratie  qu'un mot qui échappe, ou un énervement, surtout dans le contexte  actuel, parce que, tout de même, il y a deux poids, deux mesures ! Il y a  une espèce de recherche à tout prix de mettre le président de la  République en situation et plutôt de dire, "mais enfin, comment, qui  c'est ce type, comment parle-t-il au président de la République ce  monsieur ? Comment se fait-il qu'en France, on peut insulter le  président de la République ?", on vient faire un procès à un Président  qui réagit un peu vivement. Je le répète il y a deux poids, deux mesures.  Il y a aujourd'hui un effort à faire pour que la nation respecte son  Président et je trouve qu'une partie de la gauche se met à utiliser le  registre lepéniste. Et moi, je suis d'accord avec monsieur Jospin qui dit  qu'il faut que tout cela s'arrête et qu'il faut respecter la fonction  présidentielle. 
 
Q.- Seriez-vous content d'accueillir au Gouvernement C. Allègre, avec  lequel N. Sarkozy a envie de travailler, par exemple pour s'occuper  de la recherche et de l'enseignement supérieur ? 
 
R.- Ce ne sont pas des questions qui dépendent de moi. Je connais très bien  C. Allègre, avec qui j'ai des relations amicales. Je crois qu'il est très  respecté du monde scientifique, mais évidemment... 
 
Q.- Il est craint aussi parce que... 
 
R.-...C'est une personnalité très forte et parfois un peu tonitruante. Mais je  répète, ceci n'est pas du tout de ma compétence. 
 
Q.- Vous êtes en difficulté à Périgueux, selon les sondages, dans votre  élection municipale. C'est parce qu'on veut donner, sur le terrain,  une sanction contre N. Sarkozy, une leçon à l'UMP ? 
 
R.- En tous les cas, c'est ce qu'on essaie de faire croire aux électeurs. 
 
Q.- Vous aviez fait 60 % à votre réélection, la dernière fois, là vous êtes  donné battu. C'est qu'il y a une dégradation nationale qui pèse sur  le climat. 
 
R.- Ce que je sais, c'est qu'on veut voler cette élection aux électeurs. On  leur dit, "il faut réagir à ce qui se passe et donc voter de telle ou telle  manière". Mais c'est une blague ça, c'est un mensonge ! Parce que les  sondages ils vont, ils iront, ils viendront, le Président montera,  descendra, il y aura d'autres évènements. Mais les gens qui vont être  élus, les maires et les conseillers municipaux, c'est pour six ans qu'ils  seront élus. Et donc il y a une sorte de mensonge à faire croire que  l'élection c'est autre chose qu'une élection municipale. Et d'ailleurs,  j'ai vu madame Royal venir soutenir un candidat que je connais bien,  dans une ville que je connais bien, candidat qu'elle connaît très peu,  dans une ville où elle n'avait jamais mis les pieds, est-ce que ceci est  vraiment ce que les électeurs attendent ? Moi, je leur dis, "ne vous  laissez pas voler cette élection, vous êtes convoqués aux urnes pour une  raison précise, c'est choisir un conseil municipal, ne répondez qu'à  cette question". 
 
Q.- Si vous êtes battu, vous présenterez votre démission du  Gouvernement ou ça n'a rien à voir ? 
 
R.-  Si je suis battu, ce qui ne sera pas le cas puisque je serai réélu, je ne  présenterais pas ma démission du Gouvernement parce qu'il a été, je  crois, prévu que ceux qui allaient vers les élections municipales, pour  autant, ne mettaient pas en jeu leurs responsabilités nationales. 
 
Q.- Mais ministre et maire, c'est un cumul difficile à expliquer aux  électeurs ? 
 
R.- Je ne crois pas. Je crois que c'est un grand avantage pour une ville  qu'un maire soit ministre. Vous savez bien le nombre de dossiers qu'on  débloque lorsqu'on est au pouvoir, lorsqu'on est près des affaires. Et les  gens le savent bien. 
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 27 février 2008