Interview de M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'Etat à la coopération et à la francophonie, à I-Télé le 12 mars 2008, sur sa candidature à la mairie de Mulhouse et sa présence au gouvernement dans le contexte de l'ouverture politique.

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Média : I-télévision

Texte intégral

N. Iannetta et L. Bazin.- N. Iannetta : J.-M. Bockel, secrétaire d'Etat à la Coopération et à la Francophone est notre invité politique ce matin. Bonjour.
R.- Bonjour.
N. Iannetta : Vous êtes également candidat à Mulhouse où vous allez affronter, on va le voir sur ce carton, une triangulaire dimanche prochain puisque le candidat socialiste P. Freybruger est face à vous et que P. Binder du Front national a décidé de se maintenir. Il a fait plus de 10%. Hier soir, c'est F. Hollande qui est allé à Mulhouse soutenir le candidat socialiste et il a dit qu'il voulait faire de Mulhouse une ville symbole. Ce qui va se passer à Mulhouse dimanche sera d'une portée nationale, a-t-il dit. Est-ce que vous craignez, vous, la nationalisation du scrutin chez vous ?
R.- Non je ne la crains pas. Si mon adversaire pense que c'est la bonne carte à jouer dans un deuxième tour d'élection municipale, de jouer cette politisation à outrance, moi ça me rend plutôt service parce que je ne me situe pas sur ce terrain. Il va devoir pour faire le plein de ses voix, rassembler les trois listes d'extrême gauche qui n'ont pas passé la barre des 5%. Donc il sera en quelque sorte très marqué, très connoté alors que, comme tout le monde l'a un peu dit après le premier tour - et c'est encore plus vrai au deuxième tour - nous sommes dans un enjeu local. Moi-même je me suis situé dans une démarche d'entente municipale avec des gens de gauche, des gens du centre, également l'UMP. C'est une idée qui, je crois, a fait son chemin car même si la partie n'est pas encore jouée, j'ai fait un score plus qu'honorable. J'ai distancé mon adversaire. Donc je reste, si vous voulez, sur la même stratégie et je ne serai sûrement pas dans une stratégie de politisation. Si mon adversaire le fait en faisant venir F. Hollande, je pense qu'il commet une erreur. En tous cas, moi ça me laisse de marbre.
N. Iannetta : Il n'y a pas que votre adversaire et F. Hollande. Manifestement, le fait que vous travaillez aujourd'hui avec N. Sarkozy, c'est resté en travers de la gorge de certains socialistes. Je voudrais vous faire écouter B. Hamon. Il était notre invité pour la spéciale Municipale. C'était avant hier sur notre plateau. Et je vous demanderai de réagir.
B. Hamon (eurodéputé PS) : J'aimerais qu'il y ait, le 16 mars au soir, un maire de l'ouverture dans l'Est de la France...
N. Iannetta : Vous pensez à J.-M. Bockel, bien sûr ?
B. Hamon : ...Qui morde la poussière, ça me ferait plaisir. Ça montrerait que la trahison ne paye pas, surtout quand elle est emballée sur le thème de justement l'ouverture, des convictions de fond etc. Mais on verra. J'espère qu'à Mulhouse autour de notre candidat, le rassemblement lui aussi se fera. Cela étant dit, ce qui est certain, j'espère que le président de la République et le Premier ministre l'entendront, j'ai l'impression que ce ne sera pas le cas, mais il va falloir réorienter les politiques économiques, les politiques sociales et ce fameux agenda de la réforme du modèle social français.
L. Bazin : "L'homme à abattre pour abattre la réforme", c'est intéressant comme raccourci.
R.- Mais là aussi j'ai le sentiment que ce genre de déclaration un peu haineuse, très outrancière - "l'homme à abattre" - ça me rend plutôt service, si vous voulez. S'il devait y avoir...
N. Iannetta : Ca ne vous blesse pas ? Sincèrement, humainement, ça ne vous choque pas ?
R.- Les sentiments intimes que je peux ressentir par rapport à des attaques de ce genre, je les garde pour moi. Mais sur un plan politique, si vous voulez, je pense que ça me rend plutôt service, parce que, si vous voulez, ça ne passe pas chez les citoyens. Moi j'ai eu droit à ça pendant toute la campagne. Prenez le thème de la trahison. Chez moi, plus encore qu'au niveau national, les gens me connaissent. Ils savent bien, j'ai fait du porte à porte, je les ai rencontrés, certains ne sont pas d'accord mais les gens qui ne sont pas d'accord disent "je ne suis pas d'accord avec vous mais je reconnais votre sincérité. Je sais que vous êtes un homme de conviction". Le thème de la trahison, qu'on puisse dire "Monsieur Bockel est allié avec la droite et nous ne sommes pas d'accord", ça, ça fait partie d'un débat politique normal que je peux entendre. Qu'on dise "c'est un traître, il doit mordre la poussière", des gens qui me connaissent depuis 20 ans, qui savent que pendant 10 ans, par conviction, fidèle à mes convictions, j'ai essayé de changer le Parti socialiste, j'ai essayé de le moderniser dans un sens social libéral, que j'ai accepté la démarche de réforme et d'ouverture avec sincérité, avec la volonté de réformer mon pays, ça c'est quelque chose que les gens reconnaissent chez moi. Quand je rencontre les gens dans la rue, les gens ne m'insultent pas. S'ils ne sont pas d'accord, ils me disent : "on a voulu vous faire passer un message au premier tour mais..."
N. Iannetta : C'est un message quand même, J.-M. Bockel. Vous faites 40% dimanche dernier. Vous aviez fait en 2001, 45%, et il y avait à l'époque un candidat centriste qui avait plus de 20%. Cela veut dire qu'il y a une érosion des voix sur votre nom, quand même. Est-ce que vous avez entendu le message des Mulhousiens ? Est-ce que vous craignez dimanche prochain ?
R.- Qu'il y ait eu un message au premier tour d'un certain nombre de mes concitoyens qui ont été perturbés, il y a aussi eu un certain nombre d'électeurs de droite qui ne se sont pas déplacés parce que cette démarche d'ouverture, cette démarche locale d'entente municipale, c'est quelque chose de nouveau, c'est quelque chose qui déplace les Page lignes, c'est quelque chose qui perturbe un certain nombre d'habitudes. Il y a eu également des messages nationaux qui ont pu passer puisque je suis membre du Gouvernement mais moi, encore une fois, je suis solidaire de mon engagement, comment dirai-je, j'assume mon engagement national. Je ne l'ai jamais caché. Mais qu'il y ait eu un certain nombre de messages, je le reçois. D'ailleurs depuis lundi, je vais au contact de mes concitoyens, je continue à faire du porte à porte et je les reçois. Mais les mêmes me disent...
L. Bazin : Est-ce que vous êtes plus populaire que N. Sarkozy à Mulhouse ?
R.- ... mais en même temps : "on veut vous garder comme maire". Et si vous voulez, j'ai perdu quelques points, je reste à un niveau élevé. Je veux dire, ce n'est pas une sanction et les gens le savent. Les gens considèrent qu'avec huit points d'avance maintenant, je peux gagner mais il faut se mobiliser. Vous disiez ?
L. Bazin : Je disais, est-ce que vous considérez que vous êtes plus populaire à Mulhouse que N. Sarkozy ne l'est ? Est-ce qu'il y a un jeu permanent comme ça de court-circuitage entre les messages ?
R.- Je vous assure que les choses ne se passent pas comme ça sur le terrain. Vous savez la popularité, ça va, ça vient. Même moi au niveau local avec notamment... Vous avez fait allusion à l'extrême droite. J'ai eu lors de mon deuxième mandat en 95 une extrême droite qui était à 31% au premier tour. Je l'ai fait reculer. Là, elle passe tout juste la barre des 10%.
N. Iannetta : Elle est à 10,5 oui.
R.- Donc la popularité ça va, ça vient. Moi je suis maintenant au deuxième tour dans un enjeu local, tout en assumant évidemment mes responsabilités nationales. Je ne les cache pas. Je considère même que c'est un atout pour une ville d'avoir un maire au Gouvernement. C'est un élément de fierté. Mais le scrutin est local. C'est le choix d'un maire pour 6 ans. Le Gouvernement, c'est forcément et par définition une situation qui dure un certain temps.
N. Iannetta : Qui durera si vous êtes réélu dimanche. C. Estrosi par exemple a dit : si je suis élu maire de Nice, moi, je démissionne de mon poste de secrétaire d'Etat.
R.- Si vous voulez, chacun est dans une situation différente. Aborder la cinquième ville de France en étant maire pour la première fois, c'est une situation. Moi-même, je me présente pour mon quatrième mandat. J'ai expliqué pendant toute cette campagne, bien sûr que j'ai eu une campagne sur la disponibilité à 100% que je n'aurai pas.
L. Bazin : C'est une vraie question.
R.- Je ne dis pas le contraire mais ça vaut aussi pour F. Hollande.
L. Bazin : Oui absolument, c'est une vraie question générale.
R.- Quand j'ai été élu maire la première fois, j'étais président de commission à l'Assemblée, j'étais député, j'étais sénateur. Bref j'explique aussi à mes concitoyens d'une ville où il y a beaucoup à faire, qu'il n'est pas toujours facile et ça ils le reçoivent, qu'avoir des responsabilités nationales dans une France encore très centralisée, c'est un plus. Moi-même, par exemple, je me suis battu pendant 20 ans pour le TGV qui maintenant arrive. Ca c'est un message que les gens comprennent. Pour le reste, il y a 22 maires au Gouvernement. Si une règle du jeu est fixée, je la respecterai. Moi-même, évidemment, ma priorité c'est la mairie. Mais si réélu maire, je reste au Gouvernement, j'ai la possibilité de rester au gouvernement...
L. Bazin : Si on vous demande de choisir, vous choisirez la mairie ?
R.- Si on me le demande, bien entendu. Mais si on me le demande pas et si on considère que ce qui vaudra pour quand même les deux tiers des ministres, que je peux continuer à être au Gouvernement, je considère aussi que c'est un plus pour ma ville. Et j'ai été clair avec les concitoyens là-dessus. Donc les plus de 40% que j'ai eus au premier tour savent cela. Et ceux qui voteront pour moi au deuxième tour le savent aussi.
N. Iannetta : Et à l'inverse, est-ce qu'un candidat battu... Nous verrons. N. Iannetta : ... peut rester au gouvernement ? Mais ce n'est pas une question qui ne se pose que pour vous.
R.- Chère madame, vous n'imaginez tout de même pas dans un contexte de deuxième tour, alors que je suis en campagne, que je vais commencer à faire des plans sur la comète s'agissant...
N. Iannetta : Surtout la comète de la défaite.
R.- ...Alors que je me bats pour gagner, alors que j'ai de bonnes chances de gagner même si je considère que le scrutin sera serré et je ne veux surtout pas démobiliser mon électorat. Mais je ne vais quand même pas commencer à faire des plans sur...
L. Bazin : Mais quand N. Sarkozy dit hier à Toulon : "moi, naturellement, je tiendrai compte des résultats du scrutin", est-ce que vous imaginez qu'il puisse en tenir compte dans la composition du Gouvernement ?
R.- Ecoutez, d'abord c'est un démocrate.
L. Bazin : Battu sortant, c'est arrivé à A. Juppé.
R.- D'abord c'est un démocrate et il est normal qu'il dise cela. Il est normal qu'une élection où vont tous les Français, donc qui est une élection qui a concerné tous les citoyens, il est normal que le président de la République délivre un tel message. Et pour le reste, naturellement, ce sera à lui de dire ce que sera demain la règle du jeu.
L. Bazin : Ce n'est pas un message de posture ? Ca ne peut pas être une posture que de dire "j'écouterai, j'entendrai, je tiendrai compte de ce qui va être dit", alors qu'on a dit précédemment que ça ne changerait rien au train des réformes ? N. Iannetta : Alors qu'il l'a dit lui-même.
R.- Je veux là-dessus donner un élément d'explication. On peut à la fois dire qu'on écoutera, enfin c'est ce que nous faisons tous, c'est comme moi j'ai dit à mes électeurs, je les écoute. Enfin, ou alors on n'est pas un démocrate, ou alors ça ne sert à rien d'aller voter. Une chose est cela. Une autre chose est de dire : "Je maintiendrai le cap des réformes". Encore heureux, je l'espère, enfin moi je suis de tout coeur aux côtés du Président, du Premier ministre pour qu'on maintienne le cap. C'est pour la réforme que je suis entré au Gouvernement, c'est parce que je pense que le pays a besoin d'être réformé, modernisé dans la cohésion sociale, que l'homme de gauche que je suis a accepté l'ouverture. Et on voudrait aujourd'hui que certains éléments de mécontentement qui ont pu se manifester, qu'on peut comprendre par ailleurs, nous fassent dévier du cap des réformes. Mais les mêmes Français qui manifestent du mécontentement nous reprocheraient de ne pas aller jusqu'au bout d'une démarche dont ils ont tous conscience, même s'ils savent que c'est difficile, que c'est indispensable à notre pays.
N. Iannetta : Une dernière question. Votre liste s'appelle "Gauche moderne".
R.- Ma liste s'appelle "Entente municipale". Et la "Gauche moderne" en est une des composantes. C'est mon parti politique.
N. Iannetta : C'est le parti que vous avez donc créé, "Gauche moderne". Dans "Gauche moderne", il y a "gauche". J'aimerais savoir, dimanche soir à 20 heures, si le Parti socialiste et la gauche en général font de très bons scores, est-ce que vous serez content ?
R.- D'abord, attendons le deuxième tour. On a déjà vu à plusieurs reprises dans des échéances...
N. Iannetta : Oui mais la question elle est simple, elle est : est-ce que vous êtes encore content si la gauche gagne dans ce pays ? Ou pas ? Vous avez droit de ne pas l'être.
R.- Moi, je pense qu'un raz de marée, que je n'imagine pas une seconde, d'un Parti socialiste qui n'a pas encore su se rénover, qui peut bénéficier ici ou là de la qualité de certains maires ou bénéficier ici ou là de signaux de mécontentement - personne n'est dupe de cela - mais s'il devait, je dirais, être conforté au-delà de toute mesure, je pense que ce ne serait pas une bonne chose pour le pays, ce ne serait pas une bonne chose pour ceux qui, au PS, veulent rénover le Parti socialiste et il y en a. Et donc moi je souhaite évidemment que ce deuxième tour soit un deuxième tour de confirmation locale, tout simplement, et ne soit pas une espèce de vote national masqué. D'ailleurs, je crois que ce n'est pas non plus l'état d'esprit des Français aujourd'hui.
L. Bazin : Merci d'avoir été avec nous ce matin. Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 12 mars 2008